Histoire des carrières

L'origine des carrières.

Les zones d'extraction du marbre de la vallée de l'Hermeton étaient sans doute exploitées depuis longtemps pour l'extraction de pierres destinées à la construction. Il semble qu'elles ne furent mise en location pour une exploitation industrielle qu'à partir du milieu du XVIIIe siècle, ce que semblent attester quelques actes notariés de l'époque (1753: Micheau Tienne - 1757: Falgeotte). Les carrières de Soulme, dont les massifs se distinguent parfaitement sur la carte géologique de la région, figurent déjà sur la carte de Ferraris dressée entre 1771 et 1778.

La rosace du palais de Charles de Lorraine à Bruxelles.

Le marbre de Soulme connut très rapidement un grand succès puisqu'il servit notamment à la décoration du palais de Charles de Lorraine à Bruxelles.

Sur le pavement du salon de l'Etoile, situé au premier étage, on peut encore voir aujourd'hui une rosace constituée de 28 échantillons des marbres belges et français ayant servi à la décoration du palais: parmi les noms de carrières regravés vers 1895, Soulme figure à côté d'Agimont, Franchimont et Gochenée. Les marbres de cette salle de l'Etoile ont été posés vers 1766, date qui correspond avec la pleine expansion des carrières de Soulme. 

La rosace du salon de l'Etoile au palais de Charles de Lorraine à Bruxelles.

(Photo extraite de "La mémoire des bâtisseurs" - Fondation Roi Baudouin, Crédit Communal)

Le salon à l'italienne ou salle des gardes ou salle de l'Etoile doit son nom au motif central du pavement, probablement posé vers 1766 et heureusement conservé. Il est constitué par une étoile à 28 rayons dont chaque branche fut taillée dans un marbre belge différent. Douze et treize rayons furent livrés en 1766 à quelques mois d'intervalle par deux marbriers différents. Au centre, sont gravés les noms d'origine de ces marbres dont certains ne sont pas sans poser quelques problèmes. Le fait que les noms presque effacés aient été regravés vers 1895 à l'initiative de l'architecte des Bâtiments Civils de l'époque, M. Willame, explique peut-être en partie ces difficultés. Il s'agit dans la plupart des cas, des noms des villages ou lieux-dits où se trouvaient les carrières. Ainsi: Sol(re)Saint-Géry (prov. de hainaut), Agimont (prov. de Namur), Franchimont (prov. de namur), Gochenée (prov. de Namur).

Lors d'une restauration du palais vers 1895, le pavement de la rotonde a été remplacé et personne n'a essayé de réidentifier les marbres et leurs applelations. Celles-ci avaent sans doute été effacées et elles ont été regravées avec des erreurs de lecture. Un certain nombre d'appellations sont correctes, mais certains marbres restent de provenance inconnue (Somme, Bourlamb, Petit-Cagne, Mouchène), tandis que d'autres ont pu être identifiées (Gerfont pour Cerfontaine et Roguenée pour Rognée), portent sans doute le nom de leur prorpiétaire ((Zoude, Laruine) ou se situe aujourd'hui en France (Doulair ou Doulers près de Givet).

Dans son analyse des différents marbres figurant sur cette rosace, M. P.Dumon relève des marbres de Franchimont, de Gochenée (probablement la carrière de Richemont à Soulme, ainsi que les carrières Luçon et Martinot), de Vodelée (carrières de Hautmont), de Waulsort, de Neuville (Tienne aux Mouchons), d'Agimont et bien sûr de Soulme. D'autres marbres d'origine inconnue pourraient aussi provenir de la région, ainsi Groschou, Somme ou Roiale...

Il y a lieu de noter que la brèche de Waulsort doit son nom à l'abbaye de Waulsort qui était propriétaire de la carrière de Onhaye dont on tire ce marbre. Cependant, dans la rosace du palais de Charles de Lorraine à bruxelles, l'indication "Vaulsort" est utilisée pour u marbre rouge frasnien qui n'a jamais existé dans la localité de Waulsort.

Le marbre de "SOULM", représenté par l'échantillon n°27, est un très beau marbre antique, noir très chargé de blanc, aucune des teintes n'étant parfaitement pure.

Il faut noter que postérieurement, en 1863, les frères Puissants essayèrent d'exploiter le marbre noir chargé de taches blanches dans le bois au Tienne Dufyr ou Tienne du Fir, au sud-ouest du village, mais ils durent bien vite déchanter, ce marbre noir brunâtre étant de mauvaise qualité. La tonalité brune était probablement due à la présence de minerai de fer comme le témoigne le nom de l'endroit qui a peut-être été exploité jadis.

La provenance de l'échantillon n°12 de "SOMME" n'a pu être déterminé avec exactitude mais pourrait provenir de Soulme, jadis orthographié "SOMME". 

D'après M.P. Dumon, le marbre gris royal, avec de larges veines blanches, provenant de Gochenée est probablement originaire de la carrière de Richemont, située jadis dans le village de Soulme, mais sur la rive de l'Hermeton en contrebas de Gochenée.

Rosace des marbres du palais de Charles de Lorraine à Bruxelles.

Résumé des recherches de M. P. DUMON sur leurs origines 

1. FRANCHIMONT - Marbre “rouge royal" assez clair. Provenance : Franchimont (limites de 1965). Carrière connue, la carte de Ferraris la donne comme abandonnée (délaissée). Age géologique : frasnien F 2j. 

2. THUILIER - Marbre noir intense, avec coquilles de gastropodes qui ressortent en blanc. Provenance supposée: Thuillies (limites de 1965). Age probable : givétien Gv a de la légende de la carte géologique au 1/40.000. 

3. GOCHENEE - Assez beau marbre "royal gris" scié un peu à contre-passe, très veiné. Provenance : Gochenée (limites de 1965). En 1765 Gochenée était en territoire français. Il est probable que la carrière était celle dite Richemont, à la limite de Soulme et Gochenée. Age : frasnien F 2j. 

4. BOUFFIOULX - Marbre noir veiné de blanc dit "bleu belge". Provenance : Bouffioulx (limites de 1965). Carrière vraisemblablement située vers la “Blanche Borne". Marbre quelconque. Age : viséen V 3b de la nouvelle légende, V 2c de l'ancienne. 

5. HAIRE - Beau marbre "royal clair”, chargé de gris, tendance au "byzantin”. Provenance supposée : Heer sur-Meuse (1965). En 1765, Heer était en France. Les carrières de marbre rouge de Heer sont bien connues. Victor Thomas de Beaumont exploitait en 1795 une carrière à Heer près de Givet. Age : frasnien F 2j. 

6. SAINTE-ANNE - Beau marbre "Sainte-Anne moyen mélange''. Provenance probable : Solre-Saint-Géry (limites de 1965). En 1770 le marbre "Sainte-Anne" était exploité à Solre-Saint-Géry en contrebas de l'antique chapelle Sainte-Anne. Age : frasnien. Assise de Gougnies. 

7. HAUTMONT - Marbre noir, gris et veiné de blanc pur. Provenance inconnue. Il n'est pas impossible que ce soit de Hautmont, lieu-dit de la commune de Vodelée (limites de 1965). Je ne crois pas que ce soit de Hautmont en France (Nord). Age à vérifier : frasnien F 2g. 

8. WAUSORT - Beau marbre type "rouge griotte" à Stromatactis. L'appellation Wausort m'étonne. La bréche dite de Waulsort est bien connue (elle ressemble au marbre 22), ce n'est pas elle. Duponta signalé un marbre rouge près du château de Walzin, ce n'est pas lui non plus. Age : frasnien F 2j, je pense. 

9. SIREI - Médiocre marbre ayant un peu le dessin du marbre "Sainte-Anne grand mélange". Provenance inconnue, sans doute de la région au sud de Beaumont. Ce n'est en tout cas pas Sivry. Age : frasnien probable. 

10. DEVIGNE - Marbre rappelant dans certaines parties le "Florence" et dans d'autres le "Sainte-Anne". Provenance inconnue. Age : frasnien presque certain. 

11. GERFONT - Beau marbre "rouge royal" peu chargé de coquilles de brachiopodes. Provenance probable : Cerfontaine. Le graveur aura écrit GERFONT au lieu de CERFONT. La carrière de Cerfontaine était exploitée en 1770. Age : frasnien F 2j. 

12. SOMME - Médiocre marbre, noir à noir brunâtre, quelques petites taches blanches irrégulières peu abondantes. Provenance inconnue. Il existe Somme-Leuze, Petite-Somme, la rivière Somme qui se jette dans la Meuse à Sclaigneaux. Il n'y a aucune raison de retenir un de ces noms comme provenance possible. A Sommières en 1763-67, on polissait des carreaux de marbre noir de Denée, mais ce n'est pas cela. Age : viséen, je pense. 

13. BOURLAMB - Marbre de belle qualité de type "rouge belge royal clair passant au gris", Provenance inconnue, je n'ai jamais entendu ce nom. On peut supposer qu'il provient de l'Entre-Sambre-et-Meuse. Age : frasnien F 2j. 

14. GROSCHOU - Marbre très quelconque, noir peu intense, veiné de blanc avec gros stromatopore globuleux de 15 cm de diamètre. Dans la série des marbres, certaines dénominations se rapportent à des communes : Franchimont, Thuilier, Bouffioulx, Haire, Gerfont, Estrée, Sol-St-Géry, Agimont, Soulm, ou bien à des lieux-dits comme St-Remi. D'autres se rapportent à des appellations marbrières : Roiale, Sainte-Anne. Je crois ici qu'il s'agit d'une dénomination de ce genre. Il y avait un marbre Groschou dans la collection Davila et il y a un marbre Groschou cité dans l'Encyclopédie de De Felice (Yvernon 1770-75) mais on ne dit pas le lieu de provenance. Je trouve dans une note de Le Hardy de Beaulieu (1861) que les marbres exploités dans le givétien des collines entre Nismes et Dourbes renferment d'énormes Stromatopora concentrica, dont la forme est celle d'un gros chou rouge bien pommé. Je crois que le marbre Groschou de la Rosace est une roche de l'assise de Fromelennes d'âge FI ou du frasnien F 2g renfermant de gros stromatopores. Provenance inconnue. Age probable : givétien ou frasnien ? 

15. GOCHENEE - Beau marbre rouge foncé couleur brique, type "griotte", Provenance : Gochenée, carrière probable : Luçon ou Martinot. Age : frasnien F 2j. 

16. ZOUDE - Assez médiocre marbre de type voisin du “Sainte-Anne" avec polypiers et stromatopores. Provenance inconnue. . Mme Lemaire m'a informé que Zoude est le nom d'industriels importants de la région namuroise et je vois qu'un descendant de cette famille avait un moulin à polir le marbre en 1832 à Maizeret, avec un ouvrier et un cheval, mais je ne crois pas que la carrière ait été dans cette région. Comme le marbrier Jacquet de Namur a aussi livré des rayons pour la Rosace, on peut penser qu'il pouvait être le fournisseur de cet élément. Age : givétien ou frasnien ? 

17. ROGUENEE - Marbre du type "Sainte-Anne" mais les taches blanches sont salies en brun, ce qui en fait un marbre quelconque. Roguenée fait penser à Ragnies ou à Rognée. Je donne comme provenance probable : Rognée. Ferraris dessine une carrière de marbre à 1 km 600 au nord de Rognée, on serait à cet endroit dans le niveau Gv b de la carte géologique au 1/40.000 ou F I de la terminologie de Maillieux. Age donc probable : givétien supérieur ou frasnien ? 

18. PETIT-CAGNE - Beau marbre gris noir, un peu bru nâtre avec taches irrégulières blanches, avec plusieurs Receptaculites, rappelle un peu le "Roiale" qui suit. Provenance inconnue. Il y a un endroit qui s'est appelé La Pacagne à Clermont et à Clermont, entre 1750 et 1780, il y avait plusieurs carrières de marbre. Age : frasnien. 

19. SAINT-REMI - Marbre “rouge belge, royal”, une partie est plus foncée que l'autre. On y voit une grande colonie de polypiers Phillipsastrea ou d'un genre voisin. Provenance : Rochefort, carrière Saint-Remy. Age: frasnien F 2j. 

20. ROIALE - Marbre de tonalité générale noire. On y voit un beau Receptaculites. Il y a quelques plages un peu brun rougeâtre. Actuellement on n'appellerait plus ce marbre "royal” en Belgique. Provenance inconnue. Je crois qu'il pourrait provenir d'une partie très foncée de marbre “byzantin", comme j'en connais dans la région de Philippeville (carrière du Grand Fond par exemple). Age : frasnien F 2j. 

21. MOUCHENE - Marbre gris fortement veiné avec des parcelles rosées. Provenance inconnue. Je le rapporterais volontiers à un marbre “rouge belge" des récifs F 2j. Une des carrières de Neuville près de Philippeville s'appelait "Tienne aux Mouchons”, mais il y a aussi un hameau de Dinant qui s'appelait Monchenne. Age : frasnien ou tournaisien (facies waulsortien)? 

22. DOURLAIR - Brèche à éléments anguleux noirs, gris foncé, brun rouge, à ciment rouge rosé. Provenance : Dourlers (Nord, France). C'est la grande brèche du viséen V 3a nouvelle légende ou V 2cx de celle de la carte géologique 1/40.000. Chardon, marbrier de Barbençon, un des fournisseurs des marbres de la Rosace, facturait le 20 août 1766 une cheminée en “Brèche de Dourlair" pour la cour de Bruxelles. 

23. ESTREE - Marbre à fond gris, jamais noir, avec polypiers abondants et stromatopores. Provenance : Strée. Dezailler d'Argenville en 1755 cite le marbre de Strée ou d'Estrée, dans le Hainaut autrichien et la carte de Ferraris situe une carrière de marbre à 500 m environ au S-O du principal carrefour de Strée. Age : frasnien, probablement au-dessus du Sainte-Anne. 

24. SOL-SAINT-GERY - Beau marbre noir intense à coquilles de gastropodes qui ressortent en blanc. Provenance : Solre-Saint-Géry. Age : givétien Gv a de la carte géologique au 1/40.000. 

25. AGIMONT - Marbre quelconque rouge, couleur intermédiaire entre "griotte" et "royal”, est décoloré par places, présence d'un gros stromatopore. Provenance : Agimont. Il est possible que la carrière soit celle du Rondtienne. Age : frasnien F 2j. 

26. ESTREE - Marbre gris, je l'appellerais un mauvais "Sainte-Anne''; les taches blanches ne sont pas nettes. Provenance : Strée. Il y a tout lieu de croire qu'il provient de la même carrière que le n° 23. Age : frasnien, probablement au-dessus du Sainte-Anne. 

27. SOULM - Très beau marbre type "antique", c'est-à dire noir très chargé de blanc, aucune des deux teintes n'est parfaitement pure. Provenance : Soulme. Je connais des marbres de ce genre à l'affleurement le long de l'Hermeton à Soulme. Age probable : frasnien F 2g. 

28. LARUINE - Médiocre marbre, fond gris foncé avec taches grises et non blanches, fossiles abondants : stromatopores, Alveolithes, etc. Provenance inconnue. Age: frasnien F 2h ? 


Pour en savoir plus:

Photos LD - Mars 2024

Le marbre de Soulme à versailles.

Suivant la tradition, le marbre de Soulme aurait été utilisé pour la construction et le décor du château de Versailles. Ce marbre était, d’après divers auteurs, déjà exploité par les Romains. À l’époque de la construction de Versailles, ce marbre jouissait déjà d’une réputation internationale.

Les archives consacrées à l'importation du marbre des territoires belges faisant alors partie du Royaume de France sont peu explicatives en ce qui concerne la provenance exacte des marbres. De nombreuses archives ont disparu, ne donnent pas souvent tous les renseignements recherchés ou sont actuellement inexploitées. La plus grande prudence est de rigueur car souvent, la confusion est apparue lors des restaurations successives, notamment sous la Monarchie de Juillet, entre 1830 et 1848, et jusqu'au moment des récentes rénovations lorsque les carrières de la région ont été remises à contribution. La restauration du Grand Vestibule a par exemple été réalisée grâce à des rouges griottes de la carrière Maudoux-Mousty à Neuville et la carrière de Vodelée a également été remise à contribution pour les rénovations réalisées récemment à Versailles

Au XIXe siècle, la référence fantaisiste au domaine de Versailles était devenue un véritable argument publicitaire, notamment aux carrières de Coulsore et Senzeilles qui sont sensées avoir réalisé des livraisons mythiques à Versailles.

Cependant, il est certain que des marbres furent transportés depuis la Flandre, le Hainaut et la vallée mosane. D'autres marbres étaient aussi transportés depuis des carrières françaises, notamment dans les Pyrénées et en Languedoc.

Ce marbre était utilisé pour décorer toutes les parties du château: façades, dallages, placages, pilastres, colonnes, escaliers, cheminées monumentales, etc. Certains meubles furent même recouverts de marbre rouge royal.

Le marbre de Rance fut plus particulièrement utilisé pour les colonnes des façades, les pilastres de la Galerie des Glaces et les manteaux des cheminées . Il ne fait pas oublier que la dénomination de "marbre de Rance" était très générale et s'appliquait aussi, par extension, à des marbres rouges teintés de blanc qui provenaient d'autres carrières.

Le marbre de Rance permettait la fabrication d'énormes pièces. Il faut particulièrement citer la gigantesque cuve monolithique octogonale de 3 mètres de diamètre qui servit à décorer le cabinet des bains et qui fut livrée en 1673 pour la somme de 15.000 livres.

(Pour plus d'information, voir: La vasque royale de Versailles: http://www.histoire-vesinet.org/vasque.htm)

Le "vieux Rance" était également appellé "rouge de Flandres" et provient de "mudmounts", nom donné aux récifs en forme de dôme d'âge frasnien. Il fut notamment utilisé à Versailles pour quatre colonnes et les pilastres d'ordre "françois" de la Grande Galerie du Roi ainsi que pour 24 colonnes doriques du balcon et du vestibule du milieu du château.

Les grandes pièces furent probablement façonnées avant expédition et oeuvrées à Rance par la famille Wicq. On a du construire un chemin de transport qui figure sur les cartes de Ferraris de la Haie-des-Saules (Renlies) à Coulsore et l'encyclopédie de Diderot et d'Alembert représente le château de Versailles avec à l'avant-plan un atelier de marbrerie.

Au XVIIIe siècle, le marbre rouge de Rance n'était plus très à la mode dans les maisons royales, mais il garda cependant une faveur beaucoup plus longue chez les particuliers, notamment grâce à l'utilisation de pièces plus petites.

Il faut noter également que le marbre noir de la région de Dinant avait également énormément de succès à l'époque, son importation étant facilitée par le fait que la région appartenait alors au Royaume de France.

Dans son "Histoire naturelle des minéraux" (G.L. Leclerc, comte de Buffon - Oeuvres complètes de Buffon, T. III, 1785), Buffon signale dans les environs de Dinant une variété de marbre "d'un rouge pâle avec de grandes plaques et quelques veines blanches et une quatrième est de couleur grisâtre et blanche, mêlée d'un rouge couleur de sang".

Colonnes de marbre du Trianon au château de Versailles.

A Soulme et dans les environs, au XIXe siècle, les pièces de la plupart des habitations étaient carrelées avec des dalles de marbre provenant des carrières locales. Les appuis de fenêtre, les escaliers d'entrée, les trottoirs devant les maisons étaient souvent réalisé en marbre, ce matériau remplaçant très souvent la pierre. Il n'était même pas rare de voir des étables ou des wc revêtus de dalles en marbre provenant des déchets de carrières.

Les marbres de Flandres et du Hainaut à Versailles

Éric Groessens

La Belgique et le Nord de la France sont depuis deux mille ans des régions d’exploitation de pierres de construction et de marbres renommés. Dès la période baroque, des centaines de variétés de marbres différentes étant disponibles, il n’est pas étonnant que les ingénieurs de Louis XIV se soient tournés vers la partie septentrionale du royaume pour leur approvisionnement pendant les intermèdes pacifiques. Il faut rappeler que tous ces marbres sont des calcaires durs, sédimentaires et de très faible porosité. La gamme chromatique est limitée au noir, au rouge et au gris. La plupart de ces exploitations ont disparu et les archives n’ont pas encore livré toutes les traces écrites. En revanche, un grand nombre d’informations fausses ou sans références, relatives à des utilisations à Versailles, circulent ; elles doivent inciter à la plus grande prudence.

La méthode utilisée dans cet exposé préliminaire est donc celle du géologue-touriste averti qui visite le château de Versailles et note au passage les marbres qui proviennent de sa région et qu’il croit reconnaître. Il trouve d’abord le marbre rouge de Rance, utilisé à profusion, tant en plaquage, comme dans la galerie des Glaces, que dans la construction des cheminées monumentales. Il peut aussi observer des revêtements muraux ou des dallages en marbre sainte-anne (belge), en marbre noir de Dinant, en genre grand antique de Barbençon, en brèche de Waulsort (ou de Dourlers), en petit-granit (anciennement appelé écaussinnes ou marbre de Ligny). Il y rencontre des marbres de l’Avesnois : quelques dalles en marbre de Cousolre, de Glageon, des marbres noirs français de la région de Bavay, etc. On peut raisonnablement penser qu’en ce qui concerne les quatre derniers, Il s’agit de restaurations effectuées sous la monarchie de Juillet, ou même postérieurement. 

Le marbre belge en Pologne et au danemark.

En 1608, le duc de Croy et d'Aerschot signalait déjà l'intérêt que le roi du Danemark portait pour le marbre de la région de Rance (cité par G.Ducarme en 1957):

Son excellence (le duc de Croy et d’Aerschot) a aussi audit Rance une quairrière gisant à la margelle en laquelle on tire quelfois des pierres de Rance pour le congé et permission d’icelle en payant 6 patars du pied plus ou moins selon son bon plaisir teanant à Jean Feuille et aux aises de Ville des autres cotez. S’y en est quelfois tirez et s’en peu encore tirez proche l’église dudit Rance, laquelle pierre est fort recherchée de toutes parts et par spéciale de la ville de Bruxelles et Anvers d’ou icelle passe plus outre tant le Roy de Dannemark que autres princes et seigneurs voisins

Grâce aux recherches de Ryszard Szmydki, nous savons que le roi Christian IV de Danemark avait demandé un passeport pour son hérault Joan de Marienbourg afin de lui permettre de ramener pour les sépultures royales de Roskilde, des marbres rouges de Ransst (Rance) et de Charlemont (Givet), du marbre noir de Dinatt (Dinant), de la pierre de Namur et quatre cents mille escaglies (ardoises).

Pour en savoir plus sur la cathédrale de Roskilde: https://audeladupaysage.com/2017/12/16/la-cathedrale-de-roskilde/ 

La cathédrale de Roskilde.

Les marbres belges dans les demeures royales en Pologne au XVIIe siècle

Ryszard Szmydki

Le rôle des carrières mosanes dans l’essor de l’architecture baroque en Pologne n’est pas encore connu des historiens de l’art. Des documents d’archives inédits à Bruxelles (Archives générales du Royaume) et à La Haye (Nationaal Archief) laissent supposer l’existence en Pologne, sous le règne de Sigismond III Vasa (1566-1632), d’un véritable réseau d’approvisionnement en matériaux de construction de Namur, de Dinant, de Rince et de Charlemont. Les marbres noirs et rouges conviennent parfaitement pour la construction des demeures royales à Varsovie et à Vilna. 

L'exploitation du marbre après l'indépendance de la Belgique.

Peu après l'indépendance de la Belgique, vers 1832, les taxes d'importation imposées par la France (3,30 F par 100 Kg de marbre brut et 6,60 F sur le marbre scié) apportèrent momentanément un coup fatal aux exploitations de marbre déjà menacées par l'apparition de zébrures schisteuses au milieu des bancs exploités.

Eloignées de toutes communications, les carrières de Falgeotte et de Louvain-Chestia (Saint-Gobiet) ne purent survivre à l'augmentation des coûts d'exploitation et de commercialisation et furent obligées de cesser leurs activités. A cette époque, la scierie de marbre située sur l'Hermeton et appartenant à la comtesse de Contamine débitait le marbre de la carrière de Falgeotte qui y était amené sur rail par traction animale. Cette scierie cessa donc toute activité également.

En 1853, les frères Puissant envisagèrent en effet l'exploitation d'un marbre noir chargé de blanc au Tienne Dufy ou Tienne du Fir, au sud-ouest du village: c'est un médiocre marbre noir à noir brunâtre avec quelques petites taches blanches.

Le marbre noir a en effet jouit pendant longtemps d'une réputation européenne. Le célèbre marbre noir de Dinant, qui devait acquérir une réputation européenne, était surtout recherché en raison de son beau polissage qui donnait beaucoup de profondeur à sa couleur foncée. Il semble qu'il n'a pas été employé avant le XIIIe siècle, probablement à cause de sa dureté et de la difficulté à le tailler. Principalement utilisé pour les monuments funéraires, il fut surtout exporté à partir du XIIIe siècle.

C'est aussi en 1853 qu'un certain Richemont ouvrit les carrières qui portent son nom et se trouvent au bord de l'Hermeton. Les autres carrières reprirent leurs activités et c'est ainsi qu'on les trouvent toutes les trois en activités en 1894.

Les carrières de marbre au XXe siècle.

Les premières couches de marbre s'épuisèrent rapidement et les carrières furent à nouveau abandonnées en 1899. En 1911, les associés Daffe et Faux réouvrirent les carrières de Richemont ainsi que la scierie et profitèrent de nouveaux moyens techniques qui permettaient d'atteindre des couches plus profondes et de les exploiter. L'exploitation du marbre à Soulme fut néanmoins souvent interrompue. Ainsi, il semble qu'en 1937, seule les carrières de Falgeotte aient été en activité. Après une nouvelle interruption, elles réouvrirent en 1958.

L'exploitation du marbre nécessita rapidement des moyens techniques plus perfectionnés pour atteindre des couches plus profondes. De plus, les conditions de transport étaient assez défavorables vu le manque de moyen de communication vers les centres urbains. Cette situation fit rapidement augmenter le coût de l'exploitation du marbre à Soulme. Par ailleurs, des veines de schiste étaient apparues dans le marbre, ce qui diminuait considérablement sa qualité. Mis en concurrence avec d'autres matériaux et les marbres importés de l'étranger, le marbre de Soulme et de la région devint de moins en moins concurrentiel sur le marché, ce qui provoqua l'abandon des exploitations par leurs propriétaires. La carrière de Richemont ferma en 1968 et celle de Falgeotte en 1970.