Pour leurs enfants et pour eux-mêmes, les Français aspirent à une vie nouvelle, plus féconde et plus digne, une fois sortis de la funeste parenthèse de 1940-44. Huit ans avant, avec l'embellie des congés payés, Léo Lagrange avait lancé un mouvement fort pour des sports et loisirs populaires : nouveaux stades et terrains de jeux, encouragement du sport amateur, développement des auberges de jeunesse. Pourtant, même s'il existait des "colos" en France depuis soixante ans (1882), le mieux que l'on puisse encore offrir aux jeunes Lilasiens à la Libération, est de continuer de les envoyer l'été à la campagne, chez des familles nourricières autour de Clermont-Ferrand (Ménat pour les enfants des écoles, Murol pour ceux du patronage de Marquiset). Pour 22 francs par jour, ils y restent en pension de la mi-juin à la mi-septembre, comme l'année d'avant. Les petiots n'ont pas l'âge pour se rendre compte que, cette fois, ils voisinent avec 80.000 réfugiés placés par l'administration dans le même département du Puy (rapport de monsieur Cartier, adjoint au maire).
CONCARNEAU 1948-51
La 1ère tentative de colonie de vacances des Lilas vise Concarneau en 1948. Les petits Lilasiens sont cependant quelque peu déconfits à leur arrivée. La belle "villa Kernako" qui devait les accueillir vient d'être réquisitionnée par le maire de Concarneau. Il faut bien reloger les familles aux habitations dévastées par la tempête qui a sévi en Bretagne. Sur la dune dominant la plage des "Sables Blancs", les 25 pièces tout confort de cette grande villa élégante ont été construites au 19° siècle pour une comtesse russe venue d'Odessa. Elles ne profiteront pourtant pas à nos moutards qui sont hébergés pendant 3 ans à l'école de la commune, à titre de compensation de la location devenue sans objet.
DINARD 1950-67
Une meilleure option doit être trouvée et c'est Dinard qui remporte le pompon. D'abord louée en 1950, son achat est finalisé un an plus tard. La remarquable "villa Nahant" et ses 3 ha de terrain donnant sur la baie de Saint-Malo est toute empreinte d'histoire. Construite en 1882 pour une riche famille de la bourgeoisie du Massachussetts, son nom est choisi pour rappeler l'île au nord de Boston d'où elle est originaire. D'une architecture remarquable de style Renaissance, ses quatre niveaux sont équipés dès le début des derniers éléments de confort disponibles -eau courante, téléphone- et même de l'électricité au tournant du 20°siècle. Ce ne sont qu'invitations et réceptions où l'on voit défiler quantité de convives prestigieux, comme l'Impératrice d'Allemagne, les princes d'Orléans ou le baron Rothschild. En 1914, à l'initiative de la communauté américaine, le petit château se transforme en maison de convalescence pour les soldats belges. L'entre deux guerres voit son éclat peu à peu décliner. En 1939, il est transformé en collège universitaire. Le futur chanteur Serge Gainsbourg y usera ses culottes d'écolier l'année de ses 15 ans. La guerre, l'occupation allemande et la construction du mur de l'Atlantique dégraderont sérieusement la villa, tout en "agrémentant" son parc d'un bunker enterré. Deux années de travaux seront nécessaires avant qu'elle ne puisse être mise en vente à la fin des années 40'.
C'est la ville des Lilas qui fait l'acquisition de la "villa Nahan" en 1951, après l'avoir louée l'année précédente. L'achat de la villa mitoyenne "la Luzerne" et de son 1/2 ha de parc boisé suit de peu. La première va aux garçons, la seconde aux filles (la mixité scolaire démarre ici avec 13 ans d'avance sur le reste de la France). L'endroit est idéalement placé pour prendre le bon air, à 2 mn de la plage du "Prieuré". Il accueille pendant 13 ans près de 180 colons par séjour. Messieurs Thoraval et Held-Saunier en sont les 1ers directeurs.
Alain V., un ancien colon, se souvient des activités de plage et de baignade (selon le temps et la marée), de la sieste obligatoire, du lever des couleurs du dimanche matin devant le grand escalier, des promenades par le chemin des douaniers le long de l'estuaire de la Rance (avant l'usine marémotrice), des veillées cinéma dans l'ancienne bibliothèque du château, des jeux de cow-boys et d'indiens dans le grand parc, du passage du tour de France devant la clôture, du corso fleuri de la ville, de la kermesse annuelle, des traversées en vedette verte pour visiter Saint-Malo ou Dinan.
Mais, là aussi, il faut partir puisque la ville de Dinard procède à un arrêté d'expropriation en 1964, afin d'y installer un lycée hôtelier. Le rideau tombe en 1967 pour les derniers petits Lilasiens. Le futur lycée Yvon-Bourges, de renommée internationale, ouvrira les portes de ses tout nouveaux bâtiments six ans plus tard.
MIERS 1960-2002
Sans attendre la fin de Dinard, la ville des Lilas fait l'acquisition en 1958 d'une seconde propriété dans le Quercy. Après deux ans de travaux, les premiers colons arrivent à Miers. Le "château" de la Pimpe est complété d'une infirmerie dans l'ancienne maison du gardien, ainsi que de réfectoires, cuisines et économat dans les anciennes écuries, aménagées juste de l'autre côté de la route. L'indemnisation de Dinard permet d'y adjoindre un nouveau bâtiment de sanitaires et deux autres dortoirs en préfa. Les 6 ha de prés et de bois sont à proximité du gouffre de Padirac et du village de Rocamadour, la Dordogne est à moins de 10 km : autant de terrains de découvertes et d'aventures pour les grands jeux, les excursions et les campements sous la tente. Le couple Simondi ("monsieur Pierre" et Jackie) dirige la colo pendant 18 ans. Stéphane Trancart et Paul Schmidt prendront le relais.
Sarah P. qui est venue huit années de suite à Miers en a des souvenirs "de dingue" : des terrains de foot et de volley, de la tyrolienne qui y descendait, du jeu des douaniers-contrebandiers, de celui des drapeaux, des chasses à l'homme, écorchant plus d'une fois les genoux, des grands jeux à La Source (1/2h à pied), des sorties spéléo, de l'équitation, des trois jours de canoë aboutissant à Quercyland, du camping à Rocamadour, des grottes de La Cave et de leur petit train, du rocher des aigles, de la forêt des singes, des descentes des garçons au dortoir des filles quand les monos entamaient leur 5ème repas au château. Elle a tellement aimé qu'à ses 17 ans, elle y est revenue comme monitrice. Mais que serait Miers si l'on oubliait d'évoquer sa légende : celle du fantôme de la Femme sans tête! C'est l'histoire du Seigneur de Coursensac, parti aux croisades, et qui, une fois revenu en son castel, découvre que son épouse a rompu sa ceinture de chasteté pour pouvoir éhontément le tromper. Fou de rage, il brandit son épée haut dessus lui et tranche le col de son aimée, avant de les jeter, elle et son chef, au fond du puit du château. L'histoire est cocasse et vaut d'être racontée. Au point qu'elle est montrée chaque année au spectacle le 14 juillet, devant les colons et leurs invités des alentours. Plus de 200 enfants, des Lilas et de Miers, sont ainsi assis sur l'herbe de la pelouse, à suivre cette macabre histoire, avec deux monos jouant côte à côte sous un même drap, le second portant la tête illuminée par des projecteurs. D'autres histoires suivent, en attendant l'acmé du feu d'artifice que rien au monde ne saurait empêcher de jaillir au-dessus de la Pimpe, pour le bonheur des jeunes et des toujours jeunes. Alors, le récit est inventé et répété à l'envi par les moniteurs? Peut-être. Mais pourquoi alors des générations de jeunes Lilasiens ont-elles continué de le colporter? Pourquoi, pendant tous ces étés, a t'on vu la Femme sans tête apparaître la nuit sur la pelouse ou encore s'évanouir au détour d'un couloir quand un besoin pressant vous faisait nuitamment vous relever? On dit même que, de retour aux Lilas, certains auraient vu une Dame blanche déambuler au bas de la Tour du Centre. Allez savoir!
Un autre moment fort nous est conté par Corinne M. une ancienne monitrice : "A Pâques 77, j’avais des garçons de 8-10 ans et, pour leur éviter la sieste obligatoire, j’avais obtenu l’autorisation d’aller -officiellement- faire la sieste dans les bois de l’autre côté de la route. Et pour rendre le fait plus crédible, on avait pris des couvertures, pas mal d’eau et des gros paquets de madeleines. On s’est ainsi promenés et je ne sais plus quel garçon voulait voir les palombières. Et, de chemin en chemin, nous nous sommes perdus. Quand on a entendu le bruit des tronçonneuses on a appelé et on s’est dirigés vers là d’où venaient les bruits. Mais bien sûr personne ne nous a répondu (c’étaient des braconniers de chêne liège), ce qui a fait que nous étions encore plus perdus. Notre moral n’a pas été entamé puisqu’on avait des provisions impressionnantes de madeleines et d’eau aussi, mais surtout des couvertures pour le froid car la nuit était tombée. Finalement un hélicoptère avec une grosse lumière nous a retrouvés et nous sommes tous rentrés à la colo dans des jeeps de la gendarmerie. Les garçons étaient fiers comme des paons face aux autres enfants et j’ai eu droit à un sacré savon du directeur! On est même passés aux infos le soir à la télé! Souvenir mémorable mais je ne sais pas pourquoi la ville des Lilas ne m’a plus jamais prise comme monitrice dans ses colos parce que, chaque fois que je croise un des garçons, on en rit encore des années après."
Des histoires de Miers, il y en a mille et cent à raconter. Le robinet à souvenirs se déclenche sans difficulté. Pour beaucoup par exemple, il suffit encore aujourd'hui d'entendre "Debout les gars" ou "Santiano" d'Hugues Aufay, pour repenser à l'appel aux activités jaillissant des haut-parleurs de la colo. Plus tard, ce sera "Ils tapaient sur des bambous" de Philip Lavil qui vous donnait le signal des repas. Quoi qu'il en soit, directeurs, moniteurs et monitrices dévoués ont permis pendant toutes ces années à tous ces gosses, qu'ils soient aisés ou désargentés, de participer à des séjours riches en aventures et en rencontres. Jackie nous confie aujourd'hui que "si les grands d'aujourd'hui se rappellent, des années après, de leur plaisir de gamins de l'époque, alors on n'a pas loupé notre coup".
_____________________________________________________
Et voilà que ce retour vers notre enfance prend fin.
Pour les curieux qui sont allés jusqu'au bout des épisodes, voici comment poursuivre le voyage.
Sur notre CARTE
Concarneau, villa Kerkano : https://www.geneanet.org/lieux/?id_marqueur=66724&zoom=17
Dinard, villas Nahan & la Luzerne : https://www.geneanet.org/lieux/?id_marqueur=66281&zoom=17
Miers en Quercy, la Pimpe : https://www.geneanet.org/lieux/?id_marqueur=66283&zoom=16
Compléments
un phénomène de société https://www.colonie-evasoleil.com/.../histoire-colonies.../
Publications
groupe facebook "Racines du 93" : FB1 FB2 FB3 FB4 FB5 FB6 FB7 FB8 FB9 FB10 FB11 infoslilas p27 sources Rd93
version résumée en page 27 du magazine InfosLilas d'avril 2021 : www.calameo.com/read/00110922668137fe2af06
Sources
documentation et plans : archives municipales, Thérèse Guillaume 02/2021
messages postés sur le groupe facebook "racines du 93" 27/05/2020 et 9/02/2021
entretiens avec Sarah P, Jackie Simondi 03/2021
souvenirs d'enfance à Dinard - le château de mon enfance, Alain Valeri - ancien colon, 2017
Huret 1993 p235, 278, 281, 293, 295, 316
l'essentiel >> ACTUS Genea CARTE des Lilas CARTES insolites FACEBOOK HISTOIRES LILASIENS A-Z QUARTIERS RV du CERCLE SOURCES
Code Couleur des liens>> Mosaïques Textes Cartes Arbres Audio-Vidéos
Mentions légales en page d'accueil : racinesdu93.fr