Madeleine RIFFAUD et toutes ses guerres - racines du 93

REPRODUCTION d'une SELECTION d'ARTICLES :

Maitron, Courrier Picard, Paris Lightsup, Liberation de Paris-Gilles Primout, Musée de la Résistance en ligne, Actua BD ...

MAITRON maitron.fr/spip.php?article161733

RIFFAUD Madeleine [RIFFAUD Marie Madeleine, Armande ; pseudonymes dans la Résistance : Sonia, Rainer]

Née le 23 août 1924 à Arvillers (Somme) ; poète, journaliste, grand-reporter, écrivain ; résistante FTP ; militante communiste de 1944 aux années 1970.

Madeleine Riffaud est née le 23 août 1924 dans un village du département de la Somme, à une trentaine de kilomètres d’Amiens, Arvillers. Ses parents y demeuraient en 1926, d’après les données du recensement mais en 1931 et 1936, ils figurent dans le recensement de la commune de Folies (Somme). Son père, Jean Émile Riffaud, et sa mère, Gabrielle Boissin, tous deux natifs de hameaux de la Haute-Vienne, après avoir été condisciples à l’école normale de Limoges et enseigné dans diverses localités du Limousin, avaient opté pour l’académie d’Amiens afin d’être affectés dans une même commune, celle de Folies, où ils passèrent le restant de leur vie. Influencée par un père socialiste et une mère catholique pratiquante, leur fille unique fut fortement marquée par le souvenir de la Grande Guerre. Son père avait été blessé, et elle grandissait dans un paysage de cimetières militaires, au sein de la « zone rouge », celle des anciens champs de bataille. Manifestant dès l’âge de onze ans des dispositions pour la poésie, témoignant de ses sentiments envers les morts des tranchées par un poème écrit à quinze ans, la jeune fille était vouée à devenir institutrice.

Au printemps 1940, elle accompagna ses grands-parents dans le Limousin pendant l’exode. Elle explique que, quand elle revint en Picardie, ses premiers contacts avec des soldats allemands en gare d’Amiens l’auraient convaincue de s’engager dans la Résistance dès qu’elle en trouverait l’occasion. Victime d’une primo-infection tuberculeuse, elle fut soignée en 1941 par un séjour au sanatorium des étudiants à Saint-Hilaire-du-Touvet, dans le département de l’Isère. Elle y rencontra un étudiant en médecine parisien, Marcel Gagliardi, plus âgé de huit ans, qui appartenait aux jeunesses communistes. Les jeunes gens se fiancèrent et revinrent à Paris. Claude Roy, qu’elle avait rencontré à Saint-Hilaire, publia quelques mois plus tard deux de ses poèmes dans la revue L’Écho des Étudiants. Pour participer à la résistance auprès de son ami, elle s’inscrivit à une formation de sage-femme qu’elle interrompit en janvier 1944 sur les consignes de l’organisation au sein de laquelle elle militait. Dans le sillage de son ami, elle s’était engagée au Front national des étudiants, une émanation du PCF, d’abord sous le pseudonyme de Sonia avant de choisir celui de Rainer, le prénom du poète allemand Rilke. Sa première action de résistance consista, à la fin de l’année 1942, à tracer des inscriptions à la craie sur les murs de la rue de l’École-de-Médecine au Quartier latin. Appelée à combler les vides créés par les arrestations et les désaffections, elle se trouva bientôt membre du triangle de direction du Front national des étudiants en médecine avec Jean Roujeau, « Paul », alors interne de l’hôpital Laennec, et Charles Martini*, « Picpus », étant chargée des « masses », avec un rôle plus technique que politique. Elle se souvient avoir désiré participer à des actions plus incisives après l’arrestation des FTP-MOI du groupe Manouchian, et a adhéré au parti communiste au début de l’année 1944 suite à un entretien avec Francis Cohen. Elle demanda à rejoindre la lutte armée, et elle fut affectée au service sanitaire des FTP. Elle apprit à poser des explosifs sur les véhicules allemands, et couvrit la retraite de Paul, qui haranguait les clients de la librairie Gibert, boulevard Saint-Michel, lorsqu’un soldat la menace de son arme.

En juillet, traumatisée par la nouvelle du massacre d’Oradour-sur-Glane, où elle avait l’habitude de passer ses vacances dans la région d’origine de ses parents, encouragée peut-être par le mot d’ordre FTP « à chacun son Boche », choquée par la mort de son ami Martini, reconnu et abattu par un soldat allemand qu’il avait épargné quelques jours plus tôt lors d’une opération de résistance, elle prit la décision de tuer un militaire de l’armée d’occupation. Le dimanche 23 juillet 1944, partie à bicyclette et armée d’un revolver, arrivée au pont de Solferino, elle trouva sa cible, un homme vêtu d’un uniforme allemand appuyé au parapet. Elle le tua de plusieurs balles. « Je n’ai pas eu le temps de compter ses galons », affirmait-elle par la suite ; c’était en fait un simple soldat, âgé de 37 ans. Rattrapée et arrêtée quelques instants plus tard par un milicien intendant de police bien connu à Versailles, qui circulait en voiture, elle fut remise à la police allemande. Maltraitée dans les locaux de la rue des Saussaies, elle fut transférée pour interrogatoire aux Brigades spéciales de la Préfecture de Police, et sa chambre du Quartier latin perquisitionnée. Elle prétendit avoir « trouvé » le revolver et la bicyclette (la police établit qu’ils avaient été volés), comme les brochures communistes trouvées chez elle, et qu’elle avait voulu venger son fiancé tué au cours des combats de 1940. Interrogée après la Libération, elle porta plainte contre quatre inspecteurs des Brigades spéciales, et expliqua qu’après une semaine ils l’avaient remise aux Allemands qui l’avaient à nouveau torturée avant de la transférer à la prison de Fresnes où elle devait être fusillée. Elle y rédigea plusieurs poèmes, dont « Chanson » consacré à sa propre exécution : « Ceux-là qui me tueront/ Ne les tuez pas à leur tour / Ce soir mon cœur n’est plus qu’amour. » Alors qu’elle devait être fusillée le même jour que Francine Fromond*, elle échappa à la mort afin d’être confrontée au gardien du bois de Boulogne à qui un groupe de résistants avait arraché quelques semaines plus tôt le revolver qu’elle avait utilisé. Mais son appartenance à la Résistance ne put être établie. Destinée à être déportée, déjà embarquée dans un train à la gare de Pantin, elle fut sauvée avec quelques autres par une intervention de la Croix rouge, et ramenée à Fresnes.

À la veille de l’insurrection, alors que presque tous les prisonniers avaient été libérés dans le cadre d’un accord passé entre le consul général de Suède, Raoul Nordling, et les autorités d’occupation, elle et deux autres condamnés à mort dont le dirigeant des JC Marcel Pimpaud furent échangés in extremis. Grâce à l’entremise de ce dernier, elle fut recontactée par ses camarades des FTP et fut affectée comme « aspirante » à la compagnie Saint-Just (c’est le mot employé sur une liste des combattants de la libération de Paris établie par les FTP). Elle prit part à deux épisodes importants de la semaine d’insurrection, la neutralisation d’un train allemand dans le tunnel des Buttes-Chaumont le 23 août, jour de ses vingt ans, et l’attaque de la caserne de la place de la République dont la garnison refusait d’accepter la reddition ordonnée par von Choltitz à la fin de la journée du 25 août. Son action lui valut une citation à l’ordre de l’armée : « Toujours à la tête de ses hommes, a donné pendant toute la lutte l’exemple d’un courage phyique et d’une résistance morale remarquables ».

Après la Libération, alors que ses camarades de la compagnie Saint-Just s’engageaient dans l’armée, le refus du jeune colonel Fabien (elle était encore mineure) ne lui permit pas de les suivre. Elle traversa alors un sévère épisode dépressif.

Dans l’après-midi du 11 novembre 1944, elle participa au défilé populaire sur les Champs-Élysées, après la parade militaire du matin au cours de laquelle de Gaulle et Churchill passèrent les troupes en revue ; à cette occasion, elle fut filmée sur un camion avec d’autres FTP. Juste après, elle croisa Claude Roy, désormais journaliste au quotidien Front national, qui la présenta à Paul Éluard. Touché par la détresse de la jeune femme, intéressé par ses poèmes, ce dernier publia un de ses textes dans L’Éternelle Revue qu’il avait fondée dans la clandestinité. C’est Éluard également qui préfaça un recueil de ses poèmes, Le Poing fermé, publié en 1945, et lui présenta Pablo Picasso qui dessina son portrait pour le frontispice de l’ouvrage. Elle fit dès lors partie du milieu prolifique d’artistes, d’écrivains et d’intellectuels communistes. Brouillée avec ses parents très inquiets du fait de ses activités, fort affectée par la mort de Marcel Gagliardi, elle dut ces mois-là être hospitalisée dans différents établissements, et c’est dans la maison de repos pour étudiants résistants de Combloux, en Haute-Savoie, qu’elle rencontra Pierre Daix, rentré de déportation, qui devint secrétaire politique de Charles Tillon, alors ministre des gouvernements de De Gaulle. Elle l’épousa le 26 septembre 1945 à Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne) et ils eurent en septembre 1946 une petite fille, Fabienne, avant de se séparer moins de deux ans après leur mariage. Par ses fréquentations des milieux artistiques et intellectuels, elle eut sur son époux une influence qui expliqua ses nouveaux centres d’intérêt. La petite Fabienne, menacée de la tuberculose, fut maintenue en chambre stérile pendant trois ans, puis elle vécut son enfance chez ses grands-parents paternels à Vitry.

Lors de ces années, Madeleine Riffaud fit le choix du journalisme en entrant au quotidien communiste Ce Soir, dirigé par Louis Aragon, sur la recommandation d’Éluard, et elle écrivit La Belle vengeance de Bleuette, un petit livre de la collection « Jeunesse héroïque » publié par le journal des FTP, France d’abord. Rédigé à la troisième personne, ce récit romancé d’un épisode de la vie d’une jeune résistante détenue à Fresnes, un personnage pour lequel elle s’était inspirée de plusieurs femmes qu’elle avait croisées dans ces circonstances, était en partie autobiographique : « Bleuette aurait dû être fusillée, mais les Allemands n’en eurent pas le temps ». Au début des années 1950, des musiciens qu’elle côtoyait dans la mouvance communiste, notamment Joseph Kosma, composèrent la musique de certains de ses poèmes. Son talent poétique, un temps négligé au profit du journalisme, fut mis à contribution pour composer des chansons de commande, souvent mises en musique par Jean Wiener et interprétées par Irène Joachim, telle « Camarade, debout ! », à la gloire de Staline pour son soixante-dixième anniversaire, reprise peu après pour les cinquante ans de Thorez, ou « Nous, Vaillants », l’hymne de l’organisation des enfants communistes, l’Union des Vaillants et Vaillantes. L’œuvre poétique de Madeleine Riffaud, comme celle de René Char qui côtoya les surréalistes sans que sa poésie en relève véritablement, fut marquée par sa fréquentation de cette génération sans qu’il soit possible de la rattacher à une école.

Au cours de l’été 1946, alors qu’elles couvraient la conférence de Fontainebleau où se rencontraient des représentants du gouvernement français et du Vietminh, sa célèbre consœur Andrée Viollis, de cinquante ans son aînée, lui présenta Hô Chi Minh, qui se prit d’affection pour elle. Peu après, elle intégrait la rédaction de la Vie ouvrière, l’hebdomadaire de la CGT, à la demande de son directeur Gaston Monmousseau. Pour ce journal, elle couvrit notamment le procès d’Henri Martin à Brest et la campagne en sa faveur, le congrès des Peuples pour la Paix à Vienne, la conférence de Genève sur l’Indochine. En août 1951, alors qu’elle se trouvait à Berlin-Est pour le troisième Festival mondial de la Jeunesse, son amie journaliste Dominique Desanti la mit en relation avec le poète vietnamien Nguyen Dinh Thi. Tous deux travaillèrent alors à des traductions destinées à prouver au public français l’existence d’une littérature qui attestait de la profonde culture du peuple vietnamien. Entre ces deux poètes, nés la même année, des liens indéfectibles se nouèrent. Madeleine retrouva Thi quelques années plus tard à Hanoï, en 1954, alors qu’il occupait une place importante dans le Parti communiste vietnamien et dans la politique culturelle du pays. Ils vécurent ensemble et elle s’attacha profondément à sa famille. Un peu plus d’un an plus tard, après des changements politiques au Nord-Vietnam sous influence chinoise, leur union était considérée comme répréhensible et elle fut incitée à rentrer en France. Elle eut beau plaider leur cause auprès d’Hô Chi Minh, celui-ci lui présenta cette séparation comme un devoir politique : « On ne fait pas la révolution dans le pays des autres. » Jusqu’à la mort de Nguyen Dinh Thi en 2003, les textes des deux poètes témoignèrent de la pérennité de cet « amour de papier ».

Entre ses séjours en France et au Vietnam, elle se rendit à plusieurs reprises en Algérie, d’où elle écrivit de 1954 à 1962 plusieurs séries d’articles. Elle était sur place lors du séisme d’Orléansville en septembre 1954 et publia dans La Vie ouvrière un texte qui, rédigé deux mois avant le début de la guerre d’Indépendance, pouvait sembler prémonitoire.

En 1958, après un nouveau séjour prolongé en sanatorium, elle fut recrutée à l’Humanité sur la proposition d’André Stil, son rédacteur en chef. Elle se rendit la même année à Constantine, subissant une attaque de son train lors du retour à Alger. À la veille de l’indépendance, fin juin 1962, elle fut victime sur une route à la sortie d’Oran d’un camion lancé sur son automobile, un attentat qu’elle attribuait à l’OAS, qui lui valut plusieurs mois d’hôpital et de graves séquelles aux yeux et au bras droit. Cela ne l’empêcha pas d’y retourner dès l’année suivante, après un court intermède en Iran, dans le sillage de De Gaulle reçu par le Chah, et au Congo-Brazzaville, menacé d’un coup d’État après sa récente indépendance. À Alger, elle rencontra Che Guevara, invité du président Ben Bella, et surtout elle fut mise en relation par Henri Alleg avec la délégation des rebelles sud-vietnamiens qui la reçut à bras ouverts et lui accorda une interview. L’Humanité y consacra sa une, « la deuxième guerre du Vietnam a commencé ». Alors que ni l’URSS ni le PCF n’inclinaient à soutenir une nouvelle guérilla, elle sut gré à Étienne Fajon d’avoir fait preuve de courage politique en soutenant son reportage. Elle vouait une réelle reconnaissance au directeur de l’Humanité pour avoir toujours respecté sa liberté d’écrire, tout comme elle avait précédemment témoigné son attachement à Benoît Frachon, son mentor à la CGT.

Rentrée au Sud-Vietnam par le Cambodge en compagnie du journaliste australien Wilfred Burchett qu’elle avait rencontré en Corée, elle y fut correspondante de guerre pendant huit semaines, parcourant en décembre 1964 et janvier 1965 les régions qui échappaient au contrôle des Américains, partageant la vie des combattants du Vietcong, notamment quinze jours d’entraînement de ces soldats irréguliers, et assistant à la bataille de Binh Gia. Les deux journalistes réalisèrent en rentrant le film Dans les maquis du Sud Vietnam qui passa en France à l’émission phare de la télévision, Cinq colonnes à la une. La même année, elle tira de cette expérience un ouvrage, Dans les maquis Vietcong, qui connut un réel succès et fut traduit en plusieurs langues.

À la fin de l’année 1966, elle parcourut pendant deux mois les routes du Nord-Vietnam bombardées par l’aviation américaine. Ce périple de deux mille kilomètres lui inspira Au Nord-Vietnam (écrit sous les bombes), paru en 1967. Elle retourna encore régulièrement au Vietnam, et était à Haiphong pendant le terrible bombardement de 1972, seule journaliste étrangère sur place, soutenue à fond par le général Giap. Ses reportages lui procurèrent une très forte notoriété et une légitimité qui la conduisirent à animer à partir de 1968, aux côtés de personnalités importantes du PCF telles que Raymond Guyot, le responsable de la section internationale, le « Comité national d’action pour le soutien et la victoire du peuple vietnamien », une initiative soutenue par le secrétaire général Waldeck Rochet après une conversation avec elle, et longuement discutée à la réunion du comité central de janvier 1968. Elle fut ensuite sollicitée comme correspondante étrangère accréditée sur place par plusieurs autres médias européens, suédois, italiens, allemands. Invitée partout dans les rédactions et télévisions, notamment en Allemagne de l’Ouest où elle collaborait à une chaîne télévisée, et jusqu’à CBS News aux États-Unis, elle commençait à être suspecte aux yeux des dirigeants du PCF de l’ère Marchais, déjà échaudés depuis la fin des années 1960 par l’engouement qu’elle suscitait dans les milieux gauchistes.

Après l’intensité de ses expériences de correspondante de guerre, la signature des accords de Paris qui préludaient à la paix la ramena durablement en France. Ce changement de vie risquait de se révéler difficile, mais elle sut se relancer en se rendant sur un front inattendu. Son ami le professeur Jean Roujeau, l’ancien interne « Paul » du temps de la Résistance, lui recommanda de « [s]’infiltrer dans le monde en blanc » en se faisant embaucher comme agent de service (« fille de salle »). Elle travailla plusieurs mois à l’hôpital Broussais de l’Assistance publique de Paris, ou dans l’établissement privé Saint-Joseph, en réanimation chirurgicale et en chirurgie cardio-vasculaire. De cette expérience, elle tira une série d’articles, ses derniers pour l’Humanité, puis un ouvrage, Les Linges de la nuit, dans lequel « Marthe » relatait à la première personne du singulier sa vie quotidienne sous la forme d’un journal. Ce témoignage, alors rare, émanant d’un milieu en pleine mutation, a joué un rôle important dans la connaissance par le grand public du monde de l’hôpital. Bénéficiant dans l’écriture de son expérience de correspondante de guerre, réédité à plusieurs reprises, le livre eut un retentissement considérable : « J’ai eu plus de succès pour avoir vidé les bassines et fermé les yeux des mourants que pour avoir été sous les bombardements des B52. » Elle ne le déplorait pas : « C’est le meilleur livre que j’ai écrit. »

Au milieu des années 1970, elle s’éloigna en toute discrétion du parti communiste, tout en continuant à y entretenir de solides amitiés, et quand on l’interrogeait plus avant, elle répondait : « Je suis du parti de Gabriel Péri et de Manouchian ». Après ce détachement sans heurts, elle renoua avec la foi catholique de sa jeunesse, jamais complètement reniée, en adhérant avec satisfaction aux réformes engagées par le concile Vatican II. En revanche, elle repoussa les avances que lui fit encore le PCF en la personne de Robert Hue pour sa liste « Bouge l’Europe ! » en 1999.

Avec sa verve de narratrice intarissable, elle continua à témoigner pour des publics de tous âges, devenant notamment une habituée des tournées en milieu scolaire, comme ses amis Lucie et Raymond Aubrac, eux aussi intimes de Hô Chi Minh. Des mains du grand résistant, elle reçut en 2001 la croix de chevalier de la Légion d’Honneur, avant de se voir décerner en 2008 l’insigne d’officier dans l’Ordre national du Mérite. Elle continua jusqu’à ce que sa vue, affectée par ses blessures en Algérie, s’évanouisse. C’est aussi dans la perspective d’une réflexion sur sa vie qu’il faut comprendre une partie de son œuvre poétique. En 2001 encore, elle édita un recueil de poèmes consacrés aux trois guerres qu’elle avait couvertes en tant que journaliste, l’Indochine, l’Algérie, le Vietnam, « car les censeurs ne lisent pas les poètes » expliquait-elle.

Son dessein autobiographique était plus évident encore dans Les Linges de la nuit , qui lui permit d’aborder des épisodes douloureux de son passé, tus jusque là, ou dans On l’appelait Rainer, une longue conversation centrée sur sa vie dans les années 1940, recueillie par l’écrivain, journaliste, artiste et poète Gilles Plazy, entrecoupée de poèmes, notamment ceux écrits en prison. Elle fut aussi sollicitée pour différents entretiens radiodiffusés ou télévisés, ou pour des films documentaires. Ses handicaps physiques ne l’empêchaient pas de toujours participer à des cérémonies, par exemple à la mairie du XIXe pour le 60e anniversaire de la prise du train des Buttes-Chaumont, en 2007 aux obsèques de Lucie Aubrac où elle prit la parole, aux invitations de l’ambassade du Vietnam, ce pays pour lequel elle est restée une personnalité mythique, et encore en 2014 à une cérémonie au Panthéon et à une émission télévisée pour le 70e anniversaire de la Libération de Paris. Les épreuves subies en 1944 et son contact répété avec la mort pendant des années l’avaient profondément marquée. Pour supporter ces douleurs, elle suivit différents traitements dans les années d’après-guerre, puis, bien plus tard, une psychanalyse à la dimension en partie didactique. Dans la continuité de son action militante, de ses démarches psychologiques et de sa foi catholique, elle poursuivit jusqu’au début du XXIe siècle des actions de soutien aux malades et d’accompagnement des mourants.

COURIER PICARD courrier-picard.fr/id28903/article/2019-08-07/resistante-originaire-du-santerre-madeleine-riffaud-raconte-la-liberation-de

Madeleine Riffaud

Résistante originaire du Santerre, Madeleine Riffaud raconte la Libération de Paris 07/08/2019 « Je lui ai donné deux balles dans la tempe, et voilà C’est par un beau dimanche de juillet 1944 que la résistante Madeleine Riffaud, alias Rainer, tua un officier allemand, en plein Paris et au grand jour, alors qu’elle n’avait pas 20 ans.

Dans un entretien accordé à l’Agence France-Presse, l’ancienne résistante devenue ensuite grand reporter raconte son engagement dans la lutte armée et le soulèvement populaire qui libéra la capitale, événement joyeux mais terni par la mort et la déportation de nombreux camarades.

C’est dans son appartement parisien, un cigarillo à la main, que Madeleine Riffaud, aujourd’hui âgée de 94 ans, confie ses souvenirs. Dans la pièce, les stores baissés pour préserver ses yeux, un oiseau pépie et des ventilateurs tournent à plein régime en cette fin d’après-midi d’été. Sur sa table basse, des verres en plastique offerts par l’école primaire de Ravenel (Oise), devenue cette année le premier établissement scolaire de France à porter son nom. Celui d’une Picarde née dans l’est de la Somme, à Arvillers, le 23 août 1924. À cette époque, ses parents étaient instituteurs dans le village voisin de Folies.

« Je voulais m’engager dans la lutte armée »

Madeleine Riffaud a 17 ans quand elle s’engage dans la Résistance, en 1942. C’est grâce à un homme d’église, l’abbé Lavalard, lui-même résistant. Dans un entretien accordé au Courrier picard en 2013, elle confiait : « J’ai rencontré la guerre très jeune. Dans le Santerre, à Folies, où j’habitais. Je me souviens de mon père, blessé en 14-18, de ces cimetières à perte de vue . Je me souviens aussi de trois garçons de mon école qui avaient trouvé un obus abandonné. Ils ont sauté avec la bombe ». Étudiante à Paris, férue de poésie, elle se surnomme « Rainer », en hommage au poète autrichien Rainer Maria Rilke. C’est durant l’hiver 1944 qu’elle bascule dans la lutte armée, après le massacre d’un groupe de résistants étrangers.

« J’étais très émue et je me suis dit il y en a marre, je vais rentrer dans la lutte armée. Je l’ai dit à mon chef, et il m’a envoyé promener en me disant qu’ils étaient nombreux déjà et que j’étais une petite fille. Je lui ai dit que mon papa m’avait appris à tirer, j’étais un petit peu entêtée. Alors on m’a donné un rendez-vous pour entrer dans les FTP. (…) On m’a dit : tout de même, réfléchis bien car en ce moment, un groupe de FTP dure trois mois, ou peut être cinq mois grand maximum… Je me suis entendue répondre : je m’en fous. »

Au printemps, « on a reçu l’ordre d’intensifier les actions à Paris et en banlieue », pour préparer la Libération.

« On a fait sauter des camions allemands, on a fait évader des prisonniers, on a fait plein de choses… Et moi, j’étais spécialiste du vol . J’aurais pu faire une belle carrière après la guerre. J’allais par exemple voler les tickets d’alimentation dans les mairies. Un de nos boulots, c’était d’aller voir les jeunes qui partaient pour le STO et de leur dire : pas un homme pour Hitler, on va vous aider ».

« En vue de l’insurrection il fallait de préférence faire des actions au grand jour, devant les Français, en plein midi, pour montrer qu’un jeune homme ou qu’une jeune femme pouvait faire sauter un camion, ou abattre un officier allemand et puis s’en aller à bicyclette ».

La cadence des opérations s’est précipitée à partir du débarquement. Tout était coordonné, poursuit-elle. « On avait des ordres, il fallait obéir, quels que soient nos sentiments personnels (…) On ne fait pas une action armée comme on joue à la poupée. Si ça n’a pas de sens politique, ça ne sert à rien ». Et d’ajouter : « Mais on avait des difficultés : on avait eu des pertes très graves, et il fallait en faire plus, à une période où les Allemands se méfiaient. Dans les étudiants qui s’étaient enrôlés récemment, plusieurs m’ont dit : Rainer, j’avais un Allemand au bout de mon revolver… j’ai pas pu tirer, je n’ai pas été élevé comme ça. J’ai répondu : moi non plus… »

Un « beau dimanche » de juillet

Le 23 juillet, c’est un dimanche. Les rangs sont « décimés » explique Madeleine Riffaud. Elle rencontre un autre résistant et lui dit : « Mauvaise nouvelle, [Charles] Martini [alias Picpus, autre compagnon d’armes] est mort. On est décimés. On ne va pas s’en sortir si je ne le fais pas (…) Alors tu me prêtes ton vélo et Oscar (surnom donné au pistolet, ndlr) ».ans les années 1940. (Photo : AFP)

« J’ai longé la Seine. Il faisait beau, tous les Parisiens étaient dehors. C’était idéal. Et puis arrivée vers le pont de Solférino, vers la gare d’Orsay, je vois qu’il y a justement un gradé (allemand) qui est là, qui se balade sur ce pont. Je ne vois pas quelqu’un avec lui. Je me suis dit : mon vieux, c’est ta fête aujourd’hui. Alors je suis allée sur le pont avec mon vélo, et puis j’ai mis pied à terre. Et je vous assure que je n’avais aucune haine, aucune, j’avais plutôt du chagrin. » Elle a alors 19 ans.

« Ça s’est passé très vite », se souvient Madeleine Riffaud. « J’ai vu un petit gars qui passait à proximité et je me suis entendue lui dire : va plus loin, petit garçon ». Elle a attendu que cet Allemand se retourne, « parce que j’avais dans l’esprit que Martini s’était fait tirer dans le dos, et je ne voulais pas faire pareil et abattre, moi, un homme dans le dos, je voulais qu’il me regarde, qu’il ait le temps de sortir son arme et qu’on fasse ça à la loyale, même si ça durait une seconde . Il a fini par se retourner, parce qu’il a senti une présence ». C’est à ce moment-là que Rainer lui tire deux balles dans la tempe. Il est tombé immédiatement et il est mort sur le coup, « il n’a pas souffert du tout, je savais quand même comment tirer… »

« La maison de la mort »

Un agent de police qu’elle croise ensuite lui montre que la voie était libre. Elle passe dans de petites rues, mais entend une voiture à essence derrière elle. « L’essence, c’était seulement pour les Allemands ou pour les miliciens français… Je me dis ça y est, c’est foutu. (…) Je suis envoyée avec une force terrible sur le pavé. La voiture passe sur ma roue arrière, et je me retrouve dans le décor. J’avais un sac en bandoulière pour transporter Oscar, le revolver, et je le vois à 50 cm de moi. Je l’attrape dans le but de me finir moi-même. »

Le conducteur du véhicule, un chef de la milice de Versailles, « m’a attrapée et j’ai eu de la chance ce jour-là parce qu’il aurait pu m’abattre tout de suite, mais il aurait pu aussi m’amener chez ses chefs nationaux. Et chez les miliciens, ils violaient systématiquement les femmes, quel que soit leur âge… » Pas la Gestapo. Ce, pour « protéger la race ».

Il y avait des affiches dans tout Paris pendant l’insurrection disant que si on livrait un membre de la lutte armée aux Allemands, on avait une prime. Une bonne somme qui ne se refuse pas pour l’homme qui attrape Rainer. Il l’a emmenée directement à la rue des Saussaies, au siège parisien de la Gestapo, « la maison de la mort. Et j’ai vu qu’on lui a fait son chèque. »

Les officiers qui étaient là « c’étaient pas des spécialistes en torture, parce qu’on était dimanche après-midi et qu’ils étaient partis se balader, heureusement pour moi. J’ai eu affaire à des officiers SS brutaux, qui m’ont assommée et frappée, mais n’avaient pas le raffinement des autres. Je leur disais : allez-y, tuez-moi, ça ira plus vite. Je ne dirai rien, je ne sais rien et de toute façon je trouverais normal que je sois fusillée le lendemain matin, c’est les lois de la guerre… »

Madeleine Riffaud a été envoyée à la police française. Une femme les armes à la main, « ce n’était pas mal de la confier à eux. Et ceux-là, c’étaient des spécialistes [en interrogatoire et torture] mais ils ne m’ont gardée que trois jours, parce que je leur ai fait des ennuis, je les ai énervés, agacés ». Alors qu’en parallèle, ils ont torturé une jeune femme enceinte. L’un d’eux lui a donné des coups de pied, avec ses bottes ferrées, dans le ventre, en lui disant : « C’est un petit juif que tu as dans le ventre, dis-moi le nom de son père. (…) »

Ils ont amené cette femme, inanimée, dans une salle commune. « C’était dans mon domaine (Madeleine Riffaud faisait des études de sage-femme, ndlr) et c’est moi qui ai eu le privilège de faire venir ce petit enfant au monde. Je l’ai pris dans mes bras. C’était un garçon. Il était couvert de bleus. Les coups que sa mère avait reçus sur son ventre. Ils l’avaient tué. Il a poussé un petit cri et il est mort. J’ai dit à l’agent donnez-moi votre canif et j’ai coupé le cordon ». La mère faisait une hémorragie. Madeleine Riffaud a alors demandé à appeler l’officier ce à quoi il lui a été répondu : « Il est saoul à cette heure-là, tu veux me faire avoir un mauvais point ? »

Elle frappe alors à la porte de l’officier. « Il était en train de cuver son vin, il avait encore son nerf de bœuf à la main ». Madeleine Riffaud lui dit alors : « Monsieur, vous avez tué un enfant, vous allez tuer aussi sa mère ? Vous croyez que ça va se passer comme ça ? Cette femme, les gens s’en rappelleront et ce sera répété ». Après quelques coups, il a fait appeler une civière pour transporter la jeune femme.

(Madeleine Riffaud apparaît à la dixième minute)

Le lendemain matin au petit jour, « il me dit : « Tu nous as déjà assez embêtés, toi. Les Allemands nous font l’honneur de te donner à nous, on est Français comme toi et au bout de trois jours, tu fais un scandale à cause d’une femme juive ! Je ne te veux plus, j’ai appelé la Gestapo, dans une demi-heure ils viennent te chercher… (…) Tant pis pour toi, tu vas avoir les yeux crevés, tu vas être coupée en morceaux et là ils vont bien te faire parler. De toute façon tu vas être fusillée ». Mais c’est lui qui a fini fusillé avant moi… »

La détention et les interrogatoires se poursuivent, notamment rue des Saussaies et à Fresnes, sans que Rainer ne craque. Elle manque de peu d’être fusillée le 5 août, puis, alors qu’elle doit être déportée le 15 août, elle s’échappe, est de nouveau capturée, puis libérée le 19 août, dans le cadre d’un échange de prisonniers.

« Paris était survoltée »

Rainer reprend presque aussitôt les armes alors que Paris est en plein soulèvement populaire. Elle intègre la compagnie Saint-Just, à la tête d’une petite unité dans le XIXe arrondissement.

« On était considérés comme des vieux combattants parce qu’on avait fait de la lutte armée (…). Alors on pouvait encadrer la compagnie, qui avait recruté. Les gens arrivaient avant qu’on leur ait donné le mot d’ordre. Paris était survoltée. Les gens voyaient des combattants qu’ils ne connaissaient pas dans leur rue, avec ou sans barricades, et disaient : je n’ai rien fait de toute la guerre, là non d’un chien, je vais en être. Alors ils descendaient et apprenaient à manier le fusil, très vite. Et puis on avait affaire aux mômes, qui étaient toujours dans nos jambes, et les femmes nous apportaient des brocs de café d’orge le matin. Elles faisaient des tas de choses, jouaient les agents de liaison à bicyclette. (…) Il y avait un soulèvement de tout Paris, un soulèvement joyeux. Ça m’a beaucoup frappé. Les gens s’aimaient et s’embrassaient comme ça, sans se connaître, pour rien. Et ça, c’était chouette, surtout pour nous, de pouvoir se battre au soleil, au grand jour, pas de manière clandestine ».

On ordonne à Rainer de bloquer un train rempli de soldats allemands, sur la Petite ceinture.

« J’ai répondu : j’ai quatre hommes en me comptant. On me répond : je m’en fous. Je comprends, c’est l’armée… Alors j’ai dit à mes petits gars : descendez à la cave, il y a des caisses d’explosifs de toutes sortes. Vous les prenez, on monte en vitesse et on se tire tous les quatre ». Ils sont arrivés devant le train, la locomotive était dehors, avec un wagon. Il y avait des Allemands sur le marchepied qui arrosaient le pont, tiraient. « On leur balance toutes nos caisses sur le pont et devant, ça explose, ça fait un bruit incroyable ».

Les hommes ont la trouille, ils ne s’attendaient pas à ça, et puis les résistants tirent pour faire peur aux Allemands. « Et on jette la petite caisse : c’était des fusées de feux d’artifice pour un 14 juillet hypothétique. Ça a contribué à l’affolement de ces pauvres Allemands. Ils se sont retirés dans un tunnel. La locomotive était restée dehors. Les copains sont arrivés, il y avait les pompiers, le maire de l’arrondissement, ça tournait à la partie de campagne, c’était plutôt gai ».

Le temps passe, et le commandant Darcourt « se ramène et crie : « Dans tout ce monde, il n’y a pas un cheminot pour retirer la locomotive ? » Dans un HLM à côté, il y avait un jeune retraité dont le métier est conducteur de locomotive ». L’homme était en train de faire la vaisselle avec sa femme. Il dit à sa femme : « Je m’en vais mais dans 20 minutes je serai là ». « Il descend avec nous, et je lui explique qu’il va faire une cible idéale… Il me dit ne vous inquiétez pas, il est passé en dessous, il a décroché le wagon, a mis en route la locomotive, l’a arrêtée 500 mètres plus loin et a coupé les gaz, et il est rentré chez lui ! Devant l’absence de locomotive, et le temps passant, les Allemands sont sortis du tunnel, ils étaient 80 ! »

« Tout d’un coup, j’ai fait une connerie, j’ai dit à Max on est le combien ? Il me dit on est le 23 août. Et j’ai dit : flûte alors, j’ai 20 ans aujourd’hui… On a fait la fête ce soir-là », avec des victuailles emportées par les Allemands dans leur train.

Combattante jusqu’au bout

Après la Libération, Rainer veut intégrer l’armée régulière, comme ses camarades de combat, qui périront presque tous. « J’ai voulu y aller, mais j’ai été virée parce que j’étais une femme , et, circonstance aggravante, je n’avais pas 21 ans, l’âge légal »

Commence alors une période difficile, marquée par la dépression. Jusqu’à la rencontre de poètes et d’artistes, Paul Eluard, André Vercors, Picasso, Aragon. « Ils m’ont empêchée de me finir, car il y a pas mal de résistants qui se sont suicidés après la guerre ».

Ils aident Madeleine Riffaud à trouver sa nouvelle voie : journaliste. Une façon pour elle, qui ne se considère pas comme un « ancien combattant », de poursuivre sa lutte pour la liberté. « J’étais reporter de guerre, j’ai fait l’Algérie, les maquis Viet-cong, le Laos, le Cambodge… ». Elle continue également la poésie. Et, dans les années 1970, elle travaille incognito dans un hôpital et en tire un best-seller, Les linges de la nuit.

Durant tout ce temps, elle refuse de raconter son passé. Jusqu’à ce que son ami, le grand résistant Raymond Aubrac la secoue, un demi-siècle après la Libération.

« C’était un très grand monsieur. Il est venu me voir et m’a dit : est-ce que tu vas continuer à fermer ta gueule ? Je lui ai dit : et comment ! Il m’a dit : bon, ça signifie que tes petits camarades, là, qui ont été fusillés à 17 ans, ça t’est égal que personne n’en parle… Je lui ai dit : là tu m’as eue. Bien sûr ça ne m’est pas égal. Eh bien alors, vas-y ! Alors j’y suis allée, et depuis je ne fais que ça… ».

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Madeleine Riffaud aux Buttes-Chaumont, symbole d’une jeunesse en résistance

Le 23 août 1944, durant la Libération de Paris, la résistante Madeleine Riffaud conduit une attaque victorieuse contre un train allemand aux environs du tunnel des Buttes-Chaumont. Ce jour est également celui de son vingtième anniversaire.

Un mois plus tôt, la jeune résistante avait été capturée par l’occupant après avoir abattu un officier nazi sur le pont de Solférino. Torturée par la Gestapo puis condamnée à mort, elle est finalement libérée in extremis le 18 août dans le cadre d’un échange de prisonniers.

Madeleine Riffaud retrouve sans tarder les rangs de la Résistance parisienne. Élevée au rang d’aspirant-lieutenant des Forces Françaises de l’Intérieur, elle reçoit le commandement d’un petit détachement pour participer à l’attaque d’un convoi ennemi. Ce dernier s’apprête à traverser les XXème et XIXème arrondissement alors que la Libération de la capitale s’intensifie.

Au cours de la journée du 23 août, les résistants français parviendront à immobiliser trois trains sur les voies de la Petite ceinture. L’un d’eux est bloqué peu après le tunnel des Buttes-Chaumont, qui relie la gare de Ménilmontant et la gare de Belleville-Villette. C’est depuis le pont qui surplombe cette dernière, au niveau de la rue Manin, qu’intervient le groupe mené par Madeleine Riffaud.

D’après son témoignage, l’escouade des FFI-FTPF prend l’ennemi par surprise avant de déverser un déluge de munitions et de grenades sur le convoi. La locomotive endommagée, les soldats nazis n’ont d’autre choix que de battre en retraite sous le tunnel des Buttes-Chaumont — alors désigné sous le nom de tunnel de Belleville.

De l’autre côté, un groupe de résistants du XXème arrondissement parviendra quant à lui à stopper deux autres trains, contribuant là encore à repousser les occupants vers la fausse sécurité du tunnel. Cinq insurgés perdront la vie dans ces combats : une plaque leur rend hommage rue de Ménilmontant, juste au-dessus des voies.

L’attaque des convois se conclut sur la reddition des soldats ennemis. Les témoignages s’accordent sur les conditions de la fin de ces affrontements : acculés dans le tunnel et enfumés par l’arsenal et les explosifs adverses (Madeleine Riffaud évoque même l’utilisation de feux d’artifice !), plusieurs dizaines d’occupants finissent par se rendre. Cette épisode restera comme l’un des faits d’armes les plus marquants de la Résistance dans la capitale.

Madeleine Riffaud participera aux derniers combats de la Libération de Paris. Elle n’aura malheureusement pas l’occasion de fêter sa délivrance le 25 août : le jour même, son ami résistant Michel Tagrine est lâchement tué sous ses yeux par un soldat nazi. Il portait secours à un blessé aux abords de la caserne de République, sur laquelle était pourtant hissé le drapeau blanc, alors que la trêve venait d’être annoncée. Une rue de la Butte Bergeyre (XIXème arrondissement) a pris le nom de ce jeune violoniste, qui fut l’une des dernières victimes de l’occupation à Paris.

Après la Libération, Madeleine Riffaud poursuivra ses combats en tant que journaliste pour Ce Soir, Vie ouvrière, puis à l’Humanité. Grande reporter pour ce dernier, elle couvrira dans ses colonnes les guerres d’indépendance au Vietnam et en Algérie. Anticolonialiste convaincue, elle est blessée en 1956 par un attentat de l’OAS qui n’entamera en rien son engagement.

Également poète, Madeleine Riffaud témoigne à partir de 1994 de ses expériences dans la Résistance, dans la lignée de Lucie et Raymond Aubrac. On la retrouve ainsi dans les salles de classe parisiennes, ou récemment dans des reportages télévisés sur la Libération. C’est aujourd’hui le 96ème anniversaire de cette femme libre restée parisienne : elle réside en effet dans le Marais.

En 2016, une fresque de l’artiste Artof Popof commémorant l’attaque du convoi du 23 août 1944 était inaugurée aux Buttes-Chaumont. Au dessus du violon de Michel Tagrine, on y devine encore le visage de la jeune résistante, peint au-dessus des rails où elle et ses compagnons s’illustrèrent ce jour-là.

LIBERATION de Paris - Gilles PRIMOUT https://liberation-de-paris.gilles-primout.fr/attaque-de-trains-sur-la-petite-ceinturei

Attaque du train de la petite ceinture

Construite en 1852, d’abord utilisée pour transporter des marchandises et ensuite ouverte aux voyageurs, la Petite ceinture ne résista pas à la concurrence du métropolitain. En 1934, abandon du trafic voyageurs, en 1990 du fret, aujourd’hu lle livrée aux ronces et aux tas d’ordures (voir le site de l’ASPCRF).


Août 1944 : Les Allemands utilisent la gare Belleville-Villette comme dépôt d’essence. Elle est fortement protégée par un blockhaus et des mitrailleuses. Le commandant FFI Baron (19ème arrondissement – sous-secteur Nord II) a bien fait étudier quelques hypothèses d’attaque : tirs de mortier, utilisation des égouts… le manque d’armes empêche toute action d’envergure. La gare est donc simplement surveillée de près, dans l’attente d’une opportunité.

Il existe principalement trois sources sur les évènements qui se sont déroulés sur le tronçon de la Petite ceinture, de la gare Belleville-Villette (au Nord) au tunnel de la rue Sorbier (au Sud), en passant par la tranchée des Buttes-Chaumont, la gare de Ménilmontant et la passerelle de la rue de la Mare :

1) le rapport du FFI Charles Petit 2) le rapport de Charles Bour, dit commandant Baron 3) le témoignage de Madeleine Riffaud, lieutenant des FFI de la compagnie Saint-Just

Si les détails diffèrent un peu selon ces sources, l’opération décrite consista bien à bloquer trois trains allemands, surpris entre la gare de Belleville-Villette et celle de Ménilmontant, et elle se déroula du 22 au 23 août 1944. Y participèrent des FFI du 19ème arrondissement, sous-secteur Nord II, des éléments de la compagnie FTP Saint-Just, des FFI du 20ème arrondissement, dont le groupe Piat, des membres de l’O.C.M (organisation civile et militaire), des policiers et quelques cheminots à la retraite.


Selon Charles Petit, le mardi 22 août à 16h00, un wagon de munitions est signalé sous le pont de la rue Manin. Les FFI se préparent aussitôt à l’attaquer. Mais un autre train est à la manœuvre dans la gare Belleville-Villette et l’opération est remise à plus tard. Le train remorque le wagon sous le tunnel des Buttes-Chaumont. Dans la nuit un autre train, venant de la gare de Bercy, est « mal aiguillé » par les cheminots de la gare de Ménilmontant et vient percuter le convoi qui s’était abrité dans le tunnel. Le lendemain 23 août, la gare de Ménilmontant est occupée sans difficulté tandis que celle de Belleville-Villette résiste jusqu’à 11h00 au prix de pertes sévères. Deux camions allemands arrivent en renfort, ils sont repoussés ; un train de troupes arrive par le Nord, il est stoppé par les rails déboulonnés. Les Allemands tentent plusieurs sorties. Un parlementaire FFI est abattu. Deux cents kilos de souffre sont préparés pour enfumer les soldats pris au piège dans le tunnel. Ils finissent par se rendre. Butin : trente-sept prisonniers, quatorze wagons d’armement, matériels de guerre et d’habillement.


Selon le commandant Baron (qui précise à la fin de son rapport : La capture du train nous a valu des récits romancés, dont le présent compte-rendu constitue la mise au point), la gare Belleville-Villette, un des principaux dépôts d’essence allemand de la région parisienne, est trop fortement gardée pour être attaquée ; elle est donc étroitement surveillée dans l’attente d’une opportunité. Les Allemands l’évacuent le 22 août vers 6h30. Il envoie un groupe franc l’occuper. Un cheminot de permanence apprend que des trains venant de Bercy se dirigent vers la gare de l’Est. Ils arborent drapeaux tricolores et Croix de Lorraine mais en raison de la grève il ne peut s’agir que de trains allemands. Le « signal carré » est fermé, des pétards sont installés sur la voie. Le premier train sort du tunnel (des Buttes-Chaumont). Le FFI Camus grimpe sur la locomotive, arrache un drapeau ; ses camarades ouvrent le feu. Le mécanicien allemand fait reculer sa machine pour se mettre à l’abri dans le tunnel mais heurte ainsi le convoi qui le suit. Baron et le gardien de la paix Lefevre pénètrent dans le tunnel pour demander la reddition des soldats. Pas de réponse. Ils ressortent et Baron installe ses FFI en surveillance. Il envoie également des cheminots de l’autre côté de la gare, au Nord, pour empêcher toute arrivée de renforts. Les FFI du secteur Est (20ème arrondissement, groupe Piat) surveillent la sortie Ménilmontant au Sud. Les Allemands ne bougent pas de la nuit. Le lendemain Baron fait étudier la possibilité de les enfumer par les bouches d’aération et réclame des bombes lacrymogènes à la Préfecture de police. Les Allemands tentent une sortie à la gare de Ménilmontant. Il s’y rend aussitôt. Les FFI ont capturé une trentaine de prisonniers, les wagons contenaient des fusils Mauser neufs, des cartouches, de la farine, des piles électriques, des radiateurs, des fanions à Croix gammée, etc. Tout ce matériel fut déclaré à l’administration des Domaines.

Selon Madeleine Riffaud, 20 ans, lieutenant FTP de la compagnie Saint-Just, qui reçoit le 23 août, au petit matin, l’ordre de se poster au pont de Belleville-Villette afin d’empêcher un train allemand de pénétrer dans le ventre mou du 19ème où il n’y a pas de barricades, l’opération est très risquée. Elle n’a que quatre hommes à sa disposition. Le groupe embarque dans une traction et se rend sur place. Du pont, ils jettent des explosifs et des feux d’artifice sur la locomotive tandis que les Allemands balaient le terrain à la mitrailleuse. Un wagon est déséquilibré. Les soldats se réfugient dans le tunnel. De l’autre côté, rue de la Mare, les FFI du 20ème ont des pertes, mais les deux issues du tunnel sont maintenant bloquées. Les quatre-vingts Allemands se rendent enfin en présence du commandant, du nouveau maire de l’arrondissement et des FFI du quartier. Outre le wagon de munitions, un chargement de victuailles (charcuteries, fromages, vins, conserves et … capotes anglaises) est récupéré et aussitôt distribué à la population de l’arrondissement.


Sur cette photo d’un groupe de la compagnie Saint-Just, on peut reconnaître Gilbert Cot (1) et Guy Dramard (2) qui participèrent à l’attaque aux côtés de Madeleine Riffaud (3). Guy Dramard s’engagera dans la colonne Fabien, futur 151ème RI, et sera mortellement blessé en Alsace le 21 janvier 1945. Dans le cercle, au centre, André Calves (lire son témoignage).

Dernier détail, la main-courante de la Préfecture de police fait bien état d’appels téléphoniques relatifs à cette affaire :

23 août :

12h55 : Du 11ème arrondissement Baulier : Le 20ème a bloqué trois trains d’Allemands sous le tunnel de Ménilmontant (Petite ceinture) sous rue Sorbier. Redemande renfort.

13h00 : Les trains signalés seraient capturés. Envoyer renfort cas retour offensif.

19h10 : Du 20ème : Les deux trains bloqués sous tunnel Ménilmontant par suite attaque FFI sont entièrement aux mains de celles-ci. Ne contiennent que du matériel peu utile actuellement : onze personnes ont été capturées. Machine ayant déraillé, voie bloquée pour un certain temps.

MUSEE de la RESISTANCE en LIGNE http://www.museedelaresistanceenligne.org/pedago_atelier.php?id=38&page=396

Madeleine Riffaud est née le 23 août 1924 à Arvillers (Somme).

Responsable d'un triangle du Front national des étudiants du Quartier latin, Madeleine Riffaud entre dans les FTP en mars 1944. Elle obéit au mot d'ordre d'intensifier les actions armées en vue du soulèvement parisien d'août 1944, ce qui la mène à exécuter en plein jour de deux balles dans la tête un membre de l'armée d'occupation pont de Solférino. Prenant la fuite en vélo, elle est rattrapée et renversée par la voiture de Pierre Anquetin (intendant de police de Seine-et-Oise et Seine-et-Marne depuis avril 1944). Ce dernier arrive à la maîtriser et l'emmène au poste de police. Elle est livrée à la Gestapo. Elle est torturée par les Allemands rue des Saussaies près de la place Beauvau à Paris, puis par les Français à la Préfecture de police. Devant son silence elle est condamnée à la peine de mort.

Internée à Fresnes, puis Compiègne, elle échappe in extremis au peloton d’exécution grâce à un échange de prisonniers. Cela se passe le 19 août, au moment précis où commence l’ultime combat pour la libération de Paris. Madeleine rejoint son groupe, Saint-Just, commandé par le capitaine Fénestrelle, dont elle prend le commandement d'un détachement et sera élevée au grade de lieutenant FFI.

Le 23  août (le jour de ses 20 ans !), ce groupe prend d’assaut et bloque un train blindé allemand au tunnel des Buttes-Chaumont. Visant à empêcher un train allemand de pénétrer dans le ventre mou du 19e où il n’y a pas de barricades, l’opération est très risquée. Elle n’a que quatre hommes à sa disposition. Le groupe embarque dans une traction et se rend sur place. Du pont, ils jettent des explosifs et des feux d’artifice sur la locomotive, tandis que les Allemands balaient le terrain à la mitrailleuse. Un wagon est déséquilibré. Les soldats se réfugient dans le tunnel. De l’autre côté, rue de la Mare, les FFI du 20e ont des pertes, mais les deux issues du tunnel sont bloquées. Les 80 Allemands se rendent enfin en présence du commandant, du nouveau maire de l’arrondissement et des FFI du quartier. Outre le wagon de munitions, un chargement de victuailles (charcuteries, fromages, vins, conserves et… capotes anglaises) est récupéré et aussitôt distribué à la population de l'arrondissement.

Mais pour Madeleine Riffaud, pas de trêve : le 25, elle est, toujours à la tête de sa compagnie, à l’assaut du tout dernier bastion allemand, la caserne de la place de la République. C’est ce jour-là que de Gaulle prononce sa célèbre phrase : « Paris outragé ! Paris brisé ! Paris martyrisé ! Mais Paris libéré !... » libéré par son peuple, oui. Mais à ce moment, Michel Tagrine, jeune héros FTP de 22 ans, compagnon d’armes de Madeleine, vient d’être fauché. C'est l’un des derniers martyrs de la Libération. Ce soir-là, raconte Madeleine, alors que tout Paris riait, nous, ses compagnons d’armes, pleurions comme des gosses…

Son engagement s'arrête à la fin des combats pour la Libération de Paris, l'armée régulière ne l'acceptant pas en tant que femme d'une part, mineure d'autre part. Ses camarades de la Compagnie Saint-Just poursuivent la lutte contre les nazis au sein de la brigade Fabien jusqu'à la victoire totale sur le régime hitlérien.

Madeleine Riffaud deviendra journaliste, poète, correspondante de guerre, grand reporter pour le journal L'Humanité, écrivaine. Après 1945, elle couvre la guerre d'Algérie, puis la guerre du Viêtnam. À son retour, elle se fait embaucher comme aide-soignante dans un hôpital parisien, expérience dont elle tire le best-seller Les Linges de la nuit.

ACTUA BD actuabd.com « Tout dans cette BD est authentique » (Madeleine Riffaud)

  • Aujourd'hui 20 août 2021 paraît en librairie "Madeleine, Résistante T. 1 : La Rose dégoupillée", le premier tome d’une trilogie sur la vie de Madeleine Riffaud, qui aura 97 ans le 23 août, journaliste, écrivaine et poétesse française, résistante pendant la Seconde Guerre mondiale et actrice de la Libération de Paris. Une légende.

  • À l'initiative de Jean-David Morvan, elle raconte sa guerre, l’album retraçant ces étapes cruciales de sa vie, de l’épisode où elle prend l'initiative d’assassiner un officier allemand, à celui qui conte l’attaque d’un train chargé de soldats de la Wehrmacht, faits prisonniers en gare de Ménilmontant. Un travail de mémoire dantesque qui a été réalisé par Jean-David Morvan et Dominique Bertail, qui en dessine chaque détail, et approuvé par Madeleine en personne.

Nous sommes accueillis chez Madeleine Riffaud par Jean-David Morvan, dont nous suivons la silhouette massive dans d’étroits escaliers parisiens. C’est haut, et sans ascenseur. En poussant une porte, nous arrivons dans un salon élégant, une véritable boutique à souvenirs, où Madeleine nous attend dans son canapé.

Rideaux tirés pour éviter la lumière, odeur de tabac flottant dans l’air, cage à canaris gazouillants, l’intérieur est marqué par autrefois, empli de souvenirs forts. C’est Jean-David qui inaugure les présentations : il nous détaille l’idée sous-jacente de l’album Madeleine, Résistante, né après le visionnage d’un documentaire, portait de trois résistantes, dont Madeleine. Mais c’est elle qui crève l’écran. JDM veut la rencontrer et faire une BD avec elle ! C’est visible : elle et lui s’entendent comme larrons en foire.

Il y a la conscience qu’elle est l’un des derniers témoins de cette époque de notre histoire. La première fois qu’il l’aborde, c’est au téléphone, à l’occasion du 77e anniversaire de la Libération. L’idée de narrer son parcours à travers le médium de la BD est soumise par Madeleine à Jorge Amat, réalisateur en 2020 du documentaire Les Sept vies de Madeleine Riffaud. « - C’est génial ! » répond le cinéaste. C’est le déclic. Après plusieurs discussions, Madeleine et Jean-David suivent leur intuition : la mémoire de la Résistante et poétesse sera déclinée sous la forme d’une trilogie graphique. C’est le talentueux Dominique Bertail qui est au dessin. Et le rendu est sublime.

Madeleine Riffaud : 97 ans, le 23 août.

La prodigieuse mémoire de Madeleine, qui avec l’âge vient parfois par à-coups, lui permet de nous raconter sa vie avec force détails, dont le point de départ est sa naissance, en 1924. Madeleine Riffaud naît dans la Somme de parents instituteurs.

Lorsque, en 1940, elle et d’autres réfugiés sont attaqués par la Luftwaffe qui les mitraille alors que, innocents et désarmés sur les routes de l’Exode, ils se rendent vers le Sud-Ouest « nono » (non occupé), Madeleine décide de partir pour Paris résister à l’envahisseur.

Par le détour d’un sanatorium (c’est raconté dans l’album), elle a 18 ans quand elle s’engage dans les FFI (Forces françaises de l’intérieur) sous le nom de code « Rainer », d’après l’écrivain autrichien Rainer Maria Rilke et, en prélude du soulèvement parisien de 1944, son groupe reçoit l’ordre d’abattre un haut gradé nazi. C’est elle qui tiendra le pistolet. Malchance : elle est faite prisonnière par la Gestapo, elle est torturée mais ne parle pas et se retrouve condamnée à mort.

Elle est libérée lors d’un échange chanceux de prisonniers et reprend ses missions dans la Résistance. Sa nouvelle mission est d’ailleurs extrêmement périlleuse : elle doit attaquer, avec seulement trois hommes sous ses ordres, un train de soldats allemands qui s’apprête à prendre à revers les résistants parisiens. L’opération peut faire échouer l’insurrection. À coup de dynamite et de fumigènes, Madeleine parvient à arrêter les Allemands, à les faire prisonniers (80 hommes !) et à récupérer leurs armes. Une victoire militaire décisive !

Lors de la Libération de Paris, Madeleine fête ses 20 ans. Désireuse de rejoindre l’armée française, elle n’y est pas autorisée : elle est mineure (il fallait 21 ans à l’époque) et c’est une femme ! Elle se tourne alors vers une carrière de correspondante de guerre pour les quotidiens Ce Soir puis L’Humanité, en plus d’écrire une anthologie de poésie et des romans, dont le best-seller Les Linges de la nuit en 1974, réédité le 26 août 2021. Son parcours la fera rencontrer Ho Chi Minh et Picasso (qui devient son ami), couvrir la guerre d’Indochine puis celles d’Algérie et du Vietnam, échapper à des tentatives de meurtre politique, et, finalement, relater son vécu traumatisant de 1939-1945 à l’occasion des 50 ans de la Libération. Une mission qu’elle explique par le besoin d’honorer la mémoire de ses pairs tombés au combat, elle qui fut elle-même décorée d’une Croix de Guerre et de la Légion d’Honneur.

C’est cette vie spectaculaire et cette lutte digne d’admiration qui font aujourd’hui l’objet d’un triple album de Jean-David Morvan, dessiné par Dominique Bertail et validé par Madeleine Riffaud qui a salué la qualité et la quantité de travail fourni pour sortir ce bien bel ouvrage. Interviews, prises de photos sur les lieux cités dans l’album, travail de documentation, l’album est le résultat d’une colossale investigation qui a fait l’admiration de Madeleine et qui mérite toute notre attention. Écoutez le podcast où l’on retrouve JD Morvan et Madeleine ! Nous vous en reparlerons dans quelques jours.

4ème de COUV - BD MADELEINE, RESISTANTE, cahiers t1 10/07/20 www.lecteurs.com/livre/madeleine-resistante-cahiers-t1/5399934

"Madeleine, c'est une vie d'aventures à la Tintin, mais du côté Résistance et anticolonialisme !" explique le scénariste Jean-David Morvan, qui s'est pris d'amitié pour cette femme, un des derniers témoins de la libération de Paris encore en vie. Cet engagement marque ensuite toute sa vie, notamment dans son combat anticolonialiste, au Viêt Nam et en Algérie. Madeleine Riffaud est née en 1924. Fille d'instituteurs, elle grandit en Picardie et rejoindra la Résistance en 1942 à Paris, où elle prend le nom de Rainer, en hommage au poète allemand Rainer Maria Rilke. Amie de Paul Éluard, Picasso ou Hô Chi Minh, poétesse et écrivaine elle-même, elle devient grand reporter après la guerre. À partir de ses souvenirs, Jean-David Morvan et Dominique Bertail transposent en BD son témoignage direct pour faire connaître cette héroïne incroyable. Ce premier tome, prépublié sous la forme de trois cahiers, inaugure un premier cycle prévu en trois tomes pour raconter la guerre complète vue par Madeleine. Le point de départ d'une destinée extraordinaire et engagée qui éclaire d'un point de vue singulier l'histoire de France pendant toute la deuxième moitié du XXe siècle.