202206   -   VICTIMES de l'ESCLAVAGE   -   Racines du 93

VICTIMES de l'ESCLAVAGE

Un arbre de la liberté, rendant hommage aux victimes de l’esclavage colonial et célébrant son abolition, vient d'être nommé le 23 mai 2022 dans le parc Simone-Veil.

Partout dans le monde

Depuis 4000 ans, l'esclavage sévit dans toutes les parties du monde. Dans le monde antique, les Sumériens le pratiquent déjà. Les Grecs les suivent sans état d'âme, eux qui se flattent pourtant d'être les champions -et créateurs- de la démocratie. La moitié de leur population est alors constituée d'esclaves, à côté des citoyens libres et des métèques. Les Romains de la République, comme de l'Empire, sont pour un tiers dans cette même situation de servilité, propriété de leur maître et sans aucun droit. Les Barbaresques d'Afrique du Nord pratiquent la traite depuis l'Antiquité. Les conquêtes de l'empire ottoman en même temps que la  Reconquista d'Isabelle en Espagne accentuent le mouvement. Fruit de razzias, en Afrique subsaharienne mais aussi en Europe, blancs comme noirs sont vendus sur les plus grands marchés aux esclaves de l'époque à Alger, Tripoli, Tunis ou Zanzibar.

Changement d'échelle

L'Amérique une fois découverte, les colonisateurs se trouvent face à un énorme besoin de main d'œuvre pour exploiter leurs cultures de canne à sucre, puis de coton et de tabac. En 1500, les Portugais venaient d'écarter le problème, en utilisant des travailleurs asservis  sur l'île de Sao Tomé, face au Gabon. Ils deviennent ainsi les 1ers producteurs mondiaux de sucre au 16ème siècle. Leur système est exporté aux Amériques et c'est le début de la traite négrière transatlantique. Ils sont rapidement suivis par les Espagnols, les Anglais, les Français, les Néerlandais, au fur et à mesure de leurs conquêtes territoriales.

Abolitions

En 1315, le roi Charles X aboli le servage. La France "mère des libertés" ne tolère pas la pratique esclavagiste sur son sol. Désormais, "le sol de France affranchit l'esclave qui le touche". 

Les siècles suivants, le développement des possessions françaises des Antilles change pourtant la donne. L'arbitraire est la règle dans les plantations. La population d'esclaves y est traitée de façon indigne. Le Roi très chrétien Louis XIV demande alors à son ministre Colbert de réglementer, de donner un cadre légal plus proche des valeurs de l'Eglise. C'est le fameux Code Noir, édicté en 1685 (l'année de la révocation de l'Edit de Nantes). Même inacceptable pour nos valeurs du 21ème siècle, il ne sera pourtant appliqué ni rapidement, ni par tous les planteurs. Leur train de vie passait en premier. 

Vient le siècle des Lumières et ses contradictions, avec un Montesquieu écrivant de fort belles pages contre l'esclavagisme, tout en plaçant une partie de sa fortune dans le commerce triangulaire. Condorcet est d'une plus haute tenue, avec son ouvrage de 1781 "Réflexion sur l'esclavage des Nègres" et la création de la "Société des amis des Noirs" en 1788.

En mars 1789, le vœu de Champagney (Haute Saône) honore ses habitants : l'article 29 de leurs cahiers de doléances condamne l'esclavage avec fermeté et réclame son abolition. Ils "ne peuvent se persuader qu'on puisse faire usage des productions des colonies, si l'on songe qu'elles ont été arrosées du sang de leurs semblables". 

Durant la Révolution, en février 1794, l'abbé Grégoire -chrétien et révolutionnaire-  arrache à la Convention, la 1ère abolition de l'esclavage des Noirs dans les colonies françaises. "L'aristocratie de la couleur de peau doit disparaitre".  Mais Napoléon, devenu empereur, cède aux exigences des des colons et rétablit l'esclavage en 1802. L'abbé Grégoire doit reprendre son bâton de pèlerin, rencontre les abolitionniste d'Angleterre.  En 1815, il interpelle les membres du Congrès de Vienne pour une abolition immédiate.

Pendant ce temps là, dans les Antilles, Saint Domingue vit le début d'une longue révolte d’esclaves, menée par Toussaint Louverture. Au bout d'un conflit de 13 années, la République d'Haïti voit le jour, en 1804.  Tous les Blancs quittent l'île. Les révoltés sont enfin libres. 

Mouvement mondial

Le Portugal est de nouveau le 1er, en 1761, cette fois pour abolir l'esclavage. La Grande-Bretagne suit en abolissant la traite en 1807, puis l'esclavage en 1833. Le congrès de Vienne condamne la traite en 1815. Les mutins de l'Amistad gagnent leur procès en 1839.  Les Etats-Unis d'Abraham Lincoln, tout juste sortis de la guerre de Sécession, votent le 13ème amendement en 1865. Et le Brésil en 1865 est le dernier grand état esclavagiste à voter l'abolition. 

Victor Schoelcher, militant infatigable

En France, la ténacité de Victor Schoelcher paye. Militant de l’abolition sous la Monarchie de Juillet, il est le rédacteur du décret du 27 avril 1848 qui abolit définitivement l'esclavage en France. Décision majeure du Gouvernement provisoire de la 2de République, composé de républicains modérés et de représentants du monde ouvrier, elle se produit durant cette courte fenêtre de quatre mois, entre la chute de Louis Philippe en février et la répression de Cavaignac en juin. Par la suite et jusqu’à sa mort en 1893, Schoelcher ne cesse de se battre contre l’exploitation dans les colonies françaises. Le Panthéon l'accueille en 1949.

Lavigerie, lanceur d'alerte

L'allée Cardinal Lavigerie (1825-1892) voit le jour en 1998 aux Lilas, à l'occasion des 150 ans de la loi de 1848. Le prélat avait fondé en 1856 les missions d'Afrique des Pères blancs et des Sœurs blanches.  Archevêque d'Alger et de Carthage à partir de 1868, il y découvre "les ravages de la traite, sa cruauté et ses réseaux". Il croise les témoignages d'explorateurs comme Livingstone et Cameron avec les descriptions de ses caravanes de missionnaires.  "Des bandes d'esclavagistes écument les régions conquises par l'Islam, en Afrique centrale, dans la région des Grands lacs et en Afrique orientale" ... "à l'issue de leurs chasses à l'homme, les convoyeurs ramènent de longues colonnes de captifs, faisant preuve d'une brutalité meurtrière révoltante" ... "les marchands de chair humaine peuvent ainsi vendre des milliers d'Africains chaque année". Le Cardinal entreprend alors de mobiliser l'opinion publique. En 1888, il lance sa campagne à Paris, continue à Londres et à Bruxelles. C'est dans cette ville qu'il obtient du Roi des Belges d'organiser une conférence internationale, dans la foulée.  Le 2 juillet 1890 l'Acte général signé répond sur quasiment tous les points au programme du Cardinal. 

Encore aujourd'hui

La loi Taubira de mai 2001, votée à l'unanimité de l'assemblée présente, reconnaît comme crimes contre l'humanité, la traite négrière transatlantique et l'esclavage qui en a résulté jusqu'à son abolition. Le 10 mai devient en 2006 la journée nationale des mémoires de la traite négrière, de l'esclavage et de leur abolition.  Le 23 mai devient en 2008 la Journée nationale en hommage aux victimes de l’esclavage colonial. 

Mais, si la mémoire et la reconnaissance progressent, le chemin reste long pour éradiquer le phénomène de la surface de la terre. En 2016, selon la fondation WalkFree,  25 millions de travailleurs forcés seraient encore maintenus dans des conditions proches de l'esclavage. A ceux-là, on peut rajouter 15 millions de femmes en mariage forcé. 40 millions au total, dont 50 % en Inde, Chine, Pakistan.  La prise de conscience et la réflexion sur les moyens d'agir au niveau mondial ne font que commencer.