>> ÉCOUTEZ la version ENREGISTRÉE <<
Aux 150 Lilasiens juifs déportés en 1942-1944
Remontons dans le temps jusqu'à cet été 1942, durant lequel l'occupation allemande de la France a ouvert la voie aux pires exactions de la barbarie nazie. En octobre 1940, tous les juifs de la zone occupée avaient déjà dû se faire ficher à la préfecture. Mais depuis mai 1942 et la 8ème ordonnance allemande, le port de l'étoile jaune leur est également devenu obligatoire. Avec leurs tickets de rationnement pour les vêtements, les juifs ont eu à se procurer chacun 3 de ces bouts de tissu jaune, à coudre sur leurs habits. Les outils de la solution finale étaient en place.
Imaginons nous maintenant à Drancy, dans le camp d'internement où sont regroupées toutes les personnes arrêtées, parce que juives. Nous sommes le 8 septembre, au bloc 5 - escalier 18 - chambre 2. Mordoutch MORDOUCHOVITCH, un lilasien de 60 ans, marié à Paris, 3 enfants, écrit un dernier mot à sa famille. Il a été arrêté le 16 juillet, jour de la rafle du Vel' d'Hiv', de même que sa fille Anna et son petit-fils Willy.
Il a déjà envoyé plusieurs mots à sa femme Elka, pour lui demander l'envoi de colis de vivres et d'habits. En effet, dans le camp administré par les SS, on ne les traite déjà plus comme des êtres humains. Malgré cela, il ne demande plus rien sur son dernier mot. Il écrit "Chère femme et enfants, aujourd'hui vendredi je suis déporté, donc n'envoyez plus rien. Ayez du courage et espérez comme moi". Et le matin même, en même temps que 1000 compagnons d'infortune -hommes, femmes, enfants- son convoi n°34 démarre à 08h55, en direction du camp d'extermination d'Auschwitch-Birkenau (actuelle Pologne). Arrivés le 20, la plupart des déportés sont gazés dès leur arrivée au camp; les autres sont tatoués. Seuls 22 rescapés reviendront à la fin de la guerre. Mordoutch MORDOUCHOVITCH n'aura pas cette chance, ni sa fille, ni son petit-fils.
Aux Lilas, ce triste parcours a concerné 150 habitants. Ils sont partis en 19 convois, de mars 1942 à juillet 1944. Parmi eux, 18 n'avaient pas 10 ans, tandis que 6 étaient âgés de plus de 60 ans. Leurs racines étaient lilasiennes pour un petit 1/3, les autres venaient d'Europe centrale, réfugiés de Pologne, d'Ukraine ou de Biélorussie, déjà chassés par les pogroms et les politiques antisémites. Beaucoup avaient opté pour la nationalité française. Le gouvernement de Vichy la leur avait reprise dès le 22 juillet 1940.
Parmi les familles lilasiennes ayant payé un lourd tribut, on relève ainsi six des CHOUMATCHER-MORDOUCHOVITCH (Mendel-fabricant de lits et Zak-son épouse, Mordoutch-mécanicien en literie, Eta-sa fille, Willy son petit-fils et Marcel-père de son gendre), quatre BARAZ-KAVITSKI (Ber et Fanny-les parents, sa soeur Rachel-fourreur, René et Myriam-leurs filles), quatre FRANKFOWER-KANTHOF (Wolf-cordonnier et Cypojra-les parents, Joseph et Gisèle-2 de leurs 7 enfants), quatre SZTABRYD (Szyfra-femme de Meyer-vernisseur et Anna, Ginette, Evelyne-leurs filles), trois SUFFIT (Elias-manœuvre à l'usine Ronéo, Pauline-mécanicienne en maroquinerie et Eliane-leur fille), deux ROTBART-SKOLIMOVICZ (David-tricoteur et Cécile-sa fille ).
Souvenons nous qu'ils vivaient à côté de chez nous, tous ces lilasiens qui ont péri en déportation. 24 habitaient rue de Paris, 11 rue des Bruyères, 11 rue de la République, 9 rue Chassagnolle, 7 rue du Garde-Chasse, 7 rue de l'Avenir (actuelle Jean Moulin & Henri Barbusse), 6 rue du Centre, 6 rue du Pré-Saint-Gervais, etc.
La plupart d'entre eux sont morts dans les camps ou pendant les derniers mois au cours des marches de la mort : 137 à Auschwitz et Kosel-Auschwitz, les autres à Sobibor, Konnas-Talinn, ou Lublin.
Certains Lilasiens-nes (si peu!) ont eu la chance de revenir de cet enfer des camps : cinq hommes et deux femmes en tout et pour tout.
Genendla SKOLIMOWICZ a été arrêtée lors de la rafle du Vel d'Hiv du 16 juillet 1942, puis déportée de Pithiviers à Auschwitz par le convoi n°14, le 3 aout 1942. Seuls 4 des 1034 déportés revinrent. Genendla en faisait partie. Elle fut libérée du camp de Ravensbrück par l'armée soviétique le 02 mai 1945, avant d'être rapatriée à Paris l e19 mai 1945. Sa fille Cécile n'eut pas cette chance. Genendla s'est éteinte à l'âge respectable de 91 ans, en mai 2000.
Le destin de Salomon SOSNOVITCH, quant à lui, n'est pas banal. Arrêté le 23 janvier 1943 pour motif "racial", il est interné le même jour à Drancy, puis à Beaune-la-Rolande le 9 mars, de nouveau à Drancy, et ensuite à Cherbourg, par le convoi 641. Il est enfin déporté par bateau sur l'ile d'Aurigny (Alderney) le 11 octobre 1943. Ce petit ilot des iles anglo-normandes fut d'ailleurs le seul territoire de la Couronne Britannique à avoir été occupé par les troupes allemandes, la Grande-Bretagne ne l'ayant pas jugé d'un intérêt stratégique majeur. Le Reich, lui, avait décidé de le fortifier pour prévenir toute attaque alliée sur les côtes françaises, à l'exemple du "Mur de l'Atlantique" et de son chapelet de blockhaus, égrenés sur 4 000 kilomètres, de la Norvège à l'Espagne. Salomon fut interné au nord de l'ile, dans le camp de Norderney, réservé aux juifs et aux "demi-aryens" (selon la terminologie de l'occupant = juifs conjoints d'aryennes). Le 7 mai, à l'approche d'un débarquement anglo-américain attendu sur les côtes normandes, les allemands évacuèrent 440 prisonniers juifs sur le continent, dans le Boulonnais. La désorganisation qui fit suite au débarquement des Alliés (opération Overlord), fut propice aux évasions lors du transport et de l’internement dans des camps comme celui de Camiers (5 km au nord du Tréport). Salomon réussit à s'en évader le 1er septembre. Heureux père d'un fils, puis grand-père de deux petites-filles, il s'est éteint tranquillement à son domicile parisien de la rue Charlot, en 1974.
Le 27 novembre 2006, pour se souvenir et rendre hommage à ses habitants déportés, la ville avait déjà apposé une plaque au fronton de chacune des écoles, "A la mémoire des 29 enfants lilasiens, élèves des écoles Romain-Rolland et Waldeck-Rousseau, arrêtés entre 1942 et 1944, déportés dans les camps de la mort, parce que nés juifs, victimes innocentes des criminels nazis et de leurs complices du gouvernement de Vichy".
Le 5 mai 2024, un monument est inauguré dans le square Georges-Valbon, à l'arrière de la Mairie, "Aux Lilasiens juifs déportés entre 1942 et 1944, victimes de la barbarie nazie". Ses deux plaques de marbre noir sont gravées des 150 noms des victimes lilasiennes identifiées.
__________________________________________________
l'essentiel >> Lilasiens de A à Z / sur la Carte / Histoires / Écouter / Regarder / Accueil / facebook
Mentions légales en page d'accueil : racinesdu93.fr