202306   -   SANDOZ : tout pour les bébés   -   Racines du 93

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BOULEVARD des BÉBÉS

Entrer aux Lilas, en venant de Paris, vous donne l'impression de traverser le boulevard des bébés. On y passe devant une concentration inhabituelle d'enseignes d'articles de puériculture, de vêtements 1er âge ou de jouets : la Grande Récré, Orchestra, Aubert ou Natal Market. Mais les habitants ont oublié que, il n'y a pas si longtemps encore, notre économie était déjà orientée vers les tout petits, avec les baigneurs Petitcollin ou les landaus Sandoz, dont voici la saga.

De la SUISSE, à la RUSSIE, à VINCENNES

Charles Sandoz est un personnage au parcours étonnant. Sa famille vient de Renan, petit village francophone de Suisse romande, spécialisé dans l'horlogerie.  Il y naît en 1889. Le métier de ses parents leur permet d'émigrer sans difficulté à Besançon, où l'on retrouve Charles à ses 17 ans. Il y acquiert une formation d'ingénieur électricien, métier recherché qui lui ouvre de nombreuses portes. On peut dire qu'il en profite, puisqu'en 1909, âgé de seulement 20 ans, il part à Saint-Pétersbourg, dans la Russie encore tsariste. Il travaille à la centrale électrique, où il met peu de temps à parler russe et à obtenir un poste élevé. Le déclenchement de la guerre en 1914 le laisse hors du conflit, sa patrie helvétique étant restée neutre. Par contre la révolution bolchévique de 1917 l'oblige à faire ses bagages, comme tous les étrangers. Il s'installe à Vincennes en 1919, où il crée sa 1ère entreprise de fabrication de poussettes et landaus, avec son ami Rey, revenu également de Saint Pétersbourg.  Ce fut loin d'être facile. Si les ouvriers recevaient toujours leur salaire, il n'en était pas de même pour la direction. L'entreprise fournissait la Samaritaine et Charles livrait lui-même le matin les landaus, en voiture à bras depuis Vincennes. L'après-midi, il revêtait son plus beau costume pour traiter les affaires avec le chef de rayon, lequel lui a demandé un jour de bien vouloir suggérer à son livreur de ne pas garer sa voiture à bras devant le portail ! "Bien Monsieur", a-t-il répondu, " je lui ferai la remarque !"

SANDOZ aux LILAS

Pour sa 2de entreprise, il s'installe aux Lilas, sans associé cette fois. Pendant l'occupation allemande, la configuration de l'usine au 89 rue de Paris, permet à Charles de recueillir des familles juives, de les embaucher, puis de les faire partir via les réseaux de résistance. Après la guerre, le phénomène du "baby-boom" crée une situation très favorable au marché des voitures d'enfants. Charles fait alors bâtir et déménage dans sa 3ème usine juste à côté, au 14-18 rue de l'Égalité (Francine Fromond, aujourd'hui). Une vingtaine d'ouvriers y travaille jusqu'à la fin des années 60'. Le rez-de-chaussée est le domaine de Dédé, frère de son épouse Hélène. C'est là que se trouve la menuiserie, la forge et les machines-outils (presse, perceuses..). Au 1er étage, Charles dirige la peinture (bacs et espaces de laquage) et le montage. Au même niveau, Hélène -ancienne couturière- officie à la coupe, la moleskine y étant découpée à partir de patrons en contreplaqué. Et bien sûr, au RDC, côté rue, chacun peut admirer les modèles dans le hall d'exposition. C'est aussi le magasin de vente au détail où tant de Lilasiens-ennes ont acquis leur poussette à prix d'usine. Un catalogue permettait de comparer, avant de choisir le modèle qui convenait. La promotion passait également par la participation à des manifestations commerciales, comme la grande braderie lilasienne de 1949. On y vit défiler un landau géant fabriqué par Charles et d'où émergeait un homme-automate. Plus classiquement, le stand Sandoz y présentait une quinzaine des derniers modèles de la marque.    

L'INNOVATION est dans le LANDAU

Après guerre, la clientèle de revendeur s'était élargie à la Samaritaine, aux Galerie Lafayette, à Prénatal (Rivoli et Saint-Lazare), sans oublier la boutique de jouets et d'articles de puériculture que tenait Dédé et sa femme à Bondy. Les livraisons se faisaient avec un camion Renault ou une Juva 4, selon la taille de la commande. Une innovation remarquée de Sandoz aura été d'inventer un système de remplacement facile des roues de poussettes voilées, grâce à un écrou comparable aux papillons de nos roues de vélo. Dans les garages à poussette des immeubles, certaines utilisatrices indélicates en ont d'ailleurs profité, pour "échanger" une roue avec celle de leur voisine, sans le signaler à sa propriétaire (témoignage vécu).  En une cinquantaine d'années, le look et la structure des landaus a profondément évolué, passant d'un engin bas et massif à un modèle mieux suspendu et plus commode à l'usage. Inventée en 1733 pour un Lord anglais, la poussette vivra une dernière rupture technologique, avec l'invention des poussettes pliantes en tubes d'aluminium, adaptées aux faibles espaces de rangement, à commencer par le coffre des voitures. On la doit à Owen MacLaren, ingénieur aéronautique, en retraite de la Royal Air Force, qui a adapté en 1965 le mécanisme des trains d'atterrissage repliables des avions Spitfire, système qu'il avait lui-même élaboré durant la 2de guerre mondiale!  Charles Sandoz, inventeur et industriel infatigable, n'a pourtant pas eu le temps d'en souffrir. Consommateur immodéré de cigarettes (une centaine par jour!), il s'était progressivement retiré des affaires, à la suite d'un infarctus en 1956,  avant de décéder en 1968, dans sa maison des Lilas, à côté de son usine. Dans les années 1980, l'usine du n°18, ainsi que la prestigieuse maison du n°14 (une folie du 18°siècle selon son petit-fils, Gérard Moindrot), le parc de 1000m² et ses deux platanes centenaires de 40m, disparaissent. Place est faite pour réaliser la partie ouest du projet immobilier du Centre-ville des Lilas. La place des Sources du Nord d'aujourd'hui recouvre pour partie le terrain de l'ancienne propriété Sandoz.