202110

Quand on vendangeait aux Lilas   -   racines du93

À pleins tonneaux  1/7

Dans la famille de Jean Yanne, demandez l'arrière grand-père, Alfred. D'abord tonnelier, il tient après 1887 une épicerie-buvette à l'enseigne des Caves du Midi & de l'Algérie réunis, au 90 rue de Paris (Naturalia aujourd'hui). Commerçant avisé, il est également caviste en gros, au coin des actuelles rue Jean Moulin et du Tapis Vert. Après sa disparition, c'est là qu'est construit en 1924 l'immeuble où habite la famille de notre célèbre comédien lilasien. Parmi ses aïeux, il comptait un autre marchand de vin et un brasseur. Alors, est-ce un hasard si la carrière de Jean Yanne débute au cabaret "l'académie des vins"? 

Des vignes aux Bruyères  2/7

Bien orientées vers le sud, les vignes plantées sur l'ancien Parc des Bruyères poussent au soleil des Lilas jusqu'aux années 1890. Elles s'étendent sur la surface respectable de 6,8 hectares. En termes de terrains, il n'y guère que les Dargent de Romainville à pouvoir rivaliser. D'abord propriété du maître du pressoir de Belleville, les vignes sont acquises par Auguste Chassagnolle en 1832. Grâce à lui et à son gendre, Jules David, les ceps produisent leur jus jusqu'en 1891. A cette date, les héritiers décident de lotir le terrain et le revendent par parcelles. Le quartier Bruyères-Chassagnolle d'aujourd'hui en est issu. 

Du chai à la bouteille  3/7

Après la vendange des raisins en grappe, on doit le presser, puis l'élever en tonneaux jusqu'à maturation, avant de le mettre en bouteilles. Les chais sont le lieu de cette délicate alchimie. Au sud des Lilas, le pittoresque passage Félix Houdart témoigne de ce passé révolu, en tout cas chez nous. Il fait écho aux vastes chais que la famille du même nom exploitait à l'entrée de la ville, encore en 1886. Un autre maître de chais, Dentaux, opère rue de la Fontaine Saint-Pierre (1889). Les vastes chais Houdart et Vallès aux n°50 et 48 rue de Paris changeront d'usage en 1919, en permettant à la Gaumont et à la Metro Goldwyn Mayer d'y entreposer 100.000 kg de pellicule de films. 

À boire, à boire, à boire  4/7

Sans être des chevaliers de la table ronde, nos concitoyens du 19°siècle consommaient infiniment plus de vin qu'aujourd'hui. Les champions locaux étaient les ouvriers verriers de la Cristallerie du coq français. Chaque jour, ils devaient ingurgiter six litres de liquide. C'était plus souvent du vin servi au café d'en face (le Rendez-vous des verriers) que de l'eau des Sources du nord. A la fondation de notre commune, on comptait d'ailleurs une trentaine de débits (dont 22 marchands de vins, rien que sur la rue de Paris); et tout cela pour seulement 3.000 Lilasiens. Il est vrai que guinguettes et limonadiers, salles-à-boire, cabarets et moulins de la galette s'étaient établis par chez nous, pour que les promeneurs du dimanche et les fêtards en goguette trouvent aisément de quoi faire la fête aux Lilas. En 1932, ce sont 124 cafés et restaurants, 16 magasins et 4 dépôts qui se partagent la clientèle. Cinquante ans plus tard, les 2/3 ont disparu; il n'y a plus que 40 débits. Les habitudes de consommation changent. On ne commande plus ce vin gris qu'appréciaient les "grisettes". Quand on boit encore du vin, c'est avec modération. Le nectar de la vigne remplit nos verres en moindre quantité mais il est de meilleure qualité. Même les mots ne permettent plus de s'enivrer : quel serveur comprendrait encore que, quand vous commandez un "setier", vous attendez 3/4 de litre? 

Prohibition  5/7 

Autre fléau : les excès de la consommation d'alcool dont les ravages sur la santé du buveur, sa vie sociale et familiale ne sont plus à décrire. Les ligues de tempérance jouent leur rôle chez nous. De l'autre côté de l'Atlantique, on opte pour la prohibition en 1920. Au bout de 13 ans pourtant, on arrête les frais, en raison des effets néfastes sur la santé publique (vin frelaté vendu sans aucun contrôle) et de la criminalité (Capone, Dillinger). 

Le vin plaisir  6/7

"Nous referons ensemble les vendanges de l'amour", c'est ce que chantait, avec raison, Marie Laforêt. Car la France est le pays où la culture du vin est demeurée la plus forte. On le choisit, on le laisse vieillir dans sa cave, on le sort à la table de fête, on sait l'apprécier. Et quand le vin est tiré, il faut le boire. Aux Lilas, nous avons la chance de disposer de 3 cavistes pour nous conseiller, sur la seule rue de Paris (n°64: Brûlerie et Cave des Lilas, n°70: Nysa, n°128: Mille & Zime). Certains de leurs prédécesseurs portaient un nom encore plus explicite (on appelle ça un aptonyme). Tonneau tenait un café-hôtel. Tonnelier et Boivin étaient marchands de vins. Vigne avait un débit avenue Pasteur, de même que Bouteille rue de Paris et Pochard rue Lecouteux!