Simone ROY - racines du 93
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Simone ROY - racines du 93
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Interview de madame Simone ROY, présidente de la Croix Rouge antenne Les Lilas-Bagnolet
le 15 novembre 2017 chez elle, version du 23 décembre 2017
en présence de Madame GUILLAUME, archiviste de la mairie des Lilas
Rédigé par Georges Buchner, qui enquête sur la libération de sa mère, Régine Buchner, détenue sous le nom de Yvonne Gillet, matricule 5755, détenue au Fort de Romainville du 27 mai 1944 au 19 août 1944. Elle a été libérée avec 63 autres détenu(e)s, 57 femmes, 3 bébés, 3 hommes, le 19 août 1944, à 14 heures.
Abréviations :
E : veut dire "Elle" c’est à dire, Madame Simone ROY.
M : moi, Georges Buchner, qui l'interroge.
- CROIX-ROUGE ou CRF = Croix Rouge française, siège Rue Quentin Bauchart, Paris 8e
- BAVCC à Caen Bureau des Archives des Victimes des Conflits Contemporains
- Ceux qui commandaient les sections de la CROIX-ROUGE devaient être désignés comme “commandant” donc M. Langlet est qualifié de commandant de la CROIX-ROUGE ; il n’est pas nommé par son grade de l'armée.
Entre ( ) précision sur le récit
[ ] mes commentaires.
En fin du texte, d'autres précisions.
Le récit débute au moment où les détenues montent dans le ou les camions.
E : ...à Pantin quand ils partent pour Ravensbrück nous on les fait monter dans le camion. Ils sont partis je crois à Ivry, on ne savait pas où ils allaient mais on a mis la CROIX-ROUGE dessus ; c'est le président, le commandant Langlet qui était président de la Croix-Rouge, c'est un ancien soldat de la coloniale; il avait reçu par la CROIX-ROUGE le relevé d'un télégramme de l'ambassade de Suède, comme quoi la CROIX-ROUGE devait libérer tous les déportés, prisonniers, et on est rentré avec ce commandant Langlet dans le fort. On était une huitaine de secouristes ; on était en civil, et ma mère (celle de Madame ROY) avait fait, d'un drap qu'elle avait découpé, elle avait fait un brassard et un bout de ruban qu'on avait trouvé dans l'armoire ; on était en civil. On est rentré à 7 (ou 8 en tout) et on est descendu dans le fort jusqu'aux casemates, avec 2 mitrailleuses dans le dos, (tenues en joue par les soldats) et alors les gens étaient en train de monter dans le camion.
Nous on a dit : “Nous, la CROIX-ROUGE, on met la main sur le camion, ces gens-là sont à nous !”
M : c'est donc quand vous arriviez que les gens montaient dans le camion ?
E : oui, oui... Les allemands avaient déjà commencé, c'est pas les premiers camions qui partaient de Romainville, ça fait longtemps déjà qu'ils en déportaient (confusion avec les autres départs...) (1)
E : Elles étaient 40 personnes là-dedans (casemate) ; on ne fusille pas 40 personnes d'un coup !
D'après ce qu'elles ont dit au commandant Langlet, nous on ne devait pas se mêler de ça, on était que des secouristes... Le commandant Langlet nous a dit après que le commandant allemand leur avait dit que c’était pour partir à Pantin... (qu'il les embarquait en camion !) et à Pantin c'est là qu'ils faisaient les trains avec des wagons à bestiaux pour..., c’était soit pour Ravensbrück ou ailleurs... Oui c'est le commandant Langlet qui était à ce moment-là président de la Croix-Rouge [section Les Lilas-Bagnolet].
C'est lui qui a fait la première carte d'Indochine, mais à ce moment-là il n’était pas commandant (de l’armée) quand il a fait la carte d'Indochine... mais après il a fait la Norvège, il a fait le débarquement en 1944 en Norvège [en fait bien avant : en 1940 ! Bataille de Narwick] et c'est là qu'il est rentré à la CROIX-ROUGE en rentrant en France, et comme il habitait les Lilas, il est devenu président de la Croix-Rouge... et nous on était que des petits secouristes.
Je suis née en 1923, on était en 1944... j'avais 21 ans...
M : Est-ce que le souvenir, la scène, vous la voyez encore ? Devant vous ?
E : oh oui ! Ce qu'il y a c'est que je perds mes jambes... mais j'ai une mémoire terrible, je sais où sont mes affaires... je me revois dans le fort (2),
Quand je descendais au fort, (après la guerre), j'allais au fort pour ranimer la flamme, j'avais l'impression que j'avais de l'eau glacée qui me courrait dans le dos parce que je me revoyais avec les mitraillettes (3)... On aurait pu se faire fusiller. Là, personne ne nous aurait retrouvés... Ils nous auraient tirés dans le dos... Ma mère savait que j'étais au fort, mais après... Allez donc nous chercher et nous retrouver. Mais c'est le lendemain qu'ils sont partis et ont été au Fort de Noisy le sec (les Géorgiens) et c'est là, le lendemain (une fois le Fort de Romainville abandonné) qu'on est rentré dans le fort (après leur départ...) et qu'on a retrouvé les 11 fusillés...
On n'avait pas encore le local rue de la République. La CRF (4) était nommée pour prendre en charge, mise à disposition, les détenus, ouvrir les portes, les mettre en sécurité...
E : (Quand nous sommes arrivés au fort)... Le commandant Langlet a donné le papier à la sentinelle qui l'a transmis à son supérieur lequel a couru porter au chef (le commandant allemand), c'est là que le commandant (allemand) est venu.
C'est là qu'on nous a mis des soldats dans le dos et les mitrailleuses (mitraillettes) dans le dos ; les 2 commandants se sont salués comme des militaires, poignée de main. C’est comme si ils étaient de bons amis...
M : Est-ce que le commandant allemand s'attendait à recevoir votre visite ?
E : ça je ne sais pas ! Nous, on y a été mais je ne sais pas si il nous attendait...
On est rentré sans savoir qu'on allait avoir un camion.
On est rentré, on savait pas du tout ce qu'on allait trouver !
On a demandé au commandant Langlet ; lui-même ne savait pas...
Quand il s'est trouvé à la tête du camion, il a demandé à ce que le camion sorte du fort naturellement et après il a été téléphoné pour savoir ce qu'il allait en faire... il a dû téléphoner à la CROIX-ROUGE et la CROIX-ROUGE lui a dit ce qu'il devait faire... c'est après qu'il nous a dit ce qu'il devait faire, je sais plus si c'était à Villeneuve le Roi.
M : Non ! non ! Ils allaient chez vous... il allait rue Quentin Bauchart, ils allaient au siège de la CR.
E : je ne sais pas... C'est vrai ?
Nous on n'était que des bleus ! C'était lui le chef, on suivait. Il nous disait d'aller par-là, (on obéissait), on allait par-là.
M : ce qui est étonnant c'est que le commandant ne savait pas où il devait aller !
E : mais on savait pas du tout ce qu'on allait trouver !
Il nous a dit "on entre dans le fort pour libérer les gens qui y sont !" C’est tout ! Lui en savait pas plus que nous...
E : il en savait pas plus que nous... il ne savait pas ce qu'il allait en faire !
M : mais les allemands, ils savaient eux ?
E : eux les allemands, ils savaient qu'ils les emmenaient ...
Donc si la CROIX-ROUGE n'était pas arrivée elles partaient ailleurs...
E : les allemands ne savaient pas qu'on allait venir ! Ils ne nous attendaient pas ! Pas du tout !
M : ah bon ?
E : ils ont discuté entre eux (les 2 commandants)... en français… Ils parlaient tous français les allemands...
E : ils allaient à la coupole le café du métro, en face du métro... ils allaient à la coupole boire le champagne... ils rentraient avec la voiture, la rue de Paris était pas si large pour la voiture...
Ils étaient bourrés tous les soirs... c'était des Géorgiens...
M : donc les 2 commandants se sont mis d'accord, l'un pour récupérer le ou les camions...pour en disposer et l'autre...
E :... pour laisser partir...
Parce que nous on est parti (ou) rentré... mais on a laissé, les hommes dans le fort. Mais les FFI ils n’ont pas pu rentrer... c'est 2 jours après... (elle parle de la libération définitive du fort le 21 août)
C'est quand ils sont partis (les Géorgiens) qu'on est rentré pour trouver les fusillés...
M : parmi les gens que vous avez libéré il y avait 3 Hommes 3 bébés et puis en majorité des femmes...
E : oui il y avait pas mal de femmes ; vous dire ce qu'il y avait j'en sais rien ! Parce que je vais vous dire, on avait un peu peur...on avait 21 ans, on avait des mitrailleuses dans le dos...On les monte dans le camion ...on ne savait pas ce qu'on allait en faire.
On nous disait... "vous les faites monter" alors nous on les aidait à monter...
Ils savaient pas du tout où ils allaient et ce qui leur arrivait...
On était du personnel (exécutants) ! Le personnel on ne lui donne pas des consignes !
M : vous non plus ? (ne saviez pas)
E : bah ...nous non plus!
E : On ne sait pas ce qu'on allait en faire, on nous disait de les faire monter, on les faisait monter !
Ils savaient pas du tout où ils (elles) allaient et ce qu'il leur arrivait !
M : et vous non plus ?
E : nous non plus, on savait que le commandant (lui seul ?) qui savait où ils (elles) allaient, nous on ne savait pas, nous on était des bleues on était de personnel si vous voulez ... le personnel on le fait exécuter… On le commande et on le fait exécuter mais on ne lui donne pas les consignes !
M : c'est curieux cette libération !
E : parce que si on leur avait dit qu'ils étaient libres, ils auraient hurlé, ils auraient fait ah... ah... ah... ah ! (effusion) alors que là ils montaient comme des 'bêtes' aux abattoirs (donc en hâte) ils savaient pas du tout ou ils allaient aller, on leur disait "montez, montez"...
M : et vous, vous étiez où dans la scène !?
E : bah... nous on les aidait à monter...
[le récit est raconté sans arrêt de la voix et sans hésitation comme vraiment une scène vécue]
On leur donnait le bras; on allait chercher les femmes ; on les aidait à monter parce que ce n'est pas facile de monter dans un camion à benne comme ça... On avait mis des espèces de caisses pour que ça fasse des marchepieds, parce que ça fait haut pour monter.
C'était des gros camions benne bâchés.
M : y avait les bâches ?
E : oui oui, c'était tout fermé y avait que la bâche derrière (qui était remontée). On descendait le machin pour que les gens puissent monter, après on le remontait (le système qui tenait la bâche ou le hayon)
Il y avait des bancs… (précision) ; c'était prévu pour les emmener parce qu'en principe... parce qu'ils les emmenaient bien, ils ne voulaient pas les abimer pour les faire travailler, fallait pas les abimer !
On (nous la CR) s'est servi de leur matériel, le camion qui n’était pas à nous, du coup il a été mis à nous...
M : vous m'aviez dit qu'il y avait 2 camions ?
E : je ne me rappelle pas. Je me rappelle d'un, parce que j'ai fait monter les gens, (je les ai vu) de dos.
M : vous vous rendez compte que vous avez poussé ma mère dedans. C'est pour ça que je vous inflige le raisin (j'avais offert du raisin lors de cette visite, qu'elle a refusé)
E : On en a fait monter au moins une trentaine dedans.
M : elles étaient 60.
E : c'est pour ça qu'il y avait 2 camions ?
M : je rappelle le témoignage de M. Jousset (un détenu) qui précise bien que c'est à ½ h près qu'ils/elles allaient être fusillés, lui et ses "camarades".
M : C'est à dire que si vous n'étiez pas venus...
E : bah, non puisque si on n'était pas venu, à ½ heure près, le camion était à Pantin (déportés)
Parce qu’on les avait montés dedans, on n’a pas mis ½ heure ! J'aime mieux vous dire !
[Elle continue avec l’assassinat des Onze personnes]
Ils auraient fusillé ceux qu'étaient restés comme ils ont fusillé les onze qu'ils ont mis dans la casemate.
Du coup, de colère, ils ont fusillé ces onze-là dont un couple qui avait été pris après le couvre-feu.
Il a fallu qu'on leur coupe les bras pour desserrer (leur étreinte) ; nous les jeunes on voulait les enterrer dans le même cercueil et c'est interdit! Pour retirer les bras du cou de son mari...! C’est pas nous qui avons voulu faire ça !
Il y en avait un qui était ouvert de part en part ; on lui voyait le cœur ; tout était arraché ; on savait pas si c’était un garçon ou une fille ; ... à ce moment-là, il y avait le médecin qui était à l'anthropométrie, le docteur Paul, c'est lui qui faisait les observations sur toutes les morts qu'étaient accidentelles; donc c'est lui qu'est venu et c'est lui qui a dit "Non c'est un garçon". Nous on ne savait pas si c'était un garçon ou une fille ; ... il n'avait plus de sein, il n’avait plus de sexe, il n’avait plus rien du tout. J'avais la photo ou le gars était ouvert de part en part !
M : vous savez que les 2 événements, le départ de ces femmes et ce meurtre, comme vous dites par vengeance, sont reliés. Ce meurtre a eu lieu par ce que quand ces femmes sont parties, le 19... (c'est moi qui l'avance), il y avait d'un côté le commandant qui n'était pas SS, mais il avait un adjoint qui était SS et les géorgiens que personne ne maîtrisait (5).
E : C'était un géorgien ?
M : non, non pas du tout, les géorgiens sont arrivés le 17 août, peut-être dans les mêmes camions. C'étaient des barbares, ils avaient été menacés d'aller sur le front russe !
E : oui je savais qu'ils devaient aller en Russie ils disaient
- nous : kaputt !!
M : vous, vous les avez vus ?
E : bah oui, on les voyait dans la rue de Paris ; ils étaient à moitié saouls, ils disaient "nous kapputt !"
M : les avez-vous vus ? (lors de la délivrance)
E : oui je les ai vu qui faisaient sortir les gens (les détenues hors de la casemate)
M : (je la reprends) : non ce n’était pas des géorgiens c'était des allemands "réguliers" SS ou pas ...
Ce qui s'est passé c'est que le commandant allemand n'avait que quelques troupes. Dès que les 60 femmes ont été libérées, ... il s'est tiré et il a laissé les géorgiens sur place et les géorgiens comme ils étaient à moitié fous (de colère)... (ils ont fait selon leur seule volonté)
E : oui ils étaient bourrés tout le temps !
M : il y avait des femmes et c'était interdit de les approcher. Ils se sont vengés malheureusement et (sauvagement) sur les gens qu'ils ont arrêtés. Ils étaient incontrôlables, c'étaient des barbares !
E : ils ont été à Noisy-le-Sec après avoir quitté le Fort de Romainville... Puis à Noisy-le-Sec ils se sont fait foutre en l'air par les FFI. Je crois qu'ils ont abandonné le fort 2 jours après comme nous on était rentrés… Vous pensez bien que les FFI voulaient rentrer dedans. Ils ont demandé au commandant (Langlet).
E : Moi je suis rentrée chez moi puis c'est tout… J'ai su après, en parlant au commandant Langlet .
Elle change de sujet au sujet de la cession du fort actuellement (Grand Paris) :
E : où je ne suis pas d'accord c'est parce que De Gaulle quand il était au gouvernement vers 1958, avait interdit qu'on touche au Fort de Romainville et au Fort d'Ivry parce que c'était les 2 forts qui commandaient Paris parce que d'un fort à l’autre on peut surveiller Paris ; quoiqu'il arrive il a fait un décret en 1958. On ne doit pas toucher à ces 2 forts-là ; c'est pour ça que j'ai vu sur le journal qu'on veut mettre 300 logements, parce qu'il y a déjà de belles bâtisses (elle parle des 2 bâtiments, celui en haut près de la porte d'entrée et celui de 2 étages dans la cour, en bas)
E : Ils ont déjà mis la tour de télévision ce qui aurait dû être interdit ; on avait protesté alors maintenant ils veulent complètement détruire/habiliter le fort puis en faire des habitations normales (une ZAC) avec des jardins potagers... tout le truc.
M : on va bien finir par les retrouver les statuts que De Gaulle a signé
Nous parlons de la libération de la prison des Tourelles, non rapporté ici.
Retour à la libération des détenues de Romainville :
E : oui on les prenait par le bras et ils demandaient, où on va ? où on va ?... On n'avait qu'un petit brassard, on était en civil... on n'avait pas d'uniforme encore à cette époque-là...
M : vous m'aviez dit aussi que quand elles sont sorties elles étaient complètement éblouies.
E : Oui car dans cette casemate, y'avait pas de fenêtres, y'avait rien du tout... C’était un préau... fermé...
M : en fait elles sont descendues la veille au soir... Il (le commandant allemand) a dû les faire descendre vers 22 h (pour s’en débarrasser). En fait, il a eu des ordres de l'état-major (de libérer les détenues) et il ne voulait pas obtempérer, il cherchait à désobéir au haut commandement allemand… (duel sans doute entre les SS de Compiègne et haut état-major de Von Choltitz).
E : (redonne des suppositions sur le départ vers Pantin) Comme il y avait le contre ordre de l'ambassade de Suède... il n’était pas pressé de les faire monter dans le camion...
Ça a merdouillé (entre les ordres et sa volonté à lui)
C'est pour ça qu'on est tombé sur le camion. On aurait pu tomber quand le camion était parti... On n'avait pas d'horaires ! C'est un coup de chance ! (6)
E : ils étaient en train de monter dedans. Donc il aurait fallu une demi-heure pour que le camion nous passe devant le nez ! Mais on en aurait surement récupéré d'autres; le truc (les casemates) n’était pas vide.
Elle raconte les cérémonies du souvenir devant le mur des fusillés, plaques, discours, vin d'honneur...
E : Nous, on était jeune ; c’était une distraction (de participer à cette mission) comme aller au cinéma, on ne réalisait pas à fond. On a réalisé après... On a délivré les gens du fort, on était des cracks... Comme un gars qui a un bon jeu aux cartes et qui tombe le grand chelem.... On était des héros, on était au fort... On était des héros avec une mitrailleuse dans le dos...
E : On a réalisé après ce qui aurait pu nous arriver ! Du moins moi parce que les autres ils n'ont pas continué à la Croix Rouge…Il n’y a que moi qui ai continué ...
M : mais les gens qui étaient avec vous ont-ils réalisé le danger?
E : Non pas tellement...pourtant y’en a avait des plus vieux que moi...
Y’ en avait un qui était le mari d’une femme qui disait "oh mon mari au fond il n’a pas eu la trouille !”. Elle ne réalisait pas qu'au fond son mari elle aurait pu ne plus le revoir... Il aurait pu être déporté et monter dans un autre camion !
M : Je rappelle qu'il y avait 2 infirmières de la CROIX-ROUGE qui ont été laissées par Raoul Nordling [elles s’appelaient Mme Roche et Mlle Loucheur] pour aider les bébés, leur porter du lait et en fait elles sont restées enfermées pour ne pas être violées par les Géorgiens, le commandant allemand les a mis avec les autres détenues. Vous les avez donc libérées en même temps !
E : ... je sais pas si y'en avait d'autres... (femmes dans les casemates)
M : vous n'avez pas vu?
E : On n’a pas vu l'ensemble… Y'avait cette porte-là qui était ouverte ; les gens commençaient à monter ! On a fini de les faire monter, ... c'est tout... moi c'est tout ce que j'en ai tiré...
M : mais saviez-vous si il y a eu d'autres voitures ? (7)
E : je ne sais pas si y'a eu d'autres camions, sûrement...
E : pour que le commandant nous laisse rentrer, et réponde aussi sec à l'ouverture de son fort... C'est qu'il avait reçu un ordre.
E : (Elle parle du commandant Langlet). Il a dû recevoir un télégramme parce qu'à cette époque y'avait pas le téléphone, moi je ne l'ai eu qu'en 1946... le téléphone était rue de la République (Local de la CR) et c'est la mairie qu'avait la clé du local) et c'était les assistantes sociales qui prenaient la clé à la mairie pour aller téléphoner...
C'était cher et le commandant (Langlet) voulait le supprimer (Mme Roy l'a fait conserver) car en tant que secouriste j'en avais besoin dit-elle [je crois qu'elle mélange les époques...]
En fait, ils m'ont fait une ligne spéciale qui allait de la mairie jusqu'ici (sans doute une dérivation vers le local) en 1946 ; j'étais toute seule... (les PTT n'ont pas voulu la tirer car trop loin du central de Pantin ! ce n'est qu'en 1964 que les PTT ont pu tirer la ligne de Pantin au local de la CR).
M : c'est étonnant que vous ayez un souvenir extraordinaire... Est-ce que vous étiez, vous, bouleversée ?
E : moi je ne suis pas une grande sentimentale... Je garde ma lucidité ... aussi bien pour le bon que pour le mal... Je réalise qu'après, mais sur le coup je fais ce qui doit être exécuté !
M : l’agitation était chez les détenues quand elles sortaient... vous étiez froide?
E : elles ne savaient pas où elles allaient... elles ne savaient pas... comme on dit... c'était des bestiaux (qui montaient dans le camion !)...
Mme Roy nous raconte une anecdote de son enfance:
Quand en 1935, les bestiaux, troupeaux de moutons, de chevaux, vaches qui passaient, remontaient le boulevard Mortier pour se rendre à la Villette (où se trouvaient les abattoirs), ça prenait tout le boulevard extérieur... Nous les mômes on essayait de monter sur les chevaux ou de donner à boire ou à manger aux moutons... […]
M : vous êtes une mémoire, c'est une chose merveilleuse...
E : pendant la guerre fallait se débrouiller, y'avait rien à manger ça nous a stimulé... ça nous a développé l'intelligence... […]
M : Vous l'avez revu le commandant Langlet ?
E : Le commandant Langlet il a été jusqu'en 1945-..46… président de la Croix-Rouge...
Mon père était dans le comité et comme moi j'étais directrice secouriste... j'avais pas droit aux réunions de comité. Lui ne me disait rien.
Elle évoque les conditions à la Croix-Rouge
En 1953 quand ils ont voulu refaire un comité, c'est une femme qui est venue de la rue Quentin Bauchart pour placer tous les présidents de comité dans toute la France ; c’était une "Mademoiselle de..." Elle a fait un tour des Lilas... adresses de docteurs, etc.
Moi, je n'avais plus le commandant Langlet, je n'avais que l’équipe secouriste (sous ses ordres).
C’était M. Manchenet qui avait ça, ils avaient traficoté avec la paroisse, c’est à dire l'argent qui avait été récolté, avait été filé au curé !
Ils étaient tous de la religion, alors que moi je disais la Croix-Rouge, elle est neutre !
Ils disaient "on a nos pauvres", alors moi je disais qu'on a nous aussi nos pauvres et que même les gens de gauche avaient leurs pauvres ! La CROIX-ROUGE ou elle donne à elle-même ou elle donne à tout le monde ! Et pas qu’au curé… C'est pour ça que je me suis retrouvée toute seule en tant que responsable.
Elle est revenue quelques mois après et m'a dit "puisque je n'ai pas trouvé de Président aux Lilas, vous, je ne peux pas vous nommer présidente parce que tout le monde me parle de vous en disant "ah Simone elle fait ci, Simone elle fait ça !" Alors elle dit je ne peux pas mettre une présidente qu'on appelle Simone !"
Une présidente c'est "Monsieur ou Madame de…"
Elles portaient des chapeaux avec des aigrettes…
Alors du coup ils ont cherché quelqu'un, une femme de docteur… Ça allait pas... Un architecte ? Mais elle avait trouvé qu'il avait des maîtresses… Ça n’allait pas…
Ils ont fait alors un faux comité qui dépendait du siège. […]
M : vous savez que vous avez libéré 2 personnes très importantes de la Croix-Rouge
E : oui ? Je ne sais pas !
M : vous avez libéré Mme Krug responsable de la CROIX-ROUGE de Reims, qui a été arrêtée parce que les allemands (se sentaient) étaient menacés par n’importe quoi et vous avez libéré la femme du président du comité des Forges c’est à dire le MEDEF actuellement. Ils ont arrêté la femme de Henri de Peyerimhoff, président du patronat de l'époque... Nom de jeune fille : Jeanne Despret, donc dans les femmes que vous avez libérées, il y avait Mme de Peyerimhoff.
E : on n’a pas pris les identités ! On a dit “vous montez vous montez” et elles, elles sont montées (dans le camion) Je vous dis comme des moutons qu'on emmène à l’abattoir !
Ils ne savaient pas où ils allaient, ils ne savaient pas pourquoi ! Ils ne nous voyaient même pas avec un brassard. Ils ne savaient pas si on était pour eux ou pas pour eux ! On ne leur disait pas vous êtes libres...
Le commandant Langlet nous avait dit surtout ne leur dites pas ! Parce que sinon ils vont se mettre à hurler “on est libre, on est libre“ et là les boches risquaient de tirer !
Alors si vous voulez, nous on était (pour elles) les aides des allemands qui étaient là.
Pour eux on n’était pas les libérateurs !
M : dans un des dossiers à Caen au BAVCC, lors de leur demande de pension comme "Internés politiques" ou "internés résistants", il y en a un qui dit avoir été libéré par les FFI, donc vous avez raison, il/elle n’a pas compris qui les libérait.
Il y en a qui ont dit qu'on a été échangé au titre des échanges de prisonniers politiques contre des femmes allemandes… Donc effectivement ils ne savaient pas, ils n’ont pas vu ! Ils ne vous ont pas vu !
E : oui ils montaient et n'ont pas vu notre truc blanc au bras.
M : par exemple ils n'ont pas vu que vous étiez une femme...
E : oui c'était des gens qui ne savaient plus où ils allaient, on les transbahutait d'un endroit à l'autre ; ils attendaient ils ne savaient pas quoi !
On parlait de les déporter, ils le savaient alors ils (devaient se dire) ça y est je suis dans la charrette. Ils avaient autre chose à penser qu'à celui qui les faisaient monter dans le camion car ils ne savaient pas où on allait les emmener.
Si on avait des mitrailleuses dans le dos, ils pouvaient croire que c'était aussi bien pour eux que pour nous…
Enfin moi j'en ai déduit ça ! Après... On entendait une mouche volée (ça s’est passé dans le silence).
M : en fait ils ne disent rien de la scène, de l’événement ; c'est pour eux un non-événement (rien dans les archives du BAVCC).
E : ils ont vu 3 personnes... non... 5 personnes qui les faisaient monter dans des camions… Mais qui on était ? Qu'est-ce qu'on faisait ? Et où on allait aller ?… C’était là le point d'interrogation.
M : je croyais que c'était paisible ?
E : non, c'était rapide et c'était silencieux car on nous avait dit : surtout vous ne dites rien. On n’avait même pas le droit de se parler entre nous : “ tiens prend celle-là ”… enfin pas à ce point-là…
Ces gens-là ils montaient dans le camion sans savoir où ils devaient arriver.
M : ils n’avaient pas le temps de se congratuler ?
E : Non car sinon ça aurait arrêté le cirque. On n’aurait pas pesé lourd… Nous, ils nous auraient tiré à la mitrailleuse ! Ça n’aurait pas été joli !
M : car les allemands vous les sentiez agressifs?
E : non ! eux ce qu'ils voulaient c'était se barrer, ils savaient où ils allaient. […]
E : reparle des massacrés du 21 août ! : ça nous a foutu un choc !
M : ce sont les géorgiens qui ont tué, les autres s'étaient tirés. Les Géorgiens n’étaient plus commandés !
E : C'était une troupe qui était restée... Ils ont été au Fort de Noisy et avant de partir ils ont ouvert les casemates et ils les ont fusillés. […]
E : le commandant allemand : Il n'a pas été surpris par l'arrivée de la CR. Il n'y a eu aucune résistance !
Ça s'est fait comme si on venait voir quelqu'un dans le fort.
M : Pas étonnant, il était aussi menacé d’aller en Russie et il a enfin obéi à son état-major (voir le livre de Nordling sur Von Choltitz)
Je pense que les tractations se sont faites ou terminées le 19 au matin, c'est pourquoi vous êtes intervenues en fin de matinée.
E : on est arrivé, une sentinelle s'est détachée et va chercher l'officier ; ils se sont serrés la main (entre le commandant allemand et le commandant Langlet).
M : le commandant allemand était de la Wehrmacht il n'était pas SS. Malgré tout il n'a pas obtempéré [à son supérieur qui était Von Choltitz ! et il a réagi comme un SS] alors qu'on était à la veille de la libération de Paris !
E: on est arrivé avant le départ (de ceux qui gardaient le fort) et avant l'arrivée des autres.
M : mon hypothèse (car plein de zone d'incertitudes) c'est à Compiègne qu'il voulait les emmener ! Car ça leur servait de terrain de rassemblement pour les emmener en Allemagne.
E : nous on a pensé à Pantin parce qu'on savait qu'on les menait là.
M : le dernier convoi allemand de déportation a eu lieu le 18 août donc la veille…
M : les femmes enceintes libérées…
Je parle de mon Frère qui est né le 22 décembre 1944 dans des conditions dures... Mon frére a tout pris dans la figure, privation, faim, stress.
D'autres femmes étaient enceintes. Mme Hodebert (décédée en 2014) a accouché tout de suite en sortant de Romainville (à 8 mois). Les allemands on fait revenir 7 femmes de Ravensbrück (dont elle) pour montrer à quel point ils étaient généreux/humains. Quatre ont été à Romainville, que vous avez libérées.
Mme Hodebert (9) raconte qu'elle aurait été libérée en juillet 1944 (de Ravensbrück) sur intervention de Raoul Nordling, ce que personne ne raconte nulle part ! Ce qui veut dire que Raoul Nordling était déjà en rapport avec les allemands pour faire des transactions et c'est étonnant !
E : je ne vais pas regretter ce que j'ai fait ; j'ai fait ce que j'ai pu ; c'était une goutte d'eau par rapport à tous les autres .
Ma mère, elle était folle quand je partais comme ça : “tu vas te faire ramasser par les allemands”.
On n’en parlait pas chez nous après la guerre. On était assez “chacun pour soi” tous les 3.
Papa il disait: “t'as fait ton devoir” !
Il était conscient du danger mais il ne voulait pas le faire voir .
M : avant l'arrivée des Géorgiens, est-ce que Les Lilas était une ville menacée par la présence des troupes allemandes ?
E : ils allaient du fort à la Coupole qui était à la porte des Lilas.
Oui, oui (ils allaient boire à la porte des Lilas) même avant l'arrivée des géorgiens...
Souvenirs d’enfance : cette partie de l'interview se situe à ses 14 ans donc avant l’occupation.
Il y avait des prisonniers français qui travaillaient au potager dans le fossé qui a depuis été rebouché.
Il y avait à coté l'usine POCLAIN qui était à Noisy-le-Sec, une usine de plantes ; ils employaient des prisonniers... Et ils allaient coucher au fort ou ils travaillaient dans la plâtrière…
Et nous les mômes, moi, j'avais 14 ans, on jouait là-dedans et un gosse est tombé dans un trou d'eau et y est resté.
Nous, on faisait le plan des galeries et on l'envoyait attaché à un caillou aux prisonniers
Il y avait une communication depuis les fossés avec le fort, La porte du potager partait du fossé. Il y a un grand couloir qui descend et arrivait aux fossés du fort… Et nous les mômes des Lilas on connaissait ça !
On pouvait passer dans le fort et on pouvait en sortir par les fossés depuis la cour du fort… On accédait à la porte du potager. Si on descendait ce couloir on arrivait aux fossés et on pouvait sortir du fort
C’est par là qu'ils se sauvaient. Quand on voyait que les fossés s'allumaient en pleine nuit, ça voulait dire que y' en avait un qu'avait essayé de se sauver !
Après on cherchait dans Noisy-le-Sec ou Les Lilas l'étranger qui s'était sauvé.
Tous les jours y'avait des cailloux qui étaient envoyés dans la carrière de Noisy-le-Sec.
M : le colonel Fabien, détenu au fort, s’est ainsi échappé avec 2 autres prisonniers. Ma mère le connaissait car ils formaient une bande à la Place des Fêtes.
Peut-être que le colonel Fabien (Guy Georges) connaissait aussi ce chemin de fuite car la bande aussi fréquentait Les Lilas !
Cette partie du récit a l'intérêt des souvenirs mais aussi de la carte postale du passé.
E : Je connais, je suis née rue Manin, j'allais à l'école rue Manin jusqu'à l’âge de 14 ans, j'allais faire le marché place des Fêtes ... maintenant c'est l'école Georges Brassens.
Il y avait les enfants (cop...coptes ? ? pas compris). Nous, on était toutes en noir (ceux de la communale) et eux ils étaient avec des tabliers blancs à carreaux bleus et rouges.
Les filles de la rue Eugène Jumin étaient filles de marchand de bestiaux ; on les emmenait en voiture avec chauffeur, cols de dentelle. Quand elles voyaient passer les (coptes) pauvres… sans savates, elles les moquaient. Si j'étais à coté, elles prenaient ma main dans la figure, comme j'avais une bonne paluche ! Alors j'étais appelée à la directrice et elle disait "ça y est, tu t'en es encore payée une !”
Quand une famille était dans la nécessité, on envoyait les enfants chez les coptes (cop ?), en attendant par exemple que la femme rentre chez elle (par exemple après accouchement).
J'ai fait ça de 7 ans à 14 ans. Mon père, il était appelé (par la directrice quand je tapais une fillette de riche)
C'est comme ça que j'ai démarré dans le social par l'enfance dit-elle.
M : c'était très séparé et dur à cette époque la différence sociale des classes ?
E : C'est plus terrible encore maintenant !
M : A la CROIX-ROUGE vous étiez extrêmement cloisonnées?
E : Au début ces dames de la CROIX-ROUGE c'était pas rien, c'était des "Mademoiselles de…" Les infirmières, c'étaient des IPSA : infirmières pilotes secouristes de l’air, les infirmières pilotes (d'avion) c'était des "secouristes de l'air"... Elles étaient propriétaires de leur avion et pilotes (en même temps)... Alors elles s'amenaient, elle voulait qu'on s'occupe de leur voiture et disait "y a quelqu'un pour s'occuper de ma voiture ?"
- valet disait-elle (la femme pilote)..
- le valet était pas là, ... ajoute Mme Roy… Il est pas venu le valet (dit-elle moqueuse)
M : mais comment les gens pouvaient devenir membres de la CROIX-ROUGE avec cette espèce de discrimination?
E : c’est à dire que eux, la CR, au début c'était une "Madame de la Croix-Rouge" ; c'était que des filles de la haute société. Le préfet qui était président de la CROIX-ROUGE, ou la présidente de la CROIX-ROUGE était la femme du préfet, ou député ou femme du député, on prenait toujours quelqu'un de très haut placé et une fois par an, elles faisaient le repas de la CROIX-ROUGE comme à Monaco ils font le repas du prince de Monaco... On disait "ces Dames de la CR !"
M : c'est un Rotary Club?
E : Vous mettez Croix Rouge à la place du mot Monaco ! C’était la même chose... Oui on s'est servi de nous... les secouristes avec la guerre, c'était des équipes d'urgence ; c'était pas du tout secouristes ! on s'est engagé là-dedans pour sauver des gens... On aurait très bien pu porter un autre nom...
On était 11000 quand la guerre a fini. Ils ont voulu nous balayer. Qu'est-ce que foutaient ces 11000-là, à la Croix-Rouge ? C’était des "va-nu-pieds" !
Alors nous on a voulu y rester ! Et on ne savait pas comment nous appeler et comme il y avait “le secours national” à ce moment-là, ils ne savaient nous mettre le mot SECOURS mais ils ne savaient pas quoi mettre au bout... nous donner une attribution... C'est comme ça qu'ils ont mis SECOURISTES... On n’a été "secouristes" qu'en 1945 (1944-45).
Autrement on restait "équipe d'urgence" et ils voulaient nous balayer. J'ai encore ma carte de secouriste...
M : bien que vous ayez participé à la libération?
E : ils en avaient rien à faire! Ça les intéressait pas du tout, on était pas du tout de leur classe... On était la vermine qui entrait dans le fouet (?)
M : C'est vous qui organisiez les colis, les réceptions des colis (et leur redistribution).
E : ils faisaient les colis au nom de la présidente de la CROIX-ROUGE une fois par an.
M : c'est vous qui les portiez (au fort ou dans les prisons) ?
E : non... avant c'était fait par une notable...
Quand j'ai voulu être présidente... On m'a dit NON, il faut trouver quelqu'un qui ai un NOM ! représentatif... Vous vous n'êtes que Simone et vous ne pouvez pas être représentative (d'une classe sociale) et présidente de la CR.
M : il y avait des colis qui entraient à Romainville... qui les portaient?
E : les colis ils n’ont pas démarré tout de suite... ils ont démarré qu'en 1947 (?)
M : pardonnez-moi en 1944 ils recevaient des colis en 1943 et 1944 !
E : ah bon? Ceux-là je ne les connaissais pas...
M : oui, il y avait les quakers aussi... vous aussi vous montiez des colis... A Compiègne aussi la CROIX-ROUGE faisait entrer des choses.
E : ça devait être la maison mère... Nous, ici ils se sont servis de nous… On était en conflit avec eux... pour avoir le statut de secouriste… et qu'on nous amène une carte... ils voulaient nous balayer... on était les va-nu-pieds de la Croix-Rouge.
Ils considéraient qu'on était secouristes de tête (théoriques) mais qu'on n’avait pas de pratique !
Eux ils étaient infirmières ! C'est après qu'on a fait les cours de 1er secours... Moi, je ne savais pas faire une attelle... pour tenir une épaule on mettait un spica... je ne savais pas... nous ce qu'on savait faire, c'était aider ! Faire un pansement ? On savait faire une bande, pas plus... On a appris à donner plus tard les 1er secours... Maintenant on en est au massage cardiaque... On ne connaissait pas la morphologie humaine..., pas plus. Il a fallu qu'on nous apprenne… On avait 35 heures de cours, c'était les bonnes sœurs qui nous donnaient des cours aux Lilas… et c'est la Mère Supérieure qui nous montrait à faire des pansements...
M : Je vous raconte la suite de ce qui s'est passé après leur libération. Il y avait 3 personnes de la CROIX-ROUGE que vous avez sorties : Mme Krug, de Peyerimhofff, de Tocqueville. Elles ne savaient même pas qu'elles avaient été sorties par des membres de leur association... et quand elles sont arrivées rue Quentin Bauchart, 2 sont reparties tout de suite : elles ont dû prévenir pour qu’on vienne les chercher... La 3e est restée avec les autres détenues.
Les femmes qui ne savaient pas où aller ont été recueillies dans un couvent, même Mme de Tocqueville qui a été dans le couvent... mais Mme Peyerimhofff est rentrée chez elle et Mme Krug est rentrée chez des gens de sa famille...
E : mais elles n'ont pas su qu'elle avaient été libérées par des gens de la CROIX-ROUGE ! Nous, on nous avait surtout dit de ne rien dire... de ne pas parler et de ne pas leur parler... alors ils savaient pas si c'était des allemands ou si c'était des français... puisqu'on ne parlait pas !
E : fallait pas parler ; on disait seulement "attention y a une marche, ne tombez pas..." des trucs stupides, mais pas de conversation... Elles ne savaient pas où elles allaient…
M : elles ont dû être surprises de se retrouver rue Quentin Bauchart
E : ah bah oui surement !
E : ils étaient déjà rue Quentin Bauchart ? car avant la guerre, la CROIX-ROUGE était rue de Berry?
M : La rue de Berry donne dans la rue de Ponthieux ?
Alors, anecdote : sur les bordereaux de libération par la Croix-Rouge, il est indiqué : “Les Oiseaux”, couvent qui se trouvait au 62 rue de Ponthieux, lieu où elles auraient été hébergées. Elles ont dû être reçues par un employé administratif de la CROIX-ROUGE qui leur a fait décliner leur identité et elles ont reçu ce petit papier, ma mère (Régine Buchner) a reçu un tel papier comme quoi elle a été libérée “sous la garantie de la CROIX-ROUGE”. Celles qui n'ont pas eu de lieu pour les héberger et ne savaient pas où se rendre, on les envoie selon ce bordereau au 62 rue de Ponthieux... qui était le couvent des Oiseaux mais en fait elles se rendent dans un autre couvent du 16e arrondissement, tard le soir, et elles restent-là 3 à 4 jours... (elles assistent à la libération de Paris)
Ce 19 août, a été une journée pleine de rebondissement , pour elles ! "Une folle journée" !
E : On (la CROIX-ROUGE des Lilas) a libéré ces gens-là et on ne s'attendait pas à ce qu'il y en ait autant ; on ne savait pas quoi en faire ! J'ai l'impression ! En fait la CROIX-ROUGE a été prise au dépourvu sur cette affaire... [[c'est une hypothèse qu'elle émet ...]]
M : les allemands aussi étonnant que cela paraisse, avaient des “principes”, les leurs !! Les femmes enceintes ne partaient pas.
Le cas de Mme Jeanne Le Guyon doctoresse est à part (8). Ils l'ont arrêtée en 1941, elle leur servait d'otage car c'est son mari, professeur de médecine, qui était recherché. Le commandant du camp a gardé cette femme au lieu de la déporter en Allemagne car il en avait besoin [ça ne l'a pas empêché de déporter d'autres femmes médecins] et c'est elle qui gérait les femmes enceintes et les malades. Ils n'envoyaient pas les femmes enceintes en Allemagne au-dessus de 5 mois (10)... Il y avait environ une vingtaine de femmes enceintes… Il y avait 3 bébés (libérés, mais Mme Krug parle de 4 poupons). Jeanne Le Guyon a protégé des jeunes femmes qui étaient enceintes dont une enceinte de 2 mois (Mme Lefay) Les allemands n'improvisaient pas... Vous leur donnez un ordre, ils obéissent... (aveuglement!)
E : “y' a pas de chichi” rajoute Mme Roy.
M : Elles ne sont pas parties, car le 15 août, il y a eu un convoi pour Ravensbrück qui a été organisé sans état d'âme, dont des femmes enceintes ! (230 femmes venant de Romainville, 2300 hommes et femmes au départ de Pantin)
La plupart de celles qui restaient étaient enceintes et vous les avez libérées... dont ma mère ! Celles-ci se sont retrouvées à Quentin Bauchart... ou rue de Berry... au Siège de la Croix Rouge.
Vous avez d'un côté les allemands qui obéissent à des règles strictes (même sauvages) et de l'autre les géorgiens, sans règles qui de leur côté tuent (en barbares intégristes).
C'est étonnant cette façon de faire !
Madame ROY met fin à l'entretien car elle est fatiguée...
M : voulez-vous l'enregistrement?
E : oh non c'est pas la peine...
M : je vous remercie de nous avoir reçu...
Commentaires hors entretien
Le commandant Allemand, la veille le 18, avait dit à une détenue Mme KRUG qu'il lui reprochait de ne pas être partie avec le convoi du 15 à Ravensbrück... et ces femmes ont été surprises que les allemands les aient fait descendre le soir du 18 dans la casemate... C’est à dire le lieu à partir duquel, ils les regroupaient pour les faire partir en déportation. Toutes disent qu'il voulait les fusiller. Le commandant allemand était un pervers disait les détenues.
Sa mémoire est intacte, ce qui est vérifié car elle se rappelle le “décret” De Gaulle vers 1958-60 sur la protection des 2 forts Ivry et Romainville, décret ou autre formulation.
elle dit ailleurs : “la chair de poule”.
et pas la Croix Rouge Internationale ! Comme le disent certaines détenues au BAVCC.
Le commandant allemand l'avait dit lui-même à Madame Krug et à la doctoresse Jeanne Le Guyon, toutes deux détenues ; il a dit lui-même qu'il en avait peur (Voir archives de CAEN et celles de Mme Krug à Reims).
Ce témoignage correspond exactement à ce qu'écrivait M. Jousset, l'un des 63 otages et à ce qu'écrivait le docteur Jeanne Le Guyon... documentation aux archives de CAEN BAVCC.
Aux archives de Caen : 2 détenues, très malades, disent avoir été libérées par des ambulances qui sont venues les chercher.
Obstétricienne à la clinique Nicollo, 16e arrondissement, qui fera un travail admirable et dont ON refusera le titre d'internée résistante en 1948 ! Son appel a été rejeté.
Je souligne le ON que sont les groupes qui jugeaient ou non de la moralité résistante, après la libération, sachant que des anciens collaborateurs des préfectures Vichystes étaient sollicités...
Mme Hodebert, arrêtée en janvier 1944 avec son mari, car ils étaient résistants, arrivée à Romainville puis déportée à Ravensbrück, est revenue à Romainville le 3 août 1944 avec les 4 autres déportées.)
selon Thomas Fontaine, historien.