Commerçants et Artisans
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activité en 1860-1870
Envahie par une multitude d'épiceries-buvettes, la rue de Paris, en 1860, mérite déjà le surnom de « grande artère du pays », que lui décernera le Conseil municipal trente-quatre ans plus tard. A la création des Lilas, Edward Bouhs vend des fruits et des légumes depuis plusieurs années. Il y a alors deux bouchers, dont Lebœuf, deux charcutiers, deux grainetiers, deux boulangers au moins. Dehéclin propose des casquettes 61, rue de Paris ; les merciers Merle, Jouvin et Couturier vendent des « nouveautés ». On mentionne trois coêffeurs (sic), deux bijoutiers (Élie et Dumont), plusieurs cordonniers, dont Dumont père, un quincaillier, un ferblantier-lampiste, un brocanteur, un armurier... On remarque au moins quatre serruriers. Trois des cinq menuisiers sont établis dans l'artère principale. Les ébénistes sont rue Lecouteux. Le maçon Huché demeure avenue Masson, avant de s'établir à son compte rue de Paris. Brouillaud est aussi maçon, au 150 (un fils Brouillaud deviendra architecte. Nous le verrons parcourir nos rues à bord de son élégant « tonneau »).
Commerçants et artisans vers 1880-1890
En 1880, on chante les louanges de la « grande Épicerie Ponthus », 46, rue de Paris. Boisgontier vend des légumes au 151 et la veuve Labourg commercialise un excellent chocolat dans son épicerie-buvette, au 125 (on rencontre de ses descendants, aujourd'hui, à la même adresse). En 1890, on inaugure la « grande Brasserie Glazer », au 181. Il y a deux pâtissiers, Gruyer est rôtisseur et Meulé est bientôt syndic de la corporation des bouchers. Après avoir abandonné la fabrication de l'eau gazeuse, Kelsen est confiseur au 155, puis au 73. Rambert est tailleur au 119 et Mme Mangon vend des chaussures au 54. Comme Faraire au 190 - et Fournier plus tard, un des Boisgontier, Jules, choisit la brocante, « place des Bruyères ». Il s'établit
ensuite, jusqu'en 1936, 8, rue du Garde-Chasse. Il faisait tourner un manège dans les fêtes foraines et c'est pourquoi il fut un des plus chauds partisans d'une seconde fête en 1898 (une Estelle Boisgontier tiendra un café en face du cinéma Le Magic).
Le meilleur compagnon du maçon Laurent est le Limousin Dutheil, qui, depuis 1890, vient de sa province travailler chaque hiver aux Lilas. Dutheil prendra la succession du patron en 1905 et s'installera rue du Centre, à la place d'un staffeur. Plus tard, M. Luguet succédera à son beau-père. Selon l'État des Communes, il y a 232 ateliers et boutiques en 1898. Les commerces de détail employaient 108 salariés en 1886 ; ils en occupent 236 en 1891 (cent ans plus tard, une soixantaine de magasins d'alimentation réuniront environ 70 employés et 140 entreprises de détail non alimentaire en grouperont près de 200, mais pour une population beaucoup plus nombreuse).
Le début du XXe siècle
Dans le Bottin de 1908, on relève les noms de seize épiceries (« Épicerie de choix » chez DufourClaverie, 175, rue de Paris). Sont mentionnés aussi trois grainetiers, neuf boucheries de boeuf, deux boucheries de cheval, dont la maison Acker, 1, rue du Garde-Chasse, un marchand de volailles, sept charcuteries, deux triperies, neuf boulangeries, deux pâtisseries... Émanations d'une société suisse qu'on croyait allemande, nos dépôts Maggi, 112, rue de Paris et 2, rue du Pré, seront pillés en 1914.
Toujours en 1908, il y a au moins cinq ateliers de couture et huit magasins de mode, dont celui de Mme Perreur, repris par Alice Lejeune (122, rue de Paris), quatre tailleurs en boutique, dont Plestch, qui propose, au 111, des complets « depuis 35 francs » et des pantalons « depuis 12 francs ». On mentionne cinq magasins de nouveautés, lingerie et mercerie, dont « les Galeries Parisiennes », au 80, trois chausseurs au moins, dont un Neveu et un Meulé. Cinq coiffeurs au moins se partagent la clientèle, Boutroux au 64, la veuve
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Charby au 144, Margomiet au 85, Montagné au 124 et Viltard au 120. Clausse-Vermenton, Ginonvez, Le Morvan et Bessède sont libraires. Debeaumarché s'installe près du Magic à la veille de la Grande Guerre tandis que Le Morvan cédera son fonds à Raguet. Le marchand de faïence et de couleurs et vernis Salingre, au 80, fait concurrence à la Veuve Laroche au 147. Bien que « supporter » de l'« Avenir laïque », l'ébéniste Monnot figure parmi les « annonceurs » du Bulletin paroissial. Thomas, rue des Écoles, vend « salles de bains, manchons et verroteries »... Il y a, au moins, quatre plombiers zingueurs.
Les liens du sang
Ainsi que les Neveu, les frères Meulé étaient tous commerçants, l'un boucher, l'autre cordomiier et le troisième marchand de vins. Alphonse Perreau maniait la varlope passage de la Mairie, pendant que son frère Charles dégauchissait rue de la République. Rue de Paris, on se mariait entre soi : libraire et fille de charbonnier, grainetier et fille de cafetier, épicier et fille de quincaillier, horloger et fille de boucher... — et même, ces dernières amiées, ancien charcutier et anciemie charcutière. Cependant, une libraire, Mlle Bessède, préféra un industriel, Dubos, neveu de Rozière. Ici comme ailleurs, il arrivait assez souvent que la fille de la maison se mariât avec un employé — et celui-ci succédait au patron. Vers 1908, Maix succède à son beau-père, l'herboriste Kelsen. Son voisin, le fleuriste Marie, succède à son beau-père Vincent — et le gendre de Marie, à son tour, reprendra l'affaire. La « Grande Épicerie Mulhauser » s'est appelée « Épicerie-Buvette Poyer » parce que le commis avait épousé à la fois la demoiselle et le commerce. Même aventure pour Badier, employé à la pâtisserie Constant. Et puis, comme sa mère, la belle Mademoiselle Badier épousa l'employé, et ce fut la pâtisserie Blanchot.
Quelques anecdotes
Jadis, M. Haricot tenait une épicerie au Pré-Saint-Gervais. Or, vers 1930, M. Olive était épicier 168, rue de Paris (à l'époque, Labranche était menuisier rue de Paris).
Tous les épiciers se livraient à une vive émulation pour vendre des cafés qu'ils torréfiaient eux-mêmes. Ainsi de Ponroy, Bonabeaux ou encore Louis Dumont, qui se vantait d'offrir les meilleurs cafés de la région (nous le retrouverons plus loin). Les confitures étaient préparées sur place, comme à « la Confiturerie », 163, rue de Paris, ou chez
Mme veuve Labourg. Quelques magasins préfiguraient presque, par leurs vastes proportions, les « grandes surfaces » d'aujourd'hui. Sur le trottoir et dans la boutique étaient alignés d'énormes sacs de légumes secs, de riz, de pâtes vendus en vrac. A l'intérieur, on trouvait de tout : des épices, de l'huile, du vinaigre, du café, du chocolat, des vins fins, des bonbons dans de grands bocaux. Je veux surtout parler de l'épicerie Cherbonnier, ou Charbomiier, 62, rue de Paris, et de l'établissement Ponroy au numéro 82, « où les poules caquetaient dans d'immenses cages grillagées ». Le magasin Cherbonnier, repris par Eugène Debray en 1923, occupe, à cette date, le patron, les deux fils et trois commis (la maison fermera en 1955). Charles Ponroy employait une douzaine de commis.
«Né en 1862, il avait commencé à travailler à dix ans, sachant tout juste lire, écrire... mais aussi très bien compter, sans que son réalisme l'empêchât, plus tard, d'apprécier Mozart, les meubles Louis XVI, les sculptures de Barye ou les pâtes de verre de Gallé. « Monté » à Paris, il est d'abord commis épicier. Il achète ensuite un petit fonds de commerce, le vend, en achète un plus grand et se fixe enfin aux Lilas en 1894. Il commandait à Menier des plaques de chocolat qu'il revendait sous son nom moins cher que dans l'emballage d'origine. Il prenait quelques échantillons de riz, les cuisinait, les appréciait. Le premier commis participait au choix. Après avis favorable des deux goûteurs, on commandait en quantité. » Quelle grande épicerie, aujourd'hui, peut se flatter des services d'un « taste-riz » ? Le fonds est vendu à la famille Janny en 1908 (Magasin Portal ensuite... et fleuriste actuellement).
Les deux concurrents Debray et Jamiy avaient une telle réputation que je les confondais avec Julien Damoy et Félix Potin lorsque j'étais enfant.
Des boutiques de jouets et de friandises étaient aménagées non loin des écoles. Ainsi du petit magasin, juste en face du Christ de bronze. Ainsi de la minuscule boutique de la « mère Jules », avenue Waldeck-Rousseau (roudoudous, rouleaux de réglisse et, plus tard, chewing-gum, ou « samsam ballon » en argot de l'époque). Bien que plus éloigné des écoles, le plus apprécié de ces établissements était « Le Petit Bénéfice », tenu autrefois par Mme veuve Chausset, tante du futur conseiller Raymond Édeline. Chez la « mère Béné », on achetait du coco, des roudoudous à dix centimes, des « acidulés », des caramels — deux pour cinq centimes en 1925. Un appareil permettait de gagner quelques bonbons gratuits. De mon temps, un petit persomiage imberbe en blouse noire avait succédé à Mme Chausset. M. Pichot est resté très longtemps au 138, rue de Paris sans jamais vieillir.
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Activités en régression ou complètement disparues
L'énumération de toutes les boutiques existant entre 1930 et 1960 nécessiterait à elle seule un chapitre entier, ou presque. La commune vécut ensuite une certaine régression du petit commerce, avec l'apparition des magasins dits « à grande surface ». On dénombrait 76 épiceries en 1930. Elles sont une vingtaine aujourd'hui, y compris ces fameux magasins. On comptait 21 boucheries et il n'en reste qu'une douzaine, dont deux de type « grande surface ». Les charcuteries sont moins nombreuses et les graineteries ont disparu. Avant la mise en oeuvre de la ZAC des Bruyères, le quartier perdit plusieurs artisans et commerçants, dont deux cafés, une épicerie buvette, une boulangerie, une pâtisserie, une charcuterie, une boucherie chevaline, deux boucheries (dont la boucherie Lemaignan, au coin de la rue des Bruyères). Cependant, beaucoup de ces magasins furent reconstitués après l'achèvement des immeubles. Et c'est ainsi qu'on dénombre encore aux Lilas, en 1990, plus de 60 commerces alimentaires dits « de proximité » (sans compter trois supermarchés et les douze boulangeries comptabilisées dans les P.M.E.).
Bien avant la conception de cette ZAC des Bruyères, les chais Houdart avaient disparu. La sellerie-bourrellerie Tizamboine au 56, avait fermé, elle aussi, et ce fut le tour de « la Grande Grille », ou quincaillerie Stebbé (numéros 44-46). Le salon de coiffure fut transféré non loin de la rue de Paris et l'horloger Chalendar se retira en Seine-et-Marne. En face, les cycles Gabeloux voisinaient autrefois avec les disques Dombret. (Il y avait un numéro 79, où se trouvait un café, appelé La Rotonde.)
En 1990, on remarque 140 commerces non alimentaires. Mais quincailliers et marchands de couleurs et vernis ont régressé. De trois en 1930 et 1960, les matelassiers sont passés à un seul, puis à zéro en 1988. Six en 1930, les brocanteurs ont, aujourd'hui, tous disparu.
Stationnées jadis rue de la République, les voitures des quatre saisons ont occupé ensuite le coin du boulevard. Ainsi, de la voiture de la veuve Boudin, véritable Madame Angot lilasienne, ainsi de celle du poissonnier Paulus, « qui proposait un sou aux gamins pour pousser son véhicule du bas de la rue de Belleville aux Lilas ». En ce temps-là, la complainte des chiffonniers, juchés sur leur carriole à âne, répondait au chant du vitrier et au cri du bougnat tirant sa voiture à bras. La cardeuse de laine allait selon la demande, et l'on réparait les matelas en plein air, devant la maison du client.
Les jours de marché, le « repasseur de couteaux-ciseaux » agitait sa clochette près du tondeur de chiens, de l'étameur, du raccommodeur de faïence et de porcelaine. Le vendeur de cresson surgissait à grandes enjambées : « Cresson d'fontaine, pour la santé du corps ! », tandis qu'un autre parcourait la rue de Paris en criant : « Du mouron pour les p'tits oiseaux ! » Périodiquement, on entendait les lamentations de pauvres cochons tout nus, qu'on tirait de force, dans la cour du charcutier Rozier (143, rue de Paris).
Parmi nos premiers charbonniers, on peut citer Gost, rue de la République, et Jean Gasq, qui occupait, au coin de l'avenue du Rond-Point, la maison qu'avait louée Paul de Kock en 1832. Puis Jean Artur, passage Griselin (1870), Henri Cafournel, Pierre Guiral, Élie Usanaz... Commis chez son
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oncle Artur, Garnier épouse la fille Guiral et fonde son propre dépôt, passage de la Mairie. Après 1900, apparaissent Delmas, Buchon, à qui succédera son gendre Juilhes La plupart sont des occitans et presque tous, comme Aybaly ou Chassang, tiennent des épiceries-buvettes. On compte environ seize charbomiiers en 1930. Sauviat tient le tabac, 19, me du Tapis-Vert ; Garin est au 121, avenue Pasteur. En 1950, ils ne sont qu'une douzaine En 1988, cette antique corporation ne compte plus que deux représentants, livrant plutôt du gaz et du mazout.
Quelques corporations s'éteignirent faute de clients. Le premier maréchal-ferrant fut Charles Petitdidier, rue Lecouteux (1857). Dix ans après, on note la présence de trois selliers et d'un carrossier. A la fin du siècle, le charron Combat, me Weymiller, était conseiller municipal. En 1900, Balblanc ferrait avenue Faidherbe et Pavé, rue du Pré, était à la fois maréchal et charron. Trois autres charrons opéraient me de Pantin, rue Esther Cuvier et rue du 14 Juillet. Le conseiller municipal Maillard, taillandier et marchand de charbons, était surtout maréchal-ferrant. Vers 1920-1930, il est concurrencé par Renard, rue des Écoles. Il y avait alors trois charrons. Deux des leurs allaient bientôt se convertir à la carrosserie automobile (Le Guide Bijou, 1932).
Autrefois, on achetait le lait frais à des « laitiers » ou « nourrisseurs ». Le plus ancien nourrisseur comiu fut Gille, qui hébergeait ses vaches « avenue » Bernard après 1850. Il tenait aussi une épicerie-buvette sur la « route » de Paris. La dernière « ferme » aux Lilas disparaitra un siècle plus tard...
Chez Jean Artur, les vaches voisinaient avec le charbon. De 1880 à 1904 au moins, Joseph Chrétien Guépard a exploité une écurie, une étable et une porcherie au 19, rue Bernard. Rappelons qu'à cette époque, une bergerie existait 33, me des Bruyères. En 1882, François Serre est laitier 29, rue du 14 Juillet et, huit ans plus tard, on mentiomie les noms de Chausy et de Rey, domiciliés l'un en face de l'autre, me du Pré Saint-Gervais. A côté de chez Guépard, au 12, place du Rond-Point, Volpelier a créé la « Ferme de Verneuil », mais il décède en 1893. Monteil installe sa laiterie de l'autre côté de la rue du Tapis-Vert avant la fin du siècle.
En 1908, le Bottin indique sept nourrisseurs, dont Magne à la Ferme de Verneuil, Marion, rue du Garde-Chasse, la veuve Serre, me du 14 Juillet, Rey, 9, rue du Pré — auquel succède Dusaillant et Trébuchon, 11, me de Pantin... Depuis quatre ans, Bomiet a pris la suite de Monteil à l'angle Garde-Chasse — Tapis-Vert. Tout en vendant du charbon, le limonadier Delmas soigne ses vaches au 23, rue de Romainville. Ajoutons que le transporteur Boquill on possédait, outre des chevaux, quelques vaches et des brebis. Les nourrisseurs achetaient l'herbe du glacis à l'autorité militaire et venaient ensuite la faucher... Mais l'établissement de la veuve Serre était réputé, parmi quelques autres, parce que « ses pensionnaires passaient plus de mois en plein air que dans l'étable ». Quant au troupeau de Trébuchon, il paissait dans un terrain vague derrière la gendarmerie. Le lait figurait parmi les lots des fêtes de quartier. Après avoir concouru dans un secteur, les gamins couraient ailleurs. Si bien que l'un d'entre eux (M. Sibille), avant 1914, gagna six litres de lait en une seule journée.
Un peu plus tard, Delmas est rue du Château et Pochard, qui tenait une épicerie-buvette me Lecouteux, remplace Marion. La veuve Serre a confié son exploitation au fermier Alouze. Vers 1930, un homme entretenait une quarantaine de chèvres au Pré Saint-Gervais. Il poussait son troupeau dans nos rues au son d'un harmonica et vendait lait et fromages. Ses chèvres paissaient sur le glacis. Plus tard, on verra, dans l'avenue Pasteur, un marchand de fromages frais — de vache — criant derrière sa petite poussette : « Ala crèm' fro ma... gealacrèm ! ».
Attardons-nous un moment chez les deux derniers nourrisseurs des Lilas, les Bonnet et M. et Mme Duval — qui succéderont à Alouze en 1946. La famille Bomiet soignait des poules, des cochons, des chevaux et une trentaine de vaches.
«Les cochons se régalaient avec les eaux grasses de la caserne de pompiers de Ménilmontant. Pour les vaches, on achetait la luzerne sur pied au fort de Noisy. S'y ajoutaient la « drèche » déchet de l'orge fermentée de la bière Karcher, et la « recoupette », son et farine des Biscuits Belin, de Bagnolet. Pendant la Guerre de 1914-1918, on livra du lait à l'hôpital militaire auxiliaire de Pantin, que dirigeait Mme Vemhes, l'épouse du liquoriste bien connu dans notre contrée. Les vaches émigrèrent sur l'herbe de Noisy, un commis les surveillant à bord d'une roulotte. »
Dès l'âge de quinze ans, la demoiselle Bomiet faisait ses tournées dans sa petite carriole, de 7 heures à 10 heures et demie, tous les jours même le dimanche. Elle appelait les clients au moyen d'un petit sifflet.
« Chaque matin, le lait était livré au Café de la Mairie dès 5 heures 30. Le dimanche, traite à 16 heures pour les promeneurs du Fort. Le bol coûtait un sou. Après 1928, le magasin du Rond-Point fut cédé à l'épicier Bourrassin (agence d'assurances actuellement). Quant à la laiterie, elle fut exploitée quelques années par des Bretons. On vendait le lait dans la petite boutique de la rue du Garde-Chasse, puis le charbonnier Albisson reprit boutique et dépendances. » « Les vaches eurent beaucoup de difficulté pour grimper sur le camion affecté à leur dernier voyage car les sabots, dans l'étable, avaient tellement poussé qu'on pouvait confondre ces dames avec des chevaux à bascule. Il fallut les pousser et les hisser sur le plateau... à leurs "cors' défendant. » (Mme Guitton, née Valette)
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La laiterie Serre allait survivre plus d'un quart de siècle à l'établissement Bonnet. Pendant la Guerre de 1939-1945, elle ne souffrit pas de l'effet du bombardement d'avril 1944, pourtant extrêmement proche. Les voisins furent heureux alors de bénéficier d'un bol de lait sans l'échanger contre un ticket. Le cheptel ne comprenait plus que douze pensionnaires après la guerre. M. et Mme Duval portèrent l'effectif à la trentaine. A la fermeture, il comptera quinze vaches. C'est seulement en 1962 que disparaitra la ferme Duval !
Il y avait aussi des boeufs. Mais ils étaient de passage. Jusqu'à la veille de la dernière guerre, on voyait, sur le boulevard de la Liberté, chaque semaine, des troupeaux qui venaient de l'est, après un très long voyage à pied. Le cortège s'arrêtait parfois au coin de la Cité Jardins. Armés de leur bâton, les bouviers en longue blouse pénétraient chez Terrier, au numéro 107 (55, bd du Général Leclerc), pour s'y désaltérer. Ensuite, la troupe reprenait sa marche vers les abattoirs de La Villette (mêmes migrations hebdomadaires sur le boulevard Mortier, à une époque légèrement antérieure. Le bétail était mené par des bouviers à cheval. Ces messieurs s'arrêtaient Porte de Ménilmontant pour « boire un coup ». Ils proposaient aux gamins de la rue de Noisy quelques sous pour conduire les boeufs à leur place jusqu'à la Porte des Lilas et au-delà ; puis ils rattrapaient aisément le troupeau). Il y eut même un phoque après la dernière guerre, qui a séjourné quelque temps à la poissomierie Blot (nous sommes à deux pas de la mer, comme il est dit plus loin).
NOTES_____________________________________________________________________________________
1. « Il ne faut pas confondre cette drèche de brasserie, très nourrissante, avec les drèches liquides, résidus de la distillation des alcools de grains. Ces dernières entraînaient des troubles intestinaux non seulement chez les vaches, mais aussi chez les jeunes consommateurs de lait dréché (lait souvent contaminé par le bacille de Koch). Aux Lilas, point de risques et d'autant plus que la chèche était complétée par l'herbe des champs (voir aussi «La Santé des Lilasiens jadis et naguère »).
Activités Industrielles
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teeéduits par le coût raisomiable des terrains et des baux, la patente moins élevée et les droits beaucoup plus faibles que ceux de l'octroi parisien, marchands et fabricants entreprirent la conquête du « Bois » en même temps que la population ouvrière. C'est alors que le maire de Romainville, Émile Genevoix, adjure les paysans d'entrer dans l'ère nouvelle, dont « le grand maitre est la vapeur » (1867) :
Villageois, allumez dans l'âtre
Les sarments de vos groseilliers ;
Votre marbre à vous est du plâtre.
Laissez bâtir les ateliers.
(in Gabriel Husson, o.c.)
Cette classe moyemie anime les oeuvres sociales, et finance, en grande partie, les fêtes populaires. Tout naturellement, elle représentera le peuple au Conseil municipal. En 1876, alors qu'il y a près de 4 500 Lilasiens, les édiles en souhaiteront 7 000... Ils n'ont jamais craint de l'avouer et même de le proclamer, le désir d'attirer de nouveaux producteurs, distributeurs et consommateurs fut la raison essentielle de l'institution de fêtes publiques d'une ampleur considérable « qui font comiaitre Les Lilas aux alentours » (D. C .M.). Ainsi les généreux « mécènes » n'étaient-ils pas entièrement désintéressés !
Les industries de 1860 à 1880
En 1870, Bomiard est un des derniers plâtriers de la commune et Darniat sera le seul à déclarer, dix ans plus tard, une glaisière et une briqueterie. Quant aux multiples « sablomiières », elles ne constitueront qu'un complément aux affaires de nos entrepreneurs. Il faut donc chercher ailleurs les moteurs de notre développement économique.
Les précurseurs de l'industrialisation du pays sont le mégissier Guérin-Delaroche et Louis Salve Alexandre Patrelle. Patrelle (1821-1877) était charcutier place de Clichy lorsqu'il inventa l'« arôme qui porta son nom. Quatorze ans avant la fondation des Lilas, il habite une belle résidence 21, avenue du Rond-Point, qui domie aussi sur le Rond-Point et l'avenue du Garde-Chasse. Un peu plus loin dans Romainville, ses employés préparent les pastilles d'oignons brûlés et l'« Arôme des Potages, extrait liquide d'oignons brûlés et de racines potagères ». Ayant épousé Marie Gauthier, issue d'une famille de maitres savomiiers (1830-1881), le « chimiste manufacturier » adjoindra à ces deux produits, quelques années avant 1870, le « Panama Patrelle », pâte détachante au bois de Panama naturel. Longtemps, la maison Patrelle commercialisera un fameux « Savon des Brières », dont la qualité sera due, peut-être, aux talents conjugués des Patrelle et des Gauthier.
Louis Salve Patrelle et Marie Gauthier eurent deux fils, Marie et André. Né en 1856, Marie décédera en 1925, dix ans après son propre fils.
L'usine fut transférée du bourg de Romainville au 30, rue du Garde-Chasse en 1889, douze ans après la mort du patriarche. Les Patrelle continuaient d'habiter l'avenue du Rond-Point. Mais André fit bâtir une belle villa, 6, avenue Paul de Kock, « en 1897, à l'emplacement de la maison de Paul de Kock » (inscription gravée tout en haut du bâtiment). Plus tard, les futurs propriétaires découvriront dans la cave toute une installation utile à l'expérimentation des savons. André dirigera seul l'entreprise après la mort de son frère. Né en 1865, il décédera en 1954. C'est le plus connu de la dynastie, ne serait-ce qu'à cause de son action sociale. André Patrelle avait deux fils, Louis (1891-1947) et Maurice (1895-1982) et une fille, Suzanne (1893-1988). Maurice dirige l'entreprise jusqu'en 1964. La maison Patrelle a vécu chez nous cent onze ans au moins.
En 1860, Martin a commencé de fabriquer du noir de fumée 23, rue des Toumelles. Il livre sa production chez Poulenc, dans le Marais. Avant 1867, Kelsen, « élève en pharmacie », fonde, avec le pharmacien Amal, une fabrique d'eau gazeuse, 102, rue de Paris. Et l'on note, un peu après, la présence d'une usine de « colle à clarifier » 18, avenue du Rond-Point. En 1867, on mentionne la verrerie du Coq français, instituée par Claude Morlot, âgé de vingt-cinq ans, et la porcelainerie Choisel et Mauvoisin, 13, rue des Toumelles. Comme beaucoup de patrons autrefois (Rozière, Péan, Patrelle, plus tard Hemmen, etc.), Pierre Choisel réside à côté de l'usine ; mais Abel
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Mauvoisin demeure rue des Sablons (rue de Romainville).
Toujours en 1867, on remarque un assez grand nombre de fabricants d'articles de Paris. Barthiet est bijoutier-chainiste, Mme Cordomiier et son fils dirigent un atelier de bijouterie 22, rue des Sablons, Dupuis fabrique des peignes au numéro 16, Stanislas Orbet en fabrique aussi, 7, rue Weymiller. Dans cette rue, au numéro 12, Périer confectiomie des boutons, comme Léon Godret rue de la Nouvelle Commune et rue des Collebardes. Plus tard, les Godret deviendront nickeleurs. Jules Buzelin est établi mécanicien (63, rue de Paris) bien avant 1867 - comme Dignon, dont le fils sera secrétaire de mairie en 1889. A la création de la commune, Auguste Pasquier est ferblantier impasse des Sablons. Louis Painçon y est fondeur de cuivre au numéro 4, alors qu'Eugène Friloux est monteur en cuivre.
En 1872, les établissements lilasiens les plus importants occupent ensemble 125 adultes et neuf préadolescents « tous dépourvus du certificat d'école ». Ils utilisent une force de 28 chevaux vapeur à eux seuls (à la même date, on recense 426 chevaux vapeur à Pantin, mais seulement deux au Pré Saint-Gervais, six à Bagnolet et douze à Romainville). Ces quatre établissements sont les suivants :
· Guérin-Delaroche, 4, rue du Coq français.
Cuirs vernis 6 chevaux vapeur - 61 adultes et 1 préadolescent.
· Mariel-Lambert, 18, rue des Toumelles.
Cuirs vernis 6 chevaux vapeur - 20 adultes et 4 préadolescents.
· Charles Rozière, 1, rue de Bagnolet.
Pastilles d'oignons. 10 chevaux vapeur - 30 adultes et 1 préadolescent.
· Villiard, 2, rue des Tournelles.
Caoutchouc. 6 chevaux vapeur. 14 adultes et 3 préadolescents 2.
Rozière concurrence Patrelle depuis 1868. Précisons que la liste ne concerne que les « manufactures employant plus de vingt ouvriers ou équipées de moteurs mécaniques ou à feu continu ». En 1871, Claisse et Delmotte possèdent une « fabrique », mais de quoi ? En dehors de celle de Rozière, les plus grosses entreprises sont les mégisseries, les verreries ou porcelaineries et les usines traitant le caoutchouc. Dès 1871, vont s'ajouter aux établissements Villiard les caoutchoucs Pinet, 21, rue des Tournelles, les caoutchoucs Péan, rue du Tapis-Vert, les caoutchoucs Marcassin, rue du Centre, et, un peu plus tard, les caoutchoucs Panthomiier, rue de l'Avenir. Oui, contrairement à ce qu'on pourrait croire, Jules Marcassin avait préféré le caoutchouc au cuir. Très peu de temps après la défaite, Goeury crée la seconde verrerie des Lilas, rue du Tapis-Vert. Pour l'instant, aucune entreprise n'emploie cent salariés, beaucoup s'en faut.
L'industrialisation après 1880
L'industrialisation s'accélère dans les vingt dernières années du siècle. En 1881, tandis que Paul Hemmen fonde sa fabrique de celluloïd, 45, rue de Bagnolet, on compte au moins vingt-cinq industriels aux Lilas, dont dix-sept occupent des préadolescents de douze à quinze ans 2. Deux établissements traitent le bois. Les usines de caoutchouc se multiplient et l'on relève toujours la présence de deux verreries. La verrerie Morlot est dirigée par Boirre (60 ouvriers en 1888), puis par Boirre fils, Schaeffer et Hemié (20 ouvriers, puis 28 en 1908)'.
C'est en 1881 que Patrelle et Rozière se trouvent concurrencés, dans la fabrication des pastilles d'oignons, par Victor Hippolyte Delepoulle, 2 et 4, avenue du Château et 12, rue de Pantin (produits alimentaires, conserves, condiments, vinaigre...). Jean-Jacques Defresne succède à Victor Delepoulle en 1884, mais il décèdera en octobre 1891 et sa veuve exploitera la manufacture, aidée par leur fils Victor.
Nos productions étaient bien connues à l'extérieur. En 1880, dans son roman En ménage, J.K. Huysmans évoque « une petite bouteille noire avec cette étiquette » : « L'arôme des potages, manufacture d'oignons brillés à Romainville ». Il s'agissait d'un produit Patrelle. En 1897, Courteline fait allusion aux «pastilles Rozière » dans la scène El de La voiture versée. Les oignons cuisaient dans de grandes cuves. Une fois cuite, la pâte destinée à la confection des pastilles passait dans un laminoir. Opération dangereuse, puisqu'un ouvrier de Rozière y trouva la mort en 1899. Cette pâte était ensuite découpée au moyen de couteaux spéciaux.
En 1880-1884, on remarque des ornemanistes (staffeurs), des passementiers, des fabricants d'articles de Paris, comme Bertet et Faisnel, chaînistes, Dieutegard, tabletier, Duc, fabricant de camies ; mais aussi des mécaniciens, comme Houssemaine, Droz ou Kiihn. Le fondeur Claude Kromier rejoint Friloux et Painçon dans le travail du cuivre. Alors, plus d'une douzaine d'artisans ont déclaré une machine à vapeur, dont Decoster, Dieutegard, Oscar Rosenwald (étuves) et Gillon (étuves). G-ilion fabrique des boutons, comme Rosenwald et ses fils, Émile et Edmond.
En 1889-90, tandis que Patrelle transfère son usine de Romainville aux Lilas, Justine Dubois exploite une « fabrique » ( ?). Le monteur en bronze Louis Acquitaine est conseiller municipal, puis secrétaire du Bureau de Bienfaisance. Biard, graveur sur cuivre, travaille au 173, rue de Paris et Mme Schouzen, au 199, est facteur d'orgues et de pianos. Alors, La Neuville compose des « théâtres pour enfants ».
En 1886, à une demande du préfet concernant les cultivateurs, le Conseil municipal a répondu que « La population des Lilas est essentiellement industrielle ». Affirmation répétée deux ans plus tard,
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comme il est dit à la page 78, et réitérée en 1891 : « La commune est éminemment industrielle »... En 1911, nos échevins pourront s'écrier en choeur : « Le commerce et l'industrie occupent une place prépondérante aux Lilas. »
Les ateliers les plus excentriques se bâtissent en pleine nature. Ainsi, derrière la fabrique de pianos de Mme Schouzen, se pressent des arbres et des fourrés. Devant la porte est entreposé du bois. Lorsque Guiral vient livrer du charbon, une multitude de lapins sauvages se réfugient sous les planches. Il suffit au charbonnier de disposer un sac derrière lesdites planches pour capturer plusieurs lapins.
Les industries prolifèrent partout. Rappelons toutefois que c'est bien le quartier des Bruyères qui fut industrialisé le premier. Qu'on en juge par ce relevé des activités de 1870 à 1900: Martin, qui avait été l'un des plus imposés, n'occupait qu'un seul salarié (maison fermée en 1906). Il n'en était pas de même de ses voisins. Excepté l'entreprise plus rurale de Louis Bonneau, « maître de bergerie et placier — ou commissionnaire — en moutons », qui succède, après 1874, à Alexandre Witz aux 31-33, rue des Bruyères, on constate la présence des établissements Villiard (25 ouvriers en 1890), Mariel-Lambert, Pinet et Choisel et Mauvoisin. En 1881-83, les porcelainiers vendent leur usine à Nestlé et Hunstmann. Quatre ans avant 1900, Villiard, en difficulté, cède son affaire aux frères Kalker. En 1902, l'entreprise Petitcollin s'implantera au numéro 38 pour y traiter le celluloïd (quelques années après, juste en face, sera fondée l'usine de textiles Ohresser, à la place de la bergerie Bonneau).
Des patrons pleins de ressources
Bien entendu, si l'on voulait « réussir », il fallait parfois se livrer à des activités parallèles. Ainsi de Rosière. Tout en continuant la production des pastilles d'oignons, il se met à fabriquer du savon détachant 4. Il possède des sablières, des jardins maraîchers... et monte un instant une verrerie (1871). En 1880, le maître caoutchoutier Joseph Gabriel Villiard exploite un abattoir. La fabrique de porcelaine de Nestlé et Hunstmann est flanquée d'un atelier d'émaillage. Quoi de plus cohérent ? Mais les deux associés se déclarent aussi « marchands de porcelaine et... négociants en vins en Angleterre et aux Lilas » ! A fortiori les plus petits tiennent-ils plusieurs fers au feu. D'abord entrepreneur de maçonnerie (1867), Antoine Valentin Decros est ensuite marbrier funéraire rue des Champs Saint-Germain, où il entretient une forge. Il sera plus tard conservateur du cimetière tout en restant marbrier. En 1869, Chanudet tient une épicerie buvette mais il a aussi un atelier et une sablière. Victor Annay exploite un entrepôt de bière et des sablières (1881). Puis il se lance, huit ans plus tard, dans l'exportation des cochons en Amérique. Hélas, ses infortunés voyageurs sont décimés et bien davantage par la trichinose ! Il revient pour s'occuper de ses sablières et se laisse tenter par la verrerie (1899). Tous les Lilasiens n'exploitaient pas une sablière. Plus tard, les pharmaciens Bobillet préfèreront les revenus plus substantiels d'un cinéma parisien. Le transporteur Bocquillon assurera un moment l'enlèvement des boues et des ordures. Comme plusieurs de ses confrères, il vendra ensuite de la sciure de bois. Quelques anciens sabliers en feront autant (Stôffel par exemple).
La plupart de ces petits patrons s'étaient « faits eux-mêmes ». Ainsi Paul Hemmen (1861-1955) qui, né en Lorraine, quitte son village natal pour échapper à l'occupation allemande. Simple tourneur sur bois à Paris, il suit les cours du soir au Conservatoire des Arts et Métiers, puis achète un terrain aux Lilas pour y construire une fabrique d'objets en celluloïd. N'ayant aucune fortune, il connaît des débuts difficiles. Il se spécialise dans les poignées de vélo et les poignées de parapluie. Avant 1914, il ance le « diabolo ». La maison compte alors une cinquantaine d'employés. Entre les deux guerres, la poignée de parapluie dite « le sarcophage de Toutankhamon » fera le tour du monde...
Mêmes débuts très modestes pour le directeur de Kalker. Jules Blusset était né en 1863. Simple ouvrier, il fit la connaissance du caoutchouc en 1881, puis il entra chez Villiard. Il devint directeur de l'entreprise en 1897, un an après qu'Édouard et Samuel Kalker l'eurent achetée. Précisons que ses deux successeurs, Jean Schmitt, puis son fils Raymond, seront beaucoup plus diplômés. Blusset avait présidé le Conseil paroissial. Les Schmitt prendront là encore sa succession. Ils dirigeront aussi la section locale de la Mutuelle du Caoutchouc.
Les patrons, leurs employés et le paternalisme
On a vu que certains sont allés beaucoup plus loin que la simple aumône. Mais on peut rappeler, à travers le témoignage des employés, quelques initiatives qui surprennent aujourd'hui — mais qui palliaient quelque peu l'absence presque complète de législation sociale.
Les Patrelle avaient femme de chambre, cuisinier et chauffeur de maître. Alphonse Vandenheede est resté cinquante-quatre ans employé chez Patrelle. Premier cocher de maître puis premier chauffeur, il habitait un petit pavillon 36, rue du Tapis-Vert, qui appartenait aux patrons. Eau, gaz, puis électricité lui furent fournis gratuitement. Le testament de Marie Patrelle stipulait que Vandenheede ne serait jamais renvoyé, qu'il percevrait une petite retraite et que le pavillon serait repris seulement après le décès de l'occupant.
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Mme Siblet, née Annay, fabriquait des poupées à domicile, mais elle était aussi couturière à la journée chez Rozière. Charles Louis Marie Rozière tutoyait ses ouvriers avec une rudesse familière. Comme tous les petits patrons de l'époque, il connaissait parfaitement les familles des employés et son épouse visitait les plus démunies. Avec une affectation bourgeoise, Marguerite, ancienne institutrice, ne tutoyait aucun des enfants du personnel, fussent-ils tout petits. Aux écoliers nécessiteux, elle offrait des études primaires de ses propres deniers et c'est ainsi qu'elle envoya la petite demoiselle Siblet, en 1900, à l'école des Soeurs de Portieux, ne voulant pas songer que l'école publique eût été, d'elle-même, gratuite. Charles Rozière organisait des sorties dominicales pour ses ouvriers, en chars à bancs. En septembre, il les conviait au pèlerinage de Notre-Dame des Anges, occasion d'un pique-nique « familial » avec le patron. Pour la circonstance, le plateau du char était surmonté d'une énorme marmite coiffée d'un couvercle et frappée du nom de l'entreprise, dans laquelle s'engouffraient les familles. La publicité ne perdait pas ses droits (et le paternalisme, ici, semble quelque peu orienté) ! A Rozière, succéderont son beau-frère Georges Dubos, puis son neveu Jean. Alors, pour le chauffeur de maître, même traitement que pour Vandenheede chez Patrelle. Lyver bénéficiait gratuitement du logement, dans une maisonnette de briques rouges. Elle existe encore, au 182, rue de Paris. « Chaque employée, après 1920, recevait deux francs de "prime" pour s'offrir le cinéma le samedi soir. On n'osait pas renvoyer les plus anciennes, dont certaines avaient plus de soixante-dix ans. Chaque semaine, on leur donnait un franc pour s'acheter un gâteau le dimanche. »
Joseph Villiard fabriquait des tuyaux et des jouets en caoutchouc moulé. En 1896, Édouard et Samuel Kalker achètent l'entreprise - au moment où l'ouvrier Maussire met au point un nouveau gadget, la « poire éolienne pour corne avertisseur ». Édouard et Samuel intensifient la production d'ébonite et de stabonite s et commercialisent la trompe pour automobiles. Chez Kalker, on gardait toujours la place d'un ouvrier malade, l'absence fût-elle longue. Pendant la Grande Guerre, le directeur Blusset réserva un petit pécule pour ses salariés sous les drapeaux, qui retrouvèrent tous leur emploi à l'armistice. Entre les deux guerres, alors qu'aucune réglementation ne l'y obligeait, le fils d'Édouard, André, fut un des « inventeurs » de la médecine du travail. Il y avait une infirmerie dans l'usine et le personnel y subissait les examens périodiques d'un médecin attaché à l'établissement. On était déjà loin du paternalisme de naguère !...
Si l'atmosphère était presque familiale dans nos usines, elle l'était tout à fait dans les petites entreprises. Interrogé en 1985 par un journaliste, l'octogénaire Charbonneau précise : « J'étais apprenti puis compagnon couvreur chez le plombier Diot. Comment voulez-vous qu'on se soit révolté ? Matin et soir, je mangeais à la table du patron, entre sa femme et lui. J'étais considéré comme le fils de la famille ».
Produits alimentaires, produits chimiques et médicaments après 1900
En 1905, Collot succède à Kelsen pour la fabrication de l'eau de Seltz et Bigot fonde une fabrique de crème instantanée, avenue Pasteur. Un confiseur en gros est installé rue du Tapis-Vert et l'on relève, dans le Bottin de 1908, le nom d'une entreprise de produits alimentaires sise 42, rue des Bruyères. Toujours les deux fabricants d'élixirs pour potages, Patrelle et Rozière. En 1907, le troisième, Victor Defresne (Pancréatine, Peptone Defresne et Bouillon Defresne) a vendu l'ancienne usine Delepoulle, l'écurie et une maison rue du Garde-Chasse à Paul Macquaire (laboratoires et magasin de produits pharmaceutiques). La Villa Mariani, 199, rue de Paris, avait-elle appartenu à l'inventeur du vin de coca, ou sirop Mariani, avant la fin du siècle dernier ? C'est possible... Quoi qu'il en soit, les laboratoires Macquaire disparaissent en 1925, remplacés par la « Centrale vétérinaire » ou « Labo-Ferme » animée par le futur maire, M. Rabeyrolles (l'Union Chimique des Laboratoires Associés Français, ou « UCLAF », s'installera à Romainville trois ans plus tard. Gaston Roussel et ses collaborateurs y prélèveront, sur les juments gravides, un sérum riche en folliculine).
En 1931, on dénombre deux usines de pâtes, une fabrique de conserves, deux confiseries en gros et la coopérative des « Bonbons Jo-Ca », 87, rue de Paris. Plus tard, Persidès vendra des fruits secs en gros dans le dépôt acheté à Boussac, successeur d'Harsigny pour les voitures à bras. En cette année 1931, au Salon des Arts ménagers, les savons Patrelle défendent les couleurs lilasiennes entre la cafetière « Salam », du Pré Saint-Gervais, et la crème « Franco-russe », composée à la lisière de Romainville et des Lilas. L'Arôme est bien connu dans nos écoles grâce aux distributions de buvards publicitaires. L'usine Patrelle emploie à cette époque près d'une centaine de salariés. Mêmes distributions de buvards par l'entreprise Rozière, qui occupe une dizaine d'ouvrières à la fabrication du savon de Panama, une dizaine d'ouvriers pour préparer la Panamine et une quinzaine de salariés des deux sexes pour l'Arôme et les Pastilles. Celles-ci sont enveloppées et enfermées dans des boîtes de cinq
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kilos par des ouvrières travaillant chez elles. Mais, alors, les oignons caramélisés étaient déjà remplacés par du caramel de glucose. En 1930, la Crème Bigot disparait. En 1960, l'Indicateur Bijou mentiomiera une charcuterie en gros et une fabriques d'andouillettes... Quant à l'entreprise de M. Rabeyrolles, elle fermera en 1965.
Le caoutchouc et le verre au XXe siècle
Après la crise de 1885-1895, nouvel essor industriel. Les mégisseries disparaissent, mais les usines de caoutchouc prolifèrent. Dès 1896, Acquérir et Beugin ont fondé leur fabrique 17, rue de Bagnolet. Avant 1901, Pujalet procède à la vulcanisation 16, rue de Romainville. Au numéro 37, Porgès confectiomie gommes, élastiques et articles d'hygiène. Germain, 27, rue de Bagnolet, se spécialisera bientôt dans l'achat et la vente de déchets de caoutchouc. Des générations de gamins, dans nos rues, ont soufflé dans de « petits ballons » qui ne leur étaient pas particulièrement destinés. (Déjà en 1890, Péan avait été taxé de « fabricant de préservatifs » par le Journal de Saint-Denis.) Vers 1906, on mentiomie cinq usines de caoutchouc. De 1906 aux années trente, l'entreprise Boemare et Chantalou confectiomie bretelles, ceintures et jarretelles 15, rue de Bagnolet (40 ouvriers après
1918). Les successeurs de Pujalet, Arvriller et Roger, se livrent à la même activité.
En 1930, on compte plus de sept usines ou ateliers traitant le caoutchouc ou l'ébonite. L'entreprise Kalker occupait vingt salariés en 1900. En 1914-1918, on travaille pour la Défense nationale, notamment en fabriquant des masques à gaz (même production en 1939-40). L'usine emploie plus d'une centaine de persomies en 1918, dont un tiers de femmes et quelques jeunes gens.
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Édouard, puis son fils André, agrandissent et modernisent les ateliers, qui s'étendront du 2 au 16, rue des Bruyères. On emploie plus de 400 personnes ensuite, mais l'effectif se limitera à 300 après la dernière guerre.
En 1940, André Kallçer et Raymond Schmitt évacuent quelques machines dans le Lot. Le matériel réintègre l'usine des Lilas en 1942. Un quidam lui ayant indiqué une filière, André se réfugie à Marseille. Dénoncé puis transféré à Drancy, il est déporté en compagnie de sa femme et de deux de ses fils. Aucun ne reverra Les Lilas. Le troisième enfant, Alain, poursuivait ses études en Suisse. Aidé par son oncle Salomons, il reprendra l'affaire 11 sera nommé président-directeur général en 1951.
Vers 1950, on dénombrera sept spécialistes du caoutchouc. Mais Chantalou a disparu en 1934 et l'usine Kalker vit ses dernières amiées lilasiennes (du moins en ce qui concerne la fabrication). Vingt ans plus tard, on recensera seulement trois ateliers, puis deux en 1986.
En 1930, il y a sept ateliers traitant le verre, de tailles très diverses (Ricqlès, qui ferme quatre ans plus tard, la Société des Verreries artistiques avenue Pasteur, Dudet rue de La Rochefoucault, la verrerie du Tapis-Vert au n° 35, Vannier rue de la Convention, la Verrerie du Bois, passage des Panoramas, et Boucher rue des Bruyères). Puis la Verrerie Duflos, boulevard de la Liberté.
Voici comment fonctiomiait l'usine Ricqlès vers 1930 :
« Livré chaque jour, le charbon était pesé sur le pont-bascule et allait alimenter les quatre fours circulaires et l'« arche » - ou four à recuire. Ces fours restaient constamment allumés et continueraient d'être surveillés chaque dimanche de l'année par une petite équipe de garde après la promulgation de la loi sur le repos hebdomadaire. La verrerie produisait essentiellement des flacons, des abreuvoirs pour oiseaux et des « toupies », réservoirs de lampes à pétrole. Assis à côté du souffleur, l'aide cueillait le verre fondu dans un moule, qu'il refermait. Le verre était soufflé à la canne par l'ouvrier spécialisé, et coupé. Un second aide d'une quinzaine d'années, le « gamin », portait l'objet dans l'arche à recuire. Pendant ce temps, les bouchons de verre étaient coulés, puis travaillés dans l'atelier de bouchage à l'émeri, où le personnel était entièrement féminin. Emballée et emmagasinée, la verrerie quittait ensuite le magasin par la sortie de la rue des Écoles. »
En 1960, on ne comptera que trois ateliers, dont celui de Marcel Bertoni, petit-fils du cocher de Patrelle. A ces techniciens, il convient de joindre un spécialiste en ampoules pharmaceutiques... Le Guide Bijou de 1986 sera plus avare que ses prédécesseurs : aucune verrerie n'y sera signalée.
Les vêtements et la parure
Vers 1900, Joseph Fohr dirigeait une passementerie 16, rue des Champs Saint-Germain (18 et 20, rue de l'Égalité). En 1906, l'usine devient la fabrique de chaussures Dupont et compagnie. Un incendie ayant éclaté, on s'aperçut que « les tuyaux des pompiers étaient crevés ». On dut faire la chaîne avec des seaux, depuis le carrefour de la rue de Paris et, aussi, à partir de la fontaine de la rue... du Progrès ! A cette date, l'anciemie propriété du commissiomiaire en bestiaux Bomieau est vendue par Bourgeois à Jacques et Léon Ohresser, qui fondent l'usine du « Jerseylaine » (19, rue de Romainville). Une nouvelle passementerie va bientôt s'installer à l'angle Chassagnole-Noisy, l'entreprise Danzelle, où l'on fabriquera aussi des boutons. Comme les frères Rosenwald, Paul KiIhn produisait en 1900 boutons et cabochons de coroso au 19, rue de la République, alors qu'il avait été mécanicien rue du Garde-Chasse. Les Rosenwald ne se contentent pas des boutons. Ils fabriquent aussi des crêpons métalliques et des baleines de corsets, qualifiées de « baleines véritables de Norvège ».
En juin 1913, une violente explosion secoua la quiétude des Lilasiens. La catastrophe avait lieu dans l'usine Rosenwald. Par un bel après-midi, muni d'une lampe Pigeon, le contremaitre cherchait à localiser une fuite de gaz. Le gaz explosa, entrainant de gros dégâts matériels. Il n'y eut aucun blessé grave, mais les salariés furent réduits au chômage pendant quelque temps.
En 1908, un atelier de broderie est signalé rue Meissomiier. Au 159, rue de Paris, le miroitier et encadreur Combes répare les poupées et vend des cheveux (« travaux en cheveux avec démêlures, perruques à la main »). En 1930, on comptera au moins trois passementeries, trois brodeurs ; des fabricants de jours et de plissés, de galons, de gants, de parapluies, six artistes maroquiniers et un fabricant de sacs pour dames, cinq fourreurs, un fabricant de layette, quatre ateliers de tricot, deux fabriques de manteaux (dont Ohresser), six ateliers de confection pour dames, deux pour hommes et deux pour enfants, deux fabricants de tabliers, un culottier, trois bonneteries, trois corsetiers, dont le fils Fraissé, 151, rue de Paris, qui est aussi propriétaire d'un hôtel au n° 153. On remarque un cravatier, quatre fabricants de chaussures et deux fabricants de guêtres et un de leggins. L'entreprise Ohresser disparait après 1930, laissant la place aux Bonbons Jo-Ca, société elle-même remplacée par un dépôt de produits pharmaceutiques beaucoup plus tard (aujourd'hui, les bâtiments sont occupés par la blanchisserie industrielle de M. Coffre, ancien maitre de lavoir de la rue Henri-Barbusse).
En 1960, on signalera une bonneterie, quatre ateliers de tricot, un fourreur, un ou deux maroquiniers, une seule usine de chaussures, un couseur à façon, une manufacture de pantoufles et une fabrique de talons. La baisse est sensible. Quatre ateliers de soie teinte en 1930 et seulement un ou deux en 1960. L'Indicateur Bijou de 1960 note « une
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société industrielle de soie à coudre » au 57, avenue Pasteur, qui existe encore (Soieries Cuperly en 1930).
Il y avait deux fabriques d'imperméables en 1930. On n'en trouve qu'une seule trente ans plus tard. Mais on remarque un ou deux ateliers de confection.
Bijouterie, ivoire, corne, celluloïd, galalithe, articles de Paris et jouets
La bijouterie « en doré » demande les mêmes compétences que l'orfèvrerie et, pourtant, les bijoux fantaisie sont classés articles de Paris. Même voisinage et pareille distinction entre l'ivoire et d'autres matériaux plus communs, mais très proches pour certains usages. Les artistes qui ont ciselé l'ivoire avant 1914 ou 1930 se sont convertis ensuite (eux-mêmes ou leurs enfants) au façomiage de la corne, de l'ébonite, de la galalithe, etc., et, plus tard, à l'industrie des matières plastiques modernes.
Vers 1905-1910, on dénombre aux Lilas au moins trois « bijoutiers en doré » et deux chainistes. La sculpture de l'ivoire est la spécialité de Coiffier au numéro 116, rue de Paris. Sublime fabrique des boules de billard rue des Villegranges. Un concurrent s'est établi rue du Coq Français, mais la maison ferme en 1914. Les queues sont fabriquées par Albert Panigot, rue de Bagnolet. On mentiomie alors trois usines de celluloïd et de cicoïd, Hemmen, Petitcollin, et l'atelier Lharmerout, rue de l'Avenir. Petitcollin joint aux boutons les « baigneurs en cellulo » (75 ouvriers en 1908). Longtemps, les écolières du quartier des Bruyères seront embauchées, le jeudi, pour coudre des boutons moyennant un petit pourboire. Bolland fabrique des boutons de 1910 à 1932, passage de la Mairie. Il produit aussi des poignées de parapluie en corne, comme Hemmen, et Damoiseaux un peu plus tard. Quelques amiées après, Lharmerout préférera la galalithe au celluloïd (peignes).
En 1930, on compte deux ou trois ateliers d'orfèvrerie, deux usines de bijoux fantaisie, dont Danzelle, et une fabrique de bijouterie de deuil, Lacomme, 14, avenue Faidherbe (Lacomme produit aussi des boutons). Les enfants (ou les successeurs) de Pressager, orfèvres, ont alors quitté le pavillon jumeau du Commissariat de Police pour s'établir à Romainville, mais Guéné propose des « perles massives » rue de la République. On façomie des boutons rue du Centre, rue du Tapis-Vert et rue de l'Avenir (galalithe). Damoiseaux, sculpteur sur ivoire, boulevard de la Liberté, abandonne la matière précieuse pour les boutons et Julien Cafoumel fait aussi des boutons, mais en métal verni (25, rue des Bruyères).
Clerc cisèle des colliers d'ivoire ou de corne rue Chassagnole, tandis que Gobain y façonne des boules de billard. Même production de bijoux, et de boules (corne et ivoire) chez Baudry, 32, rue Cies Bruyères, et chez Lombard, avenue Pasteur. Le plus célèbre de ces créateurs était le conseiller municipal Fleury-Lourd, 47, rue de l'Avenir. Entre autres « mobiles » et combinaisons dignes d'un physicien alchimiste, l'ingénieux inventeur composa une matière mystérieuse qui allait remplacer l'ivoire. Il l'appela la « lucilithe », du nom de sa fille Lucile. Dans les expositions, l'innovation remporta un grand succès. Pour en démontrer l'incomparable solidité, Fleury-Lourd faisait subir à ses petites créatures d'effroyables sévices... sans qu'il subsiste aucun dommage. Le père de M. Brossard (petit-fils Recoules), mécanicien de précision, fabriquait des moules de cuivre pour les boules de Fleury-Lourd. Jamais il ne connut la formule magique.
L'Indicateur Bijou de 1932 indique seize fabriques d'objets en celluloïd, cicoïd et galalithe. Lharmerout a quitté la rue de l'Avenir pour le 135, rue de Romainville. Deux annonceurs se présentent comme spécialistes de l'article de Paris. Trois entreprises proposent des articles religieux. Au 69, boulevard de la Liberté (ancien terrain Rozière), Carimantrand joint aux articles de piété des bibelots pour fumeurs, des ongliers où se marient heureusement corne, galalithe, bois et miroiterie 6. Petitcollin fait des couromies mortuaires en celluloïd. Gnillot en fabrique en perles artificielles...
Toujours en 1932, il y a quatre fabricants de fermoirs pour sacs, une entreprise de verroterie, un gainier et un fabricant d'écrins, six spécialistes en jouets au moins. Pour les poupées, Petitcollin a un concurrent rue de Romainville et, bientôt, s'implantent deux ateliers de masques de poupées, Magnani rue des Bruyères et Lenfant (sic) 1, rue Meissonnier, dans l'ancienne chapelle (l'atelier sera remplacé par une fabrique de peinture cellulosique). On compte deux tabletiers et l'on doit ajouter, aux six ou sept ébénistes, un fabricant de lits de poupées.
En 1960 subsisteront un orfèvre rue Meissonnier, un fabricant de bijoux rue de Paris, deux magasins de bijoux fantaisie et d'articles de Paris, un spécialiste en perles massives rue du Château. Trois ateliers fabriquent encore des boutons, Neyès rue de la Prévoyance, Danzelle et Petitcollin... mais pour peu de temps. Il y a un fabricant de parapluies. Les boules de billard disparaissent. Les techniciens en celluloïd et galalithe se sont tous convertis dans les matières plastiques modernes. Ils sont huit en tout. Un artisan en « bourrage de couronnes » a remplacé les spécialistes en couronnes artificielles. Trois fabricants de jouets seulement se joignent aux deux artistes en masques de poupées.
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Puis les établissements Hemmen et Jacquemin abandonnent les matières plastiques pour les enseignes au néon, tout en s'expatriant.
Autres métiers d'art et activités diverses
En 1918, un luthier était établi rue de l'Avenir. Dix ans plus tard, un fabricant d'accessoires pour lutherie est domicilié rue des Écoles. A la même époque, Émile Marie, futur conseiller municipal, fabrique des cithares, rue des Villegranges, mais pour les enfants. L'Indicateur Bijou signalera, en 1960, un fabricant de flûtes.
Vers 1922, un carrossier de la Croix de l'Épinette compose sur commande des carrosseries hors série, « en particulier pour les autos de Messieurs Patrelle ». On trouve des « ornemanistes » et plusieurs sculpteurs... Deux ateliers de décors de théâtre vers 1930 — rue Chassagnole et rue du Tapis-Vert — un costumier rue Marcelle et plusieurs décorateurs sur verre.
Depuis longtemps, les peintres en lettres avaient succédé aux peintres sur porcelaine et Vatel maniait son pinceau au coin de la rue de l'Avenir et de la rue Meissonnier. Muller exerce boulevard de la Liberté. Les enseignes sont bientôt lumineuses et Moniat, 67, rue de Paris, prépare des plaques publicitaires projetées, à l'entracte, au cinéma Le Magic . Vers 1950-1960 s'installeront plusieurs fabricants d'enseignes au néon. De tout temps, il y eut des imprimeurs aux Lilas. On en compte au moins six en 1930 et une dizaine trente ans plus tard. Trois techniciens en appareils photographiques en 1930, ainsi que des spécialistes en TSF. Beaucoup plus tard, on mentionnera un fabricant d'écrans et un autre de caméras.
Vers 1930, on remarque une fabrique de voitures d'enfants, qui persistera au-delà des années soixante, un spécialiste en apprêts et teintures pour tissus et un autre en teintures sur cuirs, un fabricant d'aquariums, 12, place Waldeck-Rousseau, de la marqueterie, du bois tourné, des ateliers de brosserie, un négociant en papier en gros et, beaucoup plus tard, une fabrique d'emballages, du façomiage et des fibres de papier.
Ces listes ne sont probablement pas complètes puisqu'elles sont tirées de guides dans lesquels, seuls, les volontaires étaient cités.
Deux événements aux Lilas en 1922 et en 193 7
Vers 1922, la société Ronéo s'est implantée boulevard de la Liberté, à la limite de Romainville. Elle y commercialise du papier à lettres imprimé,
y fabrique des fournitures de bureau, de l'ébénisterie et se spécialise surtout dans les machines à reproduire les textes et le mobilier métallique, assemblé et peint sur place. Les effectifs atteignent plusieurs centaines de personnes avant la guerre.
Les nombreux artisans en appareillage et moteurs électriques voient s'installer en 1937, au 117, rue de Romainville, la « Thermostatique », usine de contrôle des appareils de mesure en électricité. A la veille de la dernière guerre, elle emploiera plus d'une centaine de salariés.
Le traitement des métaux
Au début du fxe siècle, Daveluy installe sa fonderie de cuivre 131, rue de Paris « dans l'ancien atelier d'un ferblantier, autrefois étable d'un nourrisseur ». On remarque, dans le Bottin de 1908, deux fabricants de lanternes et deux fabricants de bobèches, dont le quincaillier Stebbé. Fils de Jules Buzelin, François avait présenté en 1896 de nouvelles moto-pompes à gaz, à pétrole, à essence de pétrole. Dix ans après ces propositions, tandis que Ktilg se livre au dérochage du cuivre, rue Lecouteux et rue des Écoles, François Buzelin vend son usine du 83, rue de Paris à Théodore Garnier, qui la cède, l'année suivante, à Jean Fretté, mécanicien de précision, établi auparavant rue de Noisy. Il y a alors une fabrique d'agrafes au coin des rues Meissomiier et du 14 Juillet. A la veille de la Grande Guerre, Henri Ghyse, futur maire, produit de la cuivrerie d'art, 4, rue de la République.
L'anciemie usine des tramways est occupée par l'atelier Bomiet. On y fabrique des obus en
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1914-1918. Vers 1932, les « moteurs Bomiet » seront signalés au numéro 81. Auf 53 et 55, rue des Écoles, Christofleau réalise, avant 1907, un nouveau pétrin mécanique. Il possède une belle villa à l'endroit réservé plus tard au gymnase. (L'inventeur se retirera à La Queue-en-Yvelines, où il procédera aux premiers essais de chauffage des cultures par l'électricité.) Courtiole, qui fabrique rue de l'Avenir, vers 1910, des pièces pour pétrins mécaniques, lui doit peut-être sa spécialité. Un peu plus tard, Babey confectiomiera de la bimbeloterie de métal 18, rue de Bagnolet. Nous l'y retrouvons après la Grande Guerre.
Vers 1905, T... vendangeait encore avec son père à Bagnolet. En 1914, il achète un terrain à l'angle Chassagnole-Pasteur pour y créer une affaire de triage de chiffons neufs (persomiel féminin en grande majorité). En 1922, le patron remplace le triage des chiffons par l'étirage des tubes métalliques. L'atelier de décatissage du linge 9, avenue Waldeck-Rousseau, devient, après la Grande Guerre, l'entreprise de mécanique Bailly.
A cette époque, métallurgie et mécanique intéressent plus de cinquante-cinq industriels. On dénombre au moins cinq fondeurs, un monteur en bronze, un cuivreur, un bronzeur, trois étameurs, deux ferblantiers, huit polisseurs nickeleurs, trois émailleurs, deux techniciens en apprêts sur métaux, quatre tôliers, quatre étireurs de tubes, deux
soudeurs, deux repousseurs, deux repousseurs tourneurs, deux décolleteurs, quatre ou cinq découpeurs emboutisseurs, trois ciseleurs, un spécialiste en serrage, un fabricant de clés pour la mécanique, trois fabricants de machines diverses, un fabricant de ressorts, un fabricant de rideaux de fer, un façomiier en boites métalliques, un treillageur, et quatre ferromiiers d'art... auxquels il convient d'ajouter les mécaniciens de grande précision (une dizaine) et les spécialistes dans la fabrication des horloges, des appareils de pesage, des instruments dentaires, médicaux et chirurgicaux, des accessoires pour boulangeries...
En 1960, on trouve six fondeurs, un spécialiste de la protection par le zinc et le cadmium, quinze polisseurs chromeurs, trois émailleurs, deux vernisseurs sur métaux et un sableur, six chaudromiiers-tôliers, trois repousseurs, deux emboutisseurs, deux cisailleurs, cinq outilleurs, un fabricant de scies et deuf affûteurs, un fabricant de tubes et de tuyaux, un atelier de serre-joints, trois fabriques de ressorts, une robinetterie, cinq usines de machines diverses et un spécialiste en moteurs électriques. Deux ateliers confectiomient du matériel pour alimentation et des moules métalliques, un autre des fournitures pour usines, un autre des sommiers métalliques. Il y a douze mécaniciens et quatre mécaniciens de précision. On remarque encore des fabricants de pompes, de balances, de baromètres, d'avertisseurs, d'appareillage électrique pour automobiles... et même un technicien en niveaux d'eau.
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Seulement 98 entreprises occupent 7 employés ou plus, mais l'effectif global des 5 grandes entreprises, à lui seul, dépasse de beaucoup celui des 732 ateliers de un à 20 salariés.
Il existe alors une teinturerie industrielle, disparue aujourd'hui. La confiserie, les conserves et la préparation des arômes pour potages n'occupent plus que 96 employés, et seulement 74 personnes travaillent à la transformation du caoutchouc (hygiène, chirurgie, habillement). L'atelier Danzelle déclare 82 employés, en revendique 106 deux ans plus tard, et disparaîtra ensuite. Implantée depuis peu, une usine de trains d'atterrissage emploie une cinquantaine de salariés. Elle en occupera plus de 150 en 1975, et disparaîtra en 1991, heureusement remplacée aujourd'hui. (La plupart de ces renseignements sont tirés du recensement de 1954 et des statistiques de l'INSEE et de la Direction régionale, exploitées par Gaultier, qui les a complétées par une enquête sur le terrain en 1957).
Cette belle « maturité » des années 1930-1960 porte en elle les prémices de son vieillissement très prochain. Ce n'est pas pour autant que Les Lilas allaient connaître l'asphyxie économique. Simplement, certaines activités auront changé...
En 1986, on comptera seulement deux tôliers, un soudeur, deux polisseurs, un chromeur, deux émailleurs, trois outilleurs. On trouvera bien un atelier de pièces pour garagistes et un technicien de machines à affranchir, mais les mécaniciens et mécaniciens de précision ne seront plus qu'une dizaine, en tout.
RÉPARIMON DES SALARIÉS EN 19 5 6-19 5 7
Catégorie Nombre - Nombre
de l'atelier de salariés d'entreprises
· aucun salarié - 500
· 1 à 10 salariés = 1 200 703
· 11 à 20 salariés 514 1 29
Soit 1 700 environ pour 732 entreprises
· 21 à 50 salariés 700 2 21
· 51 à 100 salariés 300 4
Soit 1 000 environ pour 25 entreprises
· + de 100 ---- 2 500 5 grandes usines 3
Comme on le voit, le nombre d'ateliers sans salarié ou n'en employant qu'un ou deux est encore dominant.
1. Ces 29 ateliers réunissent des spécialistes en fonderie, chaudronnerie, nickelage, émaillage, ressorts, tubes métalliques, pièces automobiles, lampes, balances, ébénisterie, imprimerie, quincaillerie, cinéma.
2. Sur ces 700 salariés, 235 sont occupés au profilage de l'acier à l'outillage, à la fabrication de machines, de moteurs automobiles, de châssis...
3. Les cinq grandes entreprises sont les suivantes : Kalker (plus de 275 salariés en 1957) ; Acquérin-Baltex (210, puis 280 salariés en 1957) ; La Thermostatique (425 salariés dont 321 ouvriers, puis 450 personnes) ; Ronéo (723 salariés, et plus en 1957) et la RATP (791 agents en 1955, dépôt Floréal et atelier du métro).
NOTES___________________________________________________________________________________________
1. Ministère de l'Agriculture et du Commerce. Inspection du travail des enfants et de la statistique industrielle. État de janvier 1873 (A.D. 93). D'autres renseignements sont puisés dans la matrice du cadastre (A.P.), les D.C.M. et les registres d'état civil.
2. Pétition des patrons lilasiens au Conseil municipal relative à la loi du 19 mai 1874 sur le travail des enfants, 5 juin 1881 (A.D. 93, D.O. 942).
3. A la fin du siècle, on parlera d'une verrerie Landouzy. Celle du Coq français sera la propriété de la Société des Alcools Ricqlès après 1908, et Louvet la dirigera jusqu'à sa fermeture en 1934 .
4. A la fabrication du savon au bois de Panama, comme Patrelle, l'entreprise Rozière adjoindra celle d'un détachant
liquide pour les vêtements. La spécialité Rozière s'appellera la « Panamine ».
5. Ébonite et stabonite sont des caoutchoucs fortement vulcanisés. Le principe du caoutchouc moulé est celui-ci : on introduit de l'ammoniaque en cristaux dans une balle de caoutchouc creuse, non vulcanisée. La balle est enfermée dans un moule en deux parties. On plonge le moule dans du soufre en fusion pendant une demi-heure ou davantage. Puis on refroidit le moule dans l'eau et on l'ouvre. Servir froid, bien entendu - c'est plus prudent.
6. A la veille de la dernière guerre, Carimantrand abandonna les articles de Paris et travailla pour la défense nationale (mécanique de précision). La maison fermera en 1974.
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