Loup y es-tu ?


Suspecté dans le pays de Bray en 2020, puis à Vieux Manoir, où quatre moutons ont été tués au début de 2021, le loup est aux portes du Haut-Cailly pour la première fois depuis plus de 150 ans.


Le loup, animal de légendes, « porteur des peurs les plus diversifiées » a laissé dans le canton de Clères les traces de sa présence dans le nom de certains hameaux ou lieux-dits : à Quincampoix, on trouve la Mare aux Loups; à Saint André sur Cailly, le hameau du Bout Levé dont le nom serait une altération de Bosc Louvet c'est à dire le Bois aux Loups. Un peu plus loin, on trouve le domaine de Carqueleu dont l'origine serait le Quartier des Loups.

De nombreux témoignages nous sont parvenus des méfaits de l’animal aux 18e et 19e siècles dans la région.

Nous trouvons mention, dans les registres paroissiaux de Montville, de l’inhumation le 14 septembre 1702, dans le cimetière de Montville, des restes d'un enfant de 4 ans, dévoré par une bête carnassière ....”

En 1781, l’abbé Bertaux, curé de Frichemesnil, raconte que deux loups enragés sont tués. L’un a mordu des cochons dans leurs étables et deux ou trois personnes de Bracquetuit, l’autre un garçon charretier qui a finalement réussi à le terrasser en l’étouffant après un combat de ¾ d’heure. Il poursuit que cette même année une troupe de bûcherons a vu la bête dans le bois de Clères. On ne parle que de loups et de chiens enragés. L’un a attaqué un garçon fort, lui a « engueullé » le bras et le lui a cassé.

A St Georges sur Fontaine, en 1794, le maire signale « l'incursion de loups et autres bêtes fauves, qui portent la désolation dans les troupeaux et autres animaux utiles à la République ».

En 1799, « les loups se sont répandus dans les bois qui nous environnent et que déjà, plusieurs cultivateurs, ont perdu quelques moutons »

Le maire de St Georges sur Fontaine déplore aussi que ces bêtes fauves ne se contentent pas d'attaquer les troupeaux de moutons et de détruire les volailles : ils attaquent les chevaux et les hommes, même de jour. Il a d’ailleurs lui même été victime d’un loup énorme qui a attaqué le cheval qu'il montait : il a été désarçonné, et n'a dû son salut qu'à sa vigoureuse défense.

Encore : le 14 prairial an 4 (2 juin 1796). « Les loups ont causé quelques ravages dans le canton de Quincampoix et surtout chez les voisins de la verte forêt, les bois de Préaux et de la Houssaye, qui leur servent de repaires .... ». Réponse de l'administration du 19 prairial an 4 (7 juin 1796), « .... nous sommes surpris citoyens, que les cultivateurs de votre canton ne s'empressent pas de s'unir, avons invité les citoyens Tirebarbe et Frémont louvetiers demeurant à Pavilly à venir faire la chasse à ces animaux .... » (ADSM L 468. Canton de Quincampoix).

Ce n’est pas fini : en 1798-1799, plusieurs loups ou louveteaux sont tués dans le canton de Montville. Plusieurs chevaux sont dévorés, des cultivateurs demandent que des chasses soient ordonnées le plus tôt possible et que le citoyen Duhalley, louvetier, se rende sur place pour tenter la destruction de ces animaux.

En 1835, trente moutons sont dévorés sur les communes de St Victor l’Abbaye et de Montreuil en Caux. En 1837, ils sont vus dans la campagne du canton de Clères. Un énorme loup est tué dans les bois du Varat, et une louve à Mont Cauvaire en 1842.

En 1842 encore, une battue est organisée par deux des gardes de la terre de Clères, aidés de bon nombre d’habitants de la campagne… “ A une heure de l’après-midi, un vieux loup d’une taille énorme et deux louves pleines, sont tués dans les bois appartenant à M. de Béarn, et apportés chez M. Toutain, régisseur de la terre de Clères. On n’a pu prendre un quatrième loup, qui a été grièvement blessé ; mais le lendemain cet animal est retrouvé mort à Claville ”. (Journal de Rouen. 15 février 1842)

On pourrait presque en rire : à Clères, en février 1842, lors d'une battue, « des rabatteurs s'acharnent à frapper des lames de faux avec des bâtons, on agite une cloche, on souffle dans des cornes, des clarinettes, un hautbois, on martyrise des cymbales. Trois violons complètent cet étrange orchestre rural ! Ce vacarme pseudo musical parvient à faire fuir cinq loups mais aucun n'est tué ». (Jean Claude Marquis. Loups, Sorciers, Criminels ... Faits divers en Seine Inférieure au XIXème siècle. 1993)

« Une magnifique louve de trois ans a été tuée, ces jours derniers, dans les bois du Tot (commune de Clères), par Mr Pascal Alexandre, garde particulier de Mr du Beaumelay. C'est une vraie bonne fortune pour les cultivateurs de la contrée, dont quelques-uns ont leurs fermes à la lisière et même au milieu de ces bois .... On y tue probablement un des derniers loups du pays .... » (E. Noël. Journal de Rouen - 17 avril 1864).

Françoise Hénaut

Pour aller plus loin :

Canton de Clères - Les loups (fonds Patrice Bizet)