Sur les terres de La Rue Saint-Pierre, le Château du Mesnil Godefroy se dresse non seulement comme un joyau architectural, mais aussi comme le témoin privilégié d'une saga familiale séculaire et d'une résistance religieuse face aux tourmentes de la Révolution française. Ce domaine, dont les origines remontent au XIIIe siècle, a vu se succéder d'illustres seigneurs, comme Geoffroy du Mesnil vers 1200. Mais c’est la famille Fermanel, présente à Rouen dès 1591, qui va marquer durablement le lieu.
Le fief de Mesnil Godefroy fut acquis par Pierre Fermanel Ier en 1629, anobli quelques années plus tard. Son fils, Pierre II de Fermanel, fit construire le château actuel en 1663. C'est ensuite Jacques de Fermanel, un des fils de Pierre II, qui fit ériger en 1686 une chapelle privée, d’abord sous le nom de Notre Dame de la Consolation et de Saint Cyr. Plus tard, en 1747, elle fut réédifiée par Jean de Béthencourt et renommée Notre Dame de Bon Secours. Le blason de Fermanel, "d'azur à trois fers de lance d'argent", symbolisait cette lignée de bâtisseurs.
L'année 1791 marque l'un des chapitres les plus intenses de l'histoire du Mesnil Godefroy. Alors que la Convention exigeait un serment solennel de tous les ecclésiastiques, plus de la moitié des prêtres du Haut-Cailly refusèrent, dont l'abbé Simon, curé de La Rue Saint-Pierre.
Contraint de quitter son presbytère, l'abbé Simon trouva un soutien indéfectible auprès du châtelain de l’époque, Jean Baptiste de Fermanel. Loin de se contenter de l'accueillir, Jean Baptiste de Fermanel transforma la chapelle en un véritable lieu de résistance. Il y invita l'abbé Simon à célébrer la messe dominicale pour les citoyens de La Rue-Saint-Pierre, tout en interdisant à ses domestiques d'assister à l'office du nouveau curé constitutionnel.
Ces actes ne passèrent pas inaperçus. Soupçonné de débaucher plusieurs prêtres de leur serment, J.B. Simon fut déporté le 22 juillet 1794 (4 thermidor de l'an II). Il revint néanmoins d'exil en 1802, reconnu comme un « bon prêtre ». Ce rôle actif du Mesnil Godefroy illustre la profonde division et la résistance religieuse face aux politiques révolutionnaires.
La chapelle, dissimulée derrière une magnifique allée de tilleuls, est un édifice de petite taille, mesurant 6,60 m de long par 5 m de large. Ses murs sont construits en briques et silex, surmontés d'une toiture en ardoises et d'un clocheton. L'intérieur est tout aussi frappant, avec un sol pavé de carreaux noirs et blancs disposés en diagonale.
Ces carreaux encadrent deux dalles qui donnent accès à la crypte, le caveau funéraire de la famille Fermanel. C'est là que repose Jacques Gilles Nicolas de Fermanel, dernier possesseur du nom, décédé en 1847 et longtemps maire de La Rue Saint-Pierre. Lieu de culte et de mémoire, la chapelle était encore un lieu de pèlerinage en procession en 1884.
Le château continua d’évoluer, passant au XXe siècle aux mains de la veuve d'Édouard Delamare-Deboutteville, considéré comme l'inventeur de l'automobile. Le Château du Mesnil Godefroy, fort de sa chapelle historique, demeure ainsi un lieu emblématique, porteur des mémoires d'une famille illustre et d'une histoire de courage civique et religieux.