Marius Lemoine : un témoin de l’histoire du XXe siècle

(1ère partie)

Comment a vécu un enfant de la campagne normande pendant la Première Guerre mondiale, l’entre-deux-guerres, la Seconde Guerre mondiale, et jusqu’aux années 2000 ? 

Quels changements a-t-il connus dans sa vie quotidienne, son travail, ses loisirs, sa famille ? 

C’est ce que nous raconte Marius Lemoine, né en 1911 dans une ferme de Beautot. Voilà son témoignage, celui d'un homme simple et attachant, qui nous plonge dans l’histoire du XXe siècle.

Marius Lemoine Soldat

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Marius Lemoine naît le 31 mai 1911 dans la ferme familiale du Verdret, commune de Beautot. C’est le dernier d’une famille de 6 enfants.

Il a deux grands frères qui, en 1914 et 1916 vont partir au front. Ils auront la chance de rentrer à la ferme en 1919 sans avoir subi de trop graves blessures.

En 1917, des prisonniers allemands viennent aider aux travaux de la ferme, sous la surveillance d’un soldat français. La nuit, ils dorment dans l’écurie bien fermée à clé.

Marius va à l’école de la Houssaye, plus proche que celle de Beautot : seulement 1,5 km à parcourir à pied, tout de même 4 fois par jour ! C’est courant en ce temps-là ! Il est aussi enfant de chœur dès l’âge de 8 ans, fier de porter la soutane rouge et le surplis blanc. Parfois, il faut servir la messe à 8 heures, avant d’aller à l’école.

Et l’école pendant la guerre ? L’institutrice a la charge de 50 à 60 élèves de tous âges. Le maître titulaire du poste revient en 1919, handicapé.

L’enfant passe le certificat d’études à 12 ans, à Clères, le chef-lieu de canton. Son père l’emmène le matin en carriole à cheval avec les deux autres candidats et l’instituteur. Les épreuves du matin sont la dictée, l’arithmétique, la rédaction, l’histoire et le dessin. Après un repas à l’hôtel du Cheval noir, arrivent les épreuves orales de l’après-midi pour les élèves ayant réussi les épreuves du matin, et surtout n’ayant pas eu 0 à la dictée, note éliminatoire : lecture, sciences, chant et gymnastique. Le retour à la Houssaye se fait en tortillard, par la ligne Clères-Gueures ouverte en 1913. Journée mémorable dont le souvenir, 80 ans plus tard, est bien présent pour Marius. Les 3 élèves du village présentés au certificat sont reçus. Mais c’est aussi pour Marius la fin de l’enfance et l’entrée dans le monde du travail, dans la ferme familiale.

Après la guerre, beaucoup de mariages célébrés au village donnent lieu à de grandes fêtes. Pour les mariages de ses deux frères et de sa sœur, les repas ont lieu dans l’étable aménagée pour la circonstance : un parquet est loué à un menuisier de Bosc le Hard, on tend sur les murs des bâches qu’on recouvre de draps blancs décorés de fleurs et feuillages. On danse sur l’herbe au son d’un phonographe muni d’un haut parleur (peut-être un grand pavillon ?). Ce sont aussi les années folles à la Houssaye !

Après sa communion en 1922 et son certificat d’études en poche, notre tout jeune homme travaille donc à la ferme, s’occupe du bétail, de la traite des vaches. Ses seules distractions seront la messe, les sorties dans la famille et les balades en bicyclette. L’année 1921 connaît une sécheresse mémorable. Il n’y a pas encore d’adduction d’eau. On va chercher de l’eau dans la rivière de Clères avec une carriole attelée à un cheval chargée de fûts en bois de 500 litres.

Dans ces années 20, toujours pas d’électricité au village : on s’éclaire à la lampe à pétrole. Les sorties, hormis les fêtes au village, sont la St Jean à Bosc le Hard et la St Romain à Rouen.

Après le décès de sa mère en 1926, Marius et sa famille déménagent dans une autre ferme à la Houssaye, que ses parents avaient achetée pour leur retraite, laissant celle du Verdret à l’un des fils aînés. C’est le moment où l’agriculture se modernise, et où Les premières automobiles apparaissent dans les fermes. Son oncle achète une Citroën torpédo avec toit imperméable.

Après son service militaire à Chalon sur Marne (pas gai ce service, Marius a hâte d’en terminer), Marius se marie en 1936. Il s’installe de nouveau au Verdret, avec essentiellement des meubles de récupération (sauf achat d’une cuisinière, d’une horloge et d’une table). Il fait installer l’électricité à la ferme alors que les autres habitations du hameau n’en seront dotées que pendant la guerre. C’est le début des postes de radio TSF, ce qui lui permet de suivre les informations. Et elles sont inquiétantes : l’arrivée de Hitler au pouvoir en Allemagne ne lui fait présager rien de bon. Mais en France, en 1936, c’est le front populaire, les premiers congés payés, c’est une année qu’il qualifie de joyeuse. En 1938, les récoltes, particulièrement bonnes, vont lui permettre d’acheter une faucheuse. Le modernisme entre à la ferme.

Francoise Hénaut