Dans le Journal de Rouen du samedi 22 novembre 1890, l’érudit Georges DUBOSC se targuait de révéler l’identité de la vraie Madame Bovary et celle de son mari, ce couple rendu à jamais immortel par le génie littéraire de Gustave Flaubert. Dans cet article, G. Duboc révèle que le village de Yonville l’abbaye ne serait autre que le bourg de Ry, que Madame Bovary est inspirée du personnage de Delphine C... et son mari de celui de l’officier de santé de Ry, un certain D...
En effet, beaucoup de similitudes entre l’histoire d’Emma Bovary et celle de Delphine Couturier-Delamare : Véronique Delphine COUTURIER est née le 17 février 1822, à la Rue Saint Pierre, fille de Pierre Jean Baptiste Couturier, cultivateur à la Rue Saint Pierre et de Madeleine Martine Véronique Lerouge, mariés à Vieux Manoir le 11 septembre 1821.
A peine âgée de 18 ans, Delphine COUTURIER se marie le 7 août 1839 à Blainville Crevon avec l’officier de santé Eugène DELAMARE, veuf d’un premier mariage, demeurant à Ry.
Flaubert a écrit : « Madame Bovary n'a rien de vrai. C'est une histoire totalement inventée ». Mais il est tentant de plonger dans les archives et de partir à la recherche de la vraie Delphine Couturier, ce que nombre d’historiens, généalogistes ou passionnés n’ont pas manqué de faire.
Le Dr Raoul Brunon, directeur de l’école de médecine de Rouen, dans le n° du 30 octobre 1907 de La Presse médicale prétend que sa mère - Adèle SAUVAGE, née à la Rue Saint Pierre le 29 juin 1820 - et Delphine Couturier avaient « été ensemble en pension à Cailly chez Mademoiselle Pauline Bisson ». D’après des recherches effectuées par Karl Feltgen, membre de notre association, « Delphine Couturier s’étant mariée en 1839, il paraît impossible qu’elle ait pu être pensionnaire à Cailly chez Pauline Bisson qui ne s’installa dans ce village qu’en 1843. Il faut donc supposer que si la jeune fille fut mise en pension pendant quelques mois à Cailly, ce dut être chez une autre enseignante qui reste à identifier ».
A son tour, le journal La Croix du 23/08/2019 reprend l’affaire en écrivant : « Alors qu’il s’en est toujours défendu, Gustave Flaubert s’est pourtant bien inspiré d’une femme ayant réellement existé pour son Emma Bovary. Le jeune auteur de 28 ans se serait emparé de la disparition tragique de Delphine Delamare survenue en 1848, dont le mari avait été l’élève de son père, le docteur Flaubert à l’Université de Rouen. »
À seize ans, après plusieurs années passées au couvent, Delphine Couturier retrouve la ferme parentale avec une idée en tête : quitter au plus vite cette campagne misérable.
Un soir, Eugène Delamare, médecin, est appelé au chevet du père Couturier. L’officier de médecine est séduit par la jeune fille qui voit en lui le moyen de s’échapper enfin du carcan familial. Le mariage est prononcé un an plus tard, le 7 août 1839 à Blainville-Crevon, en Normandie. Le couple de notables s’installe à Ry, un village normand situé à une trentaine de kilomètres de la maison de Flaubert, dont l’architecture ressemble étrangement à celle de Yonville-l’Abbaye, dans le roman. De cette union naît une fille, Alice.
La banalité de sa vie d’épouse l’étouffe quand elle rencontre Louis Campion – Rodolphe Boulanger dans le récit –, un homme éloquent à mille lieues de son époux. Amoureuse, Delphine s’accroche à l’idée de fuir avec son amant qui finit par l’abandonner. Elle s’assomme alors en dépenses que le couple bientôt ne parvient plus à honorer. Criblée de dettes et abandonnée, Delphine s’empoisonne en ingérant du cyanure en 1848. Son mari assiste à sa mort, impuissant. Troublant, tout de même ?
Mais laissons la conclusion à l’auteur lui-même. Dans une lettre du 14 août 1854 adressée à sa maîtresse Louise Collet, il écrit : « Tout ce qu’on invente est vrai. Ma pauvre Bovary, sans doute, souffre et pleure dans vingt villages de France à la fois, à cette heure même. »
Le suspense reste entier…
Françoise Hénaut