Souvenirs et anecdotes
d'un petit Yquebois en 1944

L'arrivée des canadiens à Cailly, le 31 aout 1944, et à Yquebeuf le même jour(Fonds Guérard)
L'école d'Yquebeuf et la grange(Fonds Patrice Bizet)

L'écusson cousu sur l'habit du dimanche de Yannick Pohu par sa mère

En 1943–44, de nombreux soldats prisonniers des Allemands sont employés à réparer les routes, voies ferrées… que les résistants détruisent régulièrement. Certains réussissent à s’échapper et arrivent à l’école d’Yquebeuf.

Mme Pohu et son mari recueillent 3 Polonais, puis 6 Algériens, 3 Marocains et un Sénégalais qu’ils cachent jusqu’à la fin de la guerre dans le grenier de cette grange, leur sauvant ainsi la vie.

Né en 1938, Yannick Pohu a vécu la guerre dans la petite école d’Yquebeuf où sa mère est mutée en 1940 pour « antipathie pétainiste ». Mais pour Yannick et son frère, ces 6 ans d’enfance à Yquebeuf sont un véritable cadeau. Il raconte ses souvenirs qui se situent dans les années 43, 44 et 45.

Yquebeuf semble éloigné de la guerre, mais la guerre va s’inviter dans la famille Pohu. A la fin de la guerre, l’armée allemande emploie des prisonniers de guerre. Cette main d’œuvre cosmopolite n’a qu’une idée en tête : s’échapper. C’est ainsi que trois polonais squelettiques arrivent à Yquebeuf. chez les Pohu. Pas dans le logement de l’école, accueillant déjà deux étudiants rouennais clandestins, mais dans le grenier de la grange voisine. M. Pohu, délaissant son métier d’ébéniste, se met à arpenter les environs d’Yquebeuf, cherchant pour tous ses protégés de la nourriture et des vêtements. D’autant que bientôt 6 Algériens, 3 Marocains et un Sénégalais sont recueillis à leur tour. Les risques de dénonciation, les difficultés d’approvisionnement rendent bien compliquée la vie de la famille. Les 3 Polonais, une fois « retapés » et débarrassés de leur pyjama PG (prisonnier de guerre) sont embauchés dans deux fermes du village. Devenus garçons de ferme, ils goûtent la quiétude de la vie au village, et l’un d’eux se marie l’année suivante avec une Yqueboise.

Pour les nord Africains, l’adaptation est plus difficile, le choc des cultures plus rude : par exemple Mme Pohu ne comprend pas un jour pourquoi ils n’ont rien mangé de ce qu’elle leur a apporté le matin. C’était le ramadan. Ils auraient par la suite leur repas le soir, après le coucher du soleil !

M. Pohu raconte les grosses frayeurs de la famille lorsque les Allemands viennent à passer à Yquebeuf.

Puis arrive l’été 44. Le ciel d'Yquebeuf se remplit d’avions de toutes sortes. Mais la DCA, terriblement efficace, abat des avions en grand nombre et si certains pilotes réussissent à sauter en parachute et à être secourus (par exemple par l’instituteur de Rocquemont), d’autres n’ont pas cette chance… C'est souvent un vrai carnage, des mitraillages, largages de fusées éclairantes, un spectacle apocalyptique.

M.Pohu raconte encore : « Nous, les enfants dans l'insouciance, on chantait, sur l'air de Lily Marlène quelque chose comme : Hitler t'es foutu, les bombes tu les auras dans le cul. »

Enfin, les Allemands se replient en masse dans toutes sortes de véhicules. Un soir, deux officiers allemands demandent le gîte et le couvert chez les Pohu. Pas de place pour eux dans la maison. On leur propose une étable non loin de là. Comme les alliés se rapprochent, M.Pohu décide de les faire prisonniers. Il va à l’étable avec les deux étudiants qu’il héberge, mais un des Allemands les menace. Il est tué par l’un des étudiants. L’autre, fait prisonnier.

Yquebeuf, comme de nombreux villages de Normandie voit passer à cette époque une armada de véhicules militaires débarqués sur les plages du Calvados et fondant vers l’est de la France. C’est « le plus grand défilé militaire de tous les temps ; le défilé du 14 juillet aux Champs Elysées, à Paris, ne peut être qu'un très pâle reflet », raconte M. Pohu.

Puis c’est l’été 44. Les canadiens arrivent dans des engins de toutes sortes. “Cette fois c'était vraiment la Libération. On en prenait plein les yeux ». Le camp canadien s’installe pour plusieurs mois à Yquebeuf, jusqu’à l’hiver 45.

M. et Mme Pohu ne faisaient partie d’aucun réseau de résistants. Mais comme le dit Yannick Pohu,

« … ma mère était une femme exceptionnelle. C'était une pionnière de l'Ecole Publique Laïque et Rurale qui s'appliquait à elle-même la morale, la probité, le patriotisme que la 3ème République lui avait demandé d'apprendre à ses élèves. »

Le 11 novembre 1953, M. et Mme Pohu sont solennellement décorés de la médaille de la reconnaissance de la république française pour avoir secouru des officiers lors de la libération et de la médaille de la Résistance de la nation polonaise décernée par la République Démocratique Polonaise.


Françoise Hénaut

Pour aller plus loin :

Site internet de l'association : Récits de vies

Souvenirs et anecdotes d'un petit Yquebois en 1944

Parcours numérique Histoire et Patrimoine d'Yquebeuf