Marius Lemoine : un témoin de l’histoire du XXe siècle

(2ème partie)

Comment a vécu un enfant de la campagne normande pendant la Première Guerre mondiale, l’entre-deux-guerres, la Seconde Guerre mondiale, et jusqu’aux années 2000 ? 

Quels changements a-t-il connus dans sa vie quotidienne, son travail, ses loisirs, sa famille ? 

Dans la première partie, vous avez suivi Marius Lemoine de sa naissance en 1911 jusqu’en 1939, veille de la guerre. Après cette épreuve, le modernisme rentre dans le monde rural et Marius va nous entraîner dans cette évolution jusqu’à la fin du siècle.

Marius Lemoine maire de la Houssaye-Béranger

Lire la 1ère partie

Hélas voilà 1939 et la déclaration de guerre. Marius est mobilisé en septembre, bien qu’il soit maintenant père de deux enfants nés en 1937 et 39.

Il gagne  Cherbourg, puis les Ardennes où il effectue des exercices de défense. Quelques jours de permission lui permettent de retrouver sa famille. Il juge qu’il serait plus utile à la ferme pendant cette période de « drôle de guerre », où il ne se passe pas grand-chose !

Tout change en 1940. Son régiment est encerclé dans les Vosges, près de Toul. Il est fait prisonnier et emmené en Allemagne dans une ferme où il va passer presque 5 ans ! Il va y être bien traité. Dans cette ferme, on cultive le blé, l’orge, le seigle, les pommes de terre et bien sûr, le houblon destiné à la fabrication de la bière. Marius travaille aussi à la forge de la ferme pour les réparations des différentes machines agricoles.

Pendant ce temps, au Verdret comme ailleurs, c’est l’exode. Sa femme part avec ses deux petits garçons jusque dans les Deux Sèvres. Lorsqu’elle revient, ses animaux sont atteints de la fièvre aphteuse et des Allemands occupent la ferme, un chef et 6 hommes qui ne vont lui laisser qu’une seule chambre pour elle et ses deux enfants. Cette situation va durer jusqu’au printemps 1941. Sans nouvelles de Marius au début de sa captivité, elle reçoit ensuite deux lettres par mois. Elle va pouvoir lui envoyer des photos des deux enfants qui grandissent et garder le contact bien régulièrement.

Les bombardements les inquiètent tous deux : au Verdret, on suit les bombardements anglais sur la voie ferrée voisine et les ponts de chemin de fer. En Allemagne, ce sont les avions américains qui bombardent les villes allemandes, faisant de nombreuses victimes. Marius va fabriquer un abri enterré dans la cour de ferme pour ses habitants et les voisins. Il va jouir d’un régime de semi-liberté et ne va plus aller qu’une fois par semaine pointer au « komendo ». Le fermier va installer dans la chambre qu’il partage avec un autre prisonnier un lavabo et le chauffage. Il a toujours été très bien traité, mais bien sûr, sa famille lui manque.

Enfin, la ferme du Verdret est libérée durant l’été 1944, mais, si les premiers Américains arrivent en Allemagne dès l’automne 44, Marius ne sera libéré qu’en avril 1945. Il rentre en France par le train qui va le faire passer par Cologne, Aix la Chapelle, Valenciennes, Paris, Amiens et Rouen avant de retrouver enfin son village le 8 avril 1945 !

Le dernier dimanche d’avril, ce sont les élections municipales : il est élu à Beautot.

Peu à peu, la vie reprend à la ferme. On réussit à s’approvisionner, mais il faudra attendre 1946 pour avoir l’essence nécessaire à la remise en marche de la vieille citroën torpédo. C’est la disparition progressive des vieilles carrioles à chevaux.

En 1947, l’achat d’une batteuse sur roues permet de remplacer la vieille batteuse fixe entraînée par un manège à chevaux. Cette batteuse fonctionne avec un moteur électrique appartenant à la commune de Beautot qui le loue aux cultivateurs. On le branche avec une perche que l’on accroche à la ligne électrique !

Marius achète sa première voiture neuve en 1953 : une simca aronde.

L’agriculture se modernise : les établissements Ducastel équipent les fermes de tracteurs. En 1954, une prime de l’état permet à Marius d’acheter son premier tracteur, un « vendeuvre » avec charrue, herses et canadien.

1958, c’est de nouveau la guerre, certes loin de chez nous, en Algérie. Un jeune de la Houssaye y perd la vie, jetant la consternation dans le village.

A la ferme, le modernisme continue : en 1964, achat d’une moissonneuse batteuse Braud avec une presse pour ramasser la paille.

En 1974, le couple prend sa retraite dans une petite ferme de la Houssaye, dans une habitation confortable avec eau, électricité et chauffage. Un de leurs fils reprend « le Verdret ».

En 1971, le maire du village meurt subitement et Marius, qui était adjoint, le remplace. Il restera maire jusqu’en 1989. Sa vie va alors être très liée à celle de la commune.

En 1979, la commune achète au département  deux baraquements ayant servi à Clères de salles de classes aux collégiens  avant la construction du collège actuel. Avec d’autres Houssayens, Marius va les démonter, les transporter et les remonter, y ajouter une cuisine et des sanitaires. Ce sera la salle des fêtes du village pendant une vingtaine d’années.

Un voyage en Allemagne, à Grenzozen en 1981 lui permet de retrouver l’endroit où il avait été en captivité pendant la guerre, ainsi que la famille qui était déjà venue au Verdret en 1965. Moments qu’on peut imaginer émouvants !

La commune inaugure une école maternelle en 1985.

En 1988, c’est le départ de M. et Mme Combes, un couple d’instituteurs qui était à la Houssaye depuis 26 ans. Ce sont deux personnes qui ont beaucoup compté dans la vie de plusieurs générations d’écoliers. Disparition en 1993 d’un autre personnage ayant beaucoup compté, c’est le Père Jean Leprêttre, curé très estimé. Le presbytère  est alors transformé en mairie.

En 1996, Marius et sa femme fêtent leurs noces d’or, entourés de leur nombreuse descendance.

Une nouvelle salle des fêtes est inaugurée avec un dîner spectacle en 2000.

La ferme du Verdret, dans la famille depuis si longtemps est vendue en 2002, morcelée en 4 parties. Le corps de ferme, acheté par un traiteur, devient salle de réception et chambres d’hôtes. En 2004, un mariage familial s’y déroule : Marius et sa femme sont heureux de se retrouver dans leur ancienne charreterie devenue jolie salle de réception. Un réel bonheur pour eux !

Le livre de souvenirs s’achève en 2004. Marius et sa femme savourent ce qu’ils savent être la dernière décennie de leur vie, entourés de leurs enfants, petits enfants et arrière petits enfants qui viennent les voir régulièrement. Ils ont conscience d’avoir eu une vie sociale et familiale bien remplie et réussie.

Marius termine ainsi son récit de souvenirs : « La vie est devenue plus bruyante, mais moins pénible ».

Marius est mort en 2009, à l’âge de 98 ans, sa femme en 2017, à 103 ans.

Francoise Hénaut