La garde nationale à Clères

Liberté, égalité, fraternité… sécurité ! Serait-ce trop iconoclaste d’ajouter à la devise républicaine la sécurité ?

S’ils ne l’ont pas fait, nos révolutionnaires de 1789 y ont pourtant pensé très fort lorsqu’ils ont décidé d’organiser les milices armées spontanées et incontrôlées qui ont fleuri après la prise de la Bastille.

Le peuple citoyen en armes, ce sera la garde nationale…

C’est à la révolution de 1789 que l’on devra « l’organisation dans chaque commune d’une garde citoyenne, dont la mission sera de protéger les biens et les personnes en réprimant le pillage, et de distribuer le pain et le blé dans les moments difficiles ». C’est la garde nationale, qui adopte l’uniforme bleu, blanc, rouge. Composée d’hommes de 20 à 65 ans, elle assurera l’ordre et la sécurité dans les villes et les campagnes et se verra aussi investie, jusqu’ à sa dissolution le 25 août 1871, de missions d’appui aux troupes de lignes sur les côtes et aux frontières.

Les différents régimes politiques qui se sont succédé ont toujours eu un peu de méfiance envers ces milices citoyennes promptes à lever le peuple.

Pour ce qui concerne le Haut Cailly, je me suis replongé dans les mémoires de François LEBLANC (encore lui) qui raconte les tribulations en 1848 de la garde nationale de Montville entre les tenants de la bourgeoisie locale dépossédée de ses prérogatives par la nouvelle république et les républicains. On se rappellera aussi l’épisode comique de la surveillance de l’arbre de la liberté par ladite garde nationale (Newsletter N°3).

J’ai trouvé dans le local à archives de la mairie de Clères une grosse boîte à archives intitulée : « garde nationale 1832, 1870 - registres et instructions ». Sur du papier jauni et craquant, d’abord les grands tableaux de recensement par rang d’âge des hommes de 21 à 55 ans des communes de Clères, Sierville, Grugny, La Houssaye- Béranger, Frichemesnil, Bocasse, Claville Motteville, soit 487 hommes en 1850, formant le bataillon de Clères, avec leur situation de famille, leur santé, leur niveau d’instruction.

Les besoins en hommes sont évalués par les maires « en fonction des besoins ». Sont exemptés de la garde active les sapeurs pompiers bénévoles, les facteurs, les gardes privés, les chauffeurs de trains, et les fonctionnaires d’état appointés. Exemptés également les hommes dans l’indigence familiale, ceux présentant des malformations congénitales, des handicaps physiques et aussi de graves problèmes de dentition. Le niveau d’instruction est repéré par : 0 ne sait ni lire ni écrire, 1 sait lire, 2 sait lire et écrire. En 1832, 0 et 1 se retrouvent couramment dans les marges des listes. Les officiers doivent savoir lire et écrire.

Le bataillon de Clères, environ 170 hommes en 1835, est placé sous l’autorité du maire et sous les ordres d’un commandant et d’officiers et sous officiers des différentes compagnies élus annuellement par leurs hommes. Il est aussi fait état dans un document du 31 avril 1851 d’un corps de 10 cavaliers en précisant que le garde doit être propriétaire de sa monture.

Les procès verbaux des élections sont d’une précision horlogère et témoignent d’une organisation méthodique et rigoureuse. Elles ont lieu dans le local de la justice de paix du château de Clères au suffrage universel, au scrutin secret et à la majorité absolue. Un scrutin spécifique devra élire le porte drapeau et le tambour maître.

En application du titre 3 de la loi du 26 mars 1848, un conseil d’administration composé à parité de gradés et d’hommes de troupe est créé pour veiller aux dépenses de fonctionnement du bataillon. Les subsides proviennent du budget des communes et contribuent aux frais administratifs : achat de papier, diverses réparations de l’armement, achat ou complément d’uniforme, et indemnisation du tambour maître élu.

Concernant l’uniforme, certains officiers issus des milieux aisés l’achètent, mais la plupart des hommes de troupe se voient attribuer l’équipement minimum grâce à des souscriptions. Les documents détaillent le nom des souscripteurs (comte de Béarn en tête et autres notables) et la nature de la dotation : ici un képi, là un ceinturon, ou une vareuse, ou un équipement complet.

Et l’arsenal ? Deux documents de janvier et mai 1869 précisent que le poste du bataillon de Clères devra comporter « un local de 1 à 2 m2 où seront installés 10 rateliers pour les fusils et 20 crochets pour les sabres ». Suivent les affectations nominatives des fusils (à majorité anglais ???) des sabres de cavalerie et des sabres briquets (courts).

On peut suivre dans ce dossier la vie des armes fournies, une cinquantaine au total, le nom des destinataires successifs, l’entretien, les recommandations de réparations de l’inspecteur préfectoral qui les passe régulièrement en revue assorties souvent de remarques « bien senties ».

Deux documents datant de 1850 et 1870 (arrêté du maire de Clères) précisent le rôle de la garde locale. En voici un très court extrait :

  • Revue et exercice en tenue tous les dimanches à partir de 7heures pour une durée de 2 heures ainsi que le mardi et le jeudi (Prise d’armes, maniement d’armes, escrime, de temps en temps tir à la cible 2 coups, 4 au plus et défilé).

  • Poste de nuit : tenue du poste fixe par un garde de faction et patrouille de nuit par 3 gardes à tour de rôle dans les rues du village ne pouvant excéder 3 heures. Rapport au poste visé par le chef de ronde et par un habitant de chaque hameau visité. Rapport aux officiers en cas de problème puis au maire.

Et la discipline dans tout ça ?

L’obéissance est mère des armées ! C’est aussi le cas dans la garde nationale. La désobéissance aux ordres, l’insubordination, l’absentéisme non justifié, la destruction ou le mauvais entretien de l’armement ... sont passibles de peines précisées dans un opuscule. Un grand tableau récapitulatif des infractions et des peines correspondantes doit être affiché dans le corps de garde.

Un conseil de discipline composé de gradés et de simples gardes est présidé par le chef de bataillon. On peut lire le registre des jugements de 1832 à 1871. Les peines le plus souvent requises varient de la réprimande à l’amende de quelques francs, à la prison pour 6 heures au moins à trois jours au plus, privation de grade, voire journées de travail pour le bien commun enfin renvoi possible devant les juridictions correctionnelles. La lecture de ces jugements apporte un éclairage humain à cette organisation qui pendant presque un siècle aura été le ciment citoyen voulu par la révolution de 1789.

La garde nationale est dissoute le 25 août 1871. Il nous reste de cette garde citoyenne méconnue quelques gros dossiers jaunis et des noms qui parfois résonnent encore dans nos villages.

Alain Hénaut


Sources : archives mairie de Clères