Les marnières
Témoignage d'Eslettes

Les effondrements de marnières défraient parfois les chroniques des journaux. 

Et pour lever une suspicion de marnière chez soi, c’est compliqué, long et coûteux : voir le témoignage d’une habitante d’Eslettes.

Effondrement d'une marnières en Seine-Maritime (Crédit : CD76)

Forage pour lever l'incertitude
(crédit Jackie Stocker)

 Le creusement de marnières est une pratique très ancienne, déjà citée dans des textes datant du premier siècle après JC. Mais elle a pris un essor considérable au XVIIe siècle à cause d’un édit de Colbert précisant les bienfaits de l’amendement calcaire.

Au XIXe siècle les “ marneux” ou ”marnerons” creusent des centaines de puits dans les couches de craie des plateaux afin d’exploiter les marnes situées en profondeur. Les puits mesurent entre 10 et 30 mètres et permettent de creuser des chambres et des galeries souterraines de 10 à 20 mètres de longueur et de 2 à 3 mètres de hauteur. Les galeries sont en principe orientées vers l’extérieur de la cour en direction des champs. Après usage, elles sont rebouchées, leurs emplacements seulement repérés par des arbres. Au fil du temps (et des remembrements), ces arbres généralement isolés au milieu des champs ont disparu et la mémoire du site avec eux.

Ce n’est qu’en 1853 que la déclaration d’ouverture d’une marnière devient obligatoire.

Dans les années 1950 cette pratique prend fin et les puits sont sommairement rebouchés.

Les archives mentionnent des accidents sur les plateaux surplombant nos vallées du Cailly et de la Clérette (cependant moins fréquents que sur le plateau de Caux). Beaucoup de marneux ont été ensevelis dans des éboulements et sont morts malgré les efforts pour les remonter à la surface. Mais parfois, de petits miracles ont lieu : par une journée pluvieuse de janvier 1817, Thomas Levillain, marneron de 27 ans, extrayait de la marne destinée à amender les champs dans une marnière de Bocasse. Il se trouve prisonnier à 30 m de profondeur. Les travaux entrepris par les autres marnerons pour le dégager, suivis avec angoisse par sa fiancé, n’aboutissent qu’au bout de neuf jours… miraculeusement il est vivant ! Les journaux de l’époque relatent la belle histoire qui donne lieu à une pièce au Théâtre des arts de Rouen intitulée “La marnière du Bocasse”. Thomas Levillain et sa fiancée, devenue son épouse sont présents et émus aux larmes (voir l'article du journal de Rouen écrit un siècle plus tard par Georges Dubosc - pages 4 et 5).

On ne creuse plus de marnières à notre époque, mais elles existent toujours dans les sous-sols de nos plateaux, et parfois sous nos maisons et nos jardins.

Source : Cercle généalogique du Pays de Caux


Françoise Hénaut



Histoire de la marnière n°15 d'Eslettes

Témoignage

Le 22 mars 2022, douze familles de notre quartier sont invitées par la municipalité à une réunion d'information : nos maisons et jardins viennent d'être inscrits par la Préfecture dans une « zone de suspicion de galeries souterraines ».

Quelle annonce ! Cette zone impacte donc le prix de vente de nos maisons et nous interdit un agrandissement de plus de 20 m2...

La CEREMA, organisme public, a déjà fait des investigations autour du puits de la marnière situé sur l'avenue toute proche. Ce puits est connu depuis longtemps et a été comblé plusieurs fois....

Mais la Préfecture a demandé aux communes de faire des investigations plus poussées en prévention des dégâts que peuvent poser les marnières qui s'effondrent du jour au lendemain !

Ces investigations sur le domaine public ont eu lieu en 2021, aux frais de la commune. Il en est résulté une « zone de suspicion de cavités souterraines » sous nos maisons, dans le domaine privé.

Pour lever cette suspicion, il fallait effectuer des forages dans le jardin de la 1ère maison, à nos frais !

On nous a conseillé de créer une association : unis, on est plus fort et surtout on peut partager les frais ….Nous avons donc constitué une association avec 10 familles, deux se sont ensuite retirées du projet.

Notre association s'est appelée : Marnière n°15 avec président, secrétaire et trésorier. Nous avons pu demander des subventions à l’État et au Département.

En septembre, la CEREMA a entrepris les travaux de forages : 2 ou 3 forages très difficiles à réaliser sans abîmer les différents branchements devant la 1ère maison...

Au final, 2 forages ont suffi et les résultats nous ont tous soulagés : la suspicion de cavités était levée !

Nous attendons maintenant la facture en espérant que le reste à charge, après les subventions, soit réduit !


Jackie Stocker