La catastrophe de Critot
du 3 Octobre 1870
du 3 Octobre 1870
Le monument dédié aux victimes de la catastrophe
Dans la nuit du 3 au 4 octobre 1870, alors que la France panse les plaies de ses défaites, un événement tragique vient ajouter le deuil à la désolation. La gare de Critot est le théâtre d'une catastrophe ferroviaire qui va marquer les mémoires.
La 8ème compagnie du 20ème bataillon de Chasseurs à pied, forte de 330 hommes, quitte Boulogne-sur-Mer le 3 octobre. Parmi eux, de vieux vétérans des guerres d'Afrique, de Crimée et d'Italie côtoient de jeunes volontaires, tous animés du même élan patriotique. Leur destination : l'armée de la Loire. Le voyage se déroule dans la joie et l'enthousiasme, les soldats chantant et sonnant du clairon à chaque gare traversée.
Mais le destin frappe brutalement. Aux abords de la station de Critot, le train, lancé à pleine vitesse, s'engage sur une voie de garage restée ouverte. La locomotive, impuissante à s'arrêter, percute l'obstacle en bout de voie, déraille et s'enfonce dans le sol. Le choc est d'une violence inouïe, comparable aux détonations de l'artillerie. Un fracas épouvantable, suivi d'un silence de mort, seulement troublé par les cris des blessés et les appels désespérés.
L'horreur de l'accident est amplifiée par la nuit. Les wagons sont broyés, les corps mutilés. Des soldats, arrachés brutalement au sommeil, croient à une attaque ennemie. Mais c'est un accident, une catastrophe ferroviaire.
Le chef de gare de Critot et ses employés, non avertis de ce train exceptionnel, donnent l'alerte et organisent les premiers secours. Le maire de Critot, Auguste Leroux, et son adjoint, Etienne Papillon, font battre la générale et sonner le tocsin. Les habitants, croyant à l'approche des Prussiens, accourent armés de fourches et de fusils. Mais la triste réalité les saisit : il faut secourir les victimes de l'accident.
Hommes, femmes, soldats valides, tous s'unissent dans un élan de solidarité. Les blessés gisent sur la voie, d'autres sont ensevelis sous les décombres. Le travail de sauvetage est pénible, difficile, rendu encore plus compliqué par l'obscurité. Les feux de la locomotive renversée projettent des lueurs sinistres sur la scène de désolation.
Les médecins affluent des environs : Langlois de Bosc-le-Hard, Couturier de Cailly, Descamps et Persac de Buchy, Marquézy Letourneur, Gressent. Ils prodiguent les premiers soins aux blessés, tentant de soulager leurs souffrances. Les corps sont transportés dans les champs voisins, puis dans les fermes des alentours, transformées en hôpitaux de fortune.
L'émotion est immense. La population fait preuve d'un dévouement exceptionnel. Des familles se mobilisent comme les Crevel, Halot, Mazurier et Pavie de Critot, Magnier, Périer et Sanlaville, d’Esteville ; Durieu, d’Yquebœuf ; Rouland, Auvray et Cordier, de Bosc-Bérenger ; Cauchois, du Petit-Rocquemont, et Julien, du Pucheuil.
Dans les fermes, les granges, les blessés sont étendus sur des matelas ou de la paille. Les médecins, les soldats valides, les habitants s'affairent autour d'eux. Le curé de Critot et les prêtres des environs apportent les consolations de la religion aux mourants.
La gare de Critot est encombrée de blessés. Mais malgré leurs souffrances, les soldats font preuve d'un courage et d'une résignation stoïque. Goulmy, un vétéran décoré, plaisante avec ses camarades, déplorant de ne pas être mort au combat. Un jeune engagé volontaire, Fernand de Gévrie, grièvement blessé, témoigne d'une bravoure admirable.
Le lendemain, deux trains spéciaux emmènent les blessés à Rouen. Certains succomberont pendant le trajet. À l'Hospice-Général, les docteurs Hélot, Hélot fils, Delafosse, Ballay et Gressent et les sœurs hospitalières prodiguent des soins dévoués.
Le bilan de l'accident de Critot n'a semble-t-il jamais établi avec certitude et les sources de l'époque sont contradictoire.
Un monument près de la voie de chemin de fer, sur la route de Cailly à Saint-Saëns, rappelle cet épisode douloureux.
Jean-Claude Parenty