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Pierre Leleu alias Adrien, alias Pierre Guillaume Adrien (Bolbec 1737-Grugny-1818), fils de boulanger, avait été vicaire de la Houssaye Béranger. Il est présenté à la cure de Grugny le 27 juillet 1769 par Françoise Martel veuve de Charles Martel, seigneur de Clères.
Il déclare en 1791 qu’il ne pouvait prêter le serment civique tel que le demandait le décret de l’Assemblée Nationale. “Je déclare que comme pasteur, je m’engage à veiller avec soin sur le troupeau qui m’a été confié par Dieu. Comme patriote je promets à la Nation un attachement inviolable comme fidèle sujet. Je reconnais le roi pour le vrai et légitime monarque de la France et je voue à sa personne sacrée le dévouement le plus respectueux.”
Le 14 mai 1791, il confie à la municipalité le mobilier cultuel inventorié le 1er septembre 1790 et les registres de catholicité (ADSM L 2594). Il obtient un passeport de sa municipalité et s'embarque à Dieppe pour l’Angleterre le 10 septembre 1792.
En Angleterre, “il faisait des matelas à la française qu’il vendait cinquante francs pièce. Il fabriquait aussi des chaussons fourrés pour l’hiver et des galoches ; dans la famille Meade, père, mère, enfants, domestiques, trouvèrent l’invention excellente et se fournirent chez l’exilé.” (Un curé de Normandie réfugié en Angleterre. La Revue des Questions Historiques. 1900, page 487)
Il devient curé de Frichemesnil après le concordat et meurt le 4 octobre 1818. L’abbé Leleu fut le dernier curé de Grugny.
Guillaume Leleu (Bolbec 1743-Grugny 1812) devient le premier juge de paix du canton de Montville après avoir exercé la profession de laboureur et vient s'établir près de son frère aîné, curé de Grugny et de sa sœur restée célibataire.
Le 3e jour de décembre 1790, Guillaume Pierre Leleu tient sa première audience à Monville, alors chef-lieu de canton. Les audiences se tiennent suivant les besoins tantôt à Monville, tantôt à Clères, souvent à 8 h du matin. Il y avait peu d'actes à cette époque, peut-être 35 à 40 par an.
Il fut semble-t-il un juge correct et conciliateur et en 1801, lorsque les trois justices de paix de Cailly, Monville et Quincampoix sont fondues en une seule ayant Clères pour siège, il devient iuge de paix du canton de Clères, fonction qu’il exercera jusqu’à son décès en 1812.
Pendant la révolution, son frère est déporté en exécution de la loi et son mobilier déposé à Rouen. Guillaume Pierre Leleu continue à habiter le presbytère avec sa sœur et se plaint d'être sans feu malgré la rigueur de la saison et aussi de l'irrégularité du service du Bulletin des Lois.
Les deux frères tiennent en leur domicile de Grugny un collège où ils accueillent en pension quelques élèves. Pierre déléguait à son frère Guillaume Pierre Leleu une grande partie de l’éducation des enfants. Jacques Salbigoton Quesné, écrivain, né à Pavilly le 1er janvier 1778 fut l’un des élèves de ce collège. Il évoque dans ses Confessions les souvenirs de son séjour à Grugny et fait une description des deux frères :
“Le directeur se nommait M. Leleu, curé du lieu, petit homme rond, gras, dodu, bonne face, double étage au menton, panse rebondie, amateur de fine chère, connaisseur en vins délicats, et se reposant des soins de l'éducation des élèves sur son frère, homme instruit, grand chasseur, excellent convive, et très friand du gibier tiré de ses mains. Il n'avait pas un seul cheveu sur la tête, et nous parlait fréquemment sa perruque à la main, situation piquante et peu propre à retenir dans le sérieux des écoliers auxquels le besoin de rire est presque aussi nécessaire à l'existence que l'air qu'ils respirent ».
L’écrivain évoque aussi les conditions de vie chez les frères Leleu pendant le dur hiver 1788-89 :
“L’hiver de 1788 à 1789, comme on sait, fut extraordinairement rude. Nous prenions nos repas au presbytère ; mais quand il fallait en sortir à neuf heures du soir, traverser une longue cour, monter à nos chambres qui n'étaient autre chose que des greniers mal clos, Dieu ! Quel froid pour de petits membres tels que les nôtres, échauffés pendant le jour jusqu'à la transpiration par un poêle ! Je me souviens qu'au souper, les murailles du réfectoire offraient en une multitude de points le brillant des diamants. Les trous pratiqués dans la glace des mares avaient plusieurs pieds d'épaisseur, et l'on était contraint de la casser plusieurs fois dans la journée. A ce froid inouï dans nos climats se joignait la disette des grains. Des malheureux, et quelquefois des voleurs, parcouraient les campagnes dans les ténèbres, demandant du pain, l'œil hagard et la menace à la bouche. On les nommait pauvres de nuit...”
Jacques Salbigoton Quesné n’a fréquenté qu’une seule année le collège des frères Leleu, mais son témoignage est précieux. Il a écrit de nombreux ouvrages encore disponibles sur internet et jouit d’une certaine notoriété au 19e siècle. Il est maintenant totalement oublié.
Françoise Hénaut