Incidents diplomatiques en Turquie

Le 6 avril 2021 le président turc Recep Tayyip Erdogan rencontre le président du Conseil européen Charles Michel et la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen; dans le salon aucun fauteuil n’est prévu pour cette dernière, seulement un petit canapé à quelques mètres de là. Beaucoup y ont vu là une violence symbolique inacceptable.

Ce n'est pas la première fois que ce genre d’incident se produit avec les dirigeants turcs. Déjà, vers 1554 lorsqu’Ogier Ghislein de Busbecq, ambassadeur de l'empereur d’Autriche Ferdinand 1er, est reçu par Soliman le magnifique, sultan de l'empire ottoman, aucun siège n’est prévu. Ogier n'est pas pris au dépourvu, il déploie, devant Soliman, le tapis qu'il a amené et s'assoie par terre, surpris. A la fin de l'entretien, il se lève, prend congé et part en laissant le tapis au sol. Le sultan lui faisant remarqué son oubli, l'ambassadeur aurait répondu en substance, que dans son pays il n'était pas d'usage d'emporter les meubles sur lesquels on s'assoyait.

Il est vrai qu'Ogier n’est pas homme ordinaire.

Né à Comines en 1522, enfant naturel reconnu par son père, le seigneur de Busbecq, il reçoit la meilleure éducation et le meilleur enseignement.

Remarqué comme négociateur par Ferdinand 1er, il est envoyé en Angleterre puis à partir de 1554-1555 auprès du Sultan Soliman le Magnifique.

Intellectuel brillant, découvreur de manuscrits, qu’il expédie aux savants de l’époque, et, en 1555, de l’inscription gravée sur le monument d’Ancyre qu’il fait connaître dans toute l’Europe par ses écrits.

Passionné par les animaux qu’il recueille dans sa maison d’Ambassadeur à Constantinople, tels des singes, ours, chevreuils, cerfs, lynx... et oiseaux, aigles, corbeaux, perdrix, chouettes, canards… Ainsi que des plantes, “exotiques” à l’époque comme la tulipe, le lilas et le marronnier d’Inde, qu’il contribue à introduire en Europe.

Il consacre une partie de sa fortune à racheter des chrétiens, enlevés et rendus esclaves par les turcs.

De retour à Vienne en 1562, il est chargé par l’empereur de l’instruction de ses deux petits-fils, Rodolphe et Mathias, futurs empereurs eux-mêmes et nommé intendant des affaires d’Élisabeth d’Autriche, veuve de Charles IX, roi de France.

En octobre 1592, âgé de 70 ans, ministre plénipotentiaire de l'empereur autrichien Rodolphe II, il obtient un congé de 10 mois pour visiter ses amis avant de se retirer dans sa ville natale en Belgique.

Voici ce qu’écrit, à ce sujet, M de Beaurepaire dans le Tome V du bulletin de la commission des Antiquités de la Seine Inférieure:

« Se trouvant dans le bourg de Cailly où il reçut l’hospitalité, une troupe de soldats, accourus d’une station voisine, se saisissent de vice force de sa personne. Mais comme dans les sentiments de constance et de grandeur d’âme dont il est rempli, il se plaint de la violence qu’on lui fait subir et de ce qu’on le rançonne contre le droit des gens, lui revêtu de la dignité d’ambassadeurs, lui enlevant ses bagages, non par l’ordre du gouverneur de Rouen, comme ces brigands s’en vantaient mais par pur esprit de rapine, les soldats effrayés et troublés par les reproches de leur conscience lui font de grand matin, restitution complète et prennent aussitôt la fuite. Au gouverneur de Rouen excusant leur mauvaise action et promettant de les punir, il répond qu’il préfère la paix et la tranquillité à la vengeance de l’injure qu’il a subie.

Atteint d’une maladie qu’il prévoit devoir être mortelle, il se fait porter au château voisin de Saint Germain, accueilli par Charlotte de Mailloc, femme d’une rare distinction et Dame du Lieu, près de l’église de Saint-Germain. 11 jours après, il meurt le cinq du calendrier de novembre (25 octobre 1592).

Son corps a été honorablement enseveli dans cette même église. Son cœur enfermé dans une larme de plomb a été porté à Busbecq dans le magnifique monument de ses ancêtres. ».

On a de lui quelques ouvrages en latin, remarqués par la pureté et la vigueur du style, par la profondeur et la sagacité des vues qui y sont exposées. Ils ont été réunis dans un Elzevier, publié à Leyde en 1633, sous ce titre : « A. Gislenii, Busbequii omnia que extant cum privilegio ».

Ses Lettres Turques ont été traduites en français en 1748 par l'abbé de Foy (texte intégral en cliquant ici) et plus récemment par Dominique Arrighi et publiées en 2009 aux éditions Honoré Champion.

L’église de Saint Germain a été détruite dans le premier quart du 19ème siècle et l’ensemble de son mobilier transféré dans l’église de Cailly.

Quant aux restes de Ogier Ghislein de Busbecq, pour le moment, mystère...

JC Parenty

Pour aller plus loin :

- Biographie sur Wikisource (Biographie nationale de Belgique - 1872 - Gachard) ou sur Gallica dans Le magasin pittoresque de 1874

- Lettres du baron de Busbecq (traduction en français de 1748 par l'abbé de Foy - Google books)

- Différentes biographies sont disponibles sur l'Intranet (réservé aux adhérents)