Auprès de mon arbre je vivais heureux ...

La plantation d’un arbre de la liberté en 1790, par Jean-Baptiste Lesueur.

« Auprès de mon arbre je vivais heureux, j’aurais jamais dû m’éloigner d’mon arbre ..., j’aurais jamais dû le quitter des yeux ». On pourrait prêter à notre barde national, Georges, une velléité de vigile révolutionnaire pour un arbre de la liberté qui lui aurait été confié. L’arbre ?... Symbole de la liberté depuis la révolution française, il représente la continuité, la croissance et la puissance. Il figure sur les pièces de 1 et 2 euros frappées dès 1999.

Le maire provisoire de Clères

Mes chers concitoyens,

La liberté est acquise au peuple français.

L'arbre qui en est l'emblème sacré, s'élève de toutes parts et va bientôt couvrir le sol de la patrie ... (Archives Clères) .

Le 14 juillet 1989, le maire, le conseil municipal, les pompiers de Cailly se retroussent les manches pour planter un saule pleureur afin de commémorer la liberté de 1789

Crédit : Le bulletin de Darnétal (20/07/1989)

Le 11 novembre 2018, les enfants de Cailly plantent l'arbre du souvenir de l'association, un charme pyramidal.

Il faut dire que depuis des temps immémoriaux, on le vénère, les romains et les gaulois plantaient « l’arbre de mai “ pour célébrer l’arrivée du printemps. Les arbres de la liberté prennent naissance à l’époque de la révolution française, On met alors en terre de jeunes peupliers dans toutes les communes. Les plantations se multiplient au printemps et à l’été 1792. Quelques mois après, 60 000 arbres s'élèvent en France (dixit l’abbé Grégoire).

L’inauguration se fait dans une grande solennité avec cérémonies et réjouissances populaires (même le clergé s’y mêle, parfois un peu « forcé »). Voyons ce qu’il en fut dans notre canton.

Tout d’abord après 1789 :

    • St Germain sous Cailly, 21 janvier 1794 : extrait du compte rendu de l’agent national de la commune pour le citoyen administrateur du district de Rouen qui indique que la plantation d’un jeune peuplier s’est faite avec toute la population et la garde nationale en grand uniforme et a donné lieu à une grande festivité et un repas champêtre.

    • Cailly janvier 1794 : commentaire de l’édile municipal qui écrit aussi au citoyen administrateur : « Le curé Lebaillif dut assister aux cérémonies, il a dansé puis pris le repas et coopéré généreusement aux frais ».
      Rq : un siècle plus tard, un ecclésiastique moins bien disposé envers la révolution écrit à propos du curé Lebaillif : «
      il fut arraché de son presbytère, forcé d’assister à la plantation et on l’obligea par dérision à manger sur place un chétif hareng saur… »
      Ce en quoi les versions peuvent diverger !

  • Quincampoix : un matin d’avril 1795, les officiers municipaux constatent que l’arbre planté en octobre 92 a été scié dans la nuit… Les autorités supérieures ordonnent de replanter les arbres détruits, ce qui est fait à Quincampoix le 9 mai 1795 en présence du conseil général, du commandant de la garde nationale, du tambour et de quatre fusiliers. Le lendemain matin, les officiels seront avertis par le greffier que l’arbre avait été cassé dans la nuit.

Nous avons plus de témoignages pour la révolution de 1848, en voici quelques exemples :

    • A Clères, le 19 avril 1848, Jean-Baptiste Henri Riqueur, meunier au Tôt et maire provisoire, s’enthousiasme pour la république et déclare : « Que l’arbre de la liberté soit planté à Clères le 25 de ce mois à midi. Je serai heureux et fier de présider à une cérémonie aussi belle que touchante à laquelle, mes chers concitoyens, je vous y convie ». (registre des délibérations du conseil municipal). On ignore le sort réservé audit arbre.

    • Adélaïde Bauche, bourgeoise Rouennaise en villégiature à Esteville raconte « On procéda à la plantation devant le presbytère. Mr le curé prononça un discours et bénit l’arbre. M. Archer entonna des champs patriotiques entre autres le chœur des Girondins. Mr le curé ne jugea pas à propos d’assister à cette partie du programme…
      Mais… Le 25 mai 1848, on trouve une missive du maire d’Esteville au citoyen administrateur du district de Rouen ainsi libellée : «
      l’arbre de la liberté a été coupé samedi dans la nuit. Ayant proclamé que j’en replanterai un le lundi suivant, 2 membres de la commission municipale m’ont attaqué devant le public et m’ont dit les dernières sottises ». Et il démissionna.

    • 9 avril 1848 : l’arbre de la liberté est planté à Rouen dans la même ferveur (2000 participants). Mais l’arbre fut coupé dans la nuit du 11 au 12 avril 48 ; une procession populaire se forma et le club démocratique en replanta 4.

    • le 16 avril 1848 à Montville selon les mémoires de François Leblanc ouvrier peintre et vitrier dans cette commune ou il rapporte ses souvenirs concernant la saga de la plantation de l’arbre à Montville :

« Le dimanche des rameaux (16 avril 1848) un peuplier fut orné de couronnes et de rubans tricolores et promené dans le milieu du bourg. Il fut ensuite planté sur la place d’armes. Après la messe, les autorités civiles et religieuses, la garde nationale et le club (démocratique) procédèrent à la cérémonie. Il fut béni par le vicaire (on a prétendu que le curé était malade ce qui justifiait son absence …) des discours furent prononcés. Le greffier de la mairie chanta un hymne à l’Etre Suprême suivi de la marseillaise. Comme l’arbre de Rouen avait été coupé, il fut convenu avec le commandant - de la garde nationale - que des ouvriers monteraient la garde autour. Les ouvriers « qui gardaient la garde de nuit » étaient équipés de fusils rouillés… Comme la place où se trouvait l’arbre était éloignée du corps de garde, dans la nuit du 27 au 28, les hommes qui montaient la garde criaient à peu près toutes les 5 minutes « sentinelle garde à vous ! » d’une voix de stentor... (pour se rassurer ou faire peur aux éventuels réactionnaires ? nda). Ce fut une nuit terrible que les bourgeois de Montville ont passée, ils croyaient que leur dernière heure avait sonné ; et que les insurgés allaient venir les dévorer. »

Enfin pour terminer voici deux extraits des délibérations de conseil municipal de Cailly du 30 mai 1848 qui montrent l’intérêt des édiles municipaux à la sécurité et la mise en valeur de leur arbre :

  • Grillage pour entourer l’arbre de la liberté : 41f.

  • Peinture pour l’entourage de l’arbre de la liberté et inscrire les devises de la république sur le drapeau de la mairie : 11,35f.

Voilà, symboles de la république, des arbres furent aussi plantés aux grandes occasions comme à la fin des conflits ou pour fêter les centenaires anniversaires de la révolution de 89. Le dernier, en 1989 reste dans les mémoires des plus âgés d’entre nous.

A Cailly les membres de notre association ont planté le 11 novembre 2018 un charme pyramidal à proximité du monument aux morts pour commémorer le centenaire de l’armistice de la grande guerre. Aux dernières nouvelles il est toujours debout !

Plantés dans un endroit apparent, l’arbre devait grandir avec les institutions. Aujourd’hui, il est promis qu’il nous aidera à sauver la planète. Alors, à vos bêches ! Pour finir, je partagerai avec vous ces quelques vers d’une chanson de l’inimitable Québécois Gilles Vigneault :

J’ai planté un chêne au bout de mon champ,

Ce fut ma semaine,

Perdrerai-je ma peine, perdrerai-je mon temps ?


Alain Hénaut