Vivre en temps de Guerre : La vie pendant l'occupation

Emile Lemercier avait 98 ans lorsque nous l’avons rencontré. Doté d’une mémoire prodigieuse, intacte, avec une réelle envie de témoigner de ce qu’il avait vécu, il nous a confié ses souvenirs.

Deuxième partie : Les fouilles, réquisitions, STO, V1 ...


Le premier missile : le V1

Plusieurs bases de lancement sont présentent dans les environs. Parfois le gyroscope se déréglait au départ, le V1 se mettait à faire des cercles autour des villages du Haut Cailly et chacun redoutait alors sa chute, comme Emile Lemercier ici.

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Les fouilles, gardes et réquisitions

Il fallait faire attention. Une fois les allemands avaient abattu un avion anglais et le pilote avait sauté en parachute et ils le cherchaient partout.

Ils avaient commencé par les voisins, alors que j’étais dans mon jardin. J’ai tout d’un coup décidé de rentrer dans ma maison. Un allemand m’a vu :

Hep monsieur, faut pas partir, faut rester là, on vient chez vous.

Ils sont venus fouiller chez moi. Je n’étais pas tranquille car j’avais un peu plus loin dans la fond de la cour une vieille grange, et le pilote aurait pu être planqué là dedans et je ne le savais pas. Ils ont fouillé partout, la chambre et soulevé le matelas et trouvé mon porte feuilles (rires). C’était un SS. Il s’était mis à rire. Après nous sommes allés dans la grange. Elle était vide. Heureusement.

J’ai été obligé de prendre la garde au tunnel de Malaunay sans armes (rires).

J’ai été réquisitionné par les allemands, en juillet-août 1944, qui avaient donné ordre au maire de Pissy Pôville de creuser des tranchées de 5 à 6m de large et de long, pour se planquer pendant leur retraite. J’en ai creusé une avec 2 autres gars et nous avons été payés au percepteur à Maromme.

Je suis allé chercher l’argent avec un des 2 gars (mon voisin François Planquais). On dépose les vélos devant la porte de la perception. Je surveillais les vélos et je vois alors 2 allemands avec tout leur barda sur le dos. Je dis à mon voisin :

Cré nom dé dieu de bon dieu. Ils partent avec nos vélos.

Je sors.

Hop là, il faut laisser les vélos là.

Les allemands ne semblaient pas armés et ils en avaient marre. Ils ont laissé les vélos et ils ont foutu le camp. S’ils avaient résisté, ils auraient eu à faire à moi. Ils auraient vu que j’avais des bras de 15 kg (rires).

Marché noir, STO, V1 et vols

Pendant l’occupation il y en avait qui n’étaient pas bien. Nous nous avions 4 enfants et donc nous avions beaucoup de cartes d’alimentation et je faisais de tout dans le jardin. J’avais repiqué beaucoup de petits choux, des choux de louviers (avec un petit peu de rouge sur les feuilles). Des gens venaient avec des carrioles pour acheter nos choux. J’avais 2 vaches et donc du lait et du beurre.

Il y avait aussi des mauvais français. Un jour j’étais chez un de mes voisins, fermier, pour qu’il m’aplatisse un peu d’avoine. Deux gars sont arrivés en demandant s’ils pouvaient avoir un peu de pommes pour brasser. Il leur à dit :

J’ai des pommes mais vous ne pouvez pas me payer le prix.

Je trouvais cela dégueulasse, je ne pouvais pas sentir des trucs comme ça. C’était injuste.

On voyait de tout. Certains disaient, quand on leur refusait quelque chose :

On va vous envoyez la milice.

Un jour, j'arrive à l’usine de Bapaume et les allemands demandaient des volontaires pour aller travailler en Allemagne. Certains y sont allés volontairement. Mon nom était marqué pour aller travailler en Allemagne. C’était un de l’usine qui m’avait joué un tour. Je dis au contremaître :

Avertissez M. Accart (NDLR: Directeur de l'usine de feutre à Bapeaume ou travaille Emile Lemercier) que j’ai besoin de lui parler.

M. Accart me fait appeler, et je lui dis :

Il y a quelque-chose que je ne comprends pas très bien.

Pourquoi Emile ?

Mon nom est sur la liste pour aller travailler en Allemagne (il y en avait 5). Si ce soir, mon nom n’ait pas retiré, vous ne me revoyez plus.

Ne vous en faites pas Emile, votre nom sera retiré.

Mon nom a été retiré.

Il y avait des rampes de lancement de V1 à Pissy-Poville, à Fresquienne, auprès du château. La famille Accart a été obligée de quitter le château. Il y en avait à Saint Jean du Cardonnay.

Un fois j’ai eu peur. Le V1 partait la nuit de Saint Jean. On l’entendait partir et ça brûlait derrière et cela faisait une ombre dans la maison. J’avais dis à ma femme et mes enfants de se mettre sous la table. Je suis sorti et plus ça allait plus l’ombre était importante. Le V1 se dirigeait sur la maison. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé, est – ce l’effet du vallon où nous étions, le V1 s’est redressé juste avant la maison et il est allé s'écraser en face, à Saint Maurice, dans les jardins d’un de mes voisins qui avait été 40 ans en Amérique.

Nous en avons vu beaucoup partir. J’avais une tranchée avec des fagots par-dessus. Nous ne vivions pas tranquillement.

Je n’ai jamais été en contact avec la résistance. J’avais décidé de rester tranquille. Une fois il y a eu des personnes de tués, pris en otages. Il y en avait qui étaient plus malins que les autres. Quand nous avions à faire à des SS …

Mon père était encore à sa ferme, un allemand venait souvent à la ferme, il était plutôt sympathique. Il l’a quittée à cause des V1, pour aller dans une petite maison dans Fresquienne.

Une fois, mon voisin fermier avait averti la gendarmerie que certains venaient dans sa plaine y voler de veillottes de grains. J’avais un veau que je graissais au bout de la maison sous l’escalier. Cette nuit là, notre petite chienne se met à hurler, et je me lève, je m’habille. Je prends un bout de bambou que j’avais ramené de Cahors et j’arrive à la barrière. Pan ! Pan ! Deux coups de révolver. Je me suis fais entendre et j’ai vu les gendarmes.

-Comment ça se fait que vous êtes debout, Monsieur Lemercier. ?

Ma petite chienne a hurlé et je suis venu voir ce qui se passait.

Ils étaient venus pour mon voisin fermier et ils avaient vus deux gars de l’autre côté de la route, Cognard et X, qui étaient rentré chez moi, prêt à tuer mon veau. L’autre faisait le guet dans une petite baraque. Nous l’avons entendu courir. C’était un de ceux qui avait fait la tranchée avec moi quand nous avons été réquisitionnés. Il y a eu une perquisition chez eux. Des peaux ont été retrouvées. Ils en avaient volé d’autres pour les revendre au marché noir.