Sécheresse, manque d’eau, des phénomènes pas si nouveaux !

Sécheresse, manque d’eau, des phénomènes nouveaux ? Pas si sûr ! Georges Dubosc dans un article du Journal de Rouen de 1922 relate la pénurie d'eau de l’été 1921 sur le vaste plateau du Pays de Caux. Suivons-le dans son analyse des raisons de la sécheresse qui a une fois de plus frappé le Pays de Caux cet été 1921.

Bulletin de Situation Hydrologique
pour le 01/09/2022 - Météo France

Déjà aux États généraux de 1484, le député du bailliage de Rouen signalait, en termes fort énergiques, le triste sort du pays de Caux, qui presque tout entier gémissait d'être privé d'eau. En 1698, l'intendant de la Généralité de Rouen notait, dans un mémoire inédit, “que le pays de Caux très élevé et très froid est incommodé par l'extrême disette d'eau”.

Toussaint Duplessis (1689-1767) dans sa Description de la Haute-Normandie explique : “Le païs de Caux est coupé par diverses petites rivières… assez éloignées les unes des autres : elles n'arrosent que les vallées en sorte que les plaines, faute de puits, n'ont d'autres ressources que des mares qui se dessèchent “.

La perméabilité du sol et l'altitude des nappes souterraines sont les causes de cette sécheresse : une partie des eaux tombées s'évapore, une autre ruisselle sur les pentes et une autre enfin s'infiltre dans le sous-sol des plateaux. Or, le sol du plateau de Caux est formé d'un limon poreux, perméable, reposant sur l'argile à silex, qui, elle-même, repose sur la craie formant des nappes souterraines assez étendues.

Le creusement des puits étant très coûteux, ils furent établis, jadis par les paroisses. Déjà, pendant l'occupation romaine, on creusa beaucoup de puits et l'abbé Cochet en cite deux, véritables “puits communs”, à Fauville, sur la voie romaine de Lillebonne à Boulogne.

Il en existait aussi dans les abbayes et dans les églises.

Quelques-uns de ces puits, creusés sur les plateaux, atteignent des grandes profondeurs, parfois jusqu’à 150 mètres.

Une ordonnance de François Ier en 1540, exige qu'il “serait fait des puits, par tous les lieux, villes et villages de France”. Néanmoins, lors de la Révolution, les cahiers de doléances portent de vives plaintes sur l'abandon des puits et des mares, en sorte que “dans les grandes gelées et les sécheresses, les pauvres habitants sont forcés de quitter leur travail pour se procurer dans des lieux éloignés l'eau qui leur est nécessaire.”

A partir du 18è siècle, le nombre de puits a diminué.

Pour conquérir l'eau si nécessaire à son sol aride, il ne restait plus au paysan normand qu'un seul moyen : recueillir les eaux à la surface du sol en les empêchant de s'infiltrer dans la terre. Ce fut le rôle de la mare. Rôle très ancien, car certaines mares, remontent peut-être aux temps préhistoriques. Situées loin des habitations, dans les champs, elles s'étendaient en surface, au centre de déclivités assez vastes, aménagées en une sorte de bassin, aux pentes douces. Ainsi constituée, la mare est alimentée par la lente infiltration des eaux pluviales, à travers le sol végétal. Et la façon dont elles “tiennent” émerveille encore les paysans.

Toute la toponymie du pays de Caux indique l'importance des mares dans l'économie agraire. Très fréquents sont les noms qui finissent par mare : Alvimare, Croixmare, Roumare, Quatremare, Ymare, etc…

Il n'y a pas une ferme cauchoise qui n'ait une mare, dans un coin de la masure, souvent à l'ombre des hêtres et des ormes qui surmontent la «banque» et dont la ramure empêche l'évaporation. Les bestiaux vont s'y abreuver. Les cochons viennent s'y vautrer aux heures chaudes de la journée. “Il faut faire la mare tant grande, disait Olivier de Serre, qu'elle pourra ressembler à un petit estang… “.

Mais les mares furent, elles aussi, souvent négligées. A Boos, par exemple, en l'an X, sur cinq grandes mares, il n'y en a plus qu'une en bon état.

Et les mares, suffisantes pour l'alimentation du bétail, étaient par contre, impropres à l'alimentation de l'homme ou à la fabrication du cidre. Aussi les mares ont-elles disparu peu à peu.

Au 19è siècle, l'ardoise remplaçant le chaume pour les toitures permet de recueillir l'eau dans des citernes, où on peut la puiser suivant les besoins. Le géographe Jules Sion (1879-1940) mentionne que la création des citernes dans les fermes a changé la distribution des bâtiments agricoles qui se sont rapprochés de la citerne dans la cour masure.

Mais les citernes s'assèchent aussi et quand les réservoirs sont épuisés, les mares taries, on est obligé d'aller fort loin chercher de l'eau, dans des tonneaux, sur des voitures ou sur des autos. Parfois, le prix de l’eau est monté très haut. “L'an dernier (en 1921), le seau d'eau n'est-il pas allé jusqu'à 40 centimes ?”

Depuis longtemps cependant, le Vexin, où la grande culture fut toujours industrialisée, a résolu le problème. Les grands propriétaires se sont réunis et ont amené sur leurs plateaux, les eaux de la Seine. La société des Eaux du Vexin, depuis 1880, a installé près des Andelys de puissantes machines qui refoulent l'eau sur les plateaux voisins. Elle est ensuite distribuée par une canalisation longue de 180 kilomètres, dans 51 communes, dans des abreuvoirs, des lavoirs, des citernes.

Aussi, il est à penser que le Conseil général de la Seine-Inférieure voudra lui aussi, par des moyens puissants, assurer à l’avenir, l'approvisionnement constant en eau du Pays de Caux.

Françoise Hénaut

Journal de Rouen du 29/01/1922 - Par ci, par là – L’Eau sur les Plateaux du Pays de Caux Par Georges Dubosc