Recette pour faire pencher un clocher
(débutant s'abstenir)

Les 15 années précédant la loi de 1905 sur la séparation de l’Eglise et de l'Etat ont été une période de conflit intense entre cléricaux et anticléricaux.

A la même époque, le curé de Saint André sur Cailly, l’abbé Denain, manifeste un désir obstiné d’indépendance vis à vis de la commune, mettant en péril la solidité de l'église.

Janvier 1900, le clocher commence à pencher, ... comme aujourd'hui.

Prosper Marye, ancien conseiller à la Cour d’Appel de Rouen, conciliateur.
(collection privée)

Les ingrédients

La 3ème république (1890 - 1904) a vu le conflit entre les cléricaux et les laïques s’afficher dans les hautes sphères de l’état. Les cléricaux veulent redonner à la religion catholique sa dimension institutionnelle, les anticléricaux allant jusqu'à refuser toute religion. Ce conflit aboutit à la loi du 9 décembre 1905, sur la séparation des Églises et de l'État et la laïcité.

Le 16 Août 1890, l’abbé Emile Denain, vicaire de Saint Michel au Havre, est nommé curé de Saint André sur Cailly.

Homme d’une grande sévérité, il n’hésite pas à infliger des corrections aux enfants du catéchisme avec un fouet. Poursuivi par les parents de six enfants et d’un jeune domestique, le tribunal le condamne, en 1892, à 100 francs d’amende, l’abbé reconnaît les faits. (voir l’article dans le journal de Rouen).

Faire des travaux dans l'église

Souhaitant offrir à ses fidèles une meilleure visibilité vers le maître autel, l'abbé Denain entame, en décembre 1899, d'importants travaux :

      • démolition du mur transversal en plein cintre entre le chœur et la nef,

      • enlèvement des autels de la Vierge et de Saint Joseph situés au pied de ce mur,

      • descellement du même mur de la chaire à prêcher.

La commune, propriétaire de l’édifice, n'a pas été consultée et n’a, de ce fait, donné aucun accord pour ces travaux.

Le mur en question supporte le clocher et assure sa résistance aux ébranlements des sonneries.

Faire échouer toute tentative de conciliation

Des conseillers municipaux, voyant le clocher s’incliner fortement, veulent entreprendre la consolidation de l’église pour la sécurité de tous.

Dès janvier 1900, le conseil municipal demande à l’abbé de reconstruire le mur. Une commission est créée avec, comme secrétaire, Prosper Marye, ancien conseiller à la Cour d’Appel de Rouen et habitant de la commune.

L’abbé attaque cette décision devant le conseil de préfecture, demande qui est aussitôt rejetée : la commune est propriétaire des lieux et seule apte à décider de faire des travaux.

Le maire Pierre Garçon accompagné de Mr. Lefèvre, architecte, se rend à l’église pour constater les dégâts. Le curé refuse de lui donner la clef.

Tout espoir de compromis s’éloigne d’autant que, en vue des élections municipales du mois de mai suivant, l’abbé Denain entame une intense propagande contre la municipalité sortante et Prospère Marye en particulier. Pierre Garçon, maire sortant, est toutefois reconduit.

La commune intente alors un procès au prêtre.

Rendre la décision des tribunaux inapplicable (Attention risque d'éjection)

A l’audience du 01 mars 1901, L’abbé Denain plaide lui-même sa défense (cf l’article du journal de Rouen). Le tribunal civil juge que, l’église lui appartenant, la commune est autorisée à rétablir l’édifice dans son état ancien, au frais de l’abbé sous contrainte de 1500 francs, et impose au dit abbé, de rendre les clés au maire en le condamnant à 200 francs d’amende pour son refus antérieur. L’architecte départemental Lefort est nommé expert afin de suivre les travaux.

L’abbé met alors tout en place pour empêcher l’exécution du jugement :

      • il publie dans le journal de rouen du 11 avril 1901, une longue lettre où il reprend les arguments de sa plaidoirie, espérant ainsi infléchir l’opinion en sa faveur,

      • Il fait sceller dans le mur, en octobre 1901, une nouvelle chaire, afin d’empêcher la reconstruction ordonnée par le tribunal,

      • Il fait intervenir la fabrique de Saint-André, celle-ci revendique alors la propriété de l’église.

      • Il fait appel du jugement. La cour d’appel confirme sa condamnation par un arrêt du 19 février 1902 : l’abbé a quatre mois pour exécuter les travaux. Suite à ce jugement et la décision de l’archevêque du 05 mai 1902, l’abbé Denain n’est plus officiellement desservant de Saint André (le curé de Saint Georges sur Fontaine est nommé pour assurer le service), il fait appel de la décision à Rome : appel rejeté en septembre,

      • L'abbé Denain se pourvoit en cassation, à l’échéance fixée par la cour d'appel, le 14 juin 1902, Ce pourvoi n’interdit pas à la commune d’entreprendre la restauration de l’église déclarée en péril par l’expert du tribunal. Afin d'accélérer la remise en état, Prosper Marye finance généreusement les travaux. Sans conséquence pour leur exécution, un conseiller municipal écrit au préfet pour blâmer la commune d’avoir effectué les travaux sans attendre le jugement de cassation.

      • Un nouveau prêtre est nommé à Saint André le 1er janvier 1903 : l’abbé Victor Jeanne. Il quitte la commune 30 ans plus tard dans un climat apaisé.

      • Le pourvoi en cassation est rejeté en novembre 1904.

La loi sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat est votée un an plus tard.

Recette réussie ?

L’épisode se termine alors définitivement, mais le clivage est installé dans la commune pour de longues années.

Après plus d'un siècle, il reste encore un témoignage de l'entêtement de l'Abbé Denain, et plus généralement des relations extrêmement difficiles entre cléricaux et anticléricaux, le clocher, bien penché.

Michel Lucien

JC Parenty