Histoire de la Pologne communiste

Autopsie d'une imposture

Avant-propos


Histoire de la Pologne communiste ; autopsie d'une imposture


AVANT-PROPOS

La présente chronique est celle d'une imposture. Une imposture charriée avec les débris d'une Europe broyée par la Seconde Guerre Mondiale. Annoncé par Munich et le dépeçage de la Tchécoslovaquie - une entreprise dont la Pologne s'est rendue complice - le sort de l'Etat polonais né en 1918 est scellé par le pacte Molotov- Ribbentrop, par la brève guerre de conquête qui s'ensuit et par l'impuissance des alliés occidentaux de la Pologne. Aucune des deux puissances prédatrices n'a l'intention de restaurer ce "vilain bâtard du Traité de Versailles", selon le mot célèbre de Molotov. Ni Hitler, qui voit dans les territoires contigus au Reich un "espace vital", un Lebensraum pour la "race supérieure". Ni Staline, qui s'empresse d'annexer sa part du butin aux Républiques Socialistes Fédérées d'Ukraine et de Biélorussie - donc à l'Union Soviétique - et signe de sa propre main l'ordre d'assassiner l'élite politique et militaire, détenue en URSS, de l'Etat disparu. Pour liquider toute opposition résiduelle, la coopération du NKVD et de la Gestapo est inscrite dans un traité. Staline, qui a anéanti, au sens physique du terme, le turbulent Parti Communiste polonais d'avant-guerre, le plus frondeur du Komintern, n'envisage nullement sa résurrection. Il ignore évidemment le gouvernement polonais en exil.

L'attaque allemande contre l'URSS renverse les rôles. Devenue victime à son tour, L'Union Soviétique doit admettre la perspective de la restauration d'un Etat polonais après la défaite allemande. Au fur et à mesure que celle-ci est plus tangible, Staline, fermé à toute idée de retour au statu quo ante territorial, entend bien consolider les acquisitions du pacte Molotov-Ribbentrop, qu'il voit comme une restitution à l'Union Soviétique de quelques possessions de la couronne impériale que les vicissitudes des premières années de la Révolution avaient forcé la Russie bolchevique à sacrifier. Aussi Staline poursuit-il dès le lendemain de l'attaque allemande un double objectif : obtenir la reconnaissance, par les puissances alliées et par le gouvernement polonais en exil - désormais reconnu -, de la ligne de partage tracée par le pacte du 23 août 1939, et se prémunir contre la résurgence d'un danger allemand en établissant un glacis militaire et un contrôle politique dans la zone séparant l'URSS de l'Allemagne. Mais n'ayant pas réussi à obtenir dès 1941 la reconnaissance du nouveau statu quo territorial, Staline s'attache au second objectif. Il fait reconstituer un Parti Communiste polonais clandestin dans les territoires alloués à l'Allemagne en août 1939 et fait former, en puisant dans le vivier des Polonais sympathisants communistes et dispersés à travers le territoire soviétique, les cadres politiques d'un Etat futur.

La position des territoires polonais sur la carte des opérations militaires laisse tous les atouts dans les mains de Staline. Principal pourvoyeur, jusqu'au débarquement allié en Sicile, en juillet 1943, de l'effort de guerre en Europe, l'Union Soviétique est en position de force vis-à-vis de ses alliés américain et britannique, plus soucieux des vies humaines et réticents à ouvrir un deuxième front à l'ouest. L'idée, avancée par Churchill, d'ouvrir celui-ci dans les Balkans est tuée dans l'œuf par Staline. A Téhéran, en novembre 1943, ce dernier obtient sans trop de peine, lors d'une conversation d'après-dîner, l'acceptation, par Roosevelt et Churchill, de la "ligne Curzon", un tracé qui court grosso modo le long de la frontière tracé par le Pacte Molotov-Ribbentrop. Il obtient également leur engagement à ouvrir un second front en Europe de l'ouest, ce qui exclut pratiquement que la Pologne soit libérée par les Alliés occidentaux. Quinze mois plus tard, à Yalta, ceux-ci, pressés d'en finir avec une guerre qui n'a que trop duré, confirment leur concession de Téhéran et se satisfont, après de laborieuses discussions avec un duo Staline-Molotov qui excelle dans l'art de la mise en scène et de la duperie, un arrangement ambigu par lequel ils renoncent à tout levier pour s'assurer du respect, par les Soviétiques, de leurs engagements.

A Téhéran, les Polonais, qu'ils soient en exil ou restés dans le pays occupé, deviennent objets de tractations menées au-dessus de leurs têtes, le plus souvent à leur insu, jouets d'enjeux qui les dépassent. Les événements qui se succèdent ne sont que les retombées mécaniques de cette logique implacable, d'un projet politique poursuivi sans scrupules par Staline. Partenaire accommodant lors de la réconciliation polono- soviétique, en juillet 1942, le gouvernement du général Sikorski est répudié dans ce rôle par un Staline qui saisit le prétexte de l'affaire du charnier de Katyn. La Résistance d'obédience londonienne, l'AK[1], est impitoyablement liquidée au fur et à mesure de l'avancée de l'Armée Rouge : avec un froid cynisme, le maître du Kremlin laisse aux Allemands le soin d'écraser ce symbole de l'indépendance nationale qu'est l'Insurrection de Varsovie. En mars 1945, un mois après la conférence de Yalta et les "assurances", qui avaient été alors prodiguées sur le pluralisme politique en Pologne libérée les principaux dirigeants de la Résistance antinazie sont attirés dans un guet- apens et arrêtés. Ils seront ensuite jugés et condamnés à Moscou. Concession tactique dictée par les circonstances, le "gouvernement d'union nationale" prévu par les accords de Crimée n'est guère qu'un paravent pour camoufler la mainmise communiste sur l'appareil d'Etat reconstitué. Car, en juillet 1944, dès la libération des premiers territoires polonais à l'est de la "ligne Curzon", Staline a installé dans le sillage de l'Armée Rouge, un "comité de libération nationale", gouvernement provisoire dominé, dans la plus grande opacité, par des communistes pour la plupart à sa dévotion.

Mandataire de l'URSS pour les territoires polonais, ce pouvoir de fait, dûment assisté et conseillé par son mentor, met en place les fondements de sa pérennité : un appareil policier et judiciaire répressif, l'armée polonaise, le contrôle de l'information et de la propagande, l'intégration à la Pologne de vastes territoires pris aux Allemands. Car Staline fait à la "Pologne nouvelle" un cadeau empoisonné, voire diabolique, en lui attribuant, par un fait accompli vis-à-vis des Alliés, quelque 100 000 km2 de terres allemandes. Ce geste du vainqueur n'est nullement désintéressé : davantage que de réparer le préjudice infligé à la Pologne par le déplacement de quelques centaines de kilomètres de sa frontière orientale ou encore par l'occupation nazie, il s'agit d'affaiblir l'Allemagne future. Mais surtout, les réticences des Occidentaux à l'égard de ce transfert de propriété aboutissent à faire de l'Union Soviétique, aux yeux des Polonais, le seul garant de la stabilité de la fragile frontière occidentale. Les protégés de Staline en Pologne empruntent, paradoxalement, à la droite nationaliste le mot d'ordre de retour à l'extension territoriale qu'avait connue la Pologne sous la dynastie des Piast, fondateurs de l'Etat polonais au Xème siècle, pour légitimer les acquisitions à l'ouest et au nord. Par ailleurs, ils entendent bien engranger les dividendes politiques de ce qui apparaît, aux yeux des Polonais, comme une juste réparation après toutes les souffrances endurées.

Au fur et à mesure que le nouveau régime donne des garanties de stabilité et de loyauté, les autorités d'occupation délèguent la réalité du pouvoir tout en gardant un grand nombre de leviers pour s'assurer une allégeance sans faille de leurs protégés. Les premiers grondements de la Guerre Froide assourdissent les protestations des Occidentaux contre les violations des accords de Yalta : consultations électorales falsifiées, persécutions des opposants, éviction de l'opposition démocrate "bourgeoise"... "Un rideau de fer est tombé", constate Churchill, amer. La Pologne, comme ses voisins tombés dans la sphère d'influence soviétique, sort du champ de vision et d'intérêt de l'Ouest. En pleine reconstruction, dans le climat de tension internationale qui s'installe, l'heure est au chacun pour soi. En Pologne, un groupe de communistes convaincus - des hommes sans grande envergure, à quelques exceptions près, mais organisateurs efficaces - continue d'orchestrer l'installation au pouvoir. Mais ils n'ignorent pas que la société leur est hostile, réfractaire à un ordre imposé par Moscou, et qu'il serait imprudent de vouloir convertir, à marches forcées, la Pologne à un communisme de caserne. Fort de la réassurance du protecteur soviétique, le pouvoir se lance dans une vaste entreprise d'"ingénierie sociale" pour transformer en "démocratie populaire" un pays meurtri par la guerre, déployant une stratégie étonnamment habile et subtile par comparaison avec la brutalité dont ce même pouvoir fera preuve par la suite pour se maintenir en place.

Il y a certes la terreur, qui vise les anciens résistants de l'AK, l'intimidation contre ceux qui, comme Mikolajczyk, ancien Premier Ministre du gouvernement en exil, ont courageusement choisi de rentrer au pays et de se battre pour faire triompher la démocratie. Il y a certes la tricherie, les élections truquées, ou encore l'exploitation de l'intérêt matériel et de l'opportunisme dans un contexte de pénurie et de rationnement. Mais le nouveau pouvoir joue habilement de la lassitude, après tant d'années de privations, de l'attrait de l'idée de reconstruction, d'une aspiration à des réformes sociales, de ce "positivisme"[2] récurrent dans l'histoire de Pologne. Captant ces énergies à son profit, le pouvoir parvient, grâce à une propagande efficace, à l'ambiguïté de son langage, au camouflage de ses objectifs, à susciter des élans en sa faveur et à mobiliser l'intelligentsia de gauche dans ce qui paraît encore une audacieuse aventure intellectuelle. Le pouvoir réussit également à neutraliser l'opposition en prenant le contrôle, par un jeu de scissions et de fusions, des quelques partis autorisés, fausse fenêtre du pluralisme. Il parvient également à grignoter les libertés publiques, à asservir la presse, l'édition, le monde de la culture, à faire main basse sur l'appareil économique, l'industrie d'abord puis les services.

En l'espace de quelques années, ce régime, tenté, sous l'impulsion de la forte personnalité de Gomulka, le chef du Parti Communiste, par une "voie polonaise du socialisme", a façonné tous les instruments du pouvoir absolu. Il suffit que Staline décide en 1947, aux débuts de la Guerre Froide, d'abandonner la stratégie de compromis avec la gauche "réformiste" et de resserrer les rangs de ce qui est en passe de devenir le camp socialiste pour que la Pologne soit, comme les autres Etats d'Europe Centrale, plongée en l'espace de quelques mois dans la glaciation stalinienne. Le symbole du communisme national qu'est Gomulka, accusé de "déviation droitière et nationaliste", est évincé de la direction du Parti, qui absorbe peu après un Parti Socialiste neutralisé. Sous la férule d'un apparatchik terne et servile, mais efficace, Boleslaw Bierut, le pays se voit infliger une soviétisation à outrance. La presse, l'intelligentsia sont brutalement mises au pas. L'appareil économique, dont l'étatisation est rapidement parachevée, est soumis à un productivisme forcené, qu'aggravent les besoins accrus en armement engendrés à partir de 1950 par la guerre de Corée. L'agriculture est elle aussi touchée par un début de nationalisation. Le pouvoir s'attaque à l'Eglise, jusque-là épargnée, la seule force capable de soutenir une résistance durable à ses projets. Enfin, sans aller jusqu'aux extrêmes des procès politiques de Prague ou de Budapest, le régime de terreur se généralise.

Quatre années d'un régime aussi insensé préparent le ressac, dont la disparition, en mars 1953, de Staline donne le signal. Plus lent à se produire que dans d'autres pays du camp socialiste, le retour du pendule touche d'abord l'appareil du Parti, las d'une toute-puissance de la machine policière dont il est lui aussi victime, puis l'intelligentsia et la jeunesse, avant de déborder dans la rue avec les événements de Poznan en juin 1956. Inorganisée, spontanée et rapidement maîtrisée, cette révolte ouvrière est récupérée dans le combat des factions, entre "révisionnistes" et staliniens, mené en coulisses, à la tête du Parti, depuis 1954. Ils seront quelques mois plus tard les acteurs de l'"Octobre Polonais", ces révisionnistes, marxistes convaincus que le Parti s'est fourvoyé dans l'aventure du stalinisme, et qu'il leur incombe la mission historique de le remettre dans le droit chemin. Il leur faut pour cela investir la direction du Parti, en "démocratiser" le fonctionnement. A cette force puissante, à l'été 1956, dans l'appareil du Parti, s'en ajoute une autre, extérieure, formée d'intellectuels qui n'ont guère d'estime pour le système communiste, mais plaident en faveur de la coopération et d'une attitude de loyauté envers l'URSS. Incarné par l'intellectuel catholique Stanislaw Stomma, ce courant - que l'essayiste Adam Michnik qualifie de "néopositiviste" - est partisan d'accepter la situation géopolitique de la Pologne comme une donnée de fait et, comme à l'époque de la Russie tsariste, d'arracher à la puissance tutélaire les franchises nécessaires pour former les cadres politiques et intellectuels capables de prendre la relève le moment venu.

Ces deux forces vont joindre leurs efforts pour ramener au pouvoir un homme qui leur paraît le mieux à même de répondre à leurs espoirs : Gomulka, auréolé du prestige de son éviction, huit ans plus tôt, à l'aube du stalinisme polonais. Il est aussi porteur de l'espoir, plus largement partagé que jamais, en Pologne, d'un socialisme enfin humain et débarrassé de ses "déformations". Enfin, il symbolise la résistance de la Pologne aux menaces d'intervention soviétique, ouvertement brandies par Khrouchtchev venu en personne à Varsovie pour superviser la relève du pouvoir. Pour lui avoir tenu tête pendant 24 heures dramatiques, les 19 et 20 octobre 1956, Gomulka est sacré héros national.

Mais l'euphorie est de courte durée. Révisionnistes et néopositivistes s'adressent au sommet du pouvoir en un dialogue entre élites qui ignore le peuple. Celui-ci n'est admis à exister que pour être jeté en une masse disciplinée derrière la cause du vainqueur du jour. Sitôt installé au pouvoir, Gomulka renie les idées de ses alliés de circonstance - la "démocratisation", l'autogestion ouvrière, la liberté d'expression - et, dans un étonnant renversement d'alliance, s'appuie sur leurs adversaires, la faction stalinienne, les conservateurs partisans de l'ordre. A quelques victimes expiatoires près, le grand débat sur les errements staliniens n'a pas lieu. Et s'il ne renoue pas avec les pratiques anciennes après octobre 1956, Gomulka revient rapidement aux recettes éprouvées de la dictature du Parti, de la gestion centralisée de l'économie et de la persécution des opposants. La tragédie de Budapest a été épargnée à la Pologne, mais le fol espoir d'octobre s'abîme dans la déception et l'amertume.

C'est dans les rangs des déçus de l'"Octobre Polonais" que va surgir, après quelques années de prostration, la première contestation radicale du système. Etudiants, voire lycéens, formés, souvent, dans le sérail des jeunesses socialistes, ils voient chaque jour trahis les idéaux de gauche dont ils se réclament : la justice sociale, la liberté, la démocratie. Ils s'appellent Kuron, Michnik, Modzelewski. Ils ont un mentor, Leszek Kolakowski, un philosophe marxiste contestataire qui dénonce avec brio la dégénérescence du système communiste. Si à l'instar des "révisionnistes", ils manient les références marxistes, ils ne placent, à la différence de leurs aînés, aucun espoir dans la direction du Parti. Dans une geste assez peu originale, ils veulent mobiliser les "masses" - en l'occurrence les autres étudiants et l'intelligentsia de Varsovie. A la différence, également, des "révisionnistes", ils n'ont pas peur de s'exprimer sur la place publique, ni d'être exclus de l'Université ou de faire un séjour en prison.

La crise de mars 1968, provoquée par une faction nationaliste et antisémite au sein du Parti, et dirigée contre les Juifs et les étudiants précipite la prise de conscience, dans les rangs des étudiants et des intellectuels, de l'irréformabilité et de l'illégitimité du régime. Elle sonne également le glas des attitudes révisionnistes et néopositivistes envers le pouvoir, qui ne mènent qu'à une impasse en forme de dilemme : soit la condamnation pure et simple, soit, au nom d'une stratégie d'entente, l'approbation de l'oppression, de la violence, de l'immoralité.

Rongé par de graves tensions économiques et l'anémie politique, le régime de Gomulka n'a plus que les apparences de la stabilité. Déclenchée par une simple hausse des prix alimentaires, une nouvelle révolte ouvrière, sur le littoral de la Baltique cette fois-ci, vient, en décembre 1970, lui porter l'estocade. La tournure dramatique des événements - 45 morts - l'inquiétude manifestée à Moscou devant une situation quasi- insurrectionnelle suffisent à convaincre les rivaux du Premier Secrétaire que l'heure de l'hallali est venue. Par un jeu d'alliances et de cooptation, Gomulka est déposé et remplacé par Edward Gierek, homme fort du moment dans l'appareil et premier ouvrier authentique placé à la tête du Parti.

Peu porté sur l'idéologie, le nouveau Premier Secrétaire clôt les grands débats sur le marxisme-léninisme et entreprend de noyer les tensions dans la consommation. Le changement de direction du Parti a désamorcé la crise et, se plaçant sous l'enseigne du pragmatisme, Gierek peut offrir à ses compatriotes une version polonaise de ce "socialisme du goulasch" pratiqué par Kadar en Hongrie. L'entreprise est d'autant plus aisée qu'il se trouve, à l'Ouest, des bailleurs de fonds publics trop heureux de participer, en pleine "détente" Est-Ouest, à une expérience originale de rapprochement économique, et même politique, d'un pays du camp socialiste avec l'Occident. Les thèses de la convergence, par les échanges, par le commerce, par les transferts de technologies, entre systèmes politiques opposés font alors florès. Quant aux créditeurs privés, ils sont rassurés par la garantie de l'Etat polonais.

Les velléités réformatrices du Premier Secrétaire, clamées haut et fort à ses débuts, s'épuisent vite. Gierek n'est pas un libéral, mais un homme de pouvoir, madré, qui a le sens des rapports de forces, et n'a aucune intention d'utiliser la marge d'autonomie concédée par Moscou à chaque parti communiste au pouvoir pour se lancer dans des entreprises incertaines. On peut faire tourner à plein rendement le système existant : mieux nourris, mieux logés, mieux outillés, mieux payés, pense-t-il dans un raisonnement simple, les ouvriers polonais travailleront mieux. Un armistice avec la paysannerie et l'importation à crédit doivent amorcer ce cercle vertueux. Les paysans et les créanciers répondent à l'appel et l'euphorie de la consommation après des décennies d'ascétisme aidant, Gierek, servi par une habile "propagande du succès", jouit d'un état de grâce pendant plusieurs années.

Mais les effets de l'anesthésie finissent par se dissiper et le réveil a lieu en 1975 lorsque le pouvoir, sûr de lui, entreprend, sans nécessité aucune, de réformer la constitution de 1952. Il s'agit de faire passer la Pologne d'un stade de "démocratie populaire" à celui d'"Etat socialiste" et d'inscrire dans la constitution la mention du "lien fraternel indissoluble" de cet Etat avec l'URSS. L'entreprise provoque une levée de boucliers : l'intelligentsia laïque se mobilise aux côtés de l'Eglise contre ce projet. Le pouvoir ne le retire pas, mais le révise à la baisse. Le symbole n'en est pas moins net : le pouvoir a reculé devant une société civile qui découvre soudain qu'elle existe et qu'elle se retrouve autour de valeurs communes de démocratie, de liberté, de tolérance, des valeurs qui sont aux antipodes de celles du pouvoir.

Cette mobilisation est l'acte de naissance de l'opposition au régime, la première opposition à laquelle celle-ci ait à faire face depuis la liquidation du Parti Paysan en 1947, une opposition différente des mouvements sporadiques et isolés auxquels il avait dû faire face en 1956, 1968 et 1970. Six mois plus tard, le pouvoir, incapable de maîtriser les tensions provoquées par ses choix économiques, offre à cette opposition le baptême du feu en provoquant, par une forte hausse des prix en juin 1976, une nouvelle explosion de colère ouvrière. A Ursus, dans la banlieue de Varsovie, et à Radom, les manifestations sont réprimées bestialement, dans des circonstances qui accréditent la thèse d'une manœuvre de déstabilisation contre Gierek, entreprise par ses rivaux. De nouveau, les intellectuels se mobilisent en faveur des ouvriers arrêtés, et maintenant traduits en justice, en créant le "Comité de Défense des Ouvriers", le KOR[3], un petit groupe où se mêlent des figures prestigieuses de l'intelligentsia laïque démocratique et la génération des révoltés des années 60, les Kuron et les Michnik.

Tirant les leçons de l'échec des expériences de réforme du système par le Parti lui-même, conscients aussi de la vanité de toute tentative de conspiration dans un régime communiste, les membres du KOR affrontent le pouvoir au grand jour. Avec les seules armes de la "légalité" socialiste, non pas pour articuler un projet politique alternatif, mais pour, au contraire, se vouer à l'objectif très ponctuel de défense des ouvriers emprisonnés. Cette mobilisation porte ses fruits et après la libération, un an plus tard, des derniers ouvriers, le KOR se transforme en une organisation de défense des droits de l'homme. L'époque, il est vrai, s'y prête. Des pionniers comme Sakharov et Soljenytsine ont frayé le chemin en démontrant qu'au cœur même de l'empire soviétique, il existe un espace de liberté pour des hommes de foi, de courage et d'idéal. En contrepartie d'une reconnaissance par l'Occident du statu quo territorial de l'après-guerre, Brejnev a accepté en 1975 de souscrire, dans l'Acte Final de la CSCE, à quelques règles de conduite des Etats dans l'ordre intérieur, notamment en matière de droits civiques et de droits de l'homme, persuadé qu'il était que ces dispositions pouvaient être vidées de leur sens dans la pratique. A tort. Le document s'avère être une arme redoutable dans les mains de dissidents, pour harceler le pouvoir dans l'ensemble du camp socialiste.

Des groupes de surveillance de l'application de l'accord d'Helsinki voient le jour un peu partout, en Union Soviétique, en Tchécoslovaquie, avec la "Charte 77". En Pologne, cette fonction est assumée par une nébuleuse d'organisations dont le noyau est formé par le KOR. S'y agrègent d'autres organisations de défense des droits de l'homme, des associations d'étudiants, des cercles catholiques, une "Université volante", un réseau de presse et d'édition clandestine qui multiplient les actions collectives, les faits accomplis et qui, relayés par les médias occidentaux, s'imposent dans une vie publique dont le pouvoir cherche en vain à les exclure. La nébuleuse sert également de cocon à la création, à Gdansk notamment, des premiers syndicats libres. L'opposition s'installe pour durer et prospérer, profitant de la relative faiblesse du régime de Gierek et du prix qu'il attache à ses liens avec l'Occident, des liens qui lui interdisent de réagir trop vigoureusement.

L'élection, en 1978, d'un Polonais, le cardinal Karol Wojtyla, à la tête de l'Eglise catholique, puis la première visite, dès l'année suivante, de Jean-Paul II dans sa patrie galvanisent un peuple polonais qui soudain reprend espoir.

En 1980, alors que l'intervention soviétique en Afghanistan a déclenché une nouvelle glaciation Est-Ouest, le régime de Gierek est à bout de souffle, sans perspectives et tellement endetté que ses bailleurs de fonds lui refusent tout crédit. Une nouvelle hausse de prix - et, de nouveau, des manœuvres des rivaux de Gierek, pressés de le voir passer la main - déclenche une vague de mouvements de protestation dans le pays. Mais à la différence des précédents, le mouvement trouve cette fois-ci un chef avec l'entrée en scène d'un personnage totalement inconnu, un ouvrier-électricien moustachu, truculent et pieux, formé à l'école du syndicalisme libre. Charismatique et frondeur, Lech Walesa n'est pas seulement un meneur d'hommes, mais un organisateur doublé d'un bon négociateur, doté d'un instinct tactique sûr.

En l'espace de quelques jours, le mouvement de grève devient une entreprise ordonnée et coordonnée depuis les chantiers Lénine de Gdansk, érigés en quartier général, une entreprise dirigée de main de maître par Walesa. Autour de lui se reforme l'alliance de 1975 entre l'intelligentsia libérale laïque et les milieux catholiques. Portés par un rapport de forces soudain renversé, les grévistes parviennent à imposer à un pouvoir déconfit l'acceptation de la liberté syndicale, une conquête de portée politique majeure. Cette atteinte au monopole du Parti dans la "représentation" de la classe ouvrière constitue en effet une entorse sans précédent aux dogmes du marxisme-léninisme.

Les successeurs de Gierek - car la crise a porté le coup de grâce au Premier Secrétaire chancelant - sont bien décidés à vider de sa substance, une fois le Parti raffermi, cette concession arrachée dans un moment de faiblesse. Leur projet ne tarde pas à se manifester avec les premières escarmouches, dont l'enregistrement du futur syndicat, "Solidarité", offre l'occasion au pouvoir. Les heurts se succéderont pendant quinze mois entre ce dernier et une organisation qui est bien plus qu'un syndicat au sens occidental du terme, un puissant mouvement social qui exprime les aspirations de quelque 10 millions de Polonais. Un mouvement qui, tiraillé entre une aile radicale prête à l'épreuve de force et ceux qui ne veulent pas offrir au Kremlin le prétexte d'une intervention, parvient à s'imposer une retenue remarquable. Pendant l'intermède d'un apparatchik falot et alcoolique, Stanislaw Kania, le pouvoir a peu à peu glissé dans les mains d'un nouveau personnage sorti de l'ombre, le général Wojciech Jaruzelski, ministre de la défense, un homme ambitieux et d'une loyauté sans faille à l'égard de Moscou. De fait, pressé par les "camarades soviétiques" de remettre de l'ordre dans sa maison, l'équipe au pouvoir à Varsovie cherche surtout à gagner du temps pour instaurer la loi martiale et en finir avec ce syndicat indomptable qui, dans le camp socialiste, fait montrer du doigt la "République Populaire de Pologne". Les préparatifs secrets en ont d'ailleurs été lancés peu après la victoire, en août 1980, de "Solidarité".

La nuit du 12 au 13 décembre 1981 marque une nouvelle étape dans la décomposition d'un pouvoir communiste, acculé à interner plusieurs milliers de responsables de "Solidarité", à suspendre les maigres libertés publiques jusque-là octroyées et à s'appuyer sur l'armée pour se maintenir en place. Et, argue-t-il, pour éviter à la Pologne le malheur plus grand d'une intervention soviétique. Ce geste désespéré ouvre un chapitre noir de l'histoire du pays. Entre un régime militaire dont l'arrogance dissimule mal la faiblesse et une société accablée, le fossé est plus grand que jamais depuis la fondation de la "Pologne Populaire". L'assassinat, dans des conditions odieuses, en octobre 1984, d'un jeune prêtre par un commando incontrôlé de la police politique achève, malgré l'arrestation et la condamnation des auteurs, de jeter le discrédit sur un système indéfendable. Les espoirs d'une normalisation de la situation s'avèrent vains. La capacité du pouvoir à réformer un système pétrifié est nulle. Que réformer, d'ailleurs, dans une économie au bord de la banqueroute et un Etat-Parti qui ne se maintient que par la coercition? L'Occident tient à distance un régime infréquentable et lui mesure chichement l'accès au crédit international.

C'est à ce moment qu'après une longue période d'immobilisme à Moscou, la direction du PCUS échoit à un "jeune" apparatchik de 54 ans, Mikhaïl Gorbatchev, qui a pris la mesure de l'état de décrépitude et d'arriération dans lequel se trouve l'ensemble du camp socialiste. Qui plus est, il a l'ambition de le régénérer, de lui insuffler une énergie et une efficacité nouvelles. Les débuts sont lents et rappellent à bien des égards le "dégel" qui accompagne traditionnellement la relève des équipes dirigeantes dans le camp socialiste. Pour le général Jaruzelski, l'aubaine est inespérée pour sortir de l'impasse où il est enfermé. Se posant en meilleur élève, voire en éclaireur d'une perestroïka qui ne rencontre dans le reste du camp socialiste qu'un soutien du bout des lèvres, le chef du Parti polonais adresse à partir de 1987 des signes d'ouverture à l'opposition. Celle-ci s'est reconstituée autour de Walesa, a reformé les structures du syndicat dissous et cherche elle aussi à interpréter les signaux en provenance de Moscou. Se prenant au jeu de la "démocratisation" - un des mots d'ordre qui ont cours à Moscou - le pouvoir tente de se trouver une légitimité dans un référendum-plébiscite. Mais l'entreprise tourne au fiasco. Affaibli par cet échec puis, en 1988, par des grèves qui menacent de s'étendre comme en 1980, le pouvoir se résigne finalement à ouvrir un vrai dialogue politique avec l'opposition, avec l'espoir de sauver l'essentiel tout en lui concédant un droit à l'existence, voire en l'associant à l'exercice des responsabilités du gouvernement.

Une longue négociation s'engage alors, dite de la "Table Ronde", face-à-face fascinant entre deux logiques politiques opposées : celle, défendue par "Solidarité", de la démocratie et du suffrage universel, celle, défendue par le Parti - encore s'agit-il de son aile réformatrice - du droit acquis de ceux qui détiennent le pouvoir et contrôlent l'appareil de coercition. Rien n'est au départ joué. Les représentants du pouvoir, aveuglés par leur confiance dans la force et leur mépris de la démocratie, veillent surtout à légitimer leur droit à gouverner en se taillant des institutions sur mesure et en se ménageant des majorités arithmétiques au parlement. L'opposition se contente de faire inscrire dans l'accord le principe de l'élection au suffrage universel, libre et secret, de la représentation nationale, au terme d'une négociation dirigée avec maestria par un intellectuel ex-communiste converti à la démocratie, Bronislaw Geremek. L'épreuve des urnes, en juin 1989, est sans appel. Elle se solde par la débâcle du pouvoir, désavoué par un corps électoral qui exerce sa liberté nouvelle au détriment de ceux qui l'en ont privé pendant des décennies.

Les combinaisons imaginées par les communistes pour conserver la réalité de plus en plus évanescente du pouvoir se désagrègent au fil des semaines. L'accord tacite pour un partage des rôles entre un Parti Communiste qui resterait aux commandes et une opposition parlementaire qui se préparerait à la relève s'avère impraticable. Le camp du pouvoir se divise d'abord sur l'élection du général Jaruzelski à la présidence de la République, un poste nouvellement créé pour recueillir l'essentiel du pouvoir exécutif, puis sur la formation du gouvernement. Et par une amère ironie de l'Histoire, ce sont les "partis-croupions", ces formations neutralisées dans l'immédiat après-guerre, mais maintenues formellement pour présenter une façade de pluralisme politique, qui abandonnent le Parti Communiste. C'est finalement à un homme du camp de "Solidarité", Tadeusz Mazowiecki, qu'échoit la tâche de former le gouvernement, le premier cabinet non communiste dans le camp socialiste.

Ce sera un gouvernement de large coalition, comprenant des ministres communistes - mais dans une position minoritaire - investi par le nouveau parlement avec le mandat d'instaurer l'économie de marché, l'Etat de droit et les libertés civiques fondamentales, en clair de démanteler le système communiste.

Une fois de plus, la Pologne a joué un rôle de pionnier. Les signaux de tolérance de Moscou vis-à-vis de l'expérience polonaise n'ont pas échappé aux "pays- frères". Les Hongrois sont les premiers à emboîter le pas en ouvrant, à la fin de l'été 1989, la frontière avec l'Ouest à des milliers d'Allemands de l'Est. Les digues se rompent les unes après les autres, emportées par la débâcle. En l'espace de quelques mois, les régimes de Berlin-Est, de Prague, de Budapest, de Sofia et de Bucarest s'effondrent tour à tour.

Le sabordage, en janvier 1990, du Parti Ouvrier Polonais Unifié constitue l'épilogue d'une imposture fondée sur la force et la ruse. Il n'a pas fallu trois ans pour que, privé de son protecteur soviétique devenu inoffensif grâce à Gorbatchev, le régime imposé par la force en 1944 succombe terrassé par les poisons qu’il a sécrétés.

Débarrassé de son adversaire politique et porte par la légitimité de la victoire de « Solidarité », le gouvernement Mazowiecki bénéficie d'un « état de grâce » pour remplir sa tâche. Il lui faut agir vite, créer du fait accompli, des situations irréversibles tout en prenant garde de ne pas provoquer de réaction violente de la part d'un appareil de sécurité toujours menaçant. Nombre d'entreprises sont privatisées. Les principes de l'Etat de droit sont introduits dans la constitution et dans la loi. Le Parti est évincé des rouages de l'État. Conscient du risque de retournement en URSS, le gouvernement entreprend de desserrer progressivement l'étreinte de Moscou et de rapatrier à Varsovie une souveraineté confisquée pendant un demi-siècle : la circonspection est de règle dans les relations avec l’Union soviétique, avec laquelle des négociations sont ouvertes au printemps 1990 sur le retrait des troupes stationnées en Pologne : la Pologne obtient de l'Allemagne réunifiée la reconnaissance, par un traité signé en novembre 1990, de la frontière sur l'Oder et la Neisse, et se rapproche des structures politiques et économiques occidentales, comme le Conseil de l'Europe et la Communauté économique européenne.

Mais les rigueurs de l'ajustement structurel – qui engendre une récession et une montée du chômage – les lenteurs calculées du gouvernement, qui refuse de se lancer dans une « chasse aux sorcières » contre les communistes, ainsi que les ambitions de Walesa, excédé d'être marginalisé dans la nouvelle donne politique, mettent à rude épreuve la cohésion du camp de Solidarité. Elle se fracture dans la campagne de l'élection présidentielle anticipée, pendant l'automne 1990, que Walesa remporte contre Mazowiecki au premier tour, au prix, cependant, d'un duel au deuxième tour avec un candidat inconnu, populiste et démagogue – qui capte le vote protestataire. Bien plus que le fruit d'erreurs tactiques ou de rivalités de personnes, la désagrégation de la force politique que constituait Solidarité est l'indice que l'objectif qui fédérait la coalition hétéroclite réunie derrière cette bannière, le renversement du régime communiste, est en passe d'être irréversiblement atteint. Elle parvient cependant à panser les plaies laissées par la campagne pour poursuivre, sous le nouveau gouvernement, l’œuvre entamée par Mazowiecki, la réforme économique et la consolidation de l'indépendance. Cette dernière tâche n'est remplie qu'en 1991, avec l'effondrement de l'Union soviétique puis le retrait, achevé en septembre 1993, des troupes russes stationnées en Pologne.

Mais tandis que se poursuit ce travail de fond, la rapidité et l'ampleur des changements imprimés à Ia société polonaise produisent des scories qui envahissent le champ politique : le développement des controverses sur la « décommunisation », l’intrusion dans l’arène politique d’une Eglise résolue à recueillir. sur le terrain de l'ordre moral. les dividendes de sa « victoire », la paupérisation de nombreuses couches de la population, les inévitables scandales liés à la liberté économique ou aux privatisations. les accusations d'autoritarisme, voire de tentations dictatoriales articulées à l'encontre du Président Walesa, ses démêlés avec les gouvernements successifs entretiennent un climat délétère qui obère, à l'intérieur comme à l'étranger, la jeune démocratie polonaise d'une image d'instabilité et d'immaturité.

Cette évolution chaotique favorise le retour en force des héritiers de l'ancien régime, ex-communistes ralliés à une étiquette « sociale-démocrate» et agrariens appuyés sur un discours populiste. Portés par une vague de mécontentement croissant et servis par les divisions dans le camp de « Solidarité », ils remportent la majorité des sièges à la Diète lors d'élections législatives anticipées en septembre 1993 et forment le gouvernement. Mais il ne s'agit que d'une étape dans une stratégie politique qui vise la magistrature suprême : celle-ci est patiemment tissée par Aleksander Kwasniewski, un des « jeunes Turcs » de l'époque du PZPR moribond, qui, à 41 ans, cherche à incarner, en cultivant une image jeune et en tenant un discours lisse, une Pologne à la fois moderne et sociale. Affaibli par l'usure du pouvoir et ses propres maladresses, Walesa, candidat à sa succession, est, en novembre 1995, désavoué par le suffrage universel. Comme la plupart des autres pays communistes qui se sont affranchis de la dictature communiste, à l'exception de la République Tchèque, la Pologne, par une pirouette de l'Histoire qui n'est paradoxale qu'en apparence, a remis au pouvoir les héritiers du régime qui l'a asservie. Pour les Polonais attachés aux valeurs de «Solidarité», la victoire de l'ancien apparatchik communiste constitue une réhabilitation morale imméritée pour le système politique dont il est issu. La situation, toutefois, procède cette fois-ci non pas de la coercition et de la fraude, mais d'un affrontement démocratique et honnête.

Le premier chapitre du post-communisme se referme sur un bilan remarquable et irréversible, un bilan fondateur pour l'avenir de la nation polonaise : un État indépendant et souverain, doté de frontières reconnues par tous ses voisins, un peuple libre de choisir et de répudier non seulement ceux qui exercent en son nom le pouvoir, mais aussi le système politique et économique dans lequel il souhaite vivre, un État de droit démocratique, garant de l'exercice des libertés publiques, tous acquis acceptés par presque toutes les forces politiques comme étant le cadre institutionnel légitime de la lutte pour le pouvoir. Sur le plan économique, avec un appareil de production largement privatisé, la liberté des prix, une monnaie convertible, une fiscalité et un système bancaire modernes, la Pologne s’est alignée sur les normes mondiales et a créé les bases d'une croissance saine. Enfin, déjà membre du Conseil de l'Europe, la Pologne se trouve aujourd'hui au seuil de l'Union européenne et de l'OTAN. Le bilan des 20 premiers mois d'exercice du pouvoir par le président Kwasniewski et son gouvernement n’indique aucune inflexion ni intention de remettre en cause les réformes politiques ni de dévier par rapport à la voie stratégique de l'économie de marché et de l'intégration européenne.


[1] A.K.: Armia Krajowa (Armée de l'Intérieur)

[2] positivisme : désigne, dans la Pologne d'après l'échec de l'insurrection de 1863, une attitude de rupture avec le romantisme politique, une doctrine utilitariste exaltant le progrès scientifique, le révolution industrielle, le progrès.

[3] K.O.R.: Komitet Obrony Robotnikow.