La Géographie Terre des Hommes n° 1555 octobre-novembre-décembre 2014

Gilles Fumey

La Géographie Terre des Hommes n° 1555 octobre-novembre-décembre 2014, p. 58


Pierre Buhler, La puissance au XXIe siècle, CNRS- Éditions, coll. Biblis, 2014, 616 p.

Usant et abusant de cette notion de puissance, les géographes aiment à présenter un monde dichotomique fabriqué par l’économie et la statistique. Il fut un temps où l’on comptait les têtes nucléaires dressées les unes en face des autres pour définir la puissance. On sait ce qu’il est advenu de cette vision…

C’est dire combien le travail de Pierre Buhler est essentiel, car le diplomate politiste remarqué par son Histoire de la Pologne communiste ; Autopsie d’une imposture, a les moyens d’embrasser tout ce que ce concept contient. Sa Brève histoire de la puissance est un modèle du genre. Le lien avec les États et le droit ne fait pas de doute. Les géographes attendaient au tournant l’auteur sur la question de l’espace. « De la Palestine au Cachemire, du Kosovo à Chypre, le territoire pèse lourd dans les relations entre les États ». Buhler veut dépasser Aron et son idée de théâtre et d’enjeu.

Couverture n° 1555

Il revient sur les idées qui nous paraissent aujourd’hui saugrenues d’opposer l’Europe morcelée et l’Asie qui ne le serait pas. « En Asie, les nations sont opposées aux nations du fort au faible ; les peuples guerriers, braves et actifs touchent immédiatement des peuples efféminés, paresseux, timides, etc. ». Autre idée : celle de la compétition entre les peuples comme Darwin l’imaginait entre les espèces. Ratzel a entériné cette vision. Suivent Mearsheimer, Mackinder, les théories des dominos et de l’échiquier avec Kissinger, le retour de la géopolitique.

Il ne nous étonnera pas de trouver dans ce « paquet » géographique, l’économie, voire la géoéconomie (discipline scientifique ou tautologie ?), la question des approvisionnements énergétiques. Pour finalement tomber sur ce curieux problème de la malédiction des ressources qui touche l’Afrique. Jadis « mal hollandais » parce que les gisements gaziers avaient été une cause de stagnation de l’économie batave, le concept se généralise difficilement. Mais il est commode et simple. Et pas loin de l’État « rentier » dont la Russie pourrait bien être, pour Buhler, l’un des cas les mieux connus.

Est-ce que la Russie fera mieux que l’URSS ? Sans doute, mais la question de l’espace, fondamentale dans ce pays, n’est pas près d’être réglée. Le livre explore, ensuite, la démographie, l’argent et lie tous ces points ensemble avant de traiter de manière régionale les cas de l’Asie, l’Europe et les États-Unis par le thème, très risqué, de la « vocation ». Un travail de synthèse remarquable et un livre, déjà, référence. G.F.