La nouvelle grammaire de la puissance

 

La nouvelle grammaire de la puissance

Entretien réalisé par Annick Steta

Revue des Deux Mondes, octobre 2012

Revue des Deux Mondes – Votre dernier livre, la Puissance au XXIe siècle, retrace l’évolution d’une notion autour de laquelle s’articule le système international. De quelle manière définiriez-vous la puissance ?

 

Pierre Buhler – Aron définissait la puissance comme « la capacité d’une unité politique d’imposer sa volonté aux autres unités. En bref, la puissance n’est pas un absolu, mais une relation humaine ». Il avait pris soin d’indiquer que peu de concepts restaient aussi équivoques. Je me suis efforcé de montrer que la puissance s’incarne dans une institution qui a triomphé de toutes les autres : l’État, dont Max Weber a écrit qu’il était « détenteur du monopole de la violence physique légitime ». L’État a triomphé des pouvoirs privés, des pouvoirs féodaux, des pouvoirs confessionnels – de tous les pouvoirs qui étaient sur son chemin. Au fondement de la légitimité de l’État, il y a une double fonction : assurer la paix civile à l’intérieur de ses frontières et la sécurité au-delà, tout en étant conscient que ces deux fonctions sont deux faces du même bien public.

Quand je m’intéresse à la puissance, c’est évidemment à cette seconde dimension : les rapports de l’État avec tout ce qui échappe à sa souveraineté. L’anglais power ou l’allemand Macht se traduisent aussi bien par pouvoir que par puissance : il n’y a pas de distinction entre extérieur et intérieur. En français, le « pouvoir » s’applique aux relations politiques internes à un État tandis que la « puissance » concerne ses relations avec l’extérieur. Weber voit, dans le mot Macht, « toute chance de faire triompher, au sein d’une relation sociale, sa propre volonté contre la résistance d’autrui ». Cette définition s’applique aussi bien aux États qu’aux individus. Avant d’être une accumulation de moyens ou de forces, la puissance est d’abord une volonté qui se déploie à partir de l’État. Volonté d’assurer la sécurité, en premier lieu. Mais l’État – ou, pour être plus précis, celui qui le dirige – peut poursuivre d’autres objectifs : l’aspiration à la puissance pour elle-même, la libido dominandi, qui peut conduire à l’hubris. Pour Aron, « la sécurité peut être un but dernier : ne plus craindre est un sort digne d’envie, mais la puissance par elle-même aussi peut être un but dernier : qu’importe le danger si on connaît l’ivresse de régner ? ».

Les ressources matérielles de la puissance – l’espace, la démographie, l’économie – sont souvent confondues avec elle. Sur ce premier socle viennent se poser des éléments comme la technologie, l’innovation, la puissance militaire et l’organisation politique. L’État-nation, qui a éliminé les formes moins viables, telles que les cités-États et les empires, est l’organisation politique dans laquelle la puissance s’incarne le mieux aujourd’hui.

Les ressources matérielles de la puissance et les modalités de son exercice jouent un rôle important, mais son ressort profond, qui est la volonté, me paraît essentiel pour définir cette notion un peu fugace.

 

Revue des Deux Mondes – Quelle est l’importance des fondements classiques de la puissance à l’ « âge de l’information » dans lequel nous sommes entrés ?

 

Pierre Buhler – Il y a une modalité assez classique de la puissance définie par le nombre de divisions, le produit intérieur brut (PIB), la démographie, la superficie du territoire, les ressources du sous-sol. Mais la révolution numérique a produit une « grande transformation », pour reprendre un concept de Karl Polanyi, qui ouvre certaines des conditions d’exercice de la puissance à des entités infra-étatiques. Je pense aux entreprises multinationales, notamment financières, aux organisations non gouvernementales (ONG), aux « internationales de la nuisance » que sont par exemple les organisations terroristes.

Pour bien cerner cette mutation, il faut d’abord expliciter le concept d’interdépendance complexe, produit dans les années 1970 et 1980 par un ensemble d’auteurs dont se détachent Robert Keohane et Joseph Nye. Ils définissent cette notion comme un entrelacs d’échanges et d’interactions entre des États, des individus, des entreprises, des organisations de toute nature. Ces interactions ne s’inscrivent pas dans le jeu classique des relations interétatiques qui sont souvent marquées par le soupçon et le primat de la sécurité. Entre ces différents acteurs – qu’ils soient ou non des États – existent des asymétries qui expriment des relations de dépendance. De ces asymétries se dégagent des rapports de force qui associent la puissance au pouvoir de négociation, à la capacité à obtenir un résultat par la pression, l’intimidation, le chantage, la séduction, ou encore par la coalition entre des États poursuivant le même objectif. « Au fur et à mesure que la complexité des acteurs et des questions s’accroît, écrivent Keohane et Nye, l’utilité de la force décroît et les lignes de partage entre politique intérieure et politique extérieure s’estompent. »

Cette description du monde par des relations d’interdépendance complexe s’applique assez bien au monde occidental développé, mais beaucoup moins bien à l’époque de la Guerre froide. Après la disparition de l’antagonisme Est-Ouest, on a vu fleurir le concept de mondialisation. La mondialisation, c’est simplement l’accroissement des relations d’interdépendance entre les États et l’apparition d’asymétries de moins en moins marquées par la crainte pour sa sécurité et de plus en plus marquées par d’autres formes d’interaction.

C’est là qu’intervient la notion de soft power. L’un des concepteurs de la notion d’interdépendance complexe, Joseph Nye, a quitté l’université pour rejoindre l’administration Clinton et devenir secrétaire adjoint à la Défense. Il a alors eu un raisonnement de décideur public : quand vous avez un budget donné, comment pouvez-vous atteindre vos objectifs en dépensant le plus intelligemment possible des ressources limitées ? Dans ce type de raisonnement, la puissance est « la capacité d’obtenir un résultat recherché et d’altérer les comportements des autres protagonistes dans ce sens, et ceci pour un coût acceptable ». Quand on est un décideur public, et notamment un décideur public américain, on dispose d’une palette d’outils qui vont du hard power au soft power. Le hard power recouvre l’intimidation, la pression, le chantage, les menaces, les sanctions, les embargos, etc. Le soft power est la capacité d’un pays donné à structurer une situation de telle manière que d’autres pays développent des préférences ou définissent leurs intérêts en harmonie avec les siens – plus simplement, à « façonner ce que les autres désirent ». C’est une logique gramscienne appliquée aux relations internationales. Les outils disponibles sont immatériels : l’idéologie, la culture, l’influence intellectuelle, la fixation des normes, la séduction, la persuasion.

L’intensification de ces interdépendances sous l’effet de la mondialisation bouleverse la conception classique de la puissance et vient bousculer l’État sur le terrain qui était le sien – celui de l’unique siège de la puissance. La cause première de cette métamorphose est la révolution numérique : elle a radicalement transformé l’alchimie de la puissance et a autorisé l’entrée dans ce champ d’acteurs que l’État tenait auparavant à longueur de gaffe. Ces technologies trouvent leur origine dans la Guerre froide et les recherches menées par le département de la Défense américain sur les modalités d’interconnexion entre les centres de décision américains afin qu’ils puissent continuer à fonctionner même si certains d’entre eux étaient touchés lors d’une attaque nucléaire : la logique du réseau prenait le dessus sur la logique pyramidale. Cela a fini par donner Internet. À cela s’ajoute la conjecture de Moore, selon laquelle la capacité d’un microprocesseur double à peu près tous les deux ans. Le coût de l’unité de traitement de l’information ne cesse donc de baisser : on estime qu’il diminue de 19% par an. Selon Joseph Nye, une voiture coûterait aujourd’hui cinq dollars si l’industrie automobile avait connu les mêmes gains de productivité.

La capacité de traiter les informations en réseau s’accompagne de la capacité d’interconnecter tous les réseaux. Cette évolution a eu des conséquences majeures. L’une d’entre elles est le développement des entreprises multinationales : elles sont à présent capables d’intégrer instantanément des masses colossales de données qui peuvent se transmettre d’une unité de production à l’autre. Ces entreprises sont à l’origine des deux tiers du commerce mondial. Il existe aujourd’hui des dizaines de milliers d’entreprises multinationales, mais les quatre cinquièmes de la production industrielle du monde sont assurés par un millier d’entre elles.

Le rapport des forces avec les États en est profondément transformé. comme en atteste, par exemple, le lobbying des entreprises en matière d’écriture du droit commercial. Elles ont notamment été très actives à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en matière de droit de la propriété intellectuelle : elles sont arrivées à faire passer leurs idées par différents canaux, y compris en étant présentes dans la green room de la négociation. Ulrich Beck a créé le concept de droit privé pour désigner le droit qui se crée de façon informelle dans le monde de l’entreprise avant que les États ne l’endossent.

Mettre ses filiales en réseau est plus intéressant encore pour un établissement financier que pour une entreprise industrielle. L’économie et la finance ont connu un profond mouvement de déréglementation depuis les années Thatcher et Reagan, permettant aux marchés financiers d’échapper à la supervision des autorités bancaires. Les mouvements de capitaux sont devenus extrêmement aisés d’un pays vers l’autre ou d’un continent vers l’autre. C’est ainsi que les investissements directs à l’étranger ont été multipliés par 39 entre 1986 et 2000, alors que dans le même laps de temps, le commerce mondial a été multiplié par 3,3 seulement et le PIB mondial par 2,2. Avant la crise, le montant quotidien des échanges sur les marchés des changes était de 2 000 milliards de dollars, soit 50 fois le volume des transactions réelles sur les biens et services. Cela donne une idée de la déconnexion entre la sphère réelle et la sphère financière.

Cette abondance de liquidités a d’ailleurs été l’une des causes de la crise de 2008-2009 : elle a constitué l’aboutissement d’une série de cercles vicieux qui se sont mis en place à la faveur de la dérégulation généralisée et de l’accès de ces nouveaux acteurs à ce que Susan Strange a appelé une « zone de non-régulation » échappant à la régulation étatique et a fortiori à la régulation internationale.

Les instruments de contrôle dont disposait l’État dans les années 1960-1970 se sont évaporés. La capacité de lever l’impôt a elle aussi été altérée : les entreprises choisissent la localisation de leur siège social de façon à minimiser la ponction fiscale qu’elles subissent. Certains États font du dumping fiscal pour attirer les entreprises.

Il existe un autre étage : celui des acteurs qui ne sont pas dans une logique marchande mais qui trouvent un intérêt à s’engager dans une action collective. Hannah Arendt définit l’essence du pouvoir comme « la capacité humaine à ne pas simplement agir, mais à agir de concert ». En donnant à des individus le pouvoir de s’agréger pour produire une action collective, la révolution numérique transforme l’exercice du pouvoir – et, dans une certaine mesure, l’exercice de la puissance. Entre 20 000 et 40 000 ONG ont vocation à exercer leurs activités à l’échelle internationale. C’est aussi le cas d’universités, de think tanks, d’Églises, de pundits, de la société civile au sens large – d’individus qui vont agir de concert en ignorant les frontières. L’effondrement des coûts associés aux moyens de communication de masse permet à ces acteurs de produire de l’information et de la faire circuler aisément. À leurs débuts, la télévision et la radio étaient quasiment une prérogative étatique parce que cela coûtait très cher : il ne pouvait y avoir qu’un petit nombre d’émetteurs. En faisant baisser le coût de production et de diffusion de l’information, on a radicalement transformé ce schéma.

L’emploi d’Internet à des fins politiques a commencé dès le milieu des années 1990. L’une des premières utilisations de ce type date de la révolte des zapatistes dans le Chiapas. Lorsque le gouvernement mexicain a voulu intervenir pour régler le problème par la force, des organisations américaines ont appelé à la mobilisation internationale par Internet afin de faire pression sur le président Zedillo et d’empêcher la répression. La campagne internationale pour le bannissement des mines terrestres s’est inscrite dans ce sillage : les États-Unis étaient vent debout contre cette initiative, mais la mobilisation de militants dans le monde entier a permis d’aboutir quelques années plus tard à la signature d’une convention interdisant l’utilisation de telles mines. La publication de photos prises dans la prison d’Abou Ghraib a déclenché un feu de brousse mondial en l’espace de quelques heures et a obligé les Américains à changer leur fusil d’épaule. En Tunisie et en Égypte, l’utilisation de téléphones portables permettant de prendre des photos et de tourner des vidéos, reprises en boucle par les médias, a joué un rôle déterminant.

La révolution numérique produit des phénomènes inédits. Bien que la société chinoise soit très contrôlée, des pétitions circulant sur Internet réunissent des dizaines de milliers de signatures : ce fut le cas quand Liu Xiaobo lança la Charte 08. Grâce aux blogs, à Facebook, à Twitter, un groupe d’individus plus ou moins organisé défie l’État sur un terrain où il pensait avoir la main. Alors que des États croyaient tenir la rue et contrôler l’information, ils réalisent progressivement qu’ils ne contrôlent rien. Dans le cas de WikiLeaks, les États-Unis ont constaté qu’ils n’avaient pas même réussi à préserver le secret de la correspondance diplomatique du Département d’État. Ceux qui savent utiliser des technologies de plus en plus performantes pour diffuser des enregistrements, des photos, etc., peuvent exercer un pouvoir au détriment des États. Les spécialistes d’Al-Qaïda que sont Jean-Pierre Filiu ou Gilles Kepel ont montré que cette organisation formait une sorte de toile d’araignée mondiale connectant des djihadistes, diffusant des communiqués, revendiquant des attentats et démultipliant ainsi l’impact de ces actes.

Ma conviction est que le jeu de la puissance en est transformé parce que cela modifie de façon très profonde les paramètres de cette interdépendance. La révolution numérique est loin d’avoir produit tous ses effets : son impact pourrait être comparable à celui de la révolution de l’imprimerie.

 

Revue des Deux Mondes – Comment les États répondent-ils au défi qui leur est adressé par les acteurs privés qui se sont invités dans le jeu de la puissance en utilisant les instruments du soft power ?

 

Pierre Buhler – Certains États ont conscience que les modalités d’opération en réseau sont là pour durer. Ce concept d’État au cœur des réseaux a été formalisé par Anne-Marie Slaughter, une politologue qui a enseigné à Princeton avant de devenir chef du centre d’analyse et de prévision du Département d’État américain : « la guerre est menée en réseaux, par les terroristes comme par ceux qui sont chargés de les mettre en échec […] la diplomatie est conduite en réseaux, [comme le sont] les affaires, les médias, la société et même la religion […] Le monde en réseaux qui émerge […] existe au-dessus de l’État, en-dessous de l’État et à travers l’État. Dans ce monde, l’État qui aura le plus de connections sera l’acteur central. » C’est-à-dire les États-Unis : Internet y a été inventé, Google est une société américaine… Le département d’État a organisé sa diplomatie publique en s’appuyant sur l’utilisation d’Internet et des réseaux sociaux : le président Obama a ainsi envoyé aux Iraniens par Internet un message pour le Norouz, la fête du Nouvel an dans le calendrier iranien. Le ministère des Affaires étrangères français s’est lui aussi approprié ces outils.

Les États s’efforcent par ailleurs de reprendre barre sur les entreprises, qui ont largement échappé à l’emprise nationale à la faveur de la révolution de l’information. La création d’une supervision des établissements financiers à l’échelle l’eurozone procède de cette logique : il n’est plus possible de laisser ces établissements libres de consentir des prêts à l’infini, de créer des produits financiers exotiques, de conduire ainsi le système financier international au bord du gouffre et de se tourner vers les États quand les choses vont mal. Or qui dit l’État dit le contribuable : les différents mouvements d’ « indignés » ont protesté contre la privatisation des profits et la socialisation des pertes. Les États ont compris qu’il était dangereux de laisser cette zone de non-gouvernance se perpétuer. Mais le djinn est sorti de la bouteille et on ne l’y fera pas rentrer facilement. Il existe par ailleurs des pays dans lesquels les intérêts du monde de la finance sont particulièrement bien représentés au cœur de la décision publique. La bataille n’est donc pas du tout gagnée pour les États.

Les rapports de force entre les États s’écrivent en termes très nouveaux : ils sont moins marqués par le primat absolu de la sécurité. D’autres déterminants ont un poids croissant, qu’il s’agisse des stratégies d’influence, des rapports de force économiques ou encore du rapport à l’innovation. Ces paramètres deviennent plus importants que le bean counting : cette expression, qui date de la Guerre froide, désigne la comptabilité des missiles et autres ressources militaires dont dispose chaque camp. Les déterminants de la puissance que sont les moyens militaires tendent à perdre en poids relatif. D’autres marqueurs de puissance sont de nature civile. L’un des plus classiques est la conquête spatiale : les États qui aspirent à la puissance cherchent fréquemment à entrer dans le club très fermé des pays capables d’accomplir un vol habité.

 

Revue des Deux Mondes – La nouvelle « grammaire de la puissance » dont vous avez énoncé les règles dessinera au XXIe siècle une nouvelle géographie de la puissance. Qui seront les gagnants de cette redistribution des cartes ?

 

Pierre Buhler – Il y a en effet une nouvelle « grammaire de la puissance » vis-à-vis de laquelle les États sont encore un peu patauds. Mais elle n’efface pas les modalités classiques d’expression de la puissance, qui produisent un déplacement assez spectaculaire de son centre de gravité. Ce dernier s’est d’abord trouvé à Rome avant de circuler sur les bords de la Méditerranée avec l’éclosion de l’empire byzantin puis la percée de l’islam. On a assisté ensuite à une sorte de lente progression vers l’ouest, avec les empires maritimes, l’Espagne, le Portugal, la France, le Royaume-Uni, et le nord, avec l’empire continental de la Russie. Puis ce centre de gravité de la puissance a basculé vers les États-Unis. Il se déplace aujourd’hui vers l’Asie.

Il ne faut pas oublier que la Chine et l’Inde étaient des empires prospères jusqu’au XIXe siècle. Ces pays d’Asie, dont on a pu croire au siècle suivant, avec Gunnar Myrdal, qu’ils étaient voués à la misère, ont adapté à leur situation les recettes qui avaient fait le succès des économies occidentales et sont arrivés à se projeter de façon assez spectaculaire sur la carte mondiale de la puissance. Quant au Japon, il avait mis à profit les recettes occidentales dès le XIXe siècle pour devenir une puissance militaire considérable à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Après la fin du conflit, il a reproduit ce schéma et est parvenu ainsi à renaître de ses cendres.

Ces pays se sont engagés dans un développement à marche forcée. Les séries statistiques produites par l’économiste Angus Maddison montrent qu’entre 1978-1979 et 2001, le PIB de la Chine a été multiplié par 4,5 tandis que son PIB par habitant a été multiplié par 3,4. Le Royaume-Uni a eu besoin de trois quarts de siècle (1820-1895) pour faire ce que la Chine a fait en 22 ans en matière de PIB, et de 115 ans pour faire progresser son PIB par habitant dans les mêmes proportions. Les États-Unis ont effectué ce parcours en 71 ans. Quant au Japon, il lui a fallu 43 ans.

L’ampleur du rattrapage de l’Occident par l’Asie est démultipliée par le facteur démographique : avec 1,3 milliard d’habitants, la Chine change la face du monde. Son taux d’investissement est colossal (46%). Elle attire massivement les investissements directs étrangers. Et elle dispose d’une main-d’œuvre abondante et bon marché. La Chine s’est par ailleurs dotée de tous les instruments classiques de la puissance : marine de haute mer, sous-marins d’attaque, sécurisation des routes d’approvisionnement, puissance spatiale, début de mise en œuvre d’un soft power. L’Inde a pris le même train que la Chine, mais dix ans plus tard et de façon un peu moins structurée. Elle n’en enregistre pas moins des taux de croissance assez spectaculaires.

Selon la théorie de la « transition de puissance » d’A.F.K. Organski, « au fur et à mesure que chaque pays entre dans le processus d’industrialisation, il amorce un sprint soudain dans la course à la puissance, laissant derrière lui ceux qui n’ont pas encore démarré et comblant la distance avec ceux qui se sont industrialisés avant lui. S’il s’agit d’un pays de grande taille, ce sprint peut bouleverser l’ordre international ». Cette théorie s’applique parfaitement à la Chine. On peut dire la même chose de l’Inde, certes à un moindre degré. Ces pays mettent en œuvre des stratégies de rattrapage et d’imitation. La Chine consent ainsi un effort considérable pour se mettre au niveau en matière d’enseignement supérieur et de recherche scientifique : ses dépenses de recherche croissent de près de 25% par an.

Mais d’autres pays asiatiques connaissent eux aussi un décollage économique. La théorie du vol d’oies sauvages s’applique bien à cette région du monde : le Japon a été suivi de la Corée, puis des « petits dragons » asiatiques, de la République populaire de Chine, de l’Inde, de la Thaïlande, du Vietnam, de l’Indonésie. Ces pays ont stabilisé leurs systèmes politiques afin de pouvoir accéder à la prospérité économique. Des taux de croissance du PIB aussi importants sur des durées aussi longues transforment immanquablement le paysage.

On entend souvent dire que l’accession de la Chine au statut de puissance complète va attiser les antagonismes. La plupart des conflits terrestres entre la Chine et ses voisins ont été réglés, mais ce pays a des prétentions sur toutes les mers qui l’entourent : son domaine maritime n’est pas délimité. Ce que ses voisins voient, c’est une Chine fortement armée qui veut jouer de cette asymétrie pour se tailler la part du lion dans la région. On est là dans le paradigme classique de la puissance : les asymétries militaires comptent plus que les autres. La mutation de la puissance n’a pas créé un monde post-moderne partout : il y a des régions du monde où les questions de sécurité se posent ouvertement. L’Inde maintient ainsi son effort d’armement afin de faire face aux revendications de la Chine et du Pakistan.

Le succès du processus de rattrapage engagé par les États asiatiques nourrit par ailleurs leur aspiration à participer à la gouvernance mondiale, en cherchant par exemple à accroître leur influence au sein d’organisations comme le Fonds monétaire international et la Banque mondiale. Les États-Unis tiennent compte de cette évolution des rapports de force : ils considèrent que si le XXe siècle a été celui de l’Atlantique, le XXIe sera celui du Pacifique. Les choix stratégiques américains ont basculé de l’Europe vers la région Asie-Pacifique : les États-Unis ont compris que c’était de là que pouvaient venir les déséquilibres et les menaces futurs. C’est tout le sens de l’intérêt porté à l’Asie par l’administration Obama. L’Europe tire elle aussi les conséquences de cette évolution : elle regarde de plus en plus vers l’Asie et constate que les États-Unis s’intéressent moins à elle que par le passé.

Il ne faut jamais oublier, en effet, que les États-Unis sont une puissance asiatique. Ils ont des accords de sécurité avec de nombreux pays de la région : c’est le cas de Taïwan, de la Corée du Sud, du Japon, des Philippines. Le Vietnam s’efforce quant à lui d’impliquer les États-Unis dans les problématiques régionales afin de faire contrepoids à la Chine. Les États-Unis comprennent parfaitement qu’ils doivent rester présents dans cette partie du monde pour ne pas avoir à y revenir le jour où cela tournera mal. Devenus prospères, les pays asiatiques s’arment et réveillent ainsi de vieux conflits assoupis. Or la région manque de structures multilatérales bien implantées pour gérer les différends. Il y a certes l’ASEAN, mais ni la Chine ni les États-Unis n’en font partie.

L’évolution de cette nouvelle géographie de la puissance n’est pas achevée. La Chine ne va pas tarder à se heurter à une sorte de loi des rendements décroissants : elle ne continuera pas à enregistrer des taux de croissance voisins de 10% par an. Ses avantages comparatifs ne sont plus aussi extraordinaires que par le passé : des revendications salariales commencent à apparaître en dépit de la main de fer du pouvoir. Le déficit démographique lié à la politique de l’enfant unique fera bientôt sentir ses effets : aujourd'hui favorable, le rapport entre actifs et inactifs est appelé à se renverser. À moyen terme, la croissance économique chinoise va se tasser, avant même peut-être que le pays n’atteigne le niveau de prospérité de l’Occident.

De nouveaux États émergent sur la carte de la puissance. C’est le cas du Brésil, qui est arrivé à percer grâce à sa masse démographique, à une bonne utilisation de ses matières premières et à la rupture avec les politiques d’autarcie. Il peine toutefois à se faire reconnaître comme la puissance régionale incontestable. Or apparaître d’abord comme une puissance régionale est la clé de l’accession ultérieure au statut de puissance mondiale.

La Turquie est un autre cas intéressant. Les choix pertinents faits par ce pays en termes de développement économique lui permettent d’enregistrer des taux de croissance respectables. La Turquie parvient aujourd’hui à se projeter dans toute la région. On trouve des entreprises turques dans tout le pourtour méditerranéen et en Asie centrale. Ce pays utilise aussi le soft power : la culture, les soap operas, la chanson. À cela s’ajoute une forme de leadership vis-à-vis du monde arabe.

En résumé, les gagnants de la redistribution des cartes de la puissance seront les pays qui ont effectué leur rattrapage et qui vont prendre pleinement la place que leur assigne leur niveau de développement.

 

Revue des Deux Mondes – L’Union européenne, qui repose plus que tout autre ensemble géographique sur une construction juridique, a parié que la puissance pouvait s’exercer par la voie de la norme. Quels sont les principaux enseignements qui peuvent être tirés de cette expérience ?

 

Pierre Buhler – Bâtie par des « grands brûlés » de la puissance, qu’ils aient été du côté des agresseurs ou de celui des agressés, l’Europe s’est construite sur le rejet de la puissance dans les relations internationales. Ses pères fondateurs ont commencé par placer sous une autorité supranationale les matières premières indispensables à l’industrie de l’armement que sont le charbon et l’acier : ce fut l’objet de la CECA. La supranationalité a ensuite embrassé différents domaines, mais pas la défense : en 1954, l’Assemblée nationale française a rejeté le projet de Communauté Européenne de Défense. La supranationalité s’est alors déplacée vers l’OTAN, garantie de la protection américaine. Mais dès que l’Union européenne aborde les questions de sécurité et de défense, affleure à nouveau la méfiance fondamentale à l’égard de la puissance.

L’Union européenne s’est développée comme une machine à mutualiser la souveraineté : elle se projette dans le monde comme un émetteur de normes auxquelles les autres vont, espère-t-elle, se rallier. La norme, c’est en effet une manière de façonner ce que les autres vont désirer. Il peut s’agir de normes techniques, mais aussi de normes politiques définissant la manière dont les États doivent se comporter en matière de traitement des minorités ou de gestion des problèmes de frontières. Dans les années 1990, de vieux conflits dormants se sont réveillés à la faveur de la libération du carcan soviétique : en Tchécoslovaquie, en Hongrie, en Roumanie et surtout en Yougoslavie… On a proposé à ces pays un deal assez clair : s’ils voulaient intégrer l’Union européenne, ils devaient adopter ses normes – la démocratie, le respect de l’État de droit, le respect des minorités, l’intégrité des frontières, etc.

On aurait pu imaginer que la machine à fabriquer des normes qu’est l’Union européenne exerce un soft power universel par la vertu de l’exemple. Ce n’est pas exactement ce qui s’est passé. Aucune expérience similaire n’a vu le jour. Les pays qui ont essayé de construire des organisations régionales ne les ont pas bâties sur le modèle de l’Union européenne : l’abandon de souveraineté au profit d’une entité commune n’existe nulle part ailleurs. La vertu de l’exemple ne joue pas de façon convaincante.

L’Europe ne se résume pas aux institutions de l’Union européenne. Lorsqu’une puissance étrangère regarde l’Union européenne, elle voit d’abord les États qui la composent et constate qu’ils ne sont pas toujours unis sur tout. Elle traite avec ces États, qui se prêtent très volontiers au dialogue. Cette dualité reflète l’ambiguïté de la construction européenne : c’est à la fois une construction sui generis sans équivalent dans le monde, mais aussi un ensemble d’États ayant leur histoire, leur identité, leurs intérêts. L’intérêt commun européen coexiste avec les intérêts nationaux. Quand on cherche à savoir où est l’intérêt européen, on peut trouver jusqu’à 27 réponses différentes : le jeu consiste à faire passer son intérêt national pour l’expression de l’intérêt général européen. On a créé des institutions destinées à unifier les positions des Européens, dont le Service européen pour l’action extérieure est le dernier avatar en date. Mais on est davantage, là, dans le registre de la négociation que dans celui de la puissance.

L’Europe est une entité un peu indéfinissable. Elle constitue un exemple assez remarquable de gestion de la complexité, avec, à la fin des fins, un intérêt européen. Mais ce qui devait être le cœur de l’intégration européenne est aujourd’hui en butte à de très grandes difficultés : l’Union économique et monétaire est une machine extrêmement compliquée à gérer. Certains États n’en font pas partie et n’envisagent pas d’y entrer. Schengen constitue une autre façon de se regrouper, mais cela n’englobe pas non plus tout le monde.

La success story européenne marque un peu le pas. La machine complexe qu’est l’Union européenne s’est élargie d’une douzaine de membres en une dizaine d’années. Il faut porter à son crédit le fait que chaque crise a été surmontée par de nouvelles avancées de l’intégration européenne. La réunification allemande a été suivie par le traité de Maastricht puis, après la guerre dans les Balkans, par le traité d’Amsterdam, par le traité de Nice et enfin par le traité de Lisbonne. Chaque crise est un motif d’intégration supplémentaire : nul ne veut abandonner l’acquis de l’Union européenne. Ce qui se dessine aujourd’hui, c’est une intégration qui se confondra avec le périmètre de l’Union monétaire ; l’union bancaire et l’union fiscale en constitueront les prochaines étapes.

Je pense que l’Europe ne sera jamais un réceptacle de la puissance au sens classique du terme – sauf à consentir un basculement complet dans une union fédérale pure, ce qui paraît une perspective assez éloignée. Il faut gérer cette nature duale de l’Europe : être à la fois une entité sui generis et une agrégation d’États qui ont leurs logiques particulières. Les statuts des États membres de l’Union européenne sont en effet très divers : on compte parmi eux deux puissances nucléaires, deux membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies, des États alliés au sein de l’OTAN, d’anciens neutres, des États membres de l’Union économique et monétaire, des États qui, comme l’Allemagne, sont réticents à l’emploi de la force militaire, d’autres qui, comme la France et le Royaume-Uni, ont une tradition expéditionnaire. Cet ensemble hétérogène éprouve une assez grande difficulté à présenter une position unie. Quand le Kosovo a proclamé son indépendance, les pays membres de l’Union européenne se sont divisés sur sa reconnaissance. Sans parler de la guerre d’Irak, au sujet de laquelle l’Europe s’était fracturée.

La puissance, c’est aussi l’unité de commandement. Il y a puissance là où existe une chaîne de commandement qui puisse engager l’entité politique dans son ensemble. Pour faire l’Europe, on a fractionné les fonctions de production de biens publics : des pans entiers de la souveraineté nationale ont été transférés à la Commission européenne. L’Union européenne a une vraie autorité là où la Commission a le pouvoir de négociation, ce qui est le cas en matière commerciale. Là où il n’y a pas d’unité de commandement – sur les questions de politique étrangère, de sécurité, de défense, qui sont au cœur de la souveraineté nationale –, des autorités concurrentes s’exercent. Il peut y avoir une convergence, mais pas d’unité de commandement.

Certains pans fonctionnels des compétences étatiques ne sont pas mutualisés comme il conviendrait. C’est le cas de la politique énergétique : le fait qu’elle soit faiblement intégrée expose l’Union européenne à toutes sortes de pressions, en provenance notamment de Russie. L’Union européenne est aussi trop faible sur ce qui touche à l’innovation, à la science, à la recherche, à l’enseignement supérieur. L’agenda de Lisbonne, qui ambitionnait de faire de l’Europe « l’économie de la connaissance la plus  compétitive et la plus dynamique du monde en 2010 », a été un échec cuisant. Aucun État européen n’a transformé de façon substantielle sa politique de recherche et développement grâce à ce programme. Alors qu’il y a là un véritable potentiel.

L’innovation est en effet l’une des clés majeures de la puissance. Celui qui a compris l’ardente nécessité d’innover se trouve sur l’arête tranchante de l’histoire. Quand l’empire romain conquérait une terre nouvelle, il y installait une administration, il procédait à la romanisation des élites, il mettait en place un cadastre… Il avait ainsi raison de structures antérieures plus archaïques. Toute la course à la puissance s’ordonne autour du rapport à l’innovation, qu’elle soit technologique, militaire, sociale ou politique.

Cette ardente obligation de l’innovation est traitée au mieux sur le mode rhétorique et assez peu sur le mode réel – investir, mais aussi penser la recherche et développement pour qu’elle puisse se transformer en valeur ajoutée, marchande ou non marchande. L’innovation est une source de gains de productivité. Or faire des gains de productivité permet de se maintenir dans la hiérarchie de la puissance, voire d’y progresser. La Chine est dans cette logique : elle a consenti de gros investissements de rattrapage afin de se mettre en position d’innover. Les États-Unis dédient 400 milliards de dollars par an à la recherche et développement, publique et privée, c’est-à-dire autant que tous les autres membres du G8 réunis.

L’Europe pourrait jouer le rôle de grand ordonnateur de la recherche et développement afin de préserver l’avance technologique du continent. C’est d’ailleurs ce qu’avait proposé Felipe González dans un rapport intitulé Projet pour l’Europe à l’horizon 2030 et publié en 2010. Mais entre comprendre ces problèmes et aboutir de façon concertée à des remèdes idoines, il y a un saut assez colossal.

 

Revue des Deux Mondes – Quelle est la place de la guerre dans cette nouvelle grammaire de la puissance ?

 

Pierre Buhler – Le diplomate britannique Robert Cooper distingue trois mondes : le monde prémoderne, le monde moderne et le monde postmoderne. Le monde postmoderne, c’est l’archipel des États développés entre lesquels la guerre est devenue impensable. Le monde prémoderne recouvre la partie de la planète où l’État est affaibli, où des entrepreneurs politiques pratiquent la prédation, où des chefs de guerre tentent de se hisser au pouvoir afin de jouir de ses prébendes. Le monde moderne correspond à l’état de l’Occident à la fin du XIXe siècle et au début du XXe : des États-nations bien constitués, armés, entre lesquels existent des contentieux dont on ne peut exclure d’entrée de jeu le règlement par voie militaire.

Dans le schéma de Cooper, les États du monde postmoderne ont un pied dans le monde prémoderne et un autre dans le monde moderne : on se tourne vers eux quand il y a des étincelles dans le monde prémoderne. L’hypothèse de la guerre ne peut être totalement écartée. Les dépenses militaires continuent de croître : le montant du budget de défense des États-Unis équivaut à la somme de ceux des quinze pays suivants. Sans que ce soit dit explicitement, toute la logique du redéploiement stratégique américain consiste à user du poids militaire des États-Unis dans la région Asie-Pacifique pour éviter que ne s’y crée une situation de conflit au sein du monde moderne. La même logique explique leur présence dans la région du Golfe et les manœuvres diplomatiques auxquelles ils se livrent afin de dissuader l’Iran de se doter de l’arme nucléaire. Les États-Unis savent que quand ils se détournent d’une région du monde, cela finit par leur revenir en boomerang : c’est ce qui s’est produit dans le cas de l’Afghanistan.

Revue des Deux Mondes – L’arme nucléaire demeure-t-elle le marqueur ultime de la puissance ?

 

Pierre Buhler – L’arme nucléaire est l’arme de dissuasion par excellence : un État qui s’en dote peut considérer qu’il sanctuarise son territoire.

Les puissances nucléaires établies ont bien perçu le risque lié à la possibilité d’acquisition de cette arme par d’autres États. Afin de l’endiguer, ils ont conclu un traité de non-prolifération. C’était une façon de dire que tous les États peuvent légitimement accéder au nucléaire civil, mais qu’ils ne pourront y être aidés que s’ils renoncent à l’usage militaire de l’atome. L’Iran a signé le traité de non-prolifération et continue de prétendre qu’il se contente de développer des capacités nucléaires civiles. Si ce pays finit par accéder à l’arme nucléaire, il aura beau jeu d’alléguer qu’entouré de puissances nucléaires, il doit assurer sa sécurité.

L’accès à la technologie nucléaire est un marqueur et un objectif pour les aspirants à la puissance. Mettre le pied dans le nucléaire civil est aussi une façon de se familiariser avec le nucléaire militaire. L’arme nucléaire ne peut pas être désinventée. Nombre d’États considéreront toujours sa détention à la fois comme une protection ultime et comme un symbole de puissance. C’est le cas aujourd'hui, malgré les dénégations, de l’Iran. D’autres pays lui emboîteront-ils le pas ? C’est un point sur lequel je ne me prononce pas. Certains États en avaient exprimé l’intention : ce fut notamment le cas de la Libye, de l’Afrique du Sud, du Brésil. On ne les entend plus se manifester. Mais l’avenir n’est pas écrit.

Pierre Buhler, ancien professeur associé à Sciences Po, est diplomate. Il est l’auteur d’Histoire de la Pologne communiste – Autopsie d’une imposture (Karthala, 1997) et de la Puissance au XXIe siècle – Les nouvelles définitions du monde (CNRS Éditions, 2011). Il s’exprime ici à titre personnel.