La philanthropie aux Etats-Unis : quels enseignements pour la France ?

La philanthropie aux Etats-Unis : quels enseignements pour la France ?

Chapitre VI de

Mattei Dogan et Kenneth Prewitt (dir.)

Fondations philanthropiques en Europe et aux Etats-Unis

Editions de la Maison des Sciences de l'Homme, Paris, 2007

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LA PHILANTHROPIE AUX ETATS-UNIS : QUELS ENSEIGNEMENTS POUR LA FRANCE ?[1]

Chapitre VI de

Mattei Dogan et Kenneth Prewitt (dir.)

Fondations philanthropiques en Europe et aux Etats-Unis,

Editions de la Maison des Sciences de l'Homme, Paris, 2007

Un couple d’Américains qui donne son nom au Figge Art Museum, dans la petite ville de Davenport dans l’Iowa, dont ils ont mené la campagne de financement, pour un montant de 46 millions de dollars. Un professeur de la faculté de médecine de New York University, enrichi par l’invention d’un anti-inflammatoire, qui fait un don de 105 millions de dollars à celle-ci. L’Organisation Mondiale de la Santé qui crédite la fondation Gates d’avoir sauvé, par ses programmes de lutte contre la malaria dans les pays en développement, 670 000 vies. Glanées au hasard dans la presse américaine, généraliste ou spécialisée[2], pendant l’été 2005, ces annonces illustrent l’omniprésence du don dans ce qu’on pourrait appeler la « première puissance philanthropique » du monde, les Etats-Unis. Mais ce ne sont pas tant les dons spectaculaires que les dizaines de millions de donations anonymes qui en font la force. Et lorsque les média s’emparent du sujet, ce n’est pas seulement pour relayer des annonces triomphantes, mais aussi, quelquefois, pour se faire l’écho de controverses sur les pratiques d’un « tiers secteur » à cheval sur les sphères publique et privée. Cette problématique du contrôle public de l’emploi des dons bénéficiant d’allégements fiscaux resurgit à intervalles réguliers dans le débat public aux Etats-Unis. Et lorsque, durant les mois qui ont suivi les attentats du 11 septembre 2001 à New York, la télévision a mis en cause la Croix-Rouge et la grande organisation humanitaire United Way pour leur incapacité à débourser à temps les fonds, qu’ils géraient, d’aide aux victimes, les incidents furent du pain bénit pour les associations qui réclamaient de longue date une plus grande transparence et un meilleur contrôle (accountability) des organisations philanthropiques[3].

La fin de la précédente décennie avait été faste pour celles-ci. En 1999 Bill Gates, le fondateur de Microsoft, et sa femme Melinda avaient donné 5 milliards de dollars à la fondation créée à leur nom. Cette donation, la plus élevée qu’un particulier ait jamais faite aux Etats-Unis, avait été suivie chaque année de nouveaux apports d’ampleur comparable. Avec un patrimoine de 28,8 milliards de dollars en 2005 - et 7,5 milliards de dollars distribués depuis sa création - la fondation, qui se concentre sur des actions relatives à la santé publique dans le monde, figure dans une catégorie à part, loin devant la Fondation Ford, qui n’affiche « que » 11 milliards de dollars. C’est en 2000, également, qu’un autre entrepreneur de la « nouvelle économie », Gordon Moore, le cofondateur d’Intel, avait lancé une nouvelle fondation et l’avait dotée de 5 milliards de dollars. En mai 2000, Sara Lee, le géant de l’industrie agro-alimentaire, avait fait don de 52 chefs-d’œuvre - des Monet, Degas, Gauguin, Picasso, Matisse, Chagall - à 25 musées américains, réalisant le don le plus élevé de l’histoire du mécénat d’entreprise. Paraissant presque modestes par contraste, les donations libellées en centaines de millions de dollars, affluaient également, destinées aux causes les plus diverses. La fin de la « bulle » des valeurs boursières de la haute technologie avait tempéré la générosité des très gros donateurs : le montant cumulé des 10 contributions les plus élevées a « fondu » littéralement de 60 % entre 2000 et 2001[4]. Mais ces donations spectaculaires, supérieures au milliard de dollars, qui font la « une » des quotidiens, ne forment qu’une faible partie de l’iceberg de la philanthropie : moins de 10% d’une économie du don alimentée, pour l’essentiel, par un nombre impressionnant de donations plus modestes : 70 à 80 % des ménages américains font chaque année une donation à une organisation au moins[5].

Avec des ressources de 866 milliards de dollars[6], l’économie à but non lucratif représente près de 8,5 % du Produit Intérieur Brut (PIB) des Etats-Unis - davantage que le PIB de pays comme le Canada, l’Australie ou le Mexique. Elle emploie 11 millions de salariés, soit 7 % de la population active[7] - trois fois plus que l’agriculture. S’y ajoute le bénévolat, équivalent à 6,3 millions d’emplois à plein temps, que les statistiques ne comptabilisent pas[8]. Cette puissance n’a guère d’équivalent dans le monde.

En France, bien que très développé, le monde associatif ne « pèse » que 3,3 % [9] et n’est comparable ni par son indépendance ni par son potentiel financier. La comparaison entre les deux systèmes ouvre un champ de réflexion relativement inexploré au débat politique et livre quelques clefs pour une réforme du secteur à but non lucratif. Les pratiques en vigueur aux Etats-Unis en ce domaine méritent d’autant plus d’attention que la portée et la finalité de ce système restent largement incomprises en France, quand elles ne sont pas tout simplement caricaturées : « privé » est, dès lors que l’on parle de besoins sociaux comme l’éducation ou la santé, synonyme de lucratif, de mercantile - et chargé d’opprobre. Le simple terme d’« université privée » peut, par un amalgame ou un parallèle tentant avec certaines équipes professionnelles de sport aux Etats-Unis, suggérer des bénéfices, des dividendes et des actionnaires... La réalité est bien entendu toute différente.

L’héritage des robber barons

Forgé tout au long de l’histoire américaine, le nonprofit sector - ou « tiers secteur », comme on l’appelle également - relève à la fois de l’action privée et de l’action publique, mais avant tout du don. Le don d’argent ou de temps est une pratique ancrée au plus profond du système social américain, plongeant ses racines dans une tradition associative qui avait forcé l’admiration de Tocqueville. Et dans une tradition philanthropique que les robber barons ont illustrée de façon singulière : sans scrupules en affaires, ces capitaines d’industrie et ces financiers - les Carnegie, Rockefeller, Vanderbilt, Morgan - qui ont bâti la prospérité américaine se sont souvent révélés être des donateurs exceptionnellement généreux. Un Bill Gates perpétue aujourd’hui cette tradition, comme des milliers d’autres entrepreneurs enrichis.

Ce ne sont pas, cependant, ces aspects spectaculaires qui méritent de retenir l’attention, mais l’enjeu social et politique de l’économie du don. Contrastant avec les taux de participation aux élections, parmi les plus bas du monde développé, la forte implication du citoyen américain dans le « service de la communauté » (community service) apparaît comme un mode privilégié de participation de l’individu à la vie de la Cité : la culture civique à laquelle celui-ci est exposé dès l’enfance veut que chacun ait une dette envers la communauté, que celle-ci soit entendue au sens le plus large - la nation, l’humanité - ou, comme c’est le cas le plus souvent, définie par la proximité - l’école de quartier, l’université d’origine, la paroisse... Ce qui, dans ses excès, peut passer aux yeux du Vieux Continent pour du volontarisme un peu naïf est avant tout, cependant, une fibre omniprésente dans la texture sociale et politique américaine, où la « pression des pairs » est un aiguillon normal de l’engagement. Quant au bénévolat, il revêt, au-delà du travail fourni, une valeur de socialisation, encouragée dès l’école secondaire. Dix millions d’Américains sont membres d’un board of directors[10], conseil d’administration, dont la fonction est généralement délibérative ou de surveillance. Dans un registre différent, la méfiance traditionnelle des Américains envers le pouvoir central explique que, malgré le New Deal et à la différence des autres nations industrialisées, les Etats-Unis n’aient admis qu’avec parcimonie, voire à contrecœur, la prise en charge - partielle - par l’Etat-Providence des besoins sociaux, veillant du reste à concevoir celui-ci de façon à toujours ménager un rôle important au « tiers secteur ». Enfin, le succès de ce dernier n’est pas seulement imputable à une culture politique et à sa fonction de ciment de la cohésion sociale, mais procède du constat qu’il permet de répondre, avec plus d’efficacité, de rapidité et de souplesse qu’un dispositif étatique, aux besoins ignorés par le marché : développant ses propres méthodes, cultivant la diversité des approches, favorisant la dissémination des idées nouvelles, le nonprofit sector est aussi un terreau d’innovation sociale entre la sphère étatique et la sphère marchande. Les tenants du système citent souvent en exemple l’Etat du Minnesota, qui se flatte d’être à la fois à l’avant-garde des pratiques philanthropiques et un modèle de civisme (champion des taux de participation aux élections), de qualité de la vie et réussite économique[11]

D’une légitimité aujourd’hui incontestée, le « tiers secteur » a acquis, de longue date, ses lettres de noblesse, en produisant quelques uns des plus beaux fleurons des Etats-Unis - les plus grands musées, les universités les plus prestigieuses, les hôpitaux les plus performants. La philanthropie, qui irrigue le pays entier, produit la moitié des soins hospitaliers, joue un rôle dominant dans la culture - la plupart des musées, des théâtres, salles de concert et opéras sont à but non lucratif - et dans l’éducation - notamment dans l’enseignement supérieur, où les universités « privées » accueillent un tiers des étudiants et produisent plus de la moitié des diplômes supérieurs (master et doctorat).

La mosaïque du « tiers secteur »

Approximativement 1 800 000 organisations à but non lucratif opéraient en 2000 aux Etats-Unis. Ce chiffre recouvre cependant une réalité composite, qui embrasse l’Armée du Salut et les partis politiques, la National Rifle Association (le lobby des armes à feu) et les universités, en passant par les musées, fondations, sociétés d’assistance et de secours mutuel, syndicats, chambres de commerce, clubs de sport et hôpitaux.

A côté des quelque 400 000 organisations qui ne servent que leurs membres (member serving organizations), une catégorie qui regroupe partis politiques, associations professionnelles, lobbies, syndicats, etc., et ne bénéficie pas d’un statut d’exemption fiscale[12], opèrent plus d’un million d’organisations qui ont une vocation d’utilité publique (public serving organizations). Cette vocation est sanctionnée par un régime fiscal favorable, qui ne comprend pas moins de 27 catégories. La plus nombreuse - plus de 700 000 organisations y ressortissent - est connue sous l’appellation ésotérique de « 501 (c) (3) », par référence à l’article du Code des Impôts qui définit leurs droits. Le fisc américain établit en effet une hiérarchie des institutions appelées à bénéficier de ce régime en distinguant différents niveaux d’utilité publique, selon le critère, notamment, de la multiplicité des sources de financement :

· les organisations d’utilité publique (public charities), qui pratiquent la levée de fonds et administrent des causes philanthropiques : les grandes structures caritatives, bien entendu, mais aussi les hôpitaux, les organisations confessionnelles, les institutions culturelles, les stations de radio et de télévision publiques, les universités tombent ainsi dans cette sous-catégorie, qui forme la grande majorité des bénéficiaires de l’article 501 (c) (3). Plus de la moitié des public charities sont du reste des organisations religieuses ;

· les fondations, qui se subdivisent en plusieurs sous-catégories :

- les community foundations, à vocation locale, qui accueillent les dons de divers donateurs, pour les allouer à la cause choisie par chacun d’entre eux parmi un ensemble de programmes et d’actions ;

- les fondations dites « privées », qui sont définies par le fait que leur source de financement est unique ou étroite - un individu, une famille ou une entreprise - et qu’elles n’administrent pas directement l’action philanthropique, se contentant de financer des entités ou programmes extérieurs. Les fondations les plus célèbres sont des fondations privées - les fondations Carnegie, Ford, Kellogg, Rockefeller, Soros et maintenant Gates, le Lilly Endowment - créées soit par des particuliers soit par des entreprises. Les fondations privées jouissent d’un régime fiscal moins favorable que les public charities, sauf lorsqu’elles administrent elles-mêmes des programmes philanthropiques, devenant alors des operating foundations, dont le statut se rapproche de celui des charities.

Toutes ces organisations sont tenues, pour bénéficier de la clause d’exemption fiscale, de se conformer à certaines règles : les dépenses doivent évidemment correspondre à la finalité caritative et elles doivent atteindre ou dépasser 5 % de la valeur de leur portefeuille de placements. Selon les cas, des ratios-plafonds s’imposent aux dépenses de fonctionnement. Quant aux ressources, elles peuvent procéder d’activités lucratives, mais celles-ci doivent avoir un lien avec l’activité de l’organisation.

Les écarts par rapport à ces règles sont sanctionnés par un retrait du statut d’exemption fiscale ou, dans le cas d’une public charity, un reclassement dans un régime moins favorable. La vigilance du fisc quant au respect de ces prescriptions, les règles de transparence en vigueur, ainsi que la responsabilité personnelle des membres des conseils d’administration en cas d’abus ou de fraude suffisent à assurer la stabilité du dispositif. De fait les scandales, que la presse est prompte à exploiter, sont, par rapport au nombre d’organisations jouissant de ce privilège, rares[13].

Le statut d’exemption est exceptionnellement favorable. Non seulement les organisations qui en bénéficient échappent à l’impôt indirect pour leurs opérations, mais les dons et legs qui leur sont faits ouvrent droit à des avantages fiscaux fortement incitatifs : les particuliers peuvent ainsi déduire les dons monétaires aux public charities à hauteur de 50 % de leur revenu imposable et les dons aux fondations privées à hauteur de 30 %. Les entreprises sont autorisées à déduire jusqu’à 10 % de leur résultat avant impôt. Quant aux donations en nature (œuvres d’art, notamment), elles sont admises en déduction du revenu, avec des plafonds plus réduits, certes, mais à leur valeur de marché et en exonération de l’impôt sur les plus-values. Les legs, enfin, échappent, lorsqu’ils bénéficient à une organisation charitable, à la lourde imposition des successions, supérieure à 50 %. Ces dispositions ne concernent certes que la fiscalité fédérale, mais la quasi-totalité des Etats fédérés a mis en place, au profit des organisations à but non lucratif, des régimes spécifiques d’exemption, qui tendent du reste à s’aligner sur les exemptions fédérales.

Conjugué avec la tradition philanthropique américaine, ce régime fiscal a produit une véritable intégration du don dans la gestion des patrimoines. Ainsi qu’un développement d’instruments financiers plus sophistiqués que le don monétaire ou en nature : donations différées d’actifs avec un élément de rente viagère, polices d’assurance-vie bénéficiant à des charities, donation des seuls revenus d’actifs qui restent, eux, acquis aux donateurs, dotations en capital (endowment funds), donations révocables en cas de besoins financiers du donateur - occurrences qui se réalisent rarement - sans compter les innombrables manifestations artistiques et galas de levée de fonds[14]. Moyennant quoi les Américains commenceraient, selon certaines estimations, à pénétrer dans le monde de la philanthropie à partir d’un niveau de fortune de 20 millions de dollars, alors que dans d’autres pays, ce seuil serait de l’ordre de 100 millions de dollars.

l’economie du don : 8,5 % du pib americain

Ce régime a également engendré un secteur d’activité spécifique, que définit la profession si singulièrement américaine de fund raiser - « collecteur de fonds », littéralement - et qui revêt les aspects les plus variés : les grandes institutions, les musées, les universités, les salles de spectacle, entretiennent des départements spécialisés et hautement professionnels (development office) de plusieurs dizaines de personnes, chargés des relations avec les donateurs, dans les universités, des filières de formation préparent les étudiants aux techniques de la levée de fonds, une vie sociale élitiste prospère autour de causes charitables, le monde philanthropique a sa propre presse, sur papier et sur Internet. Des sites de donation en ligne[15] ont également vu le jour, qui restent marginaux, certes, en termes relatifs, dans le circuit de la philanthropie, mais qui ont tout de même permis de collecter 2,62 milliards de dollars en 2004 [16], soit 1 % environ du total des donations.

Quant aux motivations, même si l’incitation fiscale joue un rôle décisif, elles sont diverses. Il suffit de prêter attention aux noms donnés, dans les universités, dans les institutions culturelles, dans les hôpitaux, aux chaires, aux bâtiments, aux ailes, aux salles pour réaliser que les bénéficiaires ont aussi à cœur d’honorer leurs bienfaiteurs. Et c’est donc, au-delà de la philanthropie proprement dite, de l’altruisme au profit de la community, un ensemble de mobiles qui concourt à alimenter ce secteur : visibilité sociale, accès à une élite de pairs, mais aussi, souvent, comme dans le cas des grands philanthropes américains du passé, une volonté de changer le monde et un symbole de puissance.

Les pratiques de mécénat et de philanthropie qui ont prospéré dans cet environnement favorable ont, en 2004, apporté au secteur à but non lucratif 249 milliards de dollars, soit 2,2 % du PIB. Cet agrégat, qui affichait, jusqu’en 2001, des taux de croissance vigoureux, supérieurs à 10 % certaines années, a, après une quasi-stagnation entre 2001 et 2003, retrouvé un taux de croissance de 5 %, semblant indiquer la « reprise » après la « dépression », que reflète également le retour des donations élevées : le total cumulé des 60 dons les plus élevés est ainsi passé de 6 à 10 milliards de dollars entre 2003 et 2004[17].

Les dons ne sont pas, cependant, la principale ressource du secteur à but non lucratif, financé à plus de 50 % par des revenus propres (facturation de prestations, vente de billets, droits de scolarité dans les universités, contrats de recherche, subventions publiques à des programmes...), mais ils constituent le socle qui permet à ce secteur de « peser » près de 8,5 % du PIB. Il est frappant de constater qu’ils émanent, pour 83,5 % de leur montant total, d’individus, provenant soit de donations (75,6 %), soit de legs (8 %). Le reste est apporté par des fondations privées (11,6 %) et des entreprises (4,8 %), soit directement, soit via les fondations d’entreprise.

Donations par origine en 2004

en milliards de dollars

en %

· individuelles

· legs

· fondations privées

· entreprises

187,9

19,8

28,8

12

75,6

8,0

11,6

4,8

Total

248,5

100

Source : Giving USA 2004, AAFRC Trust for Philanthropy

Avec 35,5 % de cette manne, les quelque 340 000 organisations confessionnelles se taillent la part du lion : les églises sont en effet le réceptacle historique de la philanthropie américaine, et notamment des dons des particuliers. L’éducation arrive à la seconde place, avec 34 milliards de dollars. L’enseignement supérieur représente les trois quarts de cet agrégat, témoignant de la puissance des universités, qui, selon un schéma classique aux Etats-Unis, lancent d’efficaces campagnes de levée de fonds auprès de leurs anciens étudiants (cf. infra). Les services aux personnes (assistance, aide aux jeunes en difficulté, prévention de la criminalité...) affichent 19 milliards de dollars, et le secteur de la santé 22 milliards de dollars. Les arts et la culture n’arrivent qu’assez loin derrière, avec 14 milliards de dollars, auxquels il faut probablement ajouter les dépenses engagées par des entreprises au titre du sponsoring des manifestations artistiques - mais le total de cette forme d’action n’est guère supérieur à un milliard de dollars[18]. Enfin, les fonds alloués à la protection de l’environnement totalisent près de 8 milliards de dollars, tandis que l’action internationale arrive en dernière place dans l’échelle de priorité des donateurs américains, avec seulement 5,3 milliards de dollars[19].

Donations par destination (2004)

Bénéficiaires

en milliard de dollars

en %

Organisations confessionnelles

88,3

35,5

Education

33,8

13,6

Santé

22,0

8,8

Services aux personnes[20]

19,2

7,7

Arts et culture

14,0

5,6

Organisations généralistes et dons non affectés

34,3

13,8

Protection de l’environnement

7,6

3,1

Action internationale

5,3

2,1

Fondations

24

9,7

Total

248,5

100,0

Source : Giving USA 2004, AAFRC Trust for Philanthropy

Aujourd’hui supérieure à 2 %, la part des donations dans le PIB n’est jamais descendue, au cours des 30 dernières années, en dessous de 1,7 %. Et si l’on rapporte les donations faites par les individus au revenu disponible des ménages le ratio oscille entre 1,6 et 2 % depuis 30 ans, soit environ trois fois plus que le pays classé en seconde position selon ce critère, le Royaume Uni. Cette remarquable stabilité recouvre cependant une diversification des donations : le nombre d’organisations bénéficiant de l’article 501 (c) (3) du Code des impôts a, au cours de la dernière décennie, augmenté de près de 5 % par an - de 30 à 35 000 au cours des années les plus récentes. Le total de leurs actifs atteignait en 1996 le chiffre colossal de 1 500 milliards de dollars[21] et dépasse . Quant aux fondations proprement dites, leur nombre a plus que doublé entre 1980 et 1998, dépassant désormais 50 000. Ce chiffre augmente de 3 000 par an et un tiers des fondations aujourd’hui les plus actives a été créé au cours des années 90.

Quelles qu’en soient les modalités, ce phénomène illustre l’effet multiplicateur du régime fiscal : lorsqu’un contribuable imposé dans la tranche la plus élevée (35 % depuis la baisse des impôts promulguée en juin 2001 par le président Bush ) de l’impôt sur le revenu fait un don de 1000 dollars, l’Etat fédéral renonce à 350 dollars. En d’autres termes, l’Etat abandonne une recette fiscale de ce montant en contrepartie d’une action valorisée à 1000 dollars, consacrée en totalité à une cause choisie par le donateur, certes, mais d’intérêt public, une action qui bien souvent dispense l’Etat de la produire lui-même. Toutes actions confondues, la « dépense fiscale », c'est-à-dire la perte pour le fisc fédéral, est de 25,8 milliards de dollars[22], révélant un effet multiplicateur de grande ampleur, dont il est cependant difficile de produire une évaluation[23]. Quoi qu’il en soit, cette machine efficace et huilée a permis l’essor d’un ensemble, puissant et omniprésent même s’il n’est pas exempt de critiques, d’institutions prestigieuses qui font l’orgueil de l’Amérique.

les fondations, l’épine dorsale de la philanthropie américaine

Avec une 28,8 milliards de dollars de dons distribués, les fondations ne représentent que 11,5 % de l’ensemble, six fois moins que les individus. Mais alors que ceux-ci sont dispersés et ont d’autres centres d’intérêt, les fondations n’ont pas d’autre raison sociale que la philanthropie. Sans même parler de leur « force de frappe » financière, les fondations jouissent, par leur savoir-faire, leur prestige, leur influence, d’un poids propre et d’une place éminente dans le paysage civil américain.

Venue se greffer sur le terreau « communautaire » et caritatif de l’Amérique du XIXème siècle, la fondation s’est imposée au début du siècle suivant comme le véhicule de la philanthropie de l’ère industrielle, et a contribué à en façonner l’Histoire. Lancée, au lendemain de la Guerre de Sécession, par le Peabody Education Fund[24], la forme de la fondation ne connaîtra son avènement qu’au tournant du siècle, à l’instigation des deux hommes les plus riches du pays : Andrew Carnegie, prototype du self made man, immigrant né en Ecosse, devenu magnat de l’acier à la faveur de l’essor consécutif à la Guerre de Sécession, et John D. Rockefeller, un baptiste dévot qui règne sans partage sur l’industrie pétrolière américaine. Sollicités par les églises et les œuvres de charité pour remédier aux dégâts sociaux de l’industrialisation rapide, ils se montrent généreux, certes, mais n’arrivent pas à dépenser leurs fortunes au rythme où elles s’amassent. Et, dans l’esprit du temps, il faut rationaliser ce flux financier en train de grossir et lui donner un sens. C’est ainsi que Carnegie, qui a coutume d’affirmer que c’est « un déshonneur que de mourir fortuné », consigne, en 1889, sa pensée dans deux articles réunis sous le titre de Gospel of Wealth et connus comme le manifeste de la philanthropie américaine. La même année, Rockefeller fonde l’université de Chicago. Carnegie lui emboîte la pas, qui crée à Pittsburgh le Carnegie Institute of Technology[25].

Alors que l’impôt sur le revenu n’existe pas encore, leurs motivations sont complexes, allant de la volonté d’employer de manière imaginative et novatrice leur énorme fortune à un souci de désamorcer une insatisfaction sociale engendrée par les ravages du capitalisme et perçue comme un péril pour celui-ci. Ce qui, en tout état de cause, les réunit est une foi sans limites dans les vertus de la science et de l’éducation, à même de résoudre les contradictions du capitalisme et de faire progresser la civilisation. Leurs actions philanthropiques en portent la marque, comme ce Rockefeller Medical Institute fondé à New York en 1901, sur le modèle de l’Institut Pasteur. Il permettra l’identification, en l’espace de quelques années, des causes de plusieurs maladies.

Ce n’est cependant qu’une dizaine d’années plus tard, après avoir rodé leurs procédures dans divers fonds spécialisés et structures collégiales informelles, que les deux industriels créeront formellement les fondations, la Carnegie Corporation of New York en 1911 et la Rockefeller Foundation en 1913. Des fondations généralistes, laïques, organisées sur le modèle de l’entreprise capitaliste, cher aux fondateurs, aux buts très larges - « le progrès du savoir et de la compréhension », « la promotion du bien-être de l’humanité à travers le monde » - et généreusement dotées. Ils ont été précédés par la veuve d’un magnat de l’immobilier, Russell Sage, qui, à la tête d’une fortune de 65 millions de dollars, crée en 1907 la fondation qui porte son nom.

Loin de susciter l’admiration, ces initiatives provoquent une levée de boucliers. Rockefeller, qui vient de se voir imposer par la Cour Suprême la dissolution de son empire pétrolier et cherche désormais à obtenir auprès du Congrès un statut de droit public pour sa fondation, ne réussit qu’à provoquer la colère de la classe politique. En 1913, le Président Wilson fait créer une commission parlementaire des « relations industrielles », fer de lance de l’action politique contre les fondations. Les critiques fusent : nombre d’élus jugent illégitime de sanctionner, par une approbation publique, la redistribution de fortunes immenses par des organisations philanthropiques échappant à tout contrôle démocratique. Rockefeller est accusé d’utiliser ses fondations pour protéger ses monopoles et redorer son blason terni de robber baron. Le drame de Ludlow[26] aggrave encore la confrontation et dissuade le Congrès de céder sur le statut de la fondation. Mais les fondations, comme l’ensemble des organisations à but non lucratif, sont exemptées de l’impôt direct, créé en 1913 et 1917, et les dons qui leur sont faits seront déductibles du revenu imposable.

C’est dans ce contexte juridique et institutionnel, relativement flou, mais qui s’avérera être un incubateur efficace, que se développera la fondation moderne, seul les champs d’intérêt changeant avec les époques. Transposant au domaine social la conviction que la science permettra de délivrer l’humanité des fléaux qui l’accablent, comme les maladies infectieuses, la fondation Russell Sage finance massivement un effort de recherche dans ce qui n’est pas encore véritablement une discipline, les sciences sociales. Des outils statistiques sont mis au point, des modèles d’études de la société élaborés, des données rassemblées sur des questions jusqu’alors négligées, comme le logement, les conditions de travail, les relations interraciales, plaçant l’institution à l’avant-garde des initiatives de progrès social, ce qui ne manque pas de sel lorsque l’on sait que le défunt Sage était réputé aussi pingre que réactionnaire. Véritable préfiguration des think tanks, la fondation devient la référence des politiques publiques dans le domaine social : les réformateurs utilisent les données collectées par ses chercheurs pour préparer et défendre les projets de lois sur la protection des enfants, la justice des mineurs et le travail des femmes. Et c’est dans ses rangs que l’administration Roosevelt viendra, en 1933, recruter des experts pour préparer les lois sociales du New Deal.

Les fondations Carnegie et Rockefeller, cantonnées dans les sciences exactes - la physique et la chimie pour l’une, la médecine et la biologie pour l’autre - dominent ces champs que tant l’Etat que les entreprises délaissent : elles subventionnent généreusement leurs propres institutions de recherche, mais aussi, de plus en plus, ceux d’universités et même des institutions fédérales comme le National Research Council, la National Academy of Sciences, que leurs fondateurs ont convaincu les administrations successives de développer. Et vers la fin des années 20, les deux fondations s’aventurent sur le terrain des sciences sociales et de la définition de politiques publiques : c’est en 1927 que la fondation Carnegie donne une impulsion majeure à une fondation créée par un homme d’affaires conservateur de Saint-Louis, la Brookings Institution, appelée à devenir un des principaux think tanks de Washington. Et paradoxalement, c’est le Président Hoover, républicain bon teint, qui, pour la première fois, sollicite de la fondation Rockefeller une étude sur les réalités sociales des Etats-Unis, sur laquelle il entend s’appuyer pour mener le pays hors de la Grande Dépression[27]. Les fondations réalisent l’impact qu’elles peuvent avoir, dans la sphère politique, grâce à l’expertise qu’elles seules sont à même de financer. Et s’engouffrent dans la brèche ouverte par la fondation Russell Sage pour développer cette forme si spécifiquement américaine de collaboration entre secteur privé et secteur public qui recevra par la suite le nom de think tank.

Le décor est planté pour la nouvelle ère des fondations qui s’ouvre au lendemain de la Deuxième Guerre Mondiale. En ces années de reconstruction et d’horizons sans limites, l’heure est surtout à la médiation de politiques publiques, action dont les responsables de fondations estiment qu’elle assure le meilleur rendement, en termes de retombées, du dollar investi. Des instituts de recherche sont créés, des réseaux se constituent, sécrétant les élites qui investissent les rouages de l’Administration et du Congrès. De nouvelles fondations apparaissent, souvent de tendance libérale, qui se retrouvent entraînées dans les turbulences du maccarthysme, accusées de saper les valeurs de l’Amérique et de faire le lit du communisme. Un grief qui ne manque pas de saveur lorsqu’il est adressé à la fondation Ford, dont les dirigeants sont inquiétés par les commissions d’investigation du Congrès.

Même si elles ont perdu en importance, la science et la recherche ne sont pas passées par profits et pertes : c’est ainsi au sein de la fondation Rockefeller que voit le jour, en 1941, le grand projet de la « Révolution Verte », fondé sur la conviction que la science permettrait de régler le grave problème de la famine dans le monde. Repris par une nouvelle venue dans le petit monde des fondations, la fondation Ford, et de nombreuses autres, le projet trouve, au prix d’un lobbying efficace, des relais publics dans l’Administation, la Banque Mondiale. La « Révolution Verte », qui s’étale sur plusieurs décennies, produit des résultats spectaculaires, mais, mettant l’accent sur l’offre et négligeant les mécanismes de la demande, cumule les retombées négatives et multiplie les déconvenues et les polémiques.

Et c’est à la faveur du climat de renouveau autour de l’administration Kennedy que les fondations, de plus en plus impliquées dans la vie de la Cité, s’engagent dans la social advocacy pour défendre la cause des plus défavorisés, les Noirs. Cette démarche s’étendra ensuite à d’autres minorités, puis à la protection de l’environnement et plus tard encore à celle des droits des femmes. Les fondations - et notamment de petites fondations très radicales - joueront de la sorte un rôle décisif, au cours des années 60, dans le combat pour les droits civiques, au grand dam des conservateurs du Congrès, et notamment du gouverneur de l’Alabama, George Wallace, qui dénonce vigoureusement le militantisme des fondations dans la défense des droits électoraux des Noirs du sud. Même si l’engagement des fondations dans ces causes ne représente qu’une part faible de l’ensemble de leurs dépenses, leurs contributions constituent en effet une part importante - jusqu’à un tiers - des ressources des organisations de défense des droits civiques telles que la NAACP[28].

Moyennant quoi la nébuleuse des fondations se retrouve sous le feu croisé des critiques de gauche et de droite. Les premiers dénient toute légitimité aux fondations, instruments d’une élite ploutocratique, pour agir en faveur de la justice sociale, dénonçant la récupération des mouvements sociaux les plus radicaux pour les amener sur des terrains réformistes ne menaçant pas l’ordre établi ni le système de pouvoir. Pour la droite, les fondations œuvrent à la promotion de programme socialistes, détournant à des fins de militantisme politique et d’activisme partisan des fonds collectés grâce à des allégements fiscaux. La Fondation Ford se voit ainsi étiqueter « Léviathan libéral » et accusée d’être le suppôt de l’affirmative action et de la culture du « politiquement correct ». Mais par un nouveau paradoxe, cette même droite, tout en continuant de militer contre le social advocacy[29], reprend à son profit l’outil de la fondation pour en faire un outil de combat idéologique. C’est ainsi que, grâce à l’aide de quelques généreux donateurs, prospèrent des think tanks conservateurs tels que la Heritage Foundation, l’American Enterprise Institute et le Manhattan Institute, qui servent de couveuse à la révolution reaganienne et de relais de diffusion de ses messages : dérégulation de l’économie, élagage de l’Etat, baisse de l’impôt... Au nombre des idées qui germent dans ces officines figure celle de faire prendre en charge par le tiers secteur les fonctions de filet de sécurité assumées par l’Etat pour les plus défavorisés (welfare). Elle se heurte à une fin de non-recevoir quasi-unanime de la part des intéressés, qui ont beau jeu de faire valoir que le secteur à but non lucratif n’a ni les moyens[30], ni la vocation d’assumer une telle charge : le propre des fondations, comme des autres institutions philanthropiques, font-ils valoir, est qu’elles choisissent les besoins sociaux qu’elles veulent satisfaire, en conformité avec les vœux des donateurs, contrairement à l’Etat qui, lui, ne peut choisir. L’idée connaîtra un nouvel avatar - mais pas davantage de succès - avec les tentatives du Président George W. Bush de déléguer les fonctions sociales de l’Etat aux organisations caritatives confessionnelles (faith based charities)[31].

Au-delà de ces querelles à connotation idéologique sur les choix des programmes, la critique porte sur les risques de malversations[32] ou d’abus de la part des dirigeants, qui, sans nécessairement commettre d’actes délictueux, enfreignent l’éthique de la philanthropie. Elle porte enfin, de façon plus feutrée, sur les méthodes : les fondations se voient ainsi reprocher de mobiliser des sommes considérables pour mettre en place et administrer des programmes, mais en ne faisant rien, ou presque, pour mesurer leur efficacité et leur impact. Parfois, la mise en cause est plus radicale, comme celle de Larry Ellison, le PDG de l’entreprise Oracle, dont la fortune personnelle est la seconde au Etats-Unis après celle de Bill Gates : « on mesure la philanthropie par l’argent gaspillé. On mesure le montant du don, pas les résultats ». Certaines fondations sont accusées par les bénéficiaires - à mots couverts - de versatilité et d’inconstance dans leur soutien lorsque le succès médiatique ne vient pas assez vite, notamment dans le domaine de la recherche scientifique. Le journaliste Mark Dowie s’en prend, lui, à l’arrogance des « philanthrocrates », cette nouvelle classe de bureaucrates de la philanthropie - une dizaine de milliers en tout et pour tout - imperméables aux critiques extérieures comme aux opinions indépendantes, et habiles à dissimuler leurs échecs derrière des discours lénifiants[33]. Mais c’est le penchant des fondations pour le secret et l’opacité, leur absence de démocratie interne qui revient le plus souvent dans les travaux sérieux sur les fondations : à la volonté arbitraire du fondateur succède en général la volonté non moins arbitraire des directoires (boards) anonymes qui prennent la relève. Il est vrai que ces instances dirigeantes n’ont de comptes à rendre à quiconque tant qu’elles restent dans le cadre peu contraignant tracé par la législation. Et c’est, s’agissant d’institutions en partie publiques - par leur financement en tout cas - ce déficit de contrôle démocratique qui a traditionnellement constitué l’angle d’attaque privilégié de la droite comme de la gauche.

Mais la contestation du principe de l’existence de fondations bénéficiant d’allégements fiscaux est insignifiante, et les fondations américaines forment l’épine dorsale de la philanthropie aux Etats-Unis. Appuyées sur des appareils hautement professionnalisés, imprégnées de la culture d’entreprise américaine, elles ont développé un savoir-faire, une technicité, une expertise qui leur permet de démultiplier leur influence : les termes de seed money - mise de fonds d’amorçage d’un projet - de challenge grant - don libéré à condition que le bénéficiaire trouve ailleurs un don de même montant - et de leverage - effet de levier et de démultiplication d’un don[34] - font partie aujourd’hui du vocabulaire courant de l’Amérique. Elles couvrent tous les pans de vie publique, de l’environnement à l’éducation, en passant par la santé, les arts et la culture, l’action humanitaire, l’aide sociale... Si elles ne peuvent rivaliser avec l’Etat fédéral, bailleur de fonds massif, dans le domaine de la recherche scientifique, elles excellent à investir les interstices laissés libres par ce même Etat, au croisement de plusieurs disciplines, et à développer des niches d’innovation. La Fondation Rockefeller s’est quasiment retirée de la recherche médicale, mais d’autres institutions ont pris la relève, comme le Howard Hughes Medical Institute, qui dépense chaque année 350 millions de dollars, soit tout de même l’équivalent de 10 % du budget de recherche médicale de la principale agence fédérale américaine, les National Health Institutes (NIH). A côté de la prise en charge totale de coûteux programmes de recherche, la pratique du leverage continue de prospérer, dont l’exemple le plus fameux est celui de Mary Lasker, la veuve du principal agent publicitaire de l’industrie du tabac, qui obtint en 1971, grâce à ses talents conjugués de philanthrope et de lobbyiste, la création du National Cancer Institute. En entraînant de nombreuses fondations derrière son entreprise de création de sociétés civiles dans l’Europe post-communiste, animée par l’Open Society Institute, le financier d’origine hongroise George Soros a poursuivi, tout au long des années 90, une action internationale déjà abordée, sur d’autres terrains, par les grandes fondations.

C’est dans le domaine de l’art et de la culture, largement délaissé par l’Etat, que les fondations ont joué, et continuent de jouer un rôle décisif. La voie a été, là, ouverte par la Fondation Ford qui, mettant à profit le goût pour l’art du couple Kennedy, a littéralement inventé le modèle de la philanthropie culturelle qui a toujours cours de nos jours : intervenant sur l’ensemble du registre du processus - formation, création production, diffusion - entraînant dans son sillage d’autres fondations, des institutions publiques[35] et des entreprises, la Fondation Ford a créé un terreau exceptionnellement favorable aux arts. Et si, au début des années 80, elle a abandonné ce terrain à des nouveaux venus - le J. Paul Getty Trust[36], la Lila Wallace-Readers Digest Foundation, la Mellon Foundation... - elle aura joué, indiscutablement, un rôle historique dans la démocratisation de l’art aux Etats-Unis et dans l’émergence de ce pays comme la première puissance mondiale dans ce domaine aussi.

Enfin, c’est par le jeu de l’interaction avec les institutions publiques que le monde des fondations exerce sans doute son leverage le plus significatif, même si la symbiose entre sphère publique et sphère privée est telle, aujourd’hui, que c’en est à peine visible. Environ un millier de think tanks, des plus partisans jusqu’aux plus apolitiques, alimentent à jet continu l’Administration, le Congrès et les médias en notes, études, statistiques, conseils et mises en garde sur tous les sujets relevant de l’action publique : environnement, santé, économie, relations internationales... De par leur diversité, de par leur qualité[37], ces structures forment un vaste laboratoire-banc d’essai des politiques publiques, véritable tremplin du débat démocratique et civique.

Au-delà du transfert financier et intellectuel qu’elles opèrent entre les deux sphères - privée et publique - les fondations trouvent une autre valeur ajoutée, probablement unique celle-là, dans l’imagination des philanthropes, qui leur fait emprunter des voies inattendues, sortant des sentiers battus, et leur offre ce qu’ils recherchent - changer l’ordre des choses là où cela a du sens - pour le plus grand bénéfice de tous. C’est ce besoin qui pousse un Ted Turner à annoncer, sans même consulter ses conseillers financiers, un don d’un milliard de dollars à la fondation des Nations Unies. Ou encore une Irène Diamond à vouer, en 1987, les 150 millions de dollars de sa fondation à être dépensés en totalité dans la recherche sur le SIDA, mais en 10 ans, parce qu’il fallait une action rapide, et non pas étalée sur des décennies. Ce sont ces venture philanthropists qui, à l’image des venture capitalists qu’ils peuvent être par ailleurs, sont les véritables agents de l’innovation et du progrès, conclut Dowie, offrant à la philanthropie ses plus belles lettres de noblesse.

les universités privées americaines : une intégration

étroite dans l’économie du don

Autre grand réceptacle de la philanthropie américaine, l’enseignement supérieur privé lui doit en bonne partie sa situation privilégiée. Si elles partagent avec les universités publiques les trois quarts des dons affectés à l’éducation, soit une manne de quelque 26 milliards de dollars, les universités privées, qui n’accueillent que le quart des étudiants, sont les principales bénéficiaires de l’économie du don. Cet apport est, pour nombre d’établissements, une source majeure de financement, qui leur permet de développer des programmes de recherche, d’attirer les meilleurs enseignants et de rivaliser sans répercuter intégralement leurs coûts sur les droits de scolarité, déjà très élevés, payés par les étudiants[38].

La première ressource est celle, provenant de donations passées, que produit l’endowment, une dotation en capital dont seuls les revenus annuels peuvent être dépensés. Lorsqu’il a pris, en juin 2001, la présidence de l’université Harvard, Larry Summers, le brillant secrétaire au Trésor des deux dernières années de l’administration Clinton, s’est trouvé aux commandes de l’université la mieux dotée des Etats-Unis : près de 18 milliards de dollars. Mesure de la puissance financière d’une université, l’endowment est aussi un mécanisme de sécurité garant de la pérennité des opérations de l’institution. Accumulé au fil des décennies, grâce, pour l’essentiel, à des dons et legs d’anciens étudiants - les alumni - ce capital est formé pour une part importante d’actifs mobiliers, mais peut également comprendre des propriétés immobilières et foncières. Les donations peuvent, selon la volonté du donateur, être affectées à un but précis ou laissées à la discrétion des autorités de l’université.

Du fait de la vive compétition entre les universités, l’accroissement de l’endowment est une des missions premières du président de l’institution, dont le succès sera en partie mesuré à l’aune de sa performance à cet égard. Il s’appuie sur un dispositif de collaborateurs experts de la levée de fonds et sur la méthode éprouvée des campagnes de longue durée - généralement cinq ans - auxquelles tous les alumni sont pressés, parfois avec insistance, de contribuer. Des annonces triomphantes marquent à intervalles réguliers la clôture de ces campagnes : en décembre 1998, l’université Vanderbilt (Tennessee) avait ainsi reçu 340 millions de dollars de la propriétaire d’une chaîne de grossistes, le don monétaire le plus élevé jamais fait à une université[39], mais ce record a été battu en 2001 lorsque le Rensselaer Polytechnic Institute, une école d’ingénieurs de l’Etat de New York, a enregistré coup sur coup deux donations anonymes de 360 et 230 millions de dollars. En 1999, l’université Harvard affichait un résultat de 2,6 milliards de dollars pour une campagne de cinq années et demi. L’université de Princeton a pour sa part annoncé, en juin 2000, avoir terminé une campagne de cinq années avec 1,14 milliards de dollars. Quatre alumni sur cinq avaient contribué à cette opération, qui a notamment permis à l’université d’augmenter de 10 %, sur une période de quatre ans, le nombre des étudiants undergraduate[40]. Quant à l’université Columbia de New York, elle a clos en décembre 2000 un campagne qui couvrait toute la décennie et qui aura produit 2,75 milliards de dollars. Malgré le grand nombre de contributions (300 000, dont certaines émanant de donateurs récurrents), c’est un « noyau dur » de quelque 400 mécènes qui, avec des dons d’un montant égal ou supérieur au million de dollars, a permis d’assurer les deux tiers, soit 1,6 milliard de dollars, du produit de la campagne. Columbia a ainsi bénéficié d’une donation de 50 millions de dollars de la fondation Bill et Melinda Gates, mais le plus gros chèque, de 85 millions de dollars, était celui d’un philanthrope moins connu, John Kluge, qui a choisi d’affecter 60 millions à un fonds de bourses bénéficiant aux étudiants issus de minorités raciales et 25 millions au relèvement des salaires des jeunes enseignants. Plus récemment, l’université Johns Hopkins annonçait avoir d’ores et déjà atteint 1,8 milliards de dollars pour une campagne de 6 ans (2001-2007) dont l’objectif était de lever 2 milliards de dollars.

Ces efforts, passés et présents, ont permis aux universités privées de constituer des endowments aux montants vertigineux, du moins pour les plus aisées d’entre elles[41].

endowments des 12 universités, privées ou publiques, les mieux dotées

(au 30 juin 2004)

Montant de l’endowment

(milliards de dollars)

1

Harvard University

22,1

2

Yale University

12,7

3

University of Texas*

10,3

4

Stanford University

9,9

5

Princeton University

9,9

6

M.I.T.

5,9

7

University of California*

4,8

8

Emory University

4,5

9

Columbia University

4,5

10

Texas A&M University*

4,4

11

University of Michigan*

4,2

12

University of Pennsylvania

4,0

Source :The Chronicle of Higher Education

* université publique

L’endowment est géré sur un mode comparable à ceux des fonds d’investissement, selon des règles strictes de prudence. Chaque donation se voit attribuer un nombre de parts proportionnel à son montant au moment où elle abonde la masse du fonds. Celle-ci est investie en instruments financiers (actions, obligations...) par le département financier de l’université, dont le mandat est de concilier un rendement optimal avec un risque raisonnable, l’objectif ultime étant de maintenir le pouvoir d’achat futur de l’endowment. Disposant de professionnels avisés - et intéressés aux résultats -, les universités parviennent à dégager, pour leurs fonds, des taux de rendement significatifs, supérieurs à ceux du marché. C’est ainsi, que après une contraction ou un tassement pendant les années de crise (2001-2003), les valeurs des endowments ont retrouvé en 2004 des taux de croissance à deux chiffres, de 15 % en moyenne[42] en dollars courants. Pour écrêter les variations conjoncturelles, qui affectent fortement la valeur des portefeuilles, le revenu effectivement distribué et inscrit au budget annuel de l’université fait l’objet d’une correction, aboutissant en pratique à un produit annuel de l’ordre de 4 à 5 %, seulement, du montant de l’endowment.

Une fois arrêtée l’enveloppe totale du revenu du fonds, elle est subdivisée en autant de comptes que les donateurs passés ont assigné d’affectations spécifiques et chacun de ces comptes est abondé chaque année - à perpétuité - d’un montant proportionnel à la donation initiale[43]. Harvard gère ainsi quelque 9 600 comptes. L’université Stanford, qui occupe le troisième rang parmi les universités privées, en gère pour sa part 5 600. Les revenus de l’endowment de Stanford (9,9 milliards de dollars en 2004) sont pour l’essentiel affectés à des fins précises, programmes d’enseignement et de recherche (53%) et bourses pour les étudiants undergraduate (22%)[44], 25 % seulement étant à la discrétion de l’université.

La seconde ressource de nature philanthropique provient des campagnes annuelles de levée de fonds, aux objectifs plus modestes, et dont les produits sont destinés à rester d’emploi libre par les autorités universitaires. Ces campagnes sont elles aussi menées dans le réseau des anciens étudiants, par les development offices des universités, qui mobilisent un grand nombre d’alumni bénévoles. C’est ainsi que Princeton, particulièrement efficace, a collecté 37 millions de dollars pendant la campagne annuelle 2004-2005, mobilisant près de 60 % des anciens élèves, regroupés, le plus souvent, par promotion. S’y ajoutent quelque 30 millions de dollars de donations affectées à des projets précis tels que des bâtiments nouveaux, rénovations, chaires et programmes sportifs... Moyennant quoi près de la moitié du budget de fonctionnement provient, dans une université telle que celle de Princeton, de dons, passés ou présents.

budget de l’universite de princeton

2003-2004

i. ressources

en millions de dollars

en % du total

Produit de l’endowment

361

42,2

Frais de scolarité nets[45]

87

10,1

Contrats de recherche publics

184

21,5

Donations et contrats de recherche privés

73

8,5

Autres revenus

151

17,7

Total

856

100

ii. depenses

en millions de dollars

en % du total

Activités d’enseignement et de recherche

388

45,3

Administration

83

9,7

Bibliothèque

41

4,8

Laboratoire de physique des plasmas

73

8,5

Dépenses diverses

271

31,7

Total

856

100

Source : site Internet de l’université de Princeton

Les universités sont, à côté des grands laboratoires, publics et privés, le fer de lance de la recherche aux Etats-Unis. Parmi les universités privées, certaines, comme l’université Johns Hopkins ou l’université de Chicago, sont connues avant tout pour la recherche et n’admettent qu’un nombre relativement faible d’étudiants undergraduate. Ce sont ces plates-formes de recherche qui attirent l’attention des responsables des politiques de recherche fédérales. C’est ainsi qu’une université privée comme Johns Hopkins bénéficiait en 2002 d’un budget de recherche de plus d’un milliard de dollars, provenant pour l’essentiel de contrats publics.

dépenses de recherche et developpement

dans les universites

(annee fiscale 2002)

Institutions

Montant total

(millions de dollars)

1

Johns Hopkins U *

1136

2

U of Washington

576

3

U-Penn *

480

4

University of Michigan

457

5

UCLA

440

6

Stanford University *

409

7

U CA San Diego

408

8

U WI-Madison

394

9

U CA San Francisco

387

10

Washington University St-Louis *

381

Source : site Internet de la National Science Foundation

* en grisé : universités privées

C’est par les crédits de recherche que, pour l’essentiel, le gouvernement fédéral participe au financement des universités privées. Les départements de la Défense et de l’énergie, ainsi que les National Institutes of Health (NIH) ou la National Science Foundation sont ainsi les principaux pourvoyeurs de contrats. Mais il s’agit là d’une rémunération de prestations de services. Les subventions sans contreparties prennent la forme de programmes fédéraux d’aide aux étudiants. Enfin, les universités reçoivent fréquemment des subsides de l’Etat fédéré. Au total, ces contrats et subventions représentaient en 1996-1997 quelque 16 % des budgets de fonctionnement de l’ensemble des universités privées.

quels enseignements pour la France ?

Peut-on en tirer des enseignements pour la France ? Tout ce qui vient d’outre-Atlantique y est accueilli avec scepticisme et suspicion. Mais alors que d’autres facettes, moins glorieuses, du modèle américain gagnent imperceptiblement nos modes de vie, il serait paradoxal d’en balayer un des aspects les plus intéressants sans se donner la peine de l’examiner de plus près.

L’équivalent français de la nébuleuse du « tiers secteur » américain est, pour l’essentiel, le monde associatif, qui se définit lui aussi par la non-lucrativité de ses activités. La France n’est pas moins irriguée, bien au contraire, que les Etats-Unis par ce système, puisqu’il existe près d’un million d’associations, soit proportionnellement plus qu’outre-Atlantique, puisqu’il s’en crée de 60 à 70 000 par an, que près de la moitié des Français sont membres d’au moins une association[46]. 168 000 associations emploient 1,5 millions de salariés et 13 millions de bénévoles prêtent leur concours, occasionnellement ou régulièrement. Mais ce champ d’élection de la société civile a été depuis les origines un objet de soupçon de la part du pouvoir étatique, enclin à voir dans les « groupements » un rival de moindre légitimité : les associations représentent, par construction, des intérêts particuliers, alors que l’Etat incarne, lui, l’intérêt général. Cette méfiance est reflétée dans le régime juridique mineur qui est celui des associations de droit commun. Il est vrai qu’une certaine évolution des esprits, mais aussi le besoin de l’Etat et des collectivités publiques de s’affranchir des règles contraignantes de la comptabilité et du droit publics ont favorisé l’apparition de la procédure de reconnaissance d’utilité publique, qui confère aux associations une capacité juridique élargie. Mais il a fallu attendre la loi du 23 juillet 1987 pour que soit énoncé le statut juridique de la fondation, qui se distingue de l’association par sa nature : alors que cette dernière est un « groupement » de personnes, la fondation incarne un projet d’affectation irrévocable de ressources à la réalisation d’une œuvre d’intérêt général et à but non lucratif.

Une fois admis le principe de l’utilité publique de l’action de certaines organisations à but non lucratif, la loi et la pratique de l’administration entourent sa mise en œuvre d’infinies précautions, à commencer par la lourdeur de la procédure. Sans doute le contrôle sur les buts, les ressources et l’ancienneté de l’association, de même que la prescription de statuts-types, peuvent-ils constituer la contrepartie légitime de la confiance et des privilèges dont est assorti le label d’« association reconnue d’utilité publique ». Mais l’administration - et plus précisément le Ministère de l’intérieur - accorde discrétionnairement ce statut. Sa décision, prise le cas échéant par décret en Conseil d’Etat, est souveraine et insusceptible de recours contentieux. Un formalisme lourd conjugué, en l’absence de critères fixés par la loi, à l’arbitraire de la décision d’octroi de la reconnaissance aboutit à cantonner dans une marginalité précautionneuse les élus à ce statut : moins de 2 000 associations sont reconnues d’utilité publique[47].

Quant au régime de la fondation, il constitue indéniablement un progrès, en conférant un cadre légal à une pratique auparavant encadrée par la seule jurisprudence. Au sommet de l’édifice, la fondation reconnue d’utilité publique, est créée elle aussi par un décret en Conseil d’Etat, selon une procédure administrée par le ministère de l’Intérieur dans les mêmes conditions que pour les associations. Le critère habituellement retenu est celui du montant de la dotation, qui doit être d’au moins 762 245 euros, et le conseil d’administration de l’institution doit comporter des représentants de l’Etat. Les fondations d’entreprises, dont le régime a été fixé par la loi du 23 juillet 1990, forment une seconde catégorie. Elles doivent disposer d’une dotation initiale à laquelle doit s’ajouter un programme pluriannuel d’un montant minimal de 153 000 euros. Enfin, les fondations dites « abritées » sont des causes accueillies au sein d’autres fondations de droit public, telles que la Fondation de France ou l’Institut de France, et gérées par elles[48].

Moyennant quoi le nombre de fondations est aujourd’hui, en France, à peine supérieur à 500[49], le plus faible d’Europe[50]. Mais le régime juridique ne limite pas seulement le nombre de ces institutions, il encadre étroitement leurs ressources. Si les fondations reconnues d’utilité publique jouissent d’une plus grande liberté pour accepter des dons que les simples associations d’utilité publique, leur capacité à recevoir des libéralités est soumise à autorisation administrative : arrêté préfectoral si le montant du don est inférieur à 762 00 euros, décret en Conseil d’Etat ou arrêté du ministre de l’Intérieur s’il est supérieur à ce seuil. Il en va de même pour les associations reconnues d’utilité publique, qui ne peuvent recevoir de libéralités que moyennant un arrêté préfectoral. La loi du 23 juillet 1987 accorde le bénéfice de ce régime aux associations simplement déclarées « qui ont pour but exclusif l’assistance, la bienfaisance, la recherche scientifique ou médicale ». Les associations cultuelles, les unions d’associations familiales et les associations de financement de la vie politique sont également habilitées à recevoir dons et legs. Les associations déclarées qui ne remplissent pas ces conditions se voient interdire l’acceptation de dons et legs, mais elles peuvent recevoir des dons dits « manuels », c'est-à-dire des chèques et des espèces, qui bénéficient, si elles poursuivent un but « d’intérêt général », d’encouragements fiscaux. Dans tous les cas de figure, les fondations comme les associations ne peuvent posséder que les immeubles strictement nécessaires à l’accomplissement de leur but statutaire.

Initialement peu incitatif, le régime fiscal des libéralités a été modifié au fil des années pour le rapprocher des pratiques observées dans d’autres pays développés. La loi du 1er août 2003 introduit ainsi :

- un relèvement de 50 à 60 % du taux de réduction d’impôt pour les dons des particuliers aux « fondations, associations reconnues d’utilité publique, œuvres et organismes d’intérêt général ayant un caractère philanthropique, éducatif, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial, culturel, ou concourant à la mise en valeur du patrimoine artistique, à la défense de l’environnement naturel ou à la diffusion de la culture, de la langue et des connaissances scientifiques françaises »[51]. Le plafonnement du don par rapport au revenu imposable est relevé de 10 à 20 % et les dons effectués au-delà de ce plafond pourraient bénéficier d’un report sur cinq ans de l’avantage fiscal correspondant. Les dispositions de la loi destinées à encourager les donations sur succession sont en revanche de portée limitée ;

- la suppression du dispositif complexe régissant le mécénat d’entreprise et son rapprochement avec le régime applicable aux particuliers. Une réduction d’impôt de 60 % du montant du don est ainsi introduite, aboutissant à un quasi-doublement de l’avantage fiscal de 33,3 % accordé par le mécanisme antérieur de déduction de l’impôt sur les sociétés. Le plafond de la déductibilité a été relevé dans des proportions similaires, et porté à 0,5 % du chiffre d’affaires. Enfin, la loi a pérennisé un régime, introduit en 2002, de réduction d’impôt de 90 %, dans la limite de 50 % de l’impôt sur les sociétés dû, de tout don destiné à l’acquisition ou au rapatriement d’un « trésor national » ;

- des assouplissements pour les fondations : bénéfice du droit commun de réduction fiscale pour les dons des salariés à leur fondation d’entreprise, allégement de la fiscalité des fondations reconnues d’utilité publique.

Il est trop tôt pour juger de l’impact de ces dispositions sur l’« économie du don » en France. Celle-ci est pour le moins anémique. Les dons déclarés par les particuliers dépassaient à peine le milliard d’euros en 2001 et 2002, et les entreprises n’ont consacré que 343 millions d’euros, en 2002, au mécénat[52]. En proportion du PIB, les ménages français donnent donc 25 fois moins[53] et les entreprises quatre fois moins. Non seulement la proportion de donateurs est inférieure en France (47 %) à ce qu’elle est aux Etats-Unis (70 à 80 % de la population), mais la valeur moyenne du don est très inférieure (de 50 à 90 euros contre plus de 1000 dollars). Plus préoccupant, le nombre de donateurs affiche une tendance à l’érosion. Cette faiblesse entretient le « tiers secteur » dans une dépendance structurelle vis-à-vis des subsides publics. Le chiffre le plus communément cité pour le financement public des associations est de 25,3 milliards d’euros (166 milliards de Francs)[54], ce qui représente 54 % de leurs ressources. Alors que les ressources d’origine privée (dons et cotisations) ne sont que de 3,35 milliards d’euros (7%), le reste provenant pour l’essentiel de recettes perçues en contrepartie de services. Ces chiffres reflètent la forte imbrication du monde associatif dans la sphère administrative. Les dangers en ont été soulignés, avec précaution, par le rapport public 2000 du Conseil d’Etat : « si le recours à des associations pour assurer la gestion et l’exécution du service public est, dans son principe, parfaitement légitime et souvent souhaitable, il doit en revanche susciter plus de réserves lorsque la collectivité délégante fait partie de l’association délégataire et exerce en réalité sur elle un total contrôle. La délégation n’est alors qu’une fiction et la prétendue association délégataire n’est en réalité qu’une régie irrégulière ».

Pierre-Patrick Kaltenbach, magistrat de la Cour des Comptes et président des Associations Familiales Protestantes, était, dans un ouvrage paru il y a une dizaine d’années, mais qui garde toute son actualité, plus brutal : « l’association agréée, subventionnée, notabilisée par sa cooptation dans les innombrables organes consultatifs dont s’entoure l’administration, perd son identité et son autonomie. La démocratie associative et le bénévolat s’y trouvent subordonnés à la logique technocratique et à la contrainte budgétaire. Ce n’est plus un lieu d’initiative, mais un instrument de clientélisme. Que dire des associations créées par l’administration ou les collectivités ? A quoi servent-elles, sinon à privatiser la gestion des fonds publics ou faire du blanchiment de gestion de fait ? »[55]. L’arbitraire, le népotisme et le favoritisme, voire des détournements de fonds sont les corollaires de cette situation, qui nourrissent les pages des rapports de la Cour des Comptes et font les délices des hebdomadaires, satiriques ou non[56].

intérêt public, intérêt privé et intéret général

Ce parallèle entre les « tiers secteur » des deux démocraties enracinées dans le même terreau philosophique, la France et les Etats-Unis, même si elles ont suivi ensuite des chemins politiques fort différents, pose la question de l’articulation entre l’intérêt public, l’intérêt privé et l’intérêt général.

D’un côté un modèle politique qui admet que l’intérêt général est le mieux servi par le foisonnement, dans le cadre défini par la loi, des intérêts particuliers, privés, collectifs, qui s’échelonnent sans solution de continuité entre des intérêts strictement individuels et les intérêts publics les plus larges. A la puissance publique de fixer les règles du jeu et d’en assurer le respect. Sans doute ce modèle, appuyé sur les fameuses « associations » célébrées dans « De la démocratie en Amérique », a-t-il été corrigé de nombreux tempéraments. Mais il reste imprégné de ce bagage, que l’on discerne aisément, du reste, dans le statut du « tiers secteur ». La loi définit en effet des niveaux d’expression d’un intérêt public, auquel elle reconnaît, par un régime fiscal plus ou moins favorable, un degré donné de légitimité dans la pyramide de ces intérêts publics.

Sans être aux antipodes de ce modèle, le nôtre est marqué par la circonspection, voire la méfiance envers les intérêts collectifs - les « groupements » - d’un Etat qui tire du monopole de la représentation et du suffrage universel le fondement non seulement de sa légitimité, mais aussi d’un exercice jacobin du pouvoir. Dépositaire, par tradition républicaine, de l’intérêt général, il admet à contrecœur que d’autres entités que lui puissent participer par subrogation, mais en excipant d’une légitimité propre, à la poursuite et à la réalisation de l’intérêt général. Et lorsqu’il l’admet, c’est toujours au prix d’une surveillance soupçonneuse des organisations indépendantes, d’un choix discrétionnaire des « bonnes » organisations, lorsque celles-ci ne sont pas tout simplement des démembrements de l’administration.

Certes, pousser à l’extrême la logique à l’œuvre aux Etats-Unis aboutirait à conférer aux citoyens les plus aisés un pouvoir accru d’orientation et d’influence dans l’affectation de leur impôt, et à rétablir de la sorte une forme de suffrage censitaire. Mais n’admettre le tiers secteur à participer qu’en catimini à la production du bien et du service publics revient à cantonner ce secteur dans une certaine marginalité ou, pire, à en faire, par le jeu des subventions, une dépendance de l’administration. Et surtout, ce choix aboutit à négliger la veine de la mobilisation financière et sociale, pour des causes d’utilité publique, de la société civile. Et ce à une époque où la résistance à la pression fiscale ne laisse guère entrevoir de perspectives de dégager de nouvelles ressources. Entre ces deux extrêmes, la position du curseur peut être déterminée par un arbitrage politique entre le degré de liberté laissé aux individus pour choisir quels intérêts publics ils veulent soutenir et le degré de rétention de leurs prérogatives par l’Etat et les collectivités publiques. Cet arbitrage incombe naturellement à la communauté politique nationale, qui seule dispose de la légitimité pour établir et valider la hiérarchie des intérêts publics. « Il est possible », suggère l’essayiste Jean-Marie Guéhenno, « d’imaginer que la communauté politique, sans contrôler directement, par le biais des subventions qu’elle accorde, la totalité des intérêts publics, détermine par grandes catégories ceux qu’elle juge prioritaires, laissant aux individus la possibilité de choisir, à l’intérieur de ces catégories, les institutions auxquelles ils souhaitent accorder un soutien. Ainsi pourraient être conciliés le souci de laisser à une communauté politique la responsabilité de définir la hiérarchie des intérêts publics, avec un contrôle décentralisé, confié aux individus et aux communautés de choix qu’ils forment, des institutions qui les gèrent »[57].

Après que, dans un domaine contigu, la France a fait son aggiornamento sur la privatisation des entreprises, l’anachronisme du maintien sous tutelle du monde associatif n’en est que plus flagrant. Sans doute le mouvement n’est-il pas, comme dans le cas des entreprises, précipité par la construction européenne ou la mondialisation. Sans doute aussi les finalités ne sont-elles pas les mêmes. Mais le postulat d’immaturité implicite dans le régime actuel des associations est contredit chaque jour par la qualité, l’efficacité et le sérieux de celles qui se dévouent à des causes d’utilité publique. Au-delà des mesures d’encouragement à la philanthropie et au mécénat prises par la loi du 1er août 2003, des idées nouvelles ont été portées sur la place publique, par l’Institut Montaigne[58], par le rapport Decool[59], lequel propose la définition d’un « intérêt sociétal » se substituant à l’intérêt général.

Le chantier reste donc ouvert. Mais sauf à rester cosmétique, une réforme n’a de sens que si elle rend toute sa place au principe fondateur et à l’esprit originel du régime des associations. Et ce principe de liberté n’a de portée que si les associations ont les moyens d’assurer leur autonomie financière, non pas par des subsides discrétionnaires de l’Etat et des collectivités locales, mais par des ressources propres. Plus d’un siècle après la consécration par la loi de la liberté d’association, le moment est venu d’aller plus loin et de définir la place des associations et fondations dans la vie de la Cité, en reconnaissant la légitimité et la réalité de leur contribution propre à la production du bien public. De leur contribution propre, s’entend, et non pas sous la forme de leur utilisation aux fins de contourner les rigidités de la réglementation des comptes publics.

Nul n’est besoin, pour cela, d’amender la Constitution. Il suffit, par voie législative, de faire sauter quelques verrous et de transférer des mains de l’administration dans celles du juge les indispensables garde-fous :

· que la définition de l’utilité publique ressortisse à la loi et que le bénéfice des privilèges fiscaux assortis soit de droit - au lieu d’être abandonné à la discrétion de l’administration et aux aléas d’une doctrine incertaine ;

· que l’administration fiscale s’assure, sous le contrôle du juge, du respect des règles et conditions fixées par la loi, contrepartie des privilèges accordés ;

· que le mode de fonctionnement des fondations et des associations, qu’elles soient ou non d’utilité publique, soit soumis par la loi à des règles de transparence, de rigueur comptable et de responsabilité, tant civile que pénale, de leurs dirigeants analogues à celles qui régissent les entreprises privées - voire plus exigeantes ;

· que les associations qui, par leur objet, ne peuvent prétendre au statut d’utilité publique soient certes soumises à un régime fiscal moins favorable, mais ne restent pas pour autant confinées dans le statut mineur de l’actuelle « petite capacité juridique ». Une des raisons de cette disposition de la loi de 1901 était la crainte de l’accumulation de « biens de mainmorte », soustraits de la sorte aux flux économiques et donc stérilisés. Cette crainte paraît aujourd’hui dépassée, alors que les actifs détenus par les associations autorisées sont pour l’essentiel des actifs mobiliers et que même les biens immobiliers peuvent faire l’objet d’une exploitation génératrice de ressources ;

· que le recours, par l’administration, à une association pour la faire participer à une mission de service public soit strictement défini et encadré par la loi.

Certes, la loi ne change pas instantanément les comportements individuels ou collectifs, mais elle forme le terreau sur lequel se constitue, au fil des années, l’indispensable humus d’un nouveau mode, plus adapté à notre temps, de production du bien public. C’est pourquoi une telle démarche n’aurait rien d’anodin. Elle affecterait profondément, à terme, notre modèle politique et social. En déplaçant les frontières entre sphère publique et sphère privée. En amenant l’Etat et les collectivités publiques à se retirer, en partie du moins, de terrains d’action où l’un et les autres avaient tendance à proliférer, par le truchement des subventions. En mobilisant une société civile prête à s’engager, mais volontiers considérée comme mineure. En reconnaissant à d’autres entités que des administrations ou des organismes para-administratifs la capacité à produire du service public et la légitimité pour le faire. En dégageant, auprès de la société civile, des ressources nouvelles à cette fin, qui bénéficieraient du reste, au premier chef, aux communautés locales. Et en initiant les Français à une pratique de l’engagement philanthropique qui les éloigne de la culture de l’assistance et du « tout-Etat ». Mais c’est là une des formes de la modernité. Et c’est un corollaire, également, de la démocratie que d’admettre le citoyen à une participation de plein exercice à la poursuite d’intérêts publics.

Pierre Buhler



[1] Version, mise à jour, du premier chapitre - « L’économie du don aux Etats-Unis, une source d’inspiration pour la France ? » - de Pierre Buhler, Paul C. Light, Francis Charhon, L’économie du don et la philanthropie aux Etats-Unis et en France : analyse comparée, Centre Français sur les Etats-Unis, IFRI, Paris, 2003. L’auteur remercie le CFE et l’IFRI de leur autorisation.

[2] Voir notamment The Chronicle of Philanthropy (www.philanthropy.com) ainsi que les nombreux sites Internet, plus ou moins spécialisés (www.independentsector.org).

[3] Le scandale Enron a ainsi donné lieu à des mises en garde contre les pratiques de gonflement artificiel, par certaines organisations caritatives, des statistiques de donations.

[4] Paul Light, Pathways to nonprofit excellence, Brookings Institution Press, Washington D.C., 2002, p. 3.

[5] Rapport Giving USA 2005 de l’AAFRC (www.aafrc.org).

[6] Stanley Weiner, « Proposed legislation : its Impact on Not-for-Profit Governance », The CPA Journal, novembre 2003 (www.nysscpa.org).

[7] Contre 4,2 % en France et 3,7 % en Allemagne.

[8] Lester M. Salamon, America’s Nonprofit Sector : a Primer, The Foundation Center, New York, 2000.

[9] Edith Archambault, « Le secteur sans but lucratif : associations et fondations en France et à l’étranger », Administration, n° 176, juillet-septembre 1997.

[10] Warren Ilchman et Dwight Burlingame, Accountability in a Changing Philanthropic Environment, in Philanthropy and the Nonprofit sector in a changing America, Indiana University Press, Bloomington et Indianapolis, 2001, p. 199.

[11] Jon Pratt, The Case of Minnesota, in Philanthropy and..., op. cit. pp 293-314.

[12] Ces organisations jouissent en revanche d’une plus grande latitude dans leur action (défense d’intérêts collectifs, lobbying...).

[13] Le grand scandale qui agita le début des années 90 fut celui d’United Way. Avec d’autres affaires - Covenant House, New Era Philanthropy - il contribua à ternir l’image du « tiers secteur » dans l’opinion publique.

[14] Seul le montant net de la donation - après déduction de la contre-valeur des biens ou services offerts à l’occasion d’un gala par exemple - est fiscalement déductible.

[15] justgive.org, egrants.org, echarity.com, networkforgood.org (cette dernière organisation fondée par AOL et Cisco). Il existe également des moteurs de recherche, tels que guidestar.org, spécialisés dans la recherche de sites d’organisations charitables.

[16] Estimation de ephilanthropyfoundation.org. D’après le Kintera/luth Non Profit Trend Record, ce montant dépasserait 3 milliards de dollars.

[17] The Chronicle of Philanthropy, 3 mars 2005.

[18] Le montant total des dépenses de parrainage des entreprises était évalué en 1997 à 5 milliards de dollars, dont les deux tiers étaient voués au sport.

[19] Ce chiffre ne prend cependant pas en compte les donations charitables de citoyens américains à des institutions étrangères, qui n’ont pas, au regard de la législation américaine, le statut permettant de justifier une déduction fiscale.

[20] Aide sociale, assistance à la recherche d’emploi, accueil et hébergement de personnes nécessiteuses, aide judiciaire...

[21] Cf. Melissa Whitten, Private Foundations and Charitable Trusts, 1996. Les montant des actifs des seules fondations s’élève à 420 milliards de dollars, d’après Mark Dowie, American Foundations, An investigative history, The MIT Press, Cambridge, Mass., 2001, p. 271.

[22] Estimation pour 2 000.

[23] Il faudrait en effet, en toute rigueur, rapporter à la perte de recettes fiscales non pas le total des donations défiscalisées, mais les seules donations générées par le dispositif incitatif. Or cette grandeur n’est guère mesurable.

[24] Créé en 1867 par George Peabody, avec un don d’un million de dollars, pour développer l’enseignement dans le Sud et encourager la réconciliation après des années de guerre civile, ce fonds sera fusionné en 1914 avec le Slater Fund, créé, lui, en 1882 et voué à l’éducation de la minorité noire.

[25] Il deviendra par la suite l’université Carnegie Mellon.

[26] Ville minière du Colorado où la Garde nationale intervint en 1914 pour réprimer une grève dans une mine appartenant à Rockefeller, tuant 11 femmes et 2 enfants.

[27] L’étude n’était pas achevée lorsque Hoover perdit l’élection de 1932.

[28] NAACP : National Association dor the Advancement of Colored People.

[29] Advocacy : activisme en faveur d’une cause, qui prend notamment la forme d’un lobbying politique en direction des pouvoirs publics.

[30] Le secteur à but non lucratif ne dépensait, dans les domaines concernés, que 5% des coupes envisagées par l’Administration Reagan. Les fondations et les organisations caritatives ne s’en retrouvent pas moins obligées de redéployer dans l’urgence des moyens, humains (bénévoles) et financiers, pour pallier les besoins les plus criants engendrés par le désengagement de l’Etat.

[31] Aussitôt après sa prise de fonctions, le Président Bush a créé le White House Office for faith based and community services. Il a proposé, dans son discours sur l’état de l’Union, le 28 janvier 2003, d’allouer 600 millions de dollars de subsides fédéraux au traitement de la toxicomanie et de l’alcoolisme par des organisations confessionnelles, suscitant les vives protestations des organisations laïques.

[32] Certains auteurs ont, dans le sillage du scandale de l’United Way of America en 1992, dénoncé les dérives du secteur à but non lucratif. Voir, notamment, Julien Damon, « les critiques faites aux associations », Informations Sociales n° 90/91. Par ailleurs, c’est pour avoir détourné à des fins de financement de sa campagne électorale des fonds collectés en invoquant l’article 501 (c)(3) que le speaker de la Chambre des Représentants, le républicain Newt Gingrich s’est vu infliger une lourde amende, dans un scandale qui a mis fin à sa carrière politique.

[33] Mark Dowie, American Foundations... op. cit. pp. 247 et sqq.

[34] Un effet qu’illustre bien la construction par Carnegie, au début du XXe siècle, de quelque 2 800 bibliothèques publiques aux Etats-Unis et au Canada. Le magnat de l’acier savait que même son immense fortune ne suffirait pas à couvrir à perpétuité le fonctionnement de ces institutions. Offrant le bâtiment et les infrastructures de départ, il demandait aux collectivités bénéficiaires d’en prendre en charge les coûts de fonctionnement.

[35] C’est à la Fondation Ford qu’est imputable, pour une bonne part, la création, par l’Administration Kennedy, du National Endowment for the Arts (NEA), la principale agence fédérale de soutien à la création artistique.

[36] Avec une dotation en capital de 4,5 milliards de dollars et 250 millions de dollars de dons par an, la Fondation Getty domine le mécénat artistique aux Etats-Unis.

[37] Les think tanks accueillent souvent les responsables de l’administration renvoyée dans l’opposition, où ils se préparent au prochain retour aux affaires de leur parti.

[38] plus de 40 000 dollars par an, en pension complète, dans les meilleures universités privées.

[39] En 1994, New York University (NYU) a cependant reçu une donation en nature (biens immobiliers et fonciers, œuvres d’art) évaluée à 500 millions de dollars.

[40] Correspondant aux quatre premières années d’enseignement supérieur.

[41] Nombre d’universités privées ont des endowments modestes. Alors que dans le cas de Princeton, les produits du fonds comptent pour 38 % du budget de l’université, la moyenne nationale pour l’ensemble des établissements privés d’enseignement supérieur n’est que de l’ordre de 5,5%. Par ailleurs, les cinq universités les mieux dotées, qui cumulent 20 % du montant total des endowments, n’accueillent que 1 % des étudiants.

[42] 17,5 % pour l’endowment d’Harvard, 15,5 % pour celui de Yale et 18,7 % pour celui de l’Université du

Texas. D’après la base de donnée de The Chronicle of Higher Education.

[43] Nombre de parts multiplié par le montant du revenu assigné à chaque part (déterminé annuellement).

[44] Plus de deux étudiants undergraduate sur trois bénéficient, à Stanford, d’une bourse d’études.

[45] Le total des frais de scolarité collectés était en 2003-2004 de 190 millions de dollars, dont il convient de déduire 103 millions de dollars de bourses et d’aides financières diverses. A titre indicatif, le montant des frais de scolarité pour l’année 2003-2004 était de 28 500 dollars, auxquels viennent s’ajouter 8100 dollars de frais de pension complète, soit 36 600 dollars. 38 % des étudiants bénéficient d’une bourse d’études.

[46] 21 millions de Français de plus de 15 ans, soit 45 % de cette population. Cf. L’étude de Michel Febvre et Lara Muller dans INSEE Première, n° 920, septembre 2003.

[47] 1 960 au 15 juillet 2000 – dont 200 n’auraient plus aucune activité. « Les associations reconnues d’utilité publique », La Documentation française, octobre 2000.

[48] L’Institut de France et la Fondation de France abritent, respectivement, un millier et 537 « fondations », qui n’ont donc pas la personnalité juridique, et sont gérées à partir de lignes budgétaires indépendantes. La Fondation de France, qui « abrite » également 56 fondations d’entreprise (en 2001), prélève des frais de gestion variant de 2 à 4 %, selon le montant, des versements reçus.

[49] 486 fondations d’utilité publique et 65 fondations d’entreprise. Mécénat, associations et fondations, Les Editions des Journaux Officiels, 2003, p. 38. Voir également Edith Archambault, « Pourquoi la France a-t-elle si peu de fondations ? », RECMA-Revue Internationale d’Economie Sociale n° 287, 2003-02, pp. 68-84.

[50] Sans même mentionner le cas des Etats-Unis, on trouve environ 9 000 fondations en Allemagne et au Royaume-Uni, 6 000 en Espagne. Même des pays de plus petite taille comme le Danemark ou la Suisse affichent des chiffres élevés (respectivement 14 000 et 8 000). Cf. E. Archambault, art. cit. p. 68.

[51] Pour les dons faits à des organismes d’aide aux personnes en difficulté, le législateur a voulu consentir un avantage en portant à 66 % le taux de la réduction d’impôt, dans la limite d’un plafond de 414 euros en 2003 (Loi de finances rectificative pour 2003, 30 décembre 2003).

[52] Bertrand Vial, « Mécénat, associations, fondations : la loi du 1er août 2003 », Regards sur l’actualité, n° 303, août-sept. 2004. Voir également Mécénat, associations et fondations, Les Editions des Journaux officiels, Paris, 2003.

[53] Il faut cependant tenir compte des dons qui ne sont pas éligibles à un allègement fiscal (deniers du culte…) ou qui ne sont tout simplement pas déclarés. Le montant total pourrait être compris entre 1,6 et 1,9 milliards d’euros. Par ailleurs, les principales bénéficiaires des libéralités des ménages américains sont les organisations confessionnelles.

[54] Edith Archambault, « Le secteur associatif en France et dans le monde », in Faire société, les associations au cœur du social, Alternatives sociales, 1999, cité dans le Rapport Public 2000 du Conseil d’Etat, La Documentation française, p. 273. Voir également le document « les Assises Nationales, les Actes » établi par la Délégation Interministérielle à l’innovation sociale et à l’économie sociale, ainsi que les auditions dans le cadre du rapport du « groupe de travail sur l’efficacité de la dépense publique et du contrôle parlementaire », Assemblée Nationale, 27 janvier 1999.

[55] Pierre-Patrick Kaltenbach, Associations lucratives sans but, Denoël, Paris, 1995.

[56] Cf. notamment L’Express du 15 mai 2003, Qui touche le plus de subventions ? Le rapport « Des associations en général... Vers une éthique sociétale » remis par le député du Nord Jean-Pierre Decool au Ministre de la jeunesse, des sports et de la vie associative, le 12 juillet 2005, dénonce les « dérives » du statut associatif (associations-écran, para-administratives, associations-entreprises, opacité de la gestion financière...). Cf. La Documentation Française, rapport cit. p. 119-122.

[57] Jean-Marie Guéhenno, L’avenir de la liberté, la démocratie dans la mondialisation, Flammarion, Paris, 1999.

[58] Engagement individuel et bien public ; Encourager la générosité privée au service de l’intérêt général, Institut Montaigne, avril 2004.

[59] accessible à http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/054000459/0000.pdf