Laurent Beauguitte

Sécurité et stratégie

2015/3 20, n° 2 0 / S E P T E M B R E 2 0 1 5


Chronique géopolitique

À mi-chemin entre essai et manuel se tient l’ouvrage qui souhaiterait devenir de référence et il semble que La puissance au XXIe siècle de Pierre Buhler concoure dans cette catégorie. L’ouvrage de 2011 paraît maintenant en poche, plusieurs chapitres ont été remaniés et la bibliographie complétée. Très bien écrit, agréable à lire, l’ouvrage est organisé en dix chapitres présentant les concepts (chapitres 1 et 2), les rapports avec différentes disciplines (pouvoir et droit, pouvoir et géographie, etc.) et enfin, une approche par grands ensembles continentaux dans les derniers chapitres (chapitre 8 sur l’Asie, chapitre 9 sur l’Europe et enfin chapitre 10 sur « L’Amérique, la vocation de la puissance »). Le rapport quasi symbiotique entre État et puissance est clairement exposé dans les premiers chapitres, tout en prenant garde à ne pas naturaliser l’État défini à juste titre comme « une construction sociale, produit de processus complexes, qui mettent en scène, « en un ensemble ordonné par des rapports de pouvoir, des individus, des intérêts, des idéologies » (page 111). Si le rôle des nouveaux acteurs est évoqué (ONG, Organisations inter-gouvernementales), peut-être parfois de façon trop rapide (firmes transnationales), la prégnance du pouvoir étatique reste forte, voire prépondérante aujourd’hui dans la mesure où « les modalités nouvelles de la puissance n’en dissolvent pas les formes classiques. La coercition, le recours à la force restent l’argument ultime que se réserve la puissance pour parvenir à ses fins […] Dans cet ordre-là, l’État reste le siège, l’ordonnateur, l’étalon de la puissance» (page 538).

Qu’il me soit permis d’émettre deux réserves pour en finir avec cet ouvrage par ailleurs tout à fait recommandé. L’auteur a parfois une façon étrange de caractériser les auteurs qu’il mobilise dans son raisonnement : tel éditorialiste est « américain d’origine indienne» (p. 562), tel professeur de relations internationales est « catholique et plutôt conservateur » (p. 527). L’implicite d’une telle catégorisation est qu’un discours sur la puissance ne peut être décrypté que si l’on connaît la nationalité, le positionnement politique, voire l’origine de l’auteur – et peut-être est-ce d’ailleurs le cas. Mais Pierre Buhler ne dit jamais « d’où il parle » : la quatrième de couverture nous apprend qu’il est diplomate de carrière et qu’il a enseigné à Sciences Po, ce qui est tout de même un peu court… Faudrait-il alors parler du bon ouvrage d’un «fonctionnaire français blanc plus proche du milieu des hautes écoles que de l’université»? La seconde réserve concerne quelques étranges oublis lorsqu’il est question d’Israël. Qu’Israel soit un modèle en terme d’affirmation de la puissance nationale n’est évidemment pas discutable ; qu’à plusieurs reprises, ce modèle soit loué sans que jamais la question du soutien constant des États-Unis ne soit évoquée est éminemment discutable (voir notamment pages 228 et 553).

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Laurent Beauguitte,

chargé de recherche

CNRS UMR IDEES