Histoire(s) de la diplomatie culturelle française 

Préface

Ce colloque, sans doute le premier, sur l'histoire de la diplomatie culturelle est l'aboutissement d'un parcours quelque peu sinueux, d'un processus de tâtonnement entre la naissance d'une idée, son évolution et sa concrétisation.  À l'approche du dixième anniversaire de la mise en place de l'Institut français, dont je venais de prendre la présidence, j’avais formé le projet de marquer l'événement, non pas pour simplement illustrer une décennie au service de l'action culturelle extérieure, mais pour montrer comment celle-ci s’inscrivait dans la continuité de l'histoire longue de la diplomatie culturelle.

 

En décembre 2011, un colloque avait déjà été organisé, au Collège de France, par mon prédécesseur à la tête de l'Institut français, Xavier Darcos, et le ministère des Affaires étrangères et européennes, sur la diplomatie culturelle, mais il ne portait que sur ses enjeux présents et futurs. Une petite exposition à base de documents des archives diplomatiques avait, à la Bibliothèque Sainte-Geneviève, permis d’en illustrer les antécédents historiques.

 

J’avais d’abord exploré l'idée d'une plateforme collaborative en ligne, à base de documents existants, notamment tirés des archives, mais aussi d'articles rédigés pour la circonstance, retraçant cette histoire longue pour constituer un fonds qui aurait ensuite fourni la matière d'un livre destiné au grand public. Le projet a ensuite évolué vers une célébration du centenaire, en 2022, de la création de l'Association Française d'Action Artistique (AFAA) dont l'Institut français est l'institution héritière. Si l'idée de plateforme collaborative, trop complexe à mettre en œuvre, a été abandonnée, tel n'a pas été le cas du livre, dont le projet a un moment été enrichi de la suggestion de le nourrir d'une dizaine de nouvelles commandées à de jeunes auteurs, en relation avec leur expérience du réseau culturel français à l'étranger. 

 

Il a également fallu, à ce stade – nous sommes alors à l'automne 2018 – confronter le projet à une expérience extérieure à l'Institut français. Cela sera fait sous forme d'une séance de remue-méninges réunie le 24 janvier 2019. Y participent, outre quelques collègues de l'Institut français, François Nicoullaud, un ancien directeur général de la coopération internationale et du développement – décédé en 2021, il s’était fortement engagé en faveur de la diplomatie culturelle et je voudrais lui rendre ici hommage – Maurice Vaïsse, une autorité incontestée de  l'histoire diplomatique, Laurent Martin, professeur à Sorbonne Nouvelle et expert de la diplomatie culturelle, Philippe Lane, un autre expert de la question, vice-président de l'université de Rouen,  ainsi qu'Isabelle Richefort, directrice adjointe des archives. Lors de cette réunion fondatrice, où le principe du livre recueille tous les suffrages, Laurent Martin propose d'ajouter un colloque scientifique sur l'histoire de la diplomatie culturelle. Isabelle Richefort suggère d’y adjoindre, comme en 2011, une exposition. C'est donc ce triptyque que je suis allé présenter, au printemps 2019, au directeur général de la mondialisation, Laurent Bili. Le projet chemine, est approuvé et trouve son rythme après qu’est acté le principe d'un pilotage scientifique d'une part, administratif d'autre part, par deux comités ad hoc

 

Un an, jour pour jour, après cette réunion fondatrice se réunit le premier comité de pilotage, présidé par la directrice de la culture, de l'enseignement de la recherche et du réseau, Laurence Auer, pour définir le cadre du projet et installer le comité scientifique. Celui-ci se réunira ensuite en formation purement « académique », présidée par Laurent Martin, secondé par Charlotte Faucher, qui assurent aussi, au sein du comité de pilotage, une fonction de liaison avec le comité scientifique. 

 

C'est ainsi que dès juillet 2020 est lancé un appel à contributions et que s’esquisse un profil précis de l'organisation du colloque, porté par l’engagement du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères d'apporter un budget d'une soixantaine de milliers d'euros ainsi que de la Fondation Simone et Gino del Duca, à hauteur de 7 000 €, complété par les apports des centres universitaires, en particulier de la Sorbonne Nouvelle. Le flambeau est repris par Matthieu Peyraud, le successeur de Laurence Auer en 2020. Le nombre de réponse à l’appel à contributions, près de 80, dépasse les espérances des organisateurs, signe à la fois d'un intérêt et d'un potentiel considérables au sein de la communauté scientifique. Les sujets proposés par des chercheurs et chercheuses des cinq continents sont d’une grande variété, allant de l'histoire de la francophonie en Turquie à la diplomatie philanthropique, en passant par le cinéma français aux États-Unis avant la Deuxième guerre mondiale, les Alliances françaises dans le Sud global dans les années 50 ou encore les alliances culturelles franco-camerounaises. Un séminaire de préparation à distance (webinaire) est lancé, qui réunit régulièrement pendant un an les intervenants dont les propositions ont été retenues par le comité scientifique.

 

En juin 2021, l'architecture de l'ensemble apparaît clairement, avec un programme sur 2 jours et une date fixée au début de mai 2022 dans les locaux de la Sorbonne Nouvelle (le retard du chantier du nouveau campus obligera les organisateurs à délocaliser le colloque sur le campus Condorcet d’Aubervilliers). Le colloque prend de l'avance sur le livre, (finalement publié à l'automne 2023)[1], le projet d'exposition étant en revanche abandonné. 

 

Ce colloque illustre une coopération exemplaire entre le monde académique et le monde administratif, pour créer un bien public, la connaissance d'une histoire singulière, chacun demeurant par ailleurs dans son champ de compétence. Lors de sa première réunion, le comité de pilotage avait estimé qu’une question restait à trancher quant au statut de ce colloque : s’agirait-il du «lancement » d’une démarche scientifique, ouvrant la voie à une poursuite des travaux scientifiques et à d’autres colloques complémentaires dans les prochaines années, ou d’une « clôture », dressant un bilan de l’état de la recherche en matière d’histoire de la diplomatie culturelle ? La première option l'a manifestement emporté à en juger par un appel à contributions lancé fin 2022, par plusieurs organisateurs du colloque, en vue d’un séminaire intitulé « Sport, diplomatie et influence », qui s’est tenu avec succès durant le premier semestre 2023, en attendant la tenue de colloques sur ce thème d’actualité. Une dynamique est lancée, qui ne doit pas s’arrêter.

 

Pierre Buhler

Président de l’Institut français (2017-2020)

 



[1] Guillaume Frantzwa, L’image de la puissance. La diplomatie culturelle de la France au XXe siècle, Paris, Perrin, 2023.