Soft Power, version française

Les Echos, Opinions, 12 juin 2024

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Forgé en 1989 par Joseph Nye, professeur américain de relations internationales à l’université Harvard, le concept de soft power a rapidement débordé du contexte académique pour envahir le langage courant. Définissant le soft power comme « la capacité à façonner les préférences des autres » par l'attraction et la séduction, Nye avait identifié les trois ressources que peut mobiliser un pays à cette fin : « sa culture, ses valeurs politiques, et sa politique étrangère ».

A cette aune-là, la France ne manque pas d’atouts. Ceux de la séduction, d’abord, nous viennent d’un patrimoine unique. Qu’il s’agisse des philosophes du Siècle des Lumières ou des cathédrales, des acquis de la Révolution française ou des demeures royales, de l’impressionnisme ou de la geste gaullienne, de la haute couture, de l’excellence gastronomique, et, plus largement, de l’industrie du luxe, une singularité se dégage, qui trouve une résonance dans le monde. Elle vaut à notre pays de rester la première destination touristique mondiale, et plus encore en cette année de Jeux Olympiques.

Quant à sa projection à l'extérieur, une politique volontariste poursuivie avec constance a permis de déployer un dispositif sans équivalent : la diplomatie culturelle planétaire s’appuie sur des centaines de centres culturels et de langue – instituts français et alliances françaises – adossés au troisième réseau diplomatique du monde. S’y ajoute un réseau de 580 « lycées français », qui accueillent près de 400 000 élèves – dont 60 % de non-français. Les pavillons des grands musées, le Louvre et les Centre Pompidou, flottent à Abou Dhabi, Shanghaï et Malaga. Radio France Internationale (RFI) émet en français et 16 autres langues à destination de 60 millions d'auditeurs réguliers.

Si les ressources publiques dédiées à ces actions sont aisément identifiables, la dimension subjective d'un soft power largement fondé sur les perceptions rend l’impact des politiques concernées beaucoup plus difficile à mesurer. Les sondages sont parcellaires, mais les classements, largement pratiqués depuis plusieurs décennies, rendent assez bien compte, s'ils sont établis avec une méthodologie rigoureuse, de la réalité des performances d'un pays et constituent des éléments tangibles de sa perception à l'extérieur.

Les indicateurs sur lesquels s'appuient ces classements concernent quatre grands domaines. Dans celui de l'éducation et du savoir, quelques universités occupent des places honorables, sans cependant permettre de placer dans le peloton de tête une France qui ne brille pas davantage dans les classements de l'OCDE (enquête PISA), du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) et de la Banque mondiale, où elle se situe entre la 18e et la 29e place.

Sur le terrain de l’Etat de droit et de la démocratie, l’image révélée par les classements n’est pas non plus à la hauteur des titres que la France peut faire valoir. Qu'il s'agisse d'État de droit, de perception de la corruption ou de liberté de la presse, les performances sont décevantes – entre la 20e et la 30e place. Plus honorable, la France arrive tout de même en 13e position de l'indice de démocratie libérale élaboré par l'Institut V-Dem.

Les indicateurs de compétitivité ne sont pas plus flatteurs – la France se retrouve entre la 20e et la 30e place – mais elle se hisse au 6e rang pour l'indice de l’attractivité vis-à-vis de l'investissement l'étranger et au 11e rang pour l’innovation. S'agissant de l’image d’ensemble, ou encore la qualité de vie, le tableau est mitigé, et la France ne tire son épingle du jeu que par l'influence culturelle, le patrimoine et le développement touristique.

Au total, une analyse froide et rigoureuse des perceptions de la France à l'étranger, de ses succès – l'opération Choose France – comme de ses lacunes est une exigence pour penser les politiques publiques en évitant les écueils de ces passions françaises que sont l’auto-flagellation et le narcissisme collectif.

 

Tiré d’un article publié dans l’édition 2024 de l’Annuaire Français des Relations Internationales (AFRI)