Le retour en Europe de la Pologne ?

Tribune, Les Echos, 17 octobre 2023

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« Je n'ai jamais été aussi heureux ». Donald Tusk, chef du principal parti d'opposition polonais, la Coalition Civique (KO), exultait lorsqu'à 21h, le 15 octobre, les résultats des sondages à la sortie des urnes, se sont affichés, sans appel, sur les écrans : l'opposition était créditée de 248 sièges à la Diète, contre 200 seulement au parti Droit et Justice (PiS) de Jaroslaw Kaczynski, son adversaire juré.

Ce scrutin clôturait une campagne marquée par une polarisation extrême. Au pouvoir depuis 2015, le PiS avait massivement mobilisé les moyens de l'Etat pour décrocher un troisième mandat : distribution généreuse de prestations sociales, multiplication des bureaux de vote dans les circonscriptions rurales, réputées favorables au parti, propagande orchestrée par les médias publics ou sous contrôle d'entreprises publiques, vilipendage de Tusk, accusé d'être la marionnette de l'Allemagne…

Recourant à une méthode utilisée par Viktor Orban, le PiS avait également convoqué les électeurs à un referendum aux questions multiples, toutes orientées pour susciter un rejet massif. « Soutenez-vous l'admission de milliers d'immigrants illégaux en provenance du Moyen-Orient et d'Afrique, conformément au mécanisme de relocalisation forcée qu'impose la bureaucratie européenne ? » offrait l'illustration la plus caricaturale d'un procédé conçu non seulement pour attirer les électeurs sympathisants vers les urnes, mais aussi pour contourner les règles de plafonnement des dépenses de campagne, non applicables au referendum.

Enjeu majeur

Si les électeurs d'opposition ont boudé celui-ci - invalide du fait d'un quorum inférieur au seuil requis de 50 % du corps électoral - ils sont en revanche venus voter en masse, à hauteur de 72 % des inscrits, un taux record, supérieur de 10 points au précédent, enregistré lors du scrutin historique de juin 1989, lorsque les Polonais s'étaient débarrassés, par les urnes, du régime communiste.

Sans être évidemment de même nature qu'à l'époque, l'enjeu était cette fois-ci perçu comme majeur, à en juger par le niveau de participation, par les deux camps opposés. D'un côté une consolidation de l'emprise du PiS sur l'appareil d'Etat, prélude à un phénomène d'« orbanisation » de la Pologne, de l'autre le retour à l'Etat de droit - qui peut s'avérer lourd de conséquences judiciaires pour certains responsables du PiS… - au respect des normes européennes et des libertés fondamentales.

 

Quels enseignements tirer, à ce stade, de ce scrutin ? Le premier est que, malgré huit ans d'exercice du pouvoir, marqués par différents scandales - le plus récent étant, ironiquement, lié à l'attribution massive de visas Schengen à des demandeurs d'Asie et d'Afrique - le PiS conserve son socle d'électeurs fidèles, de l'ordre de 37 %. En y ajoutant les 7,5 % de Confédération, une formation plus à l'extrême droite encore que le PiS, le courant populiste, nationaliste, souverainiste et eurosceptique conserve le soutien de près de 45 % des suffrages exprimés.

Le second enseignement est que, par contraste avec la Hongrie, la société civile s'est, en Pologne, mobilisée avec énergie contre le gouvernement du PiS et ses empiétements sur les droits des femmes - avec la quasi-abolition du droit à l'IVG - ou des minorités (LGBT). Et malgré les tentatives de mainmise, par des législations cherchant à imposer la « polonisation » de médias possédés par du capital étranger ou leur acquisition via des entreprises publiques, les médias indépendants restent largement accessibles en Pologne, avec des titres reconnus comme « Gazeta Wyborcza » ou la chaîne TVN24.

Le troisième enseignement du scrutin est que malgré l'unité affichée par les trois principaux partis d'opposition, l'alternance claire que permet le jeu démocratique classique se heurtera à différents obstacles : en cas de marge faible, des tentatives de débauchage de la part du PiS, l'exercice par le président Duda de son droit de veto, ou encore l'opposition du tribunal constitutionnel, formé de juges nommés par le PiS.