Les dix essais qui ont marqué 2011

Sabine Delanglade, Les dix essais qui ont marqué 2011

Les Echos, 22 décembre 2011

Désindustrialisation, Chine, jeunes, égalité, Europe, écologie : « Les Echos » ont sélectionné pour vous dix ouvrages de référence.

« Le réveil des démons »

S’il y a un seul livre à lire sur l’euro en crise, c’est bien celui de Jean Pisani-Ferry. Il a voulu être pédagogique et y est parvenu. L’engrenage de la crise est démonté, pièce par pièce, dans un style aussi léger que le sujet est lourd. Le mensonge résidait dans les détails que les créateurs de l’euro avaient laissés sous le tapis. Pendant dix années d’euphorie, les pays, Grèce et Espagne en tête – la France aussi s’est laissée vivre –, ont dévalé en roue libre vers la catastrophe. Il est temps pour les Européens de dire aux marchés ce qu’ils veulent faire ensemble de leur monnaie. (Fayard, 219 p.)

« La société des égaux »

Que signifiait l’égalité pour les philosophes des Lumières, quel sens a aujourd’hui ce concept jadis révolutionnaire ? Convaincu que les inégalités croissantes sapent les fondements même de la démocratie, Pierre Rosanvallon retrace l’évolution d’une définition qui fluctue depuis trois siècles entre droit politique et droits sociaux. L’auteur invite à retrouver, en l’adaptant à notre temps, le riche contenu qu’avait ce mot pour les hommes de la Révolution. Il ne peut s’agir de compassion et de redistribution, mais de retrouver l’existence d’un espace commun. La réflexion est juste, ancrée dans notre société déchirée, indispensable. (Seuil, 428 p.)

« La Puissance au XXIe siècle »

Le diplomate Pierre Buhler a écrit sans doute l’un des livres les plus ambitieux de l’année 2011. Dans cet essai global, il démonte les mécanismes du pouvoir à l’œuvre dans le monde. Il s’interroge sur l’ampleur de la dérive des continents, la réalité du glissement vers la Chine, la solidité américaine, la place de l’Europe, celle du Proche-Orient. Il renouvelle surtout l’analyse « classique » de la puissance, celle qui passe par la force militaire, les liens politiques, l’économie, la démographie ou la maîtrise des ressources naturelles. Il y décèle des points de fragilité, illustrés par ce qu’il appelle ses « lignes de fuite », les réseaux numériques, la finance mondialisée, l’intensité de la compétition scientifique qui, toutes, semblent se jouer de l’emprise éta­tique. (CNRS, 491 p.)

« Le temps des riches »

Anatomie d’une sécession. La sécession des riches ? Bigre ! On savait (depuis fort longtemps hélas) que la pauvreté était un problème. Et voilà que Thierry Pech nous explique que les riches aussi sont devenus un problème ! Aujourd’hui, l’élite à laquelle ils appartiennent est mondialisée et leur attachement national s’étiole. L’auteur qui a raison d’y voir un risque pour la démocratie tord également le cou à la théorie du « ruissellement » selon laquelle l’existence des riches finit par bénéficier à tous. L’accroissement du nombre de Français gagnant plus d’un million d’euros par an, alors que monte le chômage, tendrait, par exemple, à prouver que le « ruissellement » s’est asséché. Ce qui n’est pas le cas de ce livre intelligent et dynamique. (Seuil,173 p.)

« Le fabuleux destin d’une puissance intermédiaire »

Ce livre du président du Cercle des économistes a le mérite de détonner dans un contexte morose. Jean-Hervé Lorenzi en a eu assez de voir s’épanouir le déclinisme sans réagir. Il plaide pour que la France se souvienne de ses atouts et ne démoralise pas sa jeunesse. Pour elle, cet expert sollicité par François Hollande prône un contrat de travail unique dont les droits associés seraient progressivement augmentés afin qu’elle envisage son avenir de façon plus sereine. (Grasset,170 p.)

« Au pays des enfants rares »

Si la politique de l’enfant unique des années 1970 a aidé la Chine à décoller, le déséquilibre créé pourrait gravement remettre en cause la suite des événements. Malgré les leçons de calligraphie au berceau, les « petits empereurs » ne pourront pas tout faire. Ce n’est pas pour rien que la démographe Isabelle Attané sous- titre « Vers une catastrophe démographique» cet ouvrage, prix du livre d’économie 2011. Faute de troupes fraîches, la Chine qui dispose d’une proportion d’actifs très élevée perdra cet avantage. Moins de jeunes, moins d’ouvriers et plus de vieux, c’est le tribut de 2000 ans d’infanticide féminin. (Fayard, 274 p.)

« La France sans ses usines »

Tous les hommes politiques aimeraient que le « fabriqué en France » marque des points mais ce sera dur ! En dix ans, notre industrie a maigri deux fois plus vite que la moyenne de la zone euro. La stratégie nationale des grands projets a fait long feu et le reste se révèle peu innovant et trop cantonné à la moyenne gamme. Le constat des deux auteurs de ce livre très argumenté, Patrick Artus et Marie-Paule Virard, conduit à une réflexion sur la « nécessité » de l’industrie : pas de croissance sans industrie, chiffres à l’appui, on peut compter sur l’économiste Patrick Artus… (Fayard,178 p.)

« La machine à trier »

Comment la France divise sa jeunesse. « Les » jeunes, ça n’existe pas. A la suite d’un « tri sélectif » opéré souvent dès le primaire, deux jeunesses se côtoient. D’un côté, les « insiders » précocement sélectionnés, de l’autre, les « outsiders » écartés par la « dictature » des diplômes. Les quatre auteurs de cet ouvrage (Pierre Cahuc, Stéphane Carcillo, Olivier Galland, André Zylberberg), synthétique et enlevé sur un sujet crucial, avancent des propositions pertinentes. N’en citons qu’une : réviser la forme et les contenus de l’enseignement plutôt que la taille des classes. (Eyrolles,143 p.)

« Kal. Un abécédairede l’Inde moderne »

Kal, en sanscrit, se traduit à la fois par hier et demain, mais c’est plutôt pour préparer demain qu’il faut consulter ce lexique établi par Jean-Joseph et Flora Boillot. Plus de 80 entrées pour comprendre ses religions, sa société, les méandres de sa bureaucratie, sa culture. Pour que l’Inde soit moins mystérieuse. (Buchet Chastel, 280 p.)

« Le fanatisme de l’Apocalypse »

Le brio s’accompagnant de la partialité, on pardonnera la sienne à Pascal Bruckner, en appréciant le brillant de ce livre qui fustige les excès de l’écologisme. « Quand un journal au nom de la sécurité titre “manger tue”, on a envie de demander aux Somaliens ce qu’ils en pensent », lance-t-il. On lira aussi, pour compléter ce sujet, le « Changer le monde » de Jean-Marc Jancovici, qui montre comment décarboner la société, et « La vérité sur le nucléaire » de Corinne Lepage, qui éclaire les pièces de ce débat qu’elle estime interdit. (Grasset, 280 p.)

Sabine Delanglade