Paul Wolfowitz

Les Portraits, Encyclopedia Universalis, Edition 2004, p. 415

Paul Wolfowitz

« Les Portraits » Encyclopedia Universalis Edition 2004, p.415

 

 

 

Lorsqu’en 1965, fort de son Bachelor of Sciences de l’université Cornell, Paul Wolfowitz est admis à préparer une thèse en biochimie au prestigieux MIT, il fait croire à ses proches qu’il a pris suffisamment d’avance sur le programme pour s’offrir une année d’initiation à la science politique, à l’Université de Chicago. Cette ruse scelle un destin, vers lequel l’étudiant, né en 1943, a été poussé par un jeune professeur de philosophie politique qu’il a côtoyé à Cornell, Allan Bloom, et qui lui a, dit-il, « ouvert les yeux » sur cette discipline - pour laquelle son père, un mathématicien, ne dissimule pas son mépris. C’est pourtant dans sa famille, des Juifs émigrés de Pologne en 1920, que l’adolescent s’est formé à la politique en ces années d’après-Holocauste.

 

L’école des « faucons »

 

A Chicago, Wolfowitz rencontre son mentor, Albert Wohlstetter, un mathématicien devenu stratège nucléaire. Et c’est à Chicago qu’il découvre le philosophe d’origine allemande Leo Strauss, qui lui communique, par son enseignement, son aversion pour le relativisme politique, moral et culturel.

C’est néanmoins Wohlstetter qui exercera la plus grande influence sur cet étudiant brillant, supervisant sa thèse sur la prolifération nucléaire au Moyen-Orient, avant de le faire recruter, en 1973, par l’ACDA, une agence impliquée dans les négociations stratégiques avec l’URSS. Il est en relation avec un autre protégé de Wohlstetter, Richard Perle, devenu collaborateur du sénateur Henry « Scoop » Jackson, chef de file démocrate des « faucons », champion de l’antisoviétisme et de la cause d’Israël. avec quelques autres, ils considèrent la « détente » de Nixon et Kissinger comme une compromission qui sert les intérêts de Moscou. Persuadé que la CIA sous-estime systématiquement la menace soviétique, Wohlstetter obtient en 1976 la création d’une équipe de contre-expertise, baptisée Team B, qui aura accès au renseignement brut recueilli par l’agence. Paul Wolfowitz fait partie de cette dizaine de fidèles de Wohlstetter, qui va produire les prédictions les plus alarmistes.

Il a entre-temps quitté l’ACDA pour le bureau des affaires régionales au Pentagone, où il continue de s’intéresser au Proche-Orient, tirant, sans guère de succès, la sonnette d’alarme sur le danger représenté par le potentiel militaire de l’Irak pour ses deux voisins, l’Arabie Saoudite et le Koweït.

 

L’apprentissage du pouvoir

 

L’arrivée à la Maison Blanche de Reagan propulse aux responsabilités les anciens du Team B, notamment au Pentagone, où l’on retrouve Perle, mais Wolfowitz se retrouve au Département d’État, responsable de l’Extrême-Orient. C’est là que se manifeste, à l’occasion du lâchage de Marcos, sa conviction qu’il est préférable, pour les Etats-Unis, de prendre le risque de la démocratie plutôt que de soutenir un régime corrompu et autocratique, même nominalement pro-américain. Dans le même esprit, devenu


ambassadeur en Indonésie, il exhorte publiquement Suharto au respect des règles de la démocratie.

Ce n’est cependant qu’avec l’élection de George Bush, en 1989, que Wolfowitz accède au cercle fermé du pouvoir : sous-secrétaire pour les affaires politiques au Département de la Défense, il est l’homme de confiance du Secrétaire, Cheney, pour les questions de stratégie. Et c’est à ce titre que son nom défraie la chronique lorsqu’en 1992, un document de doctrine préparé sous sa supervision se retrouve dans les colonnes du New York Times. Enonçant une théorie de l’hégémonie américaine dans un monde sans Union Soviétique, le texte appelle à ménager l’option d’attaques préemptives contre des Etats cherchant à se doter d’armes de destruction massive. Un des scénarios prévoit une guerre contre l’Irak comme une option possible. Du fait de la polémique qui s’ensuit, le document sera rendu public dans une version édulcorée.

 

Le stratège du camp républicain

 

La relève démocrate renvoie Wolfowitz à ses études et il prend en 1994 la tête de l’école doctorale de relations internationales de l’université Johns Hopkins, la SAIS, à Washington. Au sein du groupe qu’il est convenu d’appeler les « néo-conservateurs », il participe à la définition d’une doctrine de sécurité des Républicains, dont les attentats  du 11 septembre 2001 précipitent la mise en œuvre. Quelques jours après la tragédie, c’est Wolfowitz, depuis le début de l’année secrétaire adjoint à la défense, qui propose au président Bush de régler son sort à Saddam Hussein. Le raisonnement est simple et Wolfowitz s’en fait l’avocat le plus convaincant : “ l’intersection du radicalisme et de la technologie ” fait peser une menace majeure sur la sécurité des Etats-Unis et du monde et les « Etats-voyous » susceptibles de se doter d’armes de destruction massive sont aussi dangereux que les terroristes qui tentent de se les procurer. Pour traiter cette menace, la dissuasion, devenue inopérante, comme du reste l’approche policière, doit céder le pas à une logique préemptive. Cet argument rassemble l’ensemble de l’administration Bush derrière l’opération militaire en Irak, mais la démarche de promotion active de la démocratie et de la liberté pour « assécher le marais » du terrorisme dans les Etats autocratique et corrompus du Moyen-Orient, également chère  à Wolfowitz, n’a pas la même résonance dans le cercle du pouvoir républicain.

 

Pierre Buhler

 

B. Keller, « The Sunshine Warrior », The New York Times Magazine, 22 septembre 2002