ÉDITOS & ANALYSES
CHRONIQUE
Démographie : la tectonique des plaques
Le taux de fécondité est en baisse dans la moitié des pays du monde, selon la division des populations des Nations unies. Couplée avec d'autres données démographiques, comme le vieillissement de la population, cette tendance produit des effets importants sur l'activité économique, souligne Pierre Buhler.
Les agrégats démographiques évoluent lentement, sans ruptures spectaculaires, mais leur analyse révèle des inflexions et tendances lourdes qui pèsent sur les perceptions et les politiques. C'est à cet exercice que se livre tous les deux ans la division de la population des Nations unies , avec des constats et des projections qui couvrent, pays par pays, tous les grands paramètres de la démographie du monde.
La dernière livraison, publiée à l'occasion de la Journée mondiale de la population - sous la direction scientifique d'un Français, Patrick Gerland, ce qui rend justice à l'excellence de l'école française de démographie - met cette année le projecteur sur un phénomène clef, la baisse tendancielle du taux de fécondité.
Celui-ci est passé, entre 1990 et 2023, de 3,3 à 2,25 enfants par femme, soit une baisse de 32 %, dont l'impact démographique est considérable. Il s'agit bien sûr d'une moyenne mondiale, qui rend très probable un pic de la population de la planète, vers 2080-90 , à 10,3 milliards d'habitants - contre 8,2 aujourd'hui - avant de retomber. Une telle perspective était tenue pour improbable il y a seulement une décennie.
Décroissance démographique ?
L'horizon est certes lointain, mais l'angle le plus instructif de ce constat est celui du différentiel de ce taux de fécondité entre pays et régions. Si la fécondité reste élevée, supérieure à 4 enfants par femme, dans 27 pays, notamment d'Afrique subsaharienne, la moitié des pays du monde affiche désormais un taux inférieur à 2,1 enfants par femme - qui assure, hors immigration, la stabilité démographique d'une population. Dans un pays sur cinq, les taux de fécondité sont extrêmement bas , inférieurs à 1,4 enfant par femme. C'est le cas de l'Italie, de l'Espagne et du Japon, tous trois à 1,2, et plus encore de la Chine (1) ou de la Corée du Sud (0,7). La France, elle, se maintient à 1,64.
Ces situations tendent à avoir des effets cumulatifs d'autant plus importants qu'elles sont anciennes, avec un effet induit de contraction des effectifs des générations en âge de procréer. Les effectifs de femmes dans ce créneau d'âge sont ainsi appelés à se contracter, sur les trois décennies à venir, de 33 % dans les pays qui ont atteint leur pic de population. Encore ne s'agit-il là que d'une moyenne.
Qui plus est, l'effet négatif sur la population d'un pays est d'autant plus marqué que son histoire démographique a produit une proportion élevée de population âgée. Même en cas de rebond significatif du taux de fécondité, la probabilité de décroissance démographique resterait alors forte. L'indicateur le plus synthétique à cet égard, l'âge médian, qui divise une population en deux moitiés, est de 49 ans au Japon, de 47,5 ans en Italie, de 44,5 ans en Corée du Sud, la France présentant un profil un peu plus jeune avec un âge médian de 42 ans. Ces chiffres sont à comparer à la cinquantaine de pays moins avancés (PMA), dont l'âge médian est de 18 ans, ou à l'ensemble des pays à revenus faibles et moyens bas, qui constituent près de la moitié de l'humanité et où cet âge est de 24 ans.
Il faut y ajouter une variable dont l'impact démographique a été jusque-là jugé faible , l'émigration, qui attire l'attention, tant elle touche, dans les pays à bas taux de fécondité, une population jeune, aggravant d'autant les perspectives de croissance démographique.
Déficit naissances-décès
La précédente édition, en 2022, concluait que l'immigration avait, dans les pays développés, dépassé l'accroissement démographique naturel. Cet effet s'est encore accentué. A la vérité, dans presque tous les pays d'Europe, cet accroissement, c'est-à-dire l'excédent des naissances sur les décès, n'est plus qu'un souvenir. L'Allemagne affichait, en 2023, un déficit de plus de 300.000, l'Italie était proche de ce niveau. La France, après un excédent longtemps supérieur à 200.000 par an, a vu son excédent s'effondrer et pourrait enregistrer un déficit à partir de 2027. Le déficit annuel est de l'ordre de 800.000 au Japon et de 3 millions pour la Chine, reflet de la faiblesse du taux de fécondité. Parmi les pays industrialisés, seuls les Etats-Unis conservent un excédent important, de l'ordre de 600.000, conséquence d'une pyramide des âges plus jeune.
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Enfin, avec l'augmentation de l'espérance de vie et le vieillissement démographique qui en est la résultante, la proportion de la population d'âge actif est vouée à décliner avec constance, à hauteur de 1 % tous les trois ans dans le cas de la France, la cohorte atteignant 65 ans étant chaque année plus nombreuse de 300.000 que la précédente.
Un enseignement principal à retenir est que la conjonction de la chute des taux de fécondité et du vieillissement des populations dans les pays développés ne laisse d'autre issue, pour préserver l'activité économique et une croissance, même faible, que de recourir à une immigration de travail. L'Allemagne l'a fait à hauteur de 600.000 en 2023 et l'Italie de 150.000, malgré la rhétorique de la Première ministre Giorgia Meloni.
Pierre Buhler est diplomate, ancien président de l'Institut français et enseignant à Sciences Po.