Pologne, d’où vient son ambition géopolitique ? Podcast Planisphère, avec Pierre Verluise
2 février 2025
2 février 2025
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Quel est le pays européen qui a disparu des cartes de 1795 à 1918 mais qui affirme chaque jour sa place non seulement en Europe centrale, mais encore dans l’OTAN et dans l’Union européenne ? Oui, il s’agit de la Pologne. Aujourd’hui peuplée de 38 millions d’habitants, la Pologne défend chaque jour son ambition géopolitique. Mais nous ignorons généralement l’histoire de cette ambition. Pour en parler, nous avons l’honneur de recevoir Pierre Buhler.
Podcast et synthèse rédigée
Synthèse de cette émission, Planisphère, Pologne, d’où vient son ambition géopolitique ? Avec P. Buhler. Rédigée par Émilie Bourgoin pour Diploweb.com . Revue et validée par P. Buhler.
LA POLOGNE, pays-charnière entre l’Est et l’Ouest de l’Europe, porte en elle une histoire tumultueuse marquée par des périodes de grandeur, de déclin, et de renaissance. Son ambition géopolitique, teintée d’une méfiance profonde envers la Russie, s’enracine dans une mémoire collective façonnée par des siècles de luttes pour la survie et l’indépendance. De sa vocation de rempart face aux assauts venus de l’est à son rôle actuel de pilier de l’OTAN et de l’Union européenne, la Pologne incarne une nation résiliente, déterminée à ne plus revivre les traumatismes du passé.
Hubris : la démesure et la chute d’un royaume
Le terme "hubris", emprunté à la Grèce antique, évoque un orgueil démesuré… menant à la perte. Il qualifie parfaitement l’histoire de la Pologne. Entre le Xe et le début du XVIIe siècle, les souverains polonais ont bâti l’un des royaumes les plus puissants d’Europe. Mais la fragmentation du pouvoir et les privilèges accordés à la noblesse et à l’Église ont affaibli la monarchie. Une oligarchie nobiliaire, plus préoccupée par ses intérêts privés que par ceux du royaume, a conduit la Pologne à devenir un protectorat de la Russie au XVIIIe siècle, scellant ainsi son déclin.
Du déluge à la disparition
La formule " de l’hubris au déluge" résume la chute de la Pologne. Au XVIIe siècle, le pouvoir royal et la caste nobiliaire, surestimant leur puissance, ont, par exemple, plongé le royaume dans une crise de succession en Russie, occupant même Moscou entre 1610 et 1612. La prédominance de l’oligarchie nobiliaire a accéléré le délitement interne, aboutissant à la disparition de la Pologne en 1795, partagée entre la Russie, la Prusse et l’Autriche. La Pologne a été de la sorte rayée de la carte de l’Europe pendant 123 ans.
Le temps du martyre : 123 ans de résistance et d’insurrections
De 1795 à 1918, la Pologne a vécu une période de martyre. Malgré l’occupation, les Polonais ont résisté à travers des insurrections répétées (1830, 1863), refusant de voir leur identité culturelle et religieuse disparaître. La noblesse désargentée a cherché des alliés, notamment en France, où de nombreux exilés se sont réfugiés. L’espoir d’une renaissance s’est brièvement incarné dans le duché de Varsovie (1807), créé par Napoléon, mais cet espoir s’est évanoui après sa chute. Cette période a forgé l’image d’une Pologne martyre, déterminée à survivre en tant que nation malgré les partages.
La renaissance après 1918 : redessiner les frontières
La renaissance de la Pologne en 1918 a été marquée par des défis immenses. Redessiner les frontières après plus d’un siècle de disparition a nécessité six guerres avec les pays voisins. La France de Clemenceau a soutenu la Pologne pour faire pièce à l’Allemagne. La victoire polonaise sur l’Armée rouge en 1920 a consolidé ses frontières à l’est. Cependant, un coup d’État en 1926 a instauré une autocratie, replongeant le pays dans l’hubris.
Katyn : un mensonge d’État soviétique durant 50 ans
Le massacre de Katyn en 1940, où 22 000 Polonais ont été exécutés par les Soviétiques, reste une plaie ouverte dans la mémoire polonaise. Ce crime, nié par Moscou jusqu’en 1990, illustre la constance du mensonge d’État soviétique. Le Pacte Molotov-Ribbentrop de 1939 symbolise par ailleurs la prédation impérialiste russe. Ces agissements ont marqué durablement les relations entre les deux nations.
1945-1989 : la Pologne, un Occident kidnappé
Après la Seconde Guerre mondiale, la Pologne est tombée sous le joug soviétique, devenant un pays satellite de Moscou. Cette période, où la Pologne faisait partie de cet "Occident kidnappé" décrit par l’écrivain tchèque Milan Kundera, a été vécue comme une amputation par les élites intellectuelles tournées vers l’Occident. Les conditions de vie difficiles et la répression ont nourri une contestation croissante, incarnée par le mouvement Solidarność à partir de 1980.
Solidarność : le rôle pionnier de la Pologne
Le mouvement Solidarność, soutenu par le pape Jean-Paul II, a joué un rôle clé dans la chute du communisme en Europe de l’Est. En 1989, la Pologne a été le premier pays à former un gouvernement non communiste, précédant de quelques mois la chute du mur de Berlin (9/11/1989). Cette révolution pacifique a marqué le début d’une nouvelle ère pour la Pologne.
L’ambition géopolitique de la Pologne est autant une réponse à son passé qu’une projection vers l’avenir.
Depuis 1989 : une Pologne ancrée dans l’Occident
Depuis la chute du communisme, la Pologne a rejoint l’OTAN (1999) et l’Union européenne (2004). Mettant à profit la faiblesse de la Russie, elle s’est rapidement intégrée au camp occidental. Cependant, la transition vers une économie de marché a été douloureuse, créant des frustrations sociales. Aujourd’hui, la Pologne se positionne comme un acteur clé de la sécurité européenne, augmentant massivement ses dépenses militaires (4,7 % du PIB prévu en 2025) et construisant des dispositifs défensifs à ses frontières.
Une mémoire qui façonne l’avenir
L’histoire de la Pologne, marquée par des cycles de grandeur, de déclin et de renaissance, continue d’inspirer sa politique actuelle. La mémoire des partitions, des occupations et des mensonges d’État nourrit une méfiance profonde de la nation envers la Russie et une volonté farouche de préserver son indépendance. En prenant la présidence du Conseil de l’UE au 1er semestre 2025, la Pologne entend orienter l’Union européenne vers une sécurité renforcée, rappelant que les États, comme les individus, peuvent être mortels. Son ambition géopolitique est donc autant une réponse à son passé qu’une projection vers l’avenir.
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