Histoire de la Pologne communiste - Libération

Libération, 14 mai 1998

Hélène DESPIC-POPOVIC

Histoire de la Pologne communiste, Pierre Buhler, éditions Karthala, 808 pp., 195 F.

Le 29 janvier 1990, le Parti communiste polonais se dissout. Le drapeau du parti, reconnu responsable de «crimes staliniens» et d'«avoir trahi les principes de la démocratie», est mis en berne. «Un silence de mort s'abat sur l'immense salle. De nombreux délégués pleurent.» Une page est tournée. Sept mois plus tôt, les électeurs polonais, renouant avec le suffrage universel, avaient mis un terme à quarante-cinq ans de pouvoir sans partage des communistes, préludant l'effondrement du système en Europe orientale.

Polonisant, diplomate de carrière et témoin des derniers soubresauts du régime, Pierre Buhler décortique toutes les étapes de cette période dans son Histoire de la Pologne communiste, un ouvrage bien documenté et fourmillant d'anecdotes, au sous-titre évocateur d'Autopsie d'une imposture. Ajoutant à l'exhaustivité, il retrace les origines du mouvement communiste polonais. Un retour aux sources qui fait ressortir combien, dès le départ, celui-ci s'est trouvé en porte-à-faux avec la société polonaise, du luxemburgisme internationaliste, opposé à la formation de l'Etat polonais au lendemain de la Première Guerre mondiale, aux groupuscules staliniens favorables, pendant la Seconde Guerre mondiale, à l'abandon à l'URSS des terres de l'Est (Lvov et Vilnius). Frappé du péché originel d'hostilité à l'indépendance et de servilité à l'égard de l'ennemi héréditaire russe, le Parti communiste prend le pouvoir contre la société et non avec elle. A ses tentatives de la corrompre ou de la séduire suivront des phases de répression. Avec le recul, grâce à l'ouverture des archives et aux témoignages des acteurs de l'époque, l'auteur est mieux armé que ceux qui ont écrit à chaud pour esquisser le portrait des hommes qui ont dirigé le pays pendant toute cette période. Aucun d'entre eux ne trouve grâce à ses yeux. Il s'attache notamment à démystifier Gomulka, dont l'image de communiste national ne résiste pas à l'analyse. Cet homme ascétique, colérique et méfiant, porté au pouvoir par les émeutes de Poznan en 1956, est un marxiste convaincu du rôle dirigeant du parti; il met moins de deux ans à remettre au pas l'intelligentsia frondeuse et à vider de toute substance les concessions économiques qu'il avait été forcé de faire aux ouvriers. Obsédé par le danger allemand, Gomulka quitte à son tour le pouvoir, emporté par le soulèvement de Gdansk et de Szczecin en 1970. Comme lui, son successeur, Edvard Gierek, un pseudotechnocrate qui flirte avec l'Occident, apprendra sa disgrâce sur son lit d'hôpital, où l'a mené tout droit une nouvelle révolte, celle de Gdansk en 1980, où naît Solidarité.

Les véritables héros du livre, en fait, ne sont pas ces hommes du régime, mais ceux qui l'ont abattu. Les ouvriers, d'abord courtisés puis massacrés par un parti qui prétendait agir en leur nom, les intellectuels en quête de liberté et l'Eglise, gardienne de la polonité. Chaque fois qu'un de ces groupes d'acteurs s'est rebellé seul, il a été réprimé. Leur conjonction a donné Solidarité, dont l'auteur suit les balbutiements puis la montée en puissance en un récit très vivant, qui contraste avec l'austérité de la première partie. Avec ce livre, le lecteur a gagné un ouvrage de référence qui manquait en France.