Jan Litynski (1946-2021)

Le Monde, 4 mars 2021




Jan Litynski (1946-2021)

Figure marquante de l’opposition au régime communiste polonais puis de la Pologne démocratique, Jan Litynski est mort accidentellement, le 21 février, à Pultusk, près de Varsovie.

Son engagement dès l'adolescence dans la contestation au sein de la mouvance des étudiants de la gauche anticommuniste incarnée par Adam Michnik préludera à une longue série d’expériences carcérales dans les geôles du régime. Il est en première ligne des manifestations étudiantes, début 1968, contre l'interdiction des Aïeux, une pièce du grand poète Adam Mickiewicz, jugée antirusse par le pouvoir. Des manifestations dont la répression, en mars 1968, donnera libre cours à une campagne antisémite fomentée, au sein de l'appareil du parti par le sulfureux ministre de l'Intérieur, le général Moczar.

Son rôle d'organisateur lui vaut une condamnation à 30 mois de prison, avec son co-accusé Seweryn Blumsztajn. Libéré, il reste dans le collimateur de la police politique, qui l'arrête à titre préventif lors de la visite de Richard Nixon en 1972. Litynski se retrouve naturellement dans le mouvement de protestation contre la répression des ouvriers qui avaient manifesté contre les hausses des prix des denrées alimentaires, en juin 1976, à Ursus et Radom. Il devient une cheville ouvrière du Comité de Défense des Ouvriers (KOR) aussitôt créé. Pionnier de la presse clandestine du Comité, Jan Litynski est un des fondateurs de cette première alternative au monopole du parti communiste sur les médias.

Il s'engage dans la dynamique amorcée par ce même KOR, celle d'un incubateur du syndicalisme libre, qu'il poursuit comme rédacteur en chef d'un périodique, Robotnik, destiné au monde ouvrier. Un engagement qui lui vaut quelques arrestations arbitraires. Et après que le gouvernement de Gierek est contraint d'accepter, en août 1980, un syndicat libre, il deviendra un de ces intellectuels conseillers de la nouvelle formation présidée par Lech Walesa, aux côtés de Jacek Kuron, Adam Michnik, Karol Modzelewski et Tadeusz Mazowiecki.

C'est encore Jan Litynski qui rédige l'« appel aux travailleurs d'Europe de l'Est » – à créer eux aussi des syndicats libres – un appel plébiscité par le Congrès de Solidarnosc, réuni à Gdansk en septembre 1981. Après avoir été, comme tant d'autres, interné lors de la proclamation de la loi martiale, le 13 décembre 1981, il profite d'une autorisation de sortie, en 1983, pour disparaître, 3 ans durant, dans la clandestinité. Alors que le régime du Général Jaruzelski est à bout de souffle, il participe activement aux négociations de la « Table Ronde ». Cette négociation laborieuse avec un pouvoir désormais aux abois débouche sur les premières élections libres derrière le Rideau de fer, tenues le 4 juin 1989.

Jan Litynski est élu député et s'engage activement dans la construction de l'État démocratique, au sein de la Diète polonaise, où il enchaîne trois mandats successifs, présidant diverses commissions. Actif dans la campagne présidentielle conduite en 2010, il rejoindra l'équipe du président centriste Bronislaw Komorowski comme conseiller politique.

Son regard pétillant d'intelligence, sa fidélité inébranlable à ses valeurs, la rigueur de son raisonnement politique, mais aussi son épaisseur humaine et sa capacité d'empathie dessinent son empreinte dans l'histoire contemporaine de la Pologne. Dans l’hommage qu’il lui rend dans son journal, Adam Michnik, le directeur de Gazeta Wyborcza, pleure celui qui fut « un trésor pour la Pologne démocratique et un don des cieux pour ses amis ».

Après Karol Modzelewski, en 2019, après Henryk Wujec, un de ses compagnons de route, en 2020, après Krzysztof Sliwinski, une autre grande figure de Solidarnosc, qui s’est éteint il y a quelques semaines, la disparition de Jan Litynski marque aussi l'effacement progressif de cette génération qui a rendu la liberté à la Pologne. Cette génération à laquelle, comme le note son ami, le journaliste Seweryn Blumsztajn, « un destin peu commun a été accordé, celui d'avoir réussi à renverser le communisme ».

18 janvier 1946 : naissance à Varsovie

Décembre 1968 : condamnation à 2,5 années de prison

1976 : engagement au sein du Comité de Défense des Ouvriers (KOR)

Décembre 1981: internement suite à la proclamation de la loi martiale

1983-1986 : séjour dans la clandestinité

Juin 1989 : élection à la Diète

2010-2015 : conseiller du président Bronislaw Komorowski

21 février 2021 : Mort accidentelle à Pultusk