Fecha de publicación: 12-dic-2010 1:40:51
Par Émilie SUEUR | 11/12/2010
Le billet
Quand un Britannique tire la sonnette d'alarme sur les dérives langagières en français et en France, l'on est en droit de penser qu'il y a péril en la demeure hexagonale.
Il y a quelques jours, un chroniqueur du respectable Economist notait que les murs du métro parisien portent une publicité pour les téléphones portables d'Orange, filiale de France Telecom. Orange qui, pour vendre sa camelote, s'essuie allègrement les pieds sur le français mais aussi sur l'anglais.
Le message de la publicité est : « Pokez, taggez, likez ». Trois « choses » créées à partir de la langue de Shakespeare (To poke, to tag et to like) accommodées à la mode Facebook. C'est en effet sur le réseau mondial des « amis » avides d'étaler leur vie privée, que l'on « poke », que l'on « tag » et qu'on « like ». Le comble de l'affaire étant, comme le souligne notre Economist, que Facebook version française n'utilise pas ces termes barbares, se contentant d'« envoyer un poke » et d'« aimer », ou pas.
Chez Orange, un publicitaire n'ayant même pas le goût de l'esthétisme a donc décidé que pour vendre des téléphones aux jeunes, il ne fallait leur parler ni en anglais ni en français, mais s'adresser à eux comme à des demeurés.
Que les choses soient claires, il ne s'agit pas ici de déclarer l'intangibilité de la langue. L'histoire du français a d'ailleurs été marquée de nombreuses évolutions et la langue de Sarkozy est à celle du Cantilène de sainte Eulalie (texte écrit en 880 et considéré, en gros, comme le premier texte littéraire français), ce que Moubarak est aux pharaons. Un très, très, très distant parent.
Qu'on en juge : « Buona pulcelle fut Eulalia ; Bel avret corps, bellezour anima. Voldrent la veintre li Deo inimi ; Voldrent la faire diavle servir. »
Évolutions toujours d'actualité puisqu'il y a une vingtaine d'années, le français faisait encore l'objet d'une réforme plus ou moins avortée. Réforme censée réconcilier les Français avec leur orthographe perverse à travers une série de modifications visant notamment à permettre à des millions d'écoliers de s'offrir une huitre sans circonflexe et une imbécilité avec un seul « l ».
Le français n'a, en outre, jamais dédaigné le néologisme. Au fil des siècles, des invasions et des alliances, la langue n'a cessé de s'enrichir de termes empruntés aux étrangers, des Vikings (turbot, guichet, homard) aux Xe et XIe siècles, aux Arabes (échec, safran, alchimie, algèbre, jupe) aux XIIe, XIIIe et XIVe siècles, en passant par les Germaniques, les Italiens ou encore les Slaves.
Si le français s'est voulu langue portes ouvertes, il n'est pas un enfant de chœur pour autant. Alors qu'à la moitié du XIXe siècle, un cinquième des Français ne le parlaient pas, lui préférant leur patois, la guerre aux dialectes fut lancée. Haro sur le breton, sus à l'occitan, à bas l'alsacien. Les dialectes furent les victimes collatérales de l'unification de la nation française, unification passant notamment par l'imposition d'un langage commun.
Le français s'est aussi répandu, de gré ou de force, dans les colonies. Territoires qui, néanmoins, ont rendu au français la monnaie de sa pièce en l'agrémentant à leur sauce. Ce qui peut donner le plus savoureux des mets. Au Togo, une « balle perdue » est un enfant né hors mariage, au Bénin, un « sous-marin » est l'amant d'une femme, et en Haïti, celui qui « a la bouche sucrée » ne sait pas bien le prononcer ce français.
Aujourd'hui encore, la langue française est une matière vivante, défendue par les académiciens et influencée par l'usage et la rue. « Une langue, pour rester, et pour rester vivante, ne peut se passer du frein et de l'éperon. Sans l'éperon que sont les nouveautés, les inventions de la langue parlée, elle deviendrait vite une langue morte. Sans le frein que sont les grammairiens, les puristes, les orthodoxes, elle changerait à une telle vitesse qu'en peu d'années on ne la reconnaîtrait plus », écrivait Alexandre Vialatte, maître de la langue s'il en est.
Alors le néologisme, oui, pourquoi pas, aussi longtemps qu'il plonge ses racines quelque part, que ce soit dans une terre étrangère, dans un artisanat, une découverte, dans le bitume ou dans le fumier.
Quand le nouveau mot ne plonge ses racines dans rien, si ce n'est la vacuité de son auteur, alors il n'est plus un néologisme mais une connerie. Connerie, un terme, lui, à l'étymologie fascinante.
http://www.lorientlejour.com/category/Moyen+Orient+et+Monde/article/681404/La_bouche_sucree.html