Marcel Margot

Adieu à un des derniers pêcheurs de saumon

Le lundi 17 décembre 1975 eurent lieu à Neuvy sur Loire les obsèques de Marcel Margot âgé de 76ans.

Il fut professionnellement un pêcheur de la Loire, des grandes lignées, telles que nous ne les reverrons plus : Les Cornu, Girard, Augu, Petit, Lafoy…

Leur métier était âpre mais prenant, complet, sans tricherie ni défaillance. En eux était la conception claire et simple des choses, la décision rapide, le geste précis et leurs yeux reflétaient la limpidité et la clarté de l’eau, avec au fond de leur regard, une lueur bleue y était perçue.

Il y avait une certaine noblesse de métier, avec des moments d’émotion éprouvés à la capture du poisson, et dans le cadre de la nature qu’ils étaient obligés d’accepter telle qu’elle se présentait à eux, tantôt douce et complice, ou rude et éprouvante selon les saisons.

Ils vivaient en sorte de symbiose avec l’eau et surtout la Loire, dont chacun entretenait la propreté devant sa maison, comme un citadin balaye le trottoir devant sa boutique ; il ne fallait surtout pas jeter des cailloux dans l’eau, ni modifier en quoi que ce soit la saine ordonnance des choses et de la nature.

Et la pêche ! Au saumon, à la lamproie, à l’alose, aux brochets, tanches, perches, friture, à tout en somme. La plus prenante était la pêche au saumon. Dans les années d’avant guerre, et tout de suite après il n'était pas rare d’en prendre pendant la période, plusieurs centaines, sans exagération, et la coutume était que les compagnons qui aidaient le jour et la nuit, par quart, à tenir en mains la « sonnette » avertissant qu’un saumon « cognait » dans le barrage de filets pour chercher une passe ; la coutume était donc de se réunir pour manger celui de la centaine atteinte.

Une année, ils en fêtèrent ainsi plus de 700…à peine croyable maintenant, et cependant si près de nous.

La « queue de saumon » cuite en plein air sur une ile de la Loire, sur un feu de bois et mangée juste avec un peu de beurre, quel délice… inoublié mais plus réalisable à l’heure actuelle.

La pêche du saumon dans « la toue cabanée » à peine en avais-je parlé à Marcel Margot, qu’il me conviait à y assister, tant il savait que cela me ferait plaisir. Le saumon sorti de l’eau, aux reflets de la lune, blanc, bleu brillant, quel spectacle simple et merveilleux, même s’il fait encore quelques soubresauts sur les planches du « sentineau ». Et la matelote d’anguille qui suivit… jamais égalée, pure façon pêcheur et marinière !

Dans la vie des pêcheurs (ou anciens mariniers) tout est sacrifié à l’élément liquide, fait partie de la vie, fait la vie…

Marcel Margot et sa famille étaient d’origine terrienne : rien ne le disposait à la Loire, et cependant il comprit son appel et s’y donna toute sa vie et uniquement à elle, même en faisant pendant plusieurs années le passeur occasionnel.

Comme les anciens mariniers de Loire, la conscription se faisait sur l’eau, et ressortissait de l’inscription maritime de Saint Nazaire. C’est ainsi que son fils ainé, Henri qui par atavisme savait nager en naissant, disparut marin sur le Croiseur « Emile Bertin » sur les côtes d’Annam (Port Saïs - Vietnam) le 31 octobre 1952. La désolation et le chagrin de son père et de ses frères furent atténués par les conditions de sa disparition.

Marcel ne comprenait pas le réalisme de notre temps, l’affranchissement et la subordination de ce siècle saturé de pétrole, de cette humanité abdiquant tout pour le progrès et l’industrie devant les pratiques qui constituaient pour lui, une vieille tradition ligérienne, et donc une valeur plus sure à ses yeux.

N’en n’avait il pas le droit et était il si loin dans l’erreur ?

Il voulait des gestes ancestraux et « traditionnels qui nous ramènent vers un passé relativement récent où l’homme se passionnait pour son métier, fier de son rôle social » comme l’a tout récemment écrit le nivernais Jean Drouillet.

Les rencontres avec ses amis « Ceux de la Loire » étaient toujours simples et enrichissantes, car on avait le privilège de parler d’elle entre connaisseurs.

Pour Marcel Margot, et pour ceux de sa génération, la Loire était un élément de vie, les paysages que la nature avait patiemment façonnés pendant des millénaires, étaient indestructibles et donc intouchables. Pourquoi fallait-il que des hommes aux idées courtes prétendent de « propos délibéré » peut être, mais futile et inconsidéré saccager, abimer, « tuer » car la nature est vivante, ce que les hommes ont connu et aimé dans leur ambiance et contexte de vie ?

Non, Marcel ne le comprenait pas et les dernières années de sa vie ont été attristées par l’assassinat de sa Loire par des bulldozers ou autres engins de cet acabit, qu’il voyait de chez lui et dont le ronronnement ou les « coups de mouton » résonnaient sans discontinuité dans sa tête. La Loire, disait-il ne se laissera pas impunément faire et tôt ou tard, elle prendra sa vengeance et la nature aura le dessus.

Mais dirons-nous que cette impuissance et cette folie incompréhensible ont abrégé les jours de Marcel ?

Texte de Paul Fougerat