1851 - Adolphe Robert

Une autre vue concernant cette période de notre histoire, se trouve relaté par un livre qui nous permet de voir ce qu’il s’est passé, non seulement à Neuvy, mais aussi dans toute la Nièvre.

Bonne lecture

Voici une partie de l’avant-propos et la partie qui concerne notre département.

L’histoire du 2 décembre 1851, concernant la Nièvre, par Adolphe Robert. 1869.

Différant ouvrages ont déjà paru sur les événements de décembre 1851 : ils ont, à des titres divers, rendu un immense service aux jeunes générations qui ignoraient complétement ou qui ne connaissaient que très vaguement, par des extraits de journaux ou des lettres privés, ce qui s’était passé à cette époque. Maintenant que la lumière est faite, que l’on commence à ne plus prendre les défenseurs de la Constitution pour de pillards et des assassins, je me suis demandé si le but était complètement atteint, si un troisième ouvrage, s’attachant spécialement à la statistique, n’aurait pas grandement sa raison d’être, et c’est dans cette pensée que je consultait, le Moniteur Universel des années 1851-52-53, le Constitutionnel et la Gazette des tribunaux, des dépêches constatant la résistance dans tel ou tel endroit, mais bien aussi de correspondances très longues, donnant une foules de détails.

Je me suis contenté d’en faire simplement un résumé en tête de chaque département. J’ai également pris note de toutes les séances des conseils de guerre, des décisions de certaines commissions mixtes, des expulsions en masse ou partielles, des emprisonnements sans nombres, etc, etc. Toutes ces catégories des vaincus de 2 décembre dépassent le chiffre de 8000 citoyens.

Ce n’est certainement pas le nombre total des républicains frappés en décembre, il faudrait quadrupler, quintupler, surtout si l’on met en ligne de compte tous ceux (et ils sont nombreux) qu’on a fait promener pendant quelque mois dans toutes les prisons de France. Je le déclare donc, tous les noms que j’ai trouvés dans ces trois journaux officiels sont classés par catégories ; les uns avec noms prénoms, professions et demeure, d’autre sans demeure mentionnée ; d’autres encore, sans désignation de profession, et enfin quelques-uns n’ayant que le nom de famille.

Je ne me dissimule pas que cet ouvrage, que je livre de bonne foi au public, appellera sans doute quelques réclamations. Ai-je besoin d’ajouter qu’elles seront accueillies avec empressement, et qu’elles trouveront place dans les éditions qui suivront.

Adolphe Robert, Paris, le 24 février 1869.

Nièvre : Résumé des événements :

Dans la soirée du 3 décembre, une sourde colère commence à gronder dans Clamecy. Des groupes animés se forment sur différents point de la ville. Les réactionnaires convoqués par le maire sont de garde à l’Hôtel de Ville. Les républicains influents de la ville sont partout. Ils prêchent ouvertement la résistance au nom de l’article 68 de la Constitution. Les plus ardents sont les trois Millelot, Guerbet, Séroude, les deux Cornu, Bretagne, Coquard, Denis Kock et Gannier. Millenot père part pour soulever Druyes, Sougère et d’autres communes. Le tocsin se fait entendre partout. Clamecy et les environs sont en ébullition. De 6 à 7 heures du soir le tambour bat la générale dans le quartier de Bethléem. Des masses de citoyens répondent à l’appel aux armes. Guillien, Gonnat et les frères Millelot promènent la tête du mouvement, ils se dirigent sur l’Hôtel de Ville au chant de la Marseillaise. D’autres citoyens montent au clocher et sonnent le tocsin. Les réactionnaires de garde à l’Hôtel de Ville paraissent hésiter à agir. Un autre groupe se porte devant la prison et somme le geôlier d’avoir à délivrer les prisonniers, il s’y refuse, un coup de feu part, puis la porte de la prison est enfoncée. Les prisonniers sont libres. Une patrouille de gendarmes arrive et fait feu sur les groupes. Cinq républicains tombent, parmi lesquels un est tué. Ils ripostent, tuent deux gendarmes et en blessent deux autres. Aussitôt la fusillade commencée, les réactionnaires, gardes nationaux et autres ont abandonné leurs armes et ont pris la fuite.

L’instituteur Munier tombe mortellement atteint, le républicain Guerbet sauve le réactionnaire Tartrat. La mairie tombe au pouvoir des républicains. Le maire ne voit d’autres moyens de salut que d’abandonner le terrain de la lutte, il va au-devant du préfet. L’avocat Mulon tombe frappé à mort par une main inconnue.

On entend toute la nuit le tocsin dans les environs de Clamecy. Le docteur Belin arrive à la tête de la commune de Corvol-l’orgueilleux. Les villages de Trucy, Sougères, etc, etc, arrivent ensuite. Chevroches vient de se soulever, et on remarque en tête du mouvement les citoyens Beaufils, Girard et Meunier. Le paysan Jacques Foubard et ses trois fils soulèvent Oisy. La commune de Dornecy vient de suivre le même exemple. Les citoyens Emile, Robert, Hippolyte Baron et François Bouillery ont pris la tête de la colonne et la conduise à Clamecy. Au même instant arrive la petite ville d’Entrains, ayant pour chef le citoyen Commeau, propriétaire.

Le drapeau rouge est arboré partout. Dans la nuit du 5 au 6, Eugène et Numa Millelot arrivent au village de Pousseaux, ils font sonner le tocsin. La population se soulève en masse. On veut désarmer la famille réactionnaire Bonneau, le fils répond qu’il tuera le premier qui serait tenté de le désarmer et s’enferme dans sa maison. Il reparait à la fenêtre avec son père, ils couchent la foule en joue, quelques coups de feu partent, le fils Bonneau fait feu à son tour, son père vient de tomber à côté de lui.

Pendant toute la nuit on opère le désarmement des réactionnaires dans Clamecy. Le citoyen Rousseau est un instant installé comme maire. Le sous-préfet et le procureur de la République renoncent à toute résistance et quittent la ville. Les volontaires continuent à affluer.

Arrivée des dépêches de Paris, elles jettent le découragement chez quelques citoyens, Millelot père, croyant la résistance inutile, propose de renvoyer les paysans chez eux. Guerbet et Eugène Millelot s’y opposent et, décidés à continuer la lutte, ils proposent de marcher sur Auxerre. Le tocsin sonne de nouveau, les barricades s’élèvent avec rapidité. On se porte sur la gendarmerie, Cornu, Séroude, Eugène Millelot et Guerbet sont toujours à la tête, ils proposent au lieutenant de gendarmerie une capitulation, ce dernier y consent. Séroude harangue la foule qui devient très-exaltée. Une lutte terrible s’engage entre le gendarme Bidan et quelques républicains. Ce gendarme vient d’être tué.

Malgré le découragement visible du plus grand nombre, Eugène Millelot est toujours actif, il propose à nouveau de marcher sur Auxerre. Il se rend avec quelques amis chez le receveur qu’il somme, au nom du comité, de vouloir bien lui remettre 5000fr. Après une courte discussion, le receveur remet l’argent contre un reçu. Cette somme est portée à la mairie et doit servir aux frais occasionnés par la résistance. Une proclamation est lancée, elle porte comme signature « Le Comité Révolutionnaire Social ». Un grand nombre de paysans ne croyant plus au succès regagnent leurs villages.

Arrivée des troupes, le préfet Petit de Lafosse est à la tête. La résistance est de nouveau prêchée. Le tocsin recommence, la générale se fait entendre et le cri « Aux Armes ! » est poussé. Les républicains se retranchent dans les maisons avoisinantes de Crot-Pinçon. Le citoyen Chapuy s’offre pour parlementer avec le préfet, il est accompagné des citoyens Roubet, Ducarroy et deux autres. Ils sont surpris et impitoyablement fusillés.

La colonne change de position et arrive aux Chaumes, elle allume des feux de bivouac. Il y a encore 1500 à 2000 républicains derrière les barricades, mais tout espoir semble perdu, la retraite est décidée. M. Lyonnet, ingénieur des ponts et chaussées, se rend auprès du préfet comme parlementaire. Il est arrêté. Les citoyens Moreau et Bretagne sont aussi arrêtés comme parlementaires. Les républicains ne les voyant plus revenir, se décident à abandonner la ville. Avant leur départ, ils restituent 4760fr, sur 5000 à la caisse du receveur. Les 240fr dépensés ont servi à payer les boulangers.

Arrivée du général Pellion, à la tête d’une forte colonne de troupes. Son entrés dans Clamecy. Proclamation de M. Petit de Lafosse. Autre proclamation de M. Carlier, ancien préfet de police, envoyé comme commissaire extraordinaire. Répression terrible. Victimes incalculables. Villages entiers décimés. Plusieurs prisonniers sont assommés à coups de crosse de fusils sur les routes par les soldats. Des colonnes mobiles parcourent les environs, elles arrêtent et désarment les habitants. A Entrains, un prisonnier essaie de s’échapper, il est fusillé, un autre se jette à l’eau, on tire sur lui, il est atteint mortellement et disparaît sous l’eau. Les maires de Pousseaux et de Billy sont conduits en prison la corde au cou, M. Commeau d’Entrains est traîné attaché derrière une charrette. Les soldats commettent des orgies dans les maisons.

Neuvy sur Loire s’est également soulevé le 3 décembre : des groupes se forment devant le cabaret du citoyen Théme. Le maire veut résister, mais ses ordres ne sont pas écoutés. Prise de la mairie puis de la gendarmerie, ces derniers sont désarmés. Le maire, le percepteur et quelques autres réactionnaires sont arrêtés, le curé Vilain subit le même sort. Le citoyen Théme tire sur lui, il est blessé. Le lendemain, arrivée du secrétaire général de la préfecture, M. Ponsard, accompagné de quelques détachements de la ligne. Les républicains ont élevé des barricades et se disposent à se défendre. Trois citoyens tombent entre les mains de M. Ponsard, ils sont fusillés par ses ordres. Il était disposé à en faire fusiller 6 autres, mais voyant que les soldats mettaient une certaine répugnance à une telle besogne, il se résigna à leur accorder la vie.

La barricade qui commandait l’entrés de Neuvy est prise après une vive résistance. Le citoyen Théme est fusillé sommairement sur la place publique. M. Ponsard fait arrêter toute la population valide de Neuvy.

Mort de Chapuy et de ses compagnons :

C’était le 7 décembre, et Clamecy était toujours en armes pour défendre la Constitution, Nevers, Auxerre, Borges et toutes les villes environnantes ne donnaient pas signe de résistance, partout le coup d’Etat était maître de la situation.

Cependant d’intrépides champions du droit, parmi lesquels on distinguait, Denis Kock, Coquard et beaucoup d’autres avaient pris la résolution de continuer la lutte, espérant par une telle attitude encourager d’autres communes à la résistance légale, aussi les barricades s’élevèrent-t-elles avec rapidité, le tocsin sonna de nouveau, le cri « Aux armes ! » se fit entendre dans toute la cille et finit par rallier un nombre considérables de courageux citoyens. Le Crot-Pinçon qui domine un côté de la ville de Clamecy fut mis en état de défense, une barricade formidable y fut construite, et beaucoup de républicain allèrent en tirailleurs se loger dans les maisons environnantes. Il était à peu près certain que le premier point de mire de la part des soldats, à la tête desquels se trouvait le préfet, M. Petit de Lafosse, serait celui-là. Un M. Rambourgt, capitaine louvetier dans la Nièvre se trouvait également avec tous ses gardes, couteaux de chasse à la ceinture, dans les rangs de la troupe.

Une grande effusion de sang était imminente, l’honnête Chapuy voulut la prévenir et s’offrit pour aller parlementer avec le préfet. Ce citoyen intègre, que tout le monde connaissait dans la Nièvre, était considéré depuis très longtemps comme un auxiliaire puissant dans une prise d’armes, et comme étant capable de sacrifier son existence pour le bonheur de la République, aussi ne surprit-il personne quand, devant l’attitude menaçante des forces de la réaction triomphante, il courut au-devant du danger. Le citoyen Roubet, Ducarroy et deux autres le suivirent, c’est alors qu’après avoir parcouru 3 à 400 mètres sur la route de Nevers, ils furent subitement enveloppés de toute part par les tirailleurs de la troupe qui étaient déployés sur les deux côtés de la route, dissimulés qu’ils étaient par des arbres et des haies et dans avoir pu entamer les négociations ou proférer un mot, ils furent impitoyablement fusillés, criblés de balles. Le citoyen Chapuy tomba en héros, percé de trois coups de feu, au cri de « Vive la République ! ». Les autres parlementaires eurent plus de bonheur, le citoyen Lyonnet d’abord, puis les citoyens Moreau et Bretagne ensuite furent seulement arrêtés.

Le lendemain 8 décembre, après une aussi facile victoire, les troupes renforcées par celle du général Pellion, faisaient leur entrés dans la ville. Les soldats arrêtèrent un certain nombre de femmes ; plusieurs d’entre-elles furent malmenées avec tant de rudesse, que l’opinion publique se fut soulevée d’indignation, si la crainte n’avait arrêté tout le monde.

Le colonel de Martimprey, aujourd’hui sénateur, fut nommé président du 2ème Conseil de guerre, qui ne cessa de fonctionner qu’après avoir prononcé 72 condamnations.

Nota : la liste des victimes se trouve : ici