Geste des Mariniers. P-1
Les gestes des mariniers de Loire.
Partie 01
Auteur Guy Badillet
Les faïenciers de Nevers ont décrit avec précision certains gestes du métier de marinier de Loire.
- Pousser à la bourne un petit bateau ;
- Ramier pour descendre plus rapidement ;
- Le « bournayage » au bâton de marine ;
- le halage ;
- le passage des ponts ;
- la pêche
A. La bourne et le bâton de marine.
Pousser un bateau à la bourne (ou « bourde ») est le premier geste qu’un enfant de marinier apprenait. Il lui suffisait de regarder faire les adultes. Encore maintenant, c’est le mode de propulsion habituel des petites barques, car la rame n’est guère utilisée, essentiellement en raison de la force du courant. La bourde est une tige de bois de la grosseur du poignet, longue de 4 à 5 mètres. Positionné à l’avant du bateau, le marinier plante, obliquement vers l’arrière, le bout ferré dans le sable, coince l’autre bout au creux de son épaule et pousse en longeant tout le bord du bateau.
Nota : Bourde : sur la Loire : perche ferrée servant à manœuvrer en prenant appui sur le fond. Souvent en châtaignier.
Nota :Bournayage ou bournoyage : sur les anciens bateaux de rivière, en particulier sur la Loire, technique particulièrement violente et dangereuse d'évitement des obstacles par usage du bâton de marine et des arronçoirs.
Théoriquement, grâce à un léger décalage du gouvernail, le bateau poussé d’un seul côté doit aller droit. On arrive à remonter ainsi des courants très violents en longeant le rivage à deux ou trois mètre, sans l’aide d’un barreur
Toutefois, la bourne n’était pas assez solide pour conduire un grand bateau, on utilisait alors le bâton de marine, plus court, plus solide mais beaucoup plus volumineux. Il était plus finement taillé, avec une poignée au bout supérieur destinée à être coincée dans les arronçoirs. Son poids était important et, pour ne pas le perdre, un lien le rattachait au bateau. Il était ainsi traîné en permanence, dans l’eau, le long du bateau. Le bout inférieur du bâton était ferré. Diverses appellations le désignaient selon sa taille : rocton, demi-rocton, ets. Grâce au bâton de marine, on réalisait le bournayage.
Nota : Arronçoir : sur les anciens bateaux de la Loire (toues, chalands) et de la Seine (marnois principalement, mais aussi parfois foncets et besognes), planche de bois dur, dont le bord inférieur est taillé en forme de crémaillère, et placée sur les côtés du bateau à l'avant et à l'arrière, souvent en plusieurs exemplaires en autant de niveaux. Lorsque le marinier, placé à l'avant du bateau, voit celui-ci se diriger vers un haut-fond ou un rocher dangereux, il pointe son bâton de marine vers cet obstacle, et cale l'autre extrémité, celle par laquelle il tient le bâton, dans les dents de l'arronçoir. Ceci a pour effet de déporter violemment le bateau sur le côté, évitant ainsi l'obstacle. Plus d'un marinier a laissé un ou plusieurs doigts dans les arronçoirs en pratiquant cette technique nommée "bournayage". On voit parfois aussi le terme "rançoir".
Les rames étaient moins souvent utilisées sur la Loire comme mode de propulsion, et seulement à l’avalaison. On en trouve pourtant, sur les saladiers au pont de Loire.
Il s’agissait surtout de transport de voyageurs qui étaient pressés et louaient les services de quelques rameurs.
B. Le Halage.
Le halage permet de suppléer à l’absence de vents et il facilite le passage des ponts.
Nota : Halage : Très ancien mode de traction des bateaux fluviaux. Le halage consiste à tirer le chaland depuis la berge au moyen d'une longue corde fixée sur un mât, dans son tiers avant, ce qui lui évite, le gouvernail aidant, de se rapprocher de la rive. Le halage peut être humain, animal ou mécanique (par tracteurs sur pneus ou sur rails). Totalement disparu en France entre 1965 et 1970.
Les saladiers au Pont de Loire montrent des scènes de halage de trains de bateaux arrivant à proximité de Nevers. Il y a là un cinquantaine de haleurs, tirant sur un filin attaché au haut du mât, le verdon, qui regroupe les bricoles individuelles.
On sait qu’au fur et à mesure que l’on s’éloigne de l’embouchure de la Loire, la force des vents de mer ou galerne diminue ; de plus, le trajet sud-nord du fleuve concourt à l’utilisation réduite de ces vents pour la remontée à la voile. Sur le reste de la Loire, le halage a été localement utilisé et il en persiste des traces. Sur les bords du Cher, en particulier, des chemins de halage sont bien conservés.
Bien plus fréquentes sont les images plus modestes, sur des assiettes de la fin du 18éme siècle et surtout du début du 19éme siècle.
Sur cette assiette du début du 19éme siècle, on voit, sur le rivage, un marinier tirant sans grand effort une barque portant une tente ; elle est poussée à la bourne par un autre marinier.
Une autre assiette de ce modèle est identique, à quelques détails près. La scène est inversée : le bateau, manifestement plus important, a une voile baissée, probablement par manque de vent. Un marinier le pousse à la bourne tandis qu’un autre le tire, attelé à une bricole et relié par le verdon au sommet du mât, vers la droite.
Nota : Verdon : corde de halage. Synonymes : fintrelle, maillette, ancierre.
Autre assiette du début du 19éme siècle. Le haleur a bien plus de mal à tirer le bateau.
Cette autre assiette du début du 19éme siècle est plus intéressante ; elle montre un bateau à la voile baissée, portant un seul marinier, suivi d’une allège avec deux mariniers. Deux haleurs, apparemment des mariniers, tirent les bateaux à partir d’un tertre, vers la gauche. Ces deux haleurs semblent discuter et faire bien peu d’efforts. Il est possible que l’on ait voulu représenter un halage sur canaux.
Nota : Allège : dans l'ancien système de navigation sur la Loire, par trains de chalands à la remonte, quelques bateaux vides fermaient le convoi, les "allèges. Quand un passage délicat, du genre haut-fond, exigeait que l'on allège d'une partie de leur cargaison les chalands, cette cargaison était répartie dans les allèges, puis reprenait sa place à bord des chalands une fois l'obstacle passé.
Plaisanteries et moqueries ne sont pas exceptionnelles sur les faïences. A propos du halage, en voici quelques exemples.
Assiette « René la Bernade 1782 » Musée d’Angers.
Cette assiette, très intéressante, montre dans la partie supérieure un Saint-Maurille (évêque d’Angers) bénissant l’enfant re-né (René) pour le ressusciter. Dans la partie inférieure, un bateau est conduit par deux femmes et mollement halé par deux autres femmes.
À rapprocher de cette assiette, le saladier « le singe d’Amérique », visible au Musée de Sèvres ; c’est une scène de halage par quatre femmes, dont les noms sont notés. Elles tirent un grand bateau typique, avec piautre et voile bien gonflée. Une femme est à la piautre. Malgré le vent favorable, les haleuses sont manifestement à la peine. Le verdon n’est pas relié au sommet du mât mais à un des haubans antérieurs de maintien de ce mât. Un soleil éclaire la scène ; à l’horizon un paysage de végétation, de maisons et un clocher en camaïeu bleu clair. Des mariniers ou des peintres avaient-ils un compte à régler avec les femmes citées ? On ne voit pas ce que le singe signifie.
Nota : Piautre : nom donné au grand gouvernail du chaland de Loire. La piautre est un gouvernail d'origine très ancienne dont l'axe, la "billette", est oblique, incliné vers l'avant. Sous un aspect très rustique, c'est un gouvernail très efficace aux multiples possibilités. Il est réglable en hauteur, profondeur, inclinaison, etc. Il est aussi amovible. Ce type de gouvernail n'est absolument pas spécifique à la Loire, et on le trouve dans tous les pays du monde, et dans des époques très anciennes, comme sur le Nil 2000 ans avant notre ère.
On a vu que le halage sur la Loire posait des problèmes (instabilité des grèves, végétation cachant les chemins de halages surtout), et que les techniques de navigation essayaient de les éviter.
En revanche, sur les canaux, on l’utilisait très souvent, soit avec des mariniers débarqués du bateau, soit avec un cheval ou un mulet. Dans ce dernier cas, une écurie était prévue sur le bateau. Une scène de ce genre est visible sur un pot du Musée d’Auxerre, « l’étonnant 1785 ». D’un côté, un Saint-Nicolas bien classique ressuscitant trois enfants dans un baquet. Puis, faisant le reste du tour du pichet, le halage par un couple de chevaux, d’un bateau qu’on estime d’ordinaire être une cabane de voyageur. Ce bateau aurait été construit localement. Sa structure particulière et, surtout, son gouvernail d’étambot dont qu’il est proche d’une besogne de Seine. On peut penser qu’il a été utilisé pour le transport de voyageurs vers Paris. De plus, image inhabituelle, des poissons nageant dans le courant. Les vêtements portés par les mariniers différent de ceux que l’on a vus jusqu’ici ; mis à part le grand chapeau noir. Le personnage juché sur un cheval porte une culotte.
Nota : Étambot : pièce de charpente maitresse de la poupe d'un bateau qui soutient la mèche du gouvernail, et, par extension, arrière du bateau. Plus maritime que fluvial, ce terme est cependant usité dans la batellerie occitane (sapine, coutrillon, barque de patron...).
On peut rapprocher de ce pichet la gravure d’A. Bonin représentant « le coche d’eau de Roanne sur la Loire au 18éme siècle » (La navigation à Roanne sur la Loire et les canaux, par Paul Bonnaud). Le mât est un peu déporté vers l’avant, et sur la cabane sont entassées diverses marchandises, dont des tonneaux. Là aussi, les hommes ne portent pas un pantalon, mais une culotte.
On peut, par comparaison, signaler le beau plat du musée de Sèvre, daté de 1732 et le saladier récemment acquis par le Musée de la batellerie, de Conflans-Sainte-Honorine, que nous pouvons figurer ci-dessous.
Saladier « Charles Langlois – 1751 » scène de halage par deux attelages de chevaux
à l’avant et à l’arrière d’un bateau de Seine.
Musée de la Batellerie, à Conflans-Sainte-Honorine.
Les deux saladiers, qui ne sont pas de Nevers, montrent tous deux une scène de halage par chevaux sur la Seine.
En raison des méandres de la Seine, qui rendaient impossible l’usage d’un vent quelconque, les bateaux ne portaient pas de voile. La présence d’un mât était nécessaire pour le halage. On notera également le volumineux gouvernail, très différent de la piautre. Nous sommes loin de la Loire et de Nevers.
Source : Les gestes des Mariniers de la Loire, par Guy Badillet
Sur les Faïences de Nevers et Marine de la Loire.
Source pour les définitions : Lexique fluvial et Batelier du site internet : http://projetbabel.org/fluvial/lexique.htm