Orléansville Algérie

Tremblement de terre du 9 Septembre 1954 Orléansville Algérie.

Actuellement : El-Asnam

En quelques secondes, à Orléansville, dans la nuit du 09 septembre, 1500 personnes sont tombées du sommeil dans la mort. Plus de 1200 blessés ont été retrouvées sous les ruines de leurs maisons, détruites par le plus terrible tremblement de terre qu’ait jamais subi l’Algérie. 60.000 sans-abris à 150 km. A la ronde autour d’Orléansville vivent dans campements de fortune, sans gaz, sans électricité, sous la menace des épidémies. C’est Radio Alger qui a donné l’alarme. Aussitôt, les secours se sont organisés. Chaque jour, 2 000 Algériens ont offert leur sang. L’armée, les pompiers, la police et la gendarmerie ont travaillé quarante heures durant à retirer des décombres les blessés et les morts. Un pont aérien s’est établi entre Orléansville et Alger où toutes les quarante minutes, un convoi de blessés était dirigé vers l’hôpital Mustapha. Dans toute la France, en signe de deuil, les drapeaux ont été mis en berne. Commencé en Algérie, le mouvement de solidarité s’est étendu à tout le pays et bientôt au monde entier.

Sources : http://cheliff.org/portail/?q=node/384

Hanoteau le 4/10/54

Nous sommes arrivés dans le Douar de Beni Djerdjine près d’Hanoteau jeudi soir.

Nous avons passé toute la journée de dimanche à visiter Alger. Bien sûr nous avons visité le quartier arabe, très pittoresque à travers des ruelles très étroites, son marché aux puces et des gourbis d’une misère effrayante. L’après-midi un bain merveilleux dans de l’eau qui semblait chaude, épatant.

Lundi matin, coupe de roseaux dans une ferme à 40 kms d’Alger. Une ferme de 500 vaches d’importation vendues à l’intérieur. Elles ne sont bonnes pour le lait que 3 ou 4 ans, nivernaises surtout, pas d’hollandaises.

Les roseaux sont immenses, 4 à 5 mètres ; la tige ressemble à du bambou et est très solide. Les Arabes s’en servent ici pour faire les toits ou des maisons entières, le tout recouvert d’argile. Il y a beaucoup d’argile en Afrique. Par exemple en Afrique le désert un tiers argile, un tiers caillou-rochers et seulement un tiers de sable.

Les roseaux sont coupés avec de grosses serpes et liés en bottes de 25 à 30 tiges, très lourd.

Jeudi nous sommes enfin partis avec un 10 tonnes et sa remorque en ramassant les roseaux coupés par les différentes équipes en passant. Nous avons longé toute la côte jusqu'à Ténés en passant par Cherchell.

D’Alger à Ténès 210 kms. De Ténés à Hanoteau 35 kms. A Ténés les places sont couvertes de tentes de réfugiés et quelques maisons démolies. A partir de 10 kms on arrive au milieu d’immenses collines désertiques et où la plupart des maisons sont entièrement fissurées, les cheminées posées de travers et ici tout est rasé à part une ou deux maisons. La terre n’est qu’une crevasse, pas très profonde, mais un minimum sur chaque axe de terrain.

Nous logeons sous la tente, sur des nattes avec deux couvertures. Nous couchons tout habillés car les nuits sont très fraîches. Nous nous déshabillons en nous levant, le contraire de ce que l’on fait d’habitude et pendant la journée nous construisons des murs en pierres sèches avec de l’argile, après avoir déblayé.

La prochaine lettre je vous détaillerai notre travail.

Vous voyez tout va bien.

Béni-Derdjine le 11 Octobre 1954

Nous devons aller à Beni-Rachid, à l’épicentre, où il y a paraît-il d’énormes crevasses. Entre parenthèses, la terre tremble toujours. Hier dimanche, la terre a tremblé 4 ou 5 fois dont une à 6 h du matin, très forte. Elles ne semblent pas diminuer d’intensité, au contraire. Quand la terre tremble on se demande avec un petit serrement de cœur, jusqu’où ça va aller. De toute façon il n’y a pas à s’étonner après chaque tremblement de terre cela continue pendant 6 mois environ. Il y en a donc encore quelques centaines en perspective.

Excusez mon écriture. Nous n’avons que la terre pour seul siège.

Nous logeons à mi-côte sur une colline, sous des tentes, 4 en tout. Une vingtaine de garçons et filles 17 et 3. Les filles font la cuisine et donnent les soins. Les âges sont entre 20 et 40, quelques uns sont mariés.

La cuisine est faite au gaz butane. La nourriture est bonne et suffisante. Nous mangeons tous assis par terre sous une tente. Pour dormir : tous allongés sur des nattes avec deux ou trois couvertures car les nuits sont très fraîches. Nous nous habillons pour dormir et nous nous déshabillons pour aller travailler. C’est plutôt amusant. Nous nous trouvons à1078 m d’altitude. Ce qui fait que de temps à autre les nuages nous baignent ou sont en dessous de nous, climat très continental.

La saison des pluies a commencée. Mais malgré tout nous voyons toujours le soleil, nous voyons les montagnes jusqu'à 50, 70 kms d’ici. La vue est très agréable et les nuages se découpent sur les collines avec des zones éclairées. C’est très gai. Tout ce qui nous environne est un véritable cours de géographie, surtout au sujet de l’environ qui est très visible.

Et puis mon Dieu, nous travaillons même beaucoup. Lever à 6 h. A 6 h.30 à l’assaut des collines pour rejoindre les maisons où nous travaillons. 300- 400 mètres à monter c’est dur, et la bataille contre les chiens des Douars à coups de pierre… Au début ne faisant pas attention, je me suis fait mordre deux fois aux jambes (légères morsures) enfin montée épique. Ensuite pelles et pioches, déblaiement très pénible dans une poussière monstre et une chaleur étouffante, mes mains ne sont que cloques et crevasses. Nous avons tous des pansements de tous les côtés. En plus le climat est épuisant. A 11 h 30 arrêt jusqu'à 14 h 30 pour éviter la grosse chaleur. Corvée d’eau 30 minutes de marche à travers les cailloux, les oueds. Après-midi reprise, arrêt à 17 h 30, dîner à 18 h 30. Coucher, épuisés à 20 h, 20 h 30.

Mais nous sommes tous très gais, cette fatigue est très bonne, jamais je n’ai autant ri. La vie est très agréable. Ici nous vivons vraiment comme les gens du pays. Nous ne désirons rien, nous sommes dans l’inconfort total, mais nous palabrons des heures le soir. On s’adapte très bien au pays, et on commence à comprendre la mentalité.

Berni Derdjine le 17-10-54

Je ne dois pas vous l’avoir dit, je travaille toute la journée avec un australien, ce qui fait que j’apprends l’anglais, je commence à bien me débrouiller.

A parler toute la journée avec un anglais on apprend vite, ce qui pourrait être fort utile.

J’ai reçu de très bonnes nouvelles des Bourdonnais (32 rue des Bourdonnais, siège des bureaux d’Emmaüs). Je vous donne in texto un passage d’Anny, une des secrétaires de l’Abbé Pierre.

Le Père a indiqué dans son bulletin de liaison : « L’horrible et terrifiante destruction d’Orléansville vient affreusement aggraver ce malheur. Nous devons de toutes nos forces nous mobiliser. 250.000 francs ont été envoyés par Emmaüs et 3 hommes de chez nous se sont engagés à notre initiative dans une équipe du Service Civil International, ils sont au travail à l’heure présente dans un Douar là-bas etc… »…

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Beni Derdjine le 27-10-54.

Ici tout va toujours très bien. Nous sommes 49 en tout, c’est moins sympathique, mais cela va quand même.

Demain le camp est divisé en trois parties. Je reste ici sauf contre-ordre.

Le beau temps est encore une fois revenu. Les dernières pluies ont fait de très gros dégâts parmi les tentes à Orléansville, il y avait jusqu'à 1m 50 d’eau par place. Huit morts, dit-on, des enfants...

Le travail continue. Toujours rien de neuf.

Beni Derdjine le 30-10-54.

Un petit mot très court pour vous dire que tout va bien.

Nous ne pouvons écrire que le midi après le travail, les lampes étant trop mauvaises et aussi trop fatigués le soir.

Ne vous effrayez pas pour la pluie. Si elles sont fortes, une journée après il n’y paraît presque plus. Les conditions de vie ne sont pas tellement terribles et j’y suis tellement habitué que je n’y pense pour ainsi dire pas.

Beni Derdjine le 5-11-54

La terre tremble toujours, mais ce n’est presque plus sensible, cependant les prophètes du pays nous prédisent un tremblement magnifique pour lundi jour de la naissance du Prophète…

Pas mal de nouveau ici.

Tout allait parfaitement avec l’administration. Puisque le Gouvernement jouait la main tendue avec les arabes, nous les servions et ils nous rendaient le même service, mais depuis la Toussaint, tout a changé et les difficultés vont en croissant chaque jour…

Mardi en lisant un journal nous apprenons le chambard et l’on décide immédiatement de ne sortir qu’a plusieurs. Une des jeunes filles devant redescendre dans la nuit à Hanoteau, le ROUDJA secrétaire du village la fait accompagner par son fils Ali et un ouvrier. En remontant deux français sautent sur l’ouvrier et le rouent de coups de bâton. Plainte le lendemain. La police nous était favorable, mais jeudi revirement version police : « l’arabe a attaqué cinq européens à coups de bâton », et ici les européens ont toujours raison, et la police nous incrimine avec cette jeune fille, disent qu’ils ne peuvent assurer notre protection, deviennent arrogants, insultent les arabes qui travaillent avec nous, vérifications d’identité, enfin cherchent à nous faire partir… Ils nous ont donné ordre de nous rassembler à 5 h 30 ce soir pour nous dire quelque chose, j’ai bien peur. Je reprends ma lettre aussitôt leur passage.

5 h 30. L’ordre d’expulsion est donné pour mardi matin 7 h.

Que faisons-nous je l’ignore. Nous pouvons donc rentrer très rapidement. Je vous tiendrais au courant.

Berni Derdjine le 16-11-54.

Mes chers Parents

Il me semble qu’avec les fêtes le courrier a été largement retardé et avez donc su avec quatre ou cinq jours de retard.

Je continue la narration des faits. Le deuxième départ a eu lieu vendredi dernier (10 ou 12) volontaires qui en grosse partie avaient été coupés des roseaux à Ténés. Nous restons à 5 au camp de Hanoteau pour liquider le matériel.

Nous le faisons sans trop nous presser c.a.d que nous n’avons encore rien rendu. Quatre autres coupent encore des roseaux dans la région de Ténés. Deux de ceux-ci sont arrivés à Alger il y a une semaine. Leurs départs de Suisse et Amérique avaient eu lieu avant notre expulsion. La branche algérienne du S.C.I ne pouvait guère les renvoyer. On a simplement évité leur passage ici. Ils doivent terminer la coupe des roseaux aujourd’hui.

Hier après-midi, un nouveau est encore arrivé directement ici. Il est venu d’Amsterdam par auto stop. Cela a duré une semaine. Ne connaissant le siège à Alger, il n’a rien su, grosse surprise à son arrivée de part et d’autre.

Donc maintenant nous sommes 6 plus les 4 de Ténés. Demain ou après demain le responsable part dans la région par auto-stop pour savoir si nous pouvons faire quelque chose. Si oui, le 15 Décembre au plus tard nous sommes à Paris. Sinon nous descendons dans le sud pendant 15 jours à 500 où 1000 kilomètres par auto stop.

Ce serait très intéressant, nous sommes très mordus depuis le début d’ailleurs par cette idée. En effet ce qui est amusant c’est que sur les 10, 5 sont les plus anciens du chantier.

En attendant nous terminerons très probablement la semaine ici. Nous en profitons pour nous reposer et reprendre un peu du poil de la bête.

L’état sanitaire du camp a été très mauvais, beaucoup de cas graves du paludisme et de dysenterie, presque tous ont été malades, enfin pas loin de 60/100. Je suis très bien passé au travers ayant l’habitude de ces conditions de vie depuis bientôt 10 mois.

Je reviens du marché, nous y avons acheté de la chèvre, évidemment nous avons dit à tous que c’était du mouton, c’était le moment ou jamais, on verra bien si c’est bon…

A part cela je ne vois plus grand-chose à dire. Ce qui pourrait hâter mon retour serait la réponse d’Emmaüs.

Cette nuit nous avons ressenti la plus forte secousse depuis le tremblement, exactement comme si on avait pris mon lit et secoué violemment pendant 20 secondes à minuit quinze. Curieux effet. Pas de dégâts.

Alger le 22-11-54

Je suis actuellement de retour à Alger.

Samedi je suis revenu ici en convoyant avec un camarade un wagon de matériel, ce qui fait faire une bonne ballade.

Pour le moment repos, entrecoupé de travail, enfin pas grave.

Nous allons ouvrir un autre chantier à Oued Foldo entre Ponteba et Affreville sur la route d’Orléansville Alger.

De l’autre côté nous pouvons ouvrir un chantier dans un bidonville sur la ceinture d’Alger.

Nous avons donc gagné la bataille.

D’un autre côté je voudrais bien retourner en France. Je ne m’ennuie pas mais j’ai la nostalgie de la bonne cuisine de la maison. La pelle et la pioche c’est monotone à la longue.

Emmaüs n’a pas l’air de vouloir me laisser repartir. Si je n’ai pas d’instructions précises je remonte dans trois semaines. Là-haut il y a du travail autrement intéressant à faire.

Le courrier est effectivement très long. Ils nous prenaient pour un groupe d’agitateurs communistes et tout notre courrier arrivé et départ était ouvert.

Pas de nouvelles du Père Heine. J’en suis désolé. Il a trop de travail, je le comprends. Je vous envoie d’autres timbres qui viennent de paraître et j’ai enfin un timbre de 15 FR intéressant pour les lettres. Parfait. Le soleil brille et le ciel est bleu. A Alger il fait bon. Tout est parfait.