Disparition de l’abbé Pierre

Article paru dans le journal de Gien le 25 janvier 2007.

Auteur Martial Poncet.

Disparition de l’abbé Pierre

Un proche de Neuvy sur Loire se souvient.

En Février 1954, Patrice Chevallier avait été l’un des premiers à répondre à l’appel de celui qui avait fait de l’exclusion le combat de sa vie. Il évoque cette aventure humaine extraordinaire à laquelle il a participé plusieurs années.

C’est une de ces disparitions qui laisse tout un pays orphelin. La mort de l’abbé Pierre, lundi à l’aube d’une journée d’hiver plus par le calendrier que par la température sans rapport avec celui de 1954 si froid, a légitimement provoqué une émotion unanime.

Le combat qu’il menait depuis l’après-guerre en faveur des plus démunis, et particulièrement des personnes sans logement en avait fait un symbole universel. Que de dévouement et de générosité n’a-t-il pas suscité autour de lui pour venir en aide à ceux qui n’avait plus rien et qu’il voulait aider pour qu’ils repartent confiants en eux-mêmes et dans la vie.

La mort de l’abbé réveille les souvenirs de ceux qui ont participé à ses croisades, comme Patrice Chevallier, aujourd’hui retiré à Neuvy sur Loire. Le 2 février 1954, au lendemain de l’appel sur les ondes de Radio Luxembourg, il rejoint l’abbé Pierre pour lui apporter son aide. Sans le savoir, il vient d’entrer dans une aventure où il connaîtra le meilleur et le pire de l’homme. Mais, dit-il, « c’était une aventure fabuleuse ; c’était fantastique d’être au milieu de ces gens-là ».

Une réponse à l’appel de l’abbé.

Originaire de l’Aisne, Patrice Chevallier avait 24 ans en 1954, il se trouvait à paris où il subsistait de petits boulots. Le 2 février 1954, au cœur d’un hiver particulièrement rigoureux au point « que la seine était gelée et que la Loire l’a été durant un mois », il décide de répondre à l’appel de l’abbé Pierre. Il se rend à Neuilly-Plaisance où se trouve le siège d’Emmaüs, fondé en 1949 par le prête. Il y est accueilli pas sa secrétaire, Lucie Coutaz qui l’envoie à l’Hôtel Rochester dont une partie a été mise à la disposition de l’abbé par la propriétaire. « Il n’y avait pas beaucoup de monde quand je suis arrivé. On m’a demandé ce que je voulais. J’ai répondu que je venais travailler. On m’a répondu qu’il fallait s’occuper du logement des sans-abri et qu’il fallait créer un serviceI » raconte en substance Patrice Chevallier.

Le jeune homme s’installe dans une pièce où il est rejoint pas une jeune fille, Annie Cornu, sensible comme lui au message de l’abbé Pierre. Ensemble ils vont créer le service logement d’Emmaüs, gérant les offres et les demandes.

« D’un seul coup, tout s’est amplifié », se souvient-il. Beaucoup de gens avaient des chambres de bonnes qui servaient de débarras. Ils les ont vidées pour accueillir des personnes qui n’avaient plus de toit. La tâche est immense. Patrice Chevallier, qui n’avait que les vêtements qu’il portait sur lui pour tous bagage, dormait dans la baignoire. Au bout de quelques temps, le servie est pris en main par des polytechniciens et l’abbé Pierre confie une autre tâche à Patrice Chevallier.

La création du camp de Noisy-le-Grand.

Il avait acheté un terrain à Noisy-le-Grand et avait décidé d’en faire un camp. « Tu pars demain avec dix gars, tu vas défricher le terrain et je t’envoie les familles » lui dit l’abbé Pierre.

L’équipe est démunie de tout, mais grâce à la générosité des gens, ils vont recevoir des outils, des matériaux, de la nourriture, et de l’argent. « Il suffisait de dire « je suis de l’abbé Pierre » et tout le monde donnait. Les mots « abbé pierre » étaient magiques… une famille aisée nous faisait un chèque de 5000 FF toutes les semaines » se rappelle Patrice Chevallier.

Le terrain est rapidement défriché et nettoyé. « On devait gagner notre vie » dit-il, et dans la tradition des chiffonniers d’Emmaüs, les ordures (pain, cuir, ferraille, papier, chiffons) sont triées. Le groupe construit une cabane pour y manger mais dans les premiers temps tous dorment à labelle étoile. Des particuliers, puis l’armée, ont apporté des tentes pour loger les familles. Un peu plus tard, des préfabriqués de type « igloos » en raison de leurs forme arrondie, ont pu être installé grâce à un don de Charlie Chaplin.

Chef de camp, Patrice Chevallier dirige soixante personnes et dix fois plus hommes, femmes, enfants, sont hébergés à Noisy-le-Grand. Son expérience acquise à l’armée le sert. Il exige que les tentes soient rangées et nettoyées tous les matins à 9 heures. Les scouts et les frères des écoles chrétiennes viennent animer le camp où l’abbé Pierre se rend régulièrement.

Entre violence et générosité.

« C’était une époque d’intense générosité mais aussi d’une violence exceptionnelle » commente Patrice Chevallier. C’est en larme qu’il évoque les souvenirs les plus durs enfouis dans sa mémoire. Les bagarres nocturnes, souvent à coup de couteaux, parce que les gars ont trop bu et qu’ils veulent l’argent ou les cigarettes, souvent fabriquées avec des mégots récupérés par Annie Cornu à l’Hôtel Rochester. Une violence incroyable et un désespoir humain indescriptible. Il se souvient aussi de ce soldat Lituanien, ancien soldat de l’armée allemande. Il hurlait la nuit s’apaisant à peine lorsque Patrice Chevallier lui prenait la main et l’écoutait raconter les horreur de sa guerre.

Pourtant le matin, tout était en ordre. « Les hommes et les femmes repartaient au travail. Elles avaient des chaussures à talon plats mais elles emportaient leurs chaussures à talons hauts dans un sac avec elles ». Pauvre, peut-être, mais soucieuses de vivre au moins un peu.

« Le matin, nous distribuons du lait. Une femme qui avait deux enfants venait chercher et prenait également la part de sa voisine. Un jour, j’apprends qu’un bébé est mort dans la nuit. J’interroge la mère en lui demandant comment son enfant a pu mourir de faim. Elle n’avait jamais eu le lait que l’autre femme devait lui donner… et que j’ai chassé. Elle est partie toute seule sur la route avec ses enfants. J’ai veillé le bébé mort toute la nuit. J’étais tout seul. Après j’ai fait un trou et je l’ai enterré dans le bois… »

Les excès de la misère.

Au bout de quelques mois, l’abbé Pierre sollicite Patrice Chevallier pour une autre mission. L’Algérie a été frappée par un tremblement de terre près d’Orléans ville. Il l’envoie là-bas « pour aider au déblaiement et à la reconstruction. A mon retour, il m’a demandé ce que l’on pouvait faire pour ces gens-là. Je lui ai dit qu’ils ne savaient pas lire et écrire. Il m’a demandé de trouver un local et de donner des cours ». Une vingtaine de volontaires vont ainsi apprendre le français, à lire et écrire à quelques trente arabes, que des hommes à l’époque.

Il y a aussi cet épisode de la gare d’Orsay, que l’abbé Pierre avait obtenue pour stocker tout ce que les gens donnaient. Autant dire que cela excitait quelques convoitises. Ce centre était placé sous la responsabilité de Mme Isormi, épouse du célèbre avocat, en butte à quelques personnages douteux. Patrice Chevallier se rend sur place et demande au chef de la bande de décamper définitivement. Celui-ci sort… une grenade et la pose sur la table en exigeant le départ des responsables d’Emmaüs sous peine de faire sauter tout le monde. Mais Patrice Chevallier s’est aperçu que la grenade n’était pas dégoupillée. Il la neutralise et ses compagnons se saisissent du truand qui est battu et jetée par une fenêtre sans plus de façon.

Par la suite, Patrice Chevallier s’occupera de la revue « Faim et Soif ». C’est en faisant la promotion de cette revue qu’il rencontre sa future épouse. Au début des années soixante il s’installe comme agriculteur près de Cosne sur Loire avant de s’établir à Neuvy-sur-Loire, village d’origine de Marie-Noëlle Fougerat.

Et pendant tout ce temps, il ne renoncera jamais à tendre la main à son prochain, comme il avait appris de l’abbé Pierre.

Martial Poncet