11 - Renée Normand

Renée Normand, en cet été 1944, travaillait en tant que préparatrice à la pharmacie de Neuvy chez Mademoiselle Séguinot. Elle avait 26 ans à l'époque. L'officine de pharmacie était dans une vieille maison du Xlll ème siècle qui se trouvait face à l'entrée de la rue des Vignerons, sur la RN 7. Il était onze heures ce matin du 17 juillet lorsque Renée entendit le bruit d'avions relativement nombreux qui survolaient Neuvy. Elle, comme d'autres à Neuvy, était habituée à ces passages qui allaient, leur disait-on, bombarder le nord de l'Italie.

Par curiosité, elle regarde par la fenêtre donnant vers la Grande Montagne et vit, brillant dans le ciel, des «objets » tomber de dessous les avions. Le temps qu'elle réalise, les «objets bombes » arrivaient au sol et explosaient d'abord à la patte d'oie de la route d'Annay. Les bombes se succédèrent dans un vacarme d'enfer, détruisant le boulevard de la Mairie. Renée était figée et voyait monter cet impressionnant nuage de poussière. Dans la pharmacie, tout tremblait, notamment ces bocaux traditionnels qui occupaient les étagères. Un certain nombre allèrent au sol, se brisant en provoquant un mélange de liquides parfois peu compatibles entre eux. Mademoiselle Séguinot était dans l'officine avec des clients qui étaient venu chercher des médicaments. Le temps que Renée et les autres personnes comprennent que c'était un bombardement et qu'il serait peut-être intelligent de descendre à la cave, les avions étaient arrivés à la Loire et la catastrophe réalisée...

Elles sortirent dans la rue et virent les gens courant et se précipitant vers les premières maisons du Boulevard. En même temps, arrivaient des personnes légèrement blessées, venant à la pharmacie pour recevoir les premiers soins. Renée et sa patronne comprirent qu'elles allaient avoir de l'occupation. Commençant à panser les premiers blessés, elles demandèrent aux gens présents, de les aider à ramasser les bocaux et récipients et nettoyer le local afin de pouvoir recevoir les futurs blessés car elles savaient que d'autres arriveraient. En effet, des blessés graves furent amenés sur des brancards improvisés, des volets ou portes prélevés dans les décombres... Ce n'était pas pratique pour les hommes qui portaient mais ils n'avaient que cela...

Les deux femmes faisaient de leur mieux pour secourir et aider, mais il y avait des blessures trop graves. L'équipe de secouristes de la Croix-Rouge de Cosne, présidée par Henri Seguin, pharmacien aussi, était prévenue et allait venir le plus vite possible. En attendant elles faisaient le plus qu’elles pouvaient avec douceur et gentillesse... Mais une bonne surprise, un soldat allemand arrivait pour les aider ! Il appartenait au groupe d'escorte du train de matériels et munitions qui était en gare de Neuvy. Cet homme venait se mettre au service pour soigner et aider... Renée ne se souvient pas s'il parlait le français, s'il avait des galons, s'il était médecin ou infirmier mais il était très efficace. Un autre groupe de soldats allemands était accouru aussi vers la Halle pour aider. Raymond Thomas se souvient de leur efficacité pour faire le mieux possible. Peu après le médecin de Neuvy, le docteur Férial arrivait pour donner les premiers secours. Il était sale, très poussiéreux et même avec du sang sur lui, car au moment du bombardement il était en visite chez un malade dans la rue du Port, dans une maison secouée mais pas effondrée.

Soudain, vers midi trente, des vrombissements d'avions très bas, au ras des toits. La terreur s'empara de tous, créant un affolement général. C'est l'Allemand qui les rassura en leur faisant comprendre que ces avions étaient des chasseurs et qu'ils venaient s'attaquer au train en gare. Ce disant, il remit son casque et les quitta en s'excusant de partir. Il retournait à la gare où il devinait qu'il allait avoir des camarades à soigner ... Ceux de la Halle le rejoignirent et on ne sut jamais ce qu'ils devinrent. Il est à penser que leur initiative humaniste de venir donner des soins aux victimes, leur sauva la vie, puisque de ce fait ils n'étaient pas à la gare durant le mitraillage du train ... Mais après que sont-ils devenus eux aussi ?

Tout l'après-midi, Renée, Mademoiselle Séguinot et le docteur Férial, s'activèrent à panser, aidés par les secouristes qui étaient arrivés avec deux véhicules pour permettre de convoyer les blessés graves à l'hôpital de Cosne. Les jours suivants le travail ne manqua pas...

Le 2 août, Renée était à servir un client lorsque les bombardiers venant de l'ouest firent entendre leur bruit bien particulier... Les gens des Neuvy étaient à nouveau terrorisés, s'attendant au pire... Alors dans un réflexe compréhensible, toutes les personnes présentes à la pharmacie où devant celle-ci, se précipitèrent dans la cave sous l'officine. Elle était relativement grande et voûtée, elle inspirait confiance et de ce fait, elle fut pleine en une minute. Même Mademoiselle Séguinot se trouvait avec deux ou trois autres personnes dans l'entrée de la cave, sur les marches, ne pouvant descendre plus bas faute de place.

Les premières bombes explosaient au Port et quelques secondes après, tout un chapelet tombait sur les maisons à côté de la pharmacie, où est située la place de la Mairie d'aujourd'hui. Quelques bombes tombaient dans le bief de la Vrille, au moulin Pisot -Terrat. Ainsi la pharmacie était encadrée cependant elle restait debout, mais à l'intérieur il y avait beaucoup de dégâts. Dans la cave, Renée et tous ceux qui étaient venus s'y abriter, croyaient bien leur dernière heure arrivée ! Les uns criaient, pleuraient, les autres priaient ... Puis les explosions semblèrent s'éloigner sur la rue des Vignerons... Comme le 17 juillet, un calme tout relatif était revenu. Seul, un énorme nuage de poussière à l'odeur de plâtras obscurcissait cette partie du bourg. Les réfugiés de la cave sortirent, hébétés en essayant de distinguer les restes du village à travers le brouillard épais. Toutes les maisons à côté de la pharmacie n'étaient que ruines et les habitant de celles-ci, qu'étaient-ils devenus ?

Le bief et les deux ponts sur la Vrille étaient intacts. Pierre Tulard, qui n'avait pas voulu se mettre à l'abri dans la cave mais voulait rentrer chez lui, trouva la mort à deux pas de l'officine. Dans la rue des Vignerons, il y avait un grand nombre de maisons détruites dont celle où logeait Renée. Presque tous les 82 tués se trouvaient soit dans la rue des Vignerons soit dans les parages de celle-ci. Les autorités décidèrent que tous les survivants de Neuvy devaient se réfugier dans les environs, personne ne devant rester dans le village. Renée trouva refuge au village des Thébondons d'Annay. La pharmacie Séguinot, ravagée, fut fermée.

Pharmacie Séguinot Actuellement Café de la Terrasse

sur la Place de la Mairie actuelle

Tous les habitants de Neuvy étaient touchés psychologiquement, on s'en doute et ne revenaient plus dans ce malheureux bourg. Cependant, puisque son logement n'était pas complètement écroulé, Renée décida le 7 août d'y revenir pour tenter de récupérer quelques effets et objets de valeur sentimentale. Son frère, agriculteur à Bohème, hameau de Cosne, devait venir l'aider avec le cheval et le tombereau. Il était près de 14 heures et Renée cherchait dans les décombres de son logement quand soudain, encore ce bruit de bombardiers Presque aussitôt des explosions se firent entendre vers la Loire, puis plus proche.

Les bombes tombèrent sur les ruines de la RN 7, du pont ferroviaire, vers la gare en tuant encore cinq ouvriers venus travailler aux déblaiements.

Renée, terrorisée, se fit toute petite dans ses ruines, se maudissant d'être revenue justement ce jour-là. De son côté, son frère arrivait au hameau des Pelus quand les premières bombes tombèrent. Le cheval effrayé, bondit et échappa au contrôle de son charretier ; celui-ci sauta du tombereau et courut plonger dans un fossé. Il avait fait la campagne de mai 1940 et gardait un mauvais souvenir des bombes allemandes... Le cheval emballé et son tombereau fut arrêté et calmé par les habitants du hameau.

Récit de Renée Normand habitant le haut de la rue des Vignerons. 26 ans en 1944