10 - Michel Guillot

Ces avions qui brillaient comme des étoiles. Le soleil les faisait resplendir dans le ciel bleu. C'était beau, se souvient Michel qui ayant entendu le ronronnement sourd bien connu, les regardait, là-haut à 4000 mètres. Ce lundi 17 juillet, à 11 heures, c'étaient les vacances et il jouait avec son camarade Guy Lanoue, le fils du boulanger voisin. Dans l'arrière-cour de la boutique de bourrellerie-sellerie de son père, à l'angle de la RN7 et de la rue des Vignerons. Les deux gamins de 8-9 ans, avaient installé deux cordes suspendues à une poutre et une barre de bois, faisant un trapèze pour gymnaste de cirque. Pour être plus souples et libres, ils avaient enlevé leurs chaussures.

Admirant, le nez en l'air, ils virent soudain descendre des avions, des points brillants. Ils n'avaient pas encore compris, qu'ils ressentaient sur le visage, comme du sable jeté. En même temps, un bruit infernal, un roulement d'explosions de vingt trains qui se rentrent dedans! Effrayant! Puis cette odeur de poussière et un nuage immense s'étendant sur Neuvy. Ils étaient à environ 200 mètres du carrefour du boulevard et de la route d'Annay, lieu où sont tombées les premières bombes. (A partir de ce moment-là, Michel ne se souvient pas bien, pas clairement de la suite). « Je n'avais pas 8 ans, dit-il. Je crois que nous sommes rentrés en courant dans la maison. Mes parents devaient être là, et mes deux frères, Jean et Roger aussi. Les portes et fenêtres, plusieurs ouvertes car il faisait beau, claquaient, les vitres éclataient, des objets tombaient des buffets et tables, les tuiles des toits s'envolaient.... C'était effrayant. Je ne sais plus si nous nous sommes jetés à plat ventre ! Nous nous sommes serrés les uns contre les autres dans un coin de la pièce comme des volailles apeurées. Mon père avait un peu la connaissance de ce genre de «phénomène ». Il était de la classe de 1917 et avait fait suffisamment la guerre pour savoir. Il avait été remobilisé en 1939 dans les territoriaux et en juin 1940 avait réussi à s'échapper pour ne pas être prisonnier. Il était donc là. »

Combien de temps, sont-ils restés affalés, se demandant si la maison n'allait pas s'écrouler sur eux ? Quand le calme fut revenu, rassurés que les avions étaient bien partis, les Guillot comme les autres regardèrent dans la rue... Un brouillard de poussière flottait avec une odeur très particulière. Ça prenait dans le nez et la gorge. En regardant vers le boulevard, de l'autre côté de la Vrille, le «spectacle » n'était pas beau. Un nuage s'élevait au-dessus de la RN 7, d'une telle densité qu'ils comprirent que dessous il y avait une catastrophe ! Michel pense qu'il fallut bien un quart d'heure pour le voir se dissiper et permettre de constater l'étendue du désastre ! Les gens sortaient des maisons dans un affolement bien compréhensible. Des cris et des appels. Ce dont Michel se souvient, c'est qu'il sortit de la maison et se mit à courir parmi les voisins. Sa mère affolée finit par le retrouver sous une table dans la graineterie de Monsieur Buron, juste en face de chez eux. Pourquoi le gamin était parti dans cette maison ? Sa mère lui expliqua alors d'aller chez la Grand-mère Bedu qui habitait sur la route d'Annay, la première maison après le virage.

« Mes deux frères, Jean et Roger, (plus grands que moi) étaient partis je ne sais où, pour aider à secourir les blessés et apporter de l'aide où il y en avait besoin, c'est à dire, partout ». Dans sa mémoire reste la vision du boulevard de la Mairie, en ruines fumantes… Tous les gens qui couraient, essayant de porter secours aux personnes enfouies dans les maisons détruites. Arrivé chez la Grand'mère, celle-ci décida de s'éloigner de Neuvy et de partir avec l'enfant, à Gardefort dans la ferme de l'oncle Drap. Ce fut encore la terreur peu après leur arrivée quand des vrombissements se firent entendre à nouveau... Des avions de chasse venaient pour mitrailler le train allemand dans la gare de Neuvy en faisant un bruit infernal, terrifiant enfants et adultes pas encore remis du cataclysme subi auparavant. C'était comme la fin du monde. Mais ils étaient là, sur la butte, à un joli poste d'observation et ils n'en avaient pas conscience... Ce ballet de « Typhoons » virevoltant comme des gros frelons au-dessus d'eux, dura une trentaine de minutes, peut-être ? Quand ce fut fini, les habitants sortirent à nouveau de leur «cachette» et repartirent déblayer et secourir les malheureux...

Michel qui ne pouvait aider, resta un peu à Gardefort, puis retourna avec ses parents dans leur maison au centre de Neuvy.

Le jeudi suivant, c'étaient les obsèques des 42 pauvres morts du 17 juillet.

Au deuxième bombardement, la maison Guillot resta debout mais les voisins d'en face ont beaucoup trinqué...

Récit de Michel Guillot fils de bourrelier à l'angle de la RN7 et de la rue des Vignerons