13 - Robert Guillot

Robert avait huit ans en cet été de 1944. Ses parents exploitaient une petite ferme, à la sortie de Neuvy, sur la route menant au Coudray en passant devant le cimetière. Ils possédaient cinq ou six vaches et deux chevaux.

Robert avait deux sœurs : Ginette 13 ans et Lucienne 7 ans.

La maison, la grange, l'étable et l'écurie étaient situées sur le côté droit en sortant du bourg. En face, c'étaient prés et pâtures, descendant vers la Vrille à 200 mètres. Cependant, avant la rivière, un grand fossé ou petit canal, drainait les eaux de la pente du Coudray vers le bief qu'utilisait l'usine Fougerat.

Lors du premier bombardement du 17 juillet, il croit se rappeler qu'il était dans les champs avec son père. C'était l'époque de la moisson et les vacances. Mais il n'a pas conservé dans sa mémoire, le bruit, le fracas des explosions, la vision de ces 36 «Libérator» déversant leurs six bombes de 500 kg. Certes, il se souvient que son père avec son cheval et son tombereau partit au secours et au déblaiement.

Par contre, ce qu'il a dans les yeux, c'est le défilé long et triste passant devant sa maison:

Neuvy menant au cimetière ses 42 morts...

Le 2 août après-midi, ce fut le deuxième bombardement. Robert était à la pêche. Comme un gamin, il s'amusait avec une ligne rudimentaire à attraper des grenouilles dans ce petit canal près du pré devant chez lui. Comme il ne se souvient pas où étaient ses parents peut-être en moisson chez Migeon à Chantereine avec qui ils faisaient équipe, notamment pour rassembler trois chevaux et faire marcher la moissonneuse-lieuse, c'était Ginette, la soeur aînée qui gardait et surveillait la maison, Robert et Lucienne.

Il était cinq heures moins le quart lorsque Robert entendit vers le nord-ouest le « ronronnement » lourd des bombardiers et en même temps le cri lancé par Ginette « Robert, remonte vite, les avions, les avions ils reviennent, vite ! vite ! » Ginette plus âgée comprit plus vite. Elle vit et entendit les premières explosions sur Neuvy, côté Bonny.

Robert ne se souvient pas s'il remporta la gaule et son seau, mais il remonta le pré très vite. Il arriva sur la route où Ginette, Lucienne et leur voisin Clément Margot, homme d'environ 50 ans, l'attendaient. Les premières bombes tombèrent vers la Petite Montagne et l'usine Fougerat, quand Clément eut l'idée d'entraîner les trois enfants, logiquement pensant s'éloigner du point de chute des bombes, par le sentier du jardin menant vers les champs. Ceux-ci étaient moissonnés et les gerbes étaient mises en moyettes.

Le souffle des bombes explosant à 300 mètres se faisait sentir jusqu'à eux. Un détail, en dehors de tout ce qui était projeté dans les airs, cailloux, tuiles, ardoises, branches d'arbres etc. qui revient à Robert, c'est lorsqu'il franchit le dernier la barrière en bois du sentier, celle-ci lui revint brutalement dans le dos. Arrivé aux premières moyettes, Clément Margot comprit qu'il n'était plus question de courir, mais de se coller au sol. Il eut alors l'excellent réflexe de faire blottir - c'est le mot qui convient- les trois enfants contre une moyette et de prendre le temps (en faisant vite) d'apporter les gerbes d'une moyette proche pour les recouvrir. Il semble que Clément fut rapide pour s'allonger sur le sol, à côté des trois terrorisés ! Cela Robert et ses sœurs ne le virent pas, cachés dans les gerbes. Il était temps, car les bombes pleuvaient sur le pré où Robert pêchait auparavant. Les toits des maisons Guillot et Margot furent soufflés; même les murs bougèrent (effet de bombes très proches) mais il n'en tomba pas directement sur leur maison. Dans la terre tendre de la vallée de la Vrille, certains de ces terribles engins à semer la mort, s'enfoncèrent à plusieurs mètres et de ce fait, provoquant des cratères de 10 à 18 mètres de diamètre. Robert entendit cela de la bouche de son père.

Combien de temps dura cette «distribution» ? En réalité un temps court... Peut-être trois ou quatre minutes. Volant entre 3500 et 4000 mètres à la vitesse de 380 à 400 Km/heure, les « 34 B24 Libérator » allant par vagues de trois, ce furent donc six bombes qui se déversèrent presque au même endroit, c'est à dire, là, devant la ferme Guillot, dans le pré. Le gros des bombes tomba sur l'espace entre le bourg avec son église et la ferme des Guillot. L'usine Fougerat était sur le parcours, elle fut fortement endommagée, ce qui accrédita la rumeur imbécile.

Lorsque les explosions eurent cessé, que le bruit des avions s'éloigna, Clément Margot enleva les gerbes et fit relever les trois enfants tremblants, on s'en doute. Les gerbes avaient été un bon matelas protecteur contre les éclats et la variété d'objets devenus des projectiles. Sous les yeux des quatre rescapés, un nuage énorme de fumée, de poussière de terre sèche et poussière des greniers des maisons détruites. L'air était irrespirable et avait une odeur indéfinissable. Réalisant que la catastrophe était arrivée, notamment sur la rue des Vignerons, Clément Margot décida d'emmener les trois jeunes Guillot chez Joseph et Yvonne Pérot à la ferme du Coudray, distante de quelque cinq cents mètres, à travers champs.

Récit de Robert Guillot 8 ans en 1944

Les Guillot habitaient la dernière ferme sur la droite avant le cimetière.

Maison Bateau – Tolu Rue des Vignerons