Les Etrennes Giennoise de 1847

Il n’y a pas si longtemps, les crues de la Loire étaient particulièrement redoutées pour leurs effets dévastateurs.

De nombreux ouvrages ont été construits sur le cours du fleuve qui ont sans doute contribué à en régulariser le débit mais les spécialistes de l’hydrographie ne sont pas en mesure d’affirmer avec certitude que tout danger est définitivement écarté et que les riverains sont désormais à l’abri d’un désastre comme celui qui a ravagé la vallée de la Loire en octobre 1846 de Roanne à Nantes.

L’almanach « Les Etrennes Giennoise » de 1847 décrit d’une manière saisissante ce que furent ces journées d’épouvante de Bonny à Saint Benoît. Voici ce témoignage.

« Il y a dans les annales des peuples, de grandes catastrophes, résultat des cataclysmes qui se produisent à la surface du globe. Tantôt, ce sont des tremblements de terre qui détruisent une ville de fond en comble, bouleversants toute une contré ; tantôt des fleuves qui débordent, renversant tout sur leur passage et plongent dans la consternation la plus profonde les populations riveraines.

L’année 1846 ne sera pas la moins célèbre en évènement de ce genre. Il y a eu des trombes d’air qui, en s'abattant sur un pays, y ont porté la désolation et la mort ; et il y a eu surtout l’inondation du Val de la Loire.

Depuis Roanne jusqu’à Nantes, toutes les villes, toutes les populations situées sur les bords du fleuve, ont été atteintes par le fléau de la manière la plus cruelle. L’arrondissement n’est pas un de ceux qui ont le moins souffert, parmi ceux qui ont eu le plus à se plaindre des désastres causés par cette crue qui, de mémoire d’homme, ne s’était élevée à une hauteur si prodigieuse.

Depuis Bonny jusqu’à Saint Benoît, dans ce parcours de prés de quinze lieues, la Loire s’est répandue dans le Val d’une manière effrayante : dans sa fureur, le fleuve a emporté le pont suspendu de Châtillon sur Loire ; la partie du tablier qui se trouvait entre les deux piles du milieu, après s’être abîmé dans les eaux, est venue se briser contre les piles du pont de Gien, et les débris sont allés couvrir les parages de Nevoy et d’Ouzouer sur Loire.

Le canal latéral, qui avait vu ses levées rompues, était, à Chatillons, dans une état digne de pitié. Tous les travaux qui venaient d’être achevés, cette année, à la gare de Châtillons, ne formaient plus que des monceaux entassée les uns sur les autres par le torrent ; la levée qui conduit du pont à la ville avait été rompue complètement et les communications avec la rive gauche ainsi interrompues de la manière la plus rapide. Entre Châtillon et Saint-Firmin, les levées de la Loire cédaient en même temps à l’effort des eaux et la malheureuse ville de Châtillons avait comme une demi-ceinture d’eau autour de ses habitations. Saint-Firmin était, lui, submergé entièrement et les toits des maisons, de son église avec la flèche du clocher, apprenaient seuls à l’œil désolé que là existait un bourg.

Malgré la rapidité avec laquelle les eaux étaient arrivées de la Haute Loire, le dévouement de tous ceux qui pouvaient porter des secours était si actif qu’on n’avait a déplorer la mort d’aucun habitant.

A Briare le Canal, l’eau a envahi la ville comme aurait fait l’ennemi d’un pays conquis et, dans la traversée de la route royal de Paris à Lyon, elle est montée jusqu'à cinq pieds dans les appartements du rez-de-chaussé de l’Hôtel de la Poste, le canal avait en quelque sorte disparu sous les eaux. On ne voyait partout que de l’eau qui croissait.

Les levées de Saint Martin cédèrent dans la nuit à l’effort des eaux ; la moitié d’une grange du Colombier fut détruite avec la levée ; les animaux périrent et la famille Devade, du Colombier, put se sauver à l’aide d’une barque que deux mariniers de M. Guingand de Briare, lui avait généreusement procurée.

La rupture de ces levées fit que le faubourg du Berry, à Gien, fut envahi par les eaux de toutes parts et que l’eau s’éleva presque jusqu’au premier étage. Dans l’intérieur de la ville, les eaux montèrent à une telle hauteur que les maisons dans lesquelles l’eau n’avait jamais pénétré, même lors de la crue de 1789, ont vu leur rez-de-chaussée baigné dans une profondeur de près de un mètre. Depuis une heure jusqu’au jour, on n’entendait que cris d’épouvante, pleurs, mouvements désespérés ; l’émigration des habitants de la rive gauche, qui venaient se réfugier avec leurs bestiaux sur le coteau qui domine la ville, offrait un tableau qui déchirait le cœur. L’eau a séjourné ainsi dans le ville depuis le 20 jusqu’au 22 septembre au matin, c’est à dire plus de quarante huit heures, dans les maisons où elle était, et dans certaines caves, plus de quinze jours.

Les pertes éprouvées par les habitants ont donc été considérables ; mais ce sont surtout les jardiniers de la rive gauche de la Loire qui ont souffert dans les propriétés : la plupart des jardins ont été bouleversés de fond en comble, sans compter la perte des récoltes.

Dans une campagne, à deux kilomètre de la ville, aux Bardelets, un vieillard a été la victime de son obstination à ne pas vouloir quitter sa demeure.

Le dévouement des mariniers de la ville et des étrangers qui se trouvaient dans les eaux de Gien, a été vraiment admirable :

M.Pluegaut, patron du «Rhin», de la compagnie des remorqueurs de la Loire a, de concert avec Louis Thierry, Jean Giller et Auguste Pothevin (matelots) sauvés plus de cent personnes, que menaçaient d’engloutir et les eaux et les décombres des maisons.

Les matelots des équipages chargés de sel, et dont le dévouement a concouru avec celui de l’équipage du «Rhin», à sauver les habitants du faubourg du Berry, ont refusé comme ces derniers, l’indemnité que leur offrait le maire de Gien.

Les frères Digion de Gien, se sont également conduits de manière à mériter les plus grand éloges car ils ont, pour leur part, sauvé la vie de plus de soixante personnes.

La voiture de Briare a été arrêtée par l’inondation dans les environs de Sully. Les chevaux étaient renversés, et l’eau gagnant à l’intérieur de la voiture, menaçait de submerger les voyageurs. Ils allaient tous infailliblement périr, sans le dévouement du nommé Narverot, conducteur des Messageries Générales, qui alla à travers mille dangers, chercher une barque à Sully. Personne ne voulait la monter, tant le péril était imminent. Alors le conducteur, assisté de l’adjoint de la commune M. Avezard, se dévoua. On parvint enfin à sauver les douze voyageurs, au bout de trois heures de fatigue. Mes mariniers Valetin et Frenot ont fait preuve d’un grand courage.

Dans ce concours de généreux dévouement, personne n’a eu l’occasion de déployer autant de sang-froid que M. de Béhague de Dampierre. Prompte comme la foudre, l’inondation avait bloqué ou entraîné un grand nombre de personnes et une première barque de sauvetage avait déjà chaviré. M. de Béhague fait appel à la population consternée, personne ne s’avance, hormis son jardinier, qu’il décide à le suivre et, en trois voyages, dont chacun était un véritable péril, ces deux hommes courageux parviennent à ramener seize personnes. Deux avaient été recueillies sur des arbres.

Au quatrième voyage, la barque chavire et M. de Béhangue aide son compagnon à se réfugier avec lui sur un arbre. Pas de moyen de secours sur la rive… il était trois heures du soir et ce n’est qu’à une heure du matin que les deux intrépides sauveteurs ont pu être recueillis par les soins du curé de Dampierre qui, alors que tout le monde perdait la tête, avait eu la présence d’esprit de courir chercher des secours à Gien. M. de Béhague est un nageur consommé ; en quelque minutes, il eut pu regagner le bord, mais son compagnon ne savait pas nager, et c’est pour soutenir son courage jusqu'à l’arrivée des secours que M. de Béhague s’est résigné à rester dix heures dans cette affreuse position.

Les deux mariniers qui ont sauvé M. de Béhague sont les sieurs Chapuis et Bourgoin de Gien.

Au reste, voici comment s’exprimait le Journal de la localité, sous l’impression des événements qui venaient de s’accomplir :

« Jeudi, à midi, les eaux couvraient entièrement l’échelle de l’étiage qui marque vingt degrés. La crue de 1825 n’était allée qu’au dix-septième degrés. Des barques circulaient dans tous les quartiers inondés. Dès lundi, dans le nuit, toutes les communications se sont trouvées interceptées, les diligences, qui devaient arriver à quatre heures du matin, et mardi dans le journée, ont été obligées de s’arrêter, la première à St-Gondon et la seconde à Sully. Trois malles-poste sont restées à Nevers. Celle qui a passé lundi matin est restée à Briare. La vie morale a cessé en quelque sorte, elle ne se révèle que pour nous faire entendre des plaintes de toutes parts. Quel affreux malheur ! Une maison s’est écroulée dans le quartier des jardins. Notre malheureux faubourg du Berry offre le spectacle de la plus grande désolation. L’eau couvre encore la route de Bourges, celle de Poilly et celle de Châtillon. Il y a encore deux pieds d’eau dans les maisons.

La levée de Saint-Martin a été emportée complètement. Il n’y en a plus de traces. Toute la compagne qui nous avoisine offre aux regards épouvantés l’aspect le plus misérable. Les communications sont à peine rétablies. A quatre heures, ce soir, arrivent les deux diligences Caillard restées à Saitn-Godon et à Sully. Les voyageurs nous font part des désastres survenus à Sully surtout à Saint-Germain, à Saint-Père, à Germigny-des-Près.

A Sully, la maison de la poste aux chevaux s’est en partie écroulée.

Des maisons entières ont disparu à Saint-Père et à Saint-Germain. Le pont seul est resté sans aucune atteinte, au milieu de cette dévastation.

En se rapprochant de Gien, l’Ormette, le Bardelet, Port-Gallier et en remontant, Saint-Firmin, ont été on ne peut plus maltraités. On parle d’un nombre assez considérable de victimes parmi les malheureux de ces contrées. Il nous est impossible de bien préciser encore, sinon la mort d’un habitant de Sully qui, après avoir débarrassé «la Giennoise» des voyageurs qui s’y trouvaient, a péri, victime de sont dévouement. Le malheureux ne savait pas nager. Il n’y avait, au reste, dans cette ville, que deux mariniers ; les autres étaient partis à la vue des grandes eaux.

Dans ces malheureuses circonstances, chacun a fait son devoir »

Paru dans le journal de Gien, le 29-12-1956.