03 - Fougerat Hasards ou Coïncidences

Hasards ou Coïncidences

Les années passèrent. Cependant René Fougerat et Marie Noëlle gardaient dans leur tête et au fond de leur coeur le poids de la rumeur malveillante. Quoique rare, cette rumeur refaisait surface et arrivait jusqu'à eux. Comment la démonter, trouver les preuves ? Où s'adresser ?

Voilà qu'en 1974, Cosne sur Loire trouve comme soeur pour son jumelage, Bad-Ems, en Allemagne, près de Coblence. Pour Patrice qui aime voyager et se passionne pour les langues étrangères et a effectué son service national à Coblence, s'impliquer dans ce jumelage va de soi. Pour Marie Noëlle c'est moins évident. Si les malheurs de sa famille, la mort de ses frères et soeur sont dus aux bombardements américains de 1944, les fautifs au départ n'en sont pas moins les Allemands. Certes, si aujourd'hui (30 ans après 1944), les nazis et leurs idées n’ont pas entièrement disparu, on ne peut rendre responsables ces Allemands qui fondent ces jumelages en vue de concrétiser une Europe de Paix et de Fraternité.

Marie Noëlle se décide tout de même à partir pour Bad-Ems parce que finalement elle veut que ses enfants connaissent la paix et le plus sûr moyen d'y parvenir c'est de connaître l'autre. Et puis, peut-être, elle trouvera un début de réponse à ses recherches... L'aiguille dans la botte de foin, elle veut en trouver la pointe...

Hasard ! A l'arrivée à Bad-Ems, c'est une musique militaire qui joue pour les invités français. Il y a aussi, croit se rappeler Marie Noëlle, un détachement de soldats ou d'hommes en uniforme. Dans l'hébergement, il y a un petit imprévu, un changement et leurs hôtes seront Gustav et Lisel Schaller, un couple sans enfants. Gustav est médecin-colonel de l'armée allemande ... Pour le repas du soir, leurs hôtes ont invité leur beau-frère et belle-soeur, Hans et Anna, grande et belle femme blonde typique des pays de l'Est ; Hans est député et colonel aussi, tous parlent bien le français et Patrice recommence l'allemand. On parle de tout et puis évidemment de la France et de la guerre. Tous ont plus ou moins participé très jeunes à ces événements. Comme Patrice est intéressé, Gustav va chercher et montrer, sans arrogance, ses photos du passé et sa Croix de Fer dont il était fier car reçu comme preuve de sa bravoure. Marie Noëlle se souvient avoir pu dire à Gustav : « Si vous avez cela, c'est que vous avez été un bon soldat pour votre pays ». Puis sentant un malaise la gagner elle monte se coucher. Patrice reste avec ses hôtes...

Le lendemain matin ça va mieux et elle ressent un comportement très chaleureux avec les deux couples allemands. Elle devine que Patrice a dû expliquer ce qu'elle a vécu en 1944...

En 1977, les deux couples viennent à Cosne en juin, pour le voyage d'échange traditionnel. Patrice et Marie Noëlle les reçoivent, mais ne pouvant les loger dans leur ferme, ils demandent à leur père (devenu veuf depuis 3 mois) s'il accepte de les loger. « Tu ne seras pas obligé de faire la conversation avec eux, mais ils sont très gentils et la guerre est finie, alors aide nous pour faire un jour la paix. Je les amènerai le soir après dîner et je reviendrai le lendemain à 9 h pour m'occuper d'eux. C'est seulement pour deux nuits. Et surtout tu ne leur parles de rien ». René Fougerat accepte.

Le lendemain matin, elle arrive chez son père et là… Surprise ! De chaque coté de la table de la cuisine, Hans et René parlent comme des amis de longue date. Ils ont pris le petit déjeuner et compulsent divers documents et photos des bombardements de Neuvy ... Alors ils parlent et elle explique et parle de la rumeur qui fait mal ... Hans promet de chercher afin de savoir la vérité quel qu'elle soit ...

Hans demande à visiter Neuvy, l'usine et si elle accepte de le conduire au cimetière. Là, à l'entrée du lieu, Hans a salué et c'est incliné respectueusement.

Rentré en Allemagne, Hans a fait ses recherches afin de dire à ses nouveaux amis et il leur explique que « Cette histoire est impossible car Neuvy n'était pas une place importante pour eux. Que si l'armée allemande avait besoin de faire fabriquer une pièce de caoutchouc très spéciale pour son aviation, elle l'aurait fait fabriquer sous bonne surveillance et en Allemagne, mais pas dans un village au centre de la France. Que si Fougerat avait travaillé pour eux, l'usine aurait été protégée, gardée par leurs soldats. Et surtout, en contrepartie, elle aurait attiré l'attention, ce qui lui aurait valu d'être bombardée plus tôt car vulnérable. Les Alliés n'auraient jamais attendu le 17 juillet 1944 pour s'occuper de l'Usine Fougerat »

Hasard ! En 1978, toujours dans le cadre du jumelage, Patrice et Marie Noëlle partent à Harpenden en Grande Bretagne. Ils sont reçus par Michael, hôte sympathique qui travaille lui, au ministère de l'armée anglaise. Occasion encore pour demander si c'est possible, des renseignements.

Ce que Michael a pu obtenir corroborait les explications déjà reçues de l'American-Embassy le 31/08/1946 pour la Chambre Syndicale du Caoutchouc : Voir l’original page 44.

---- Si on regarde la carte de Neuvy, on peut constater qu'il y a deux ponts, un de chemin de fer et un routier qui traversent le ruisseau qui se déverse dans la Loire à cet endroit. Pendant l'été 1944, l'aviation alliée avait pour mission la destruction des communications utilisables par les Allemands. Il est un fait évident que le but des bombardements était de toucher les deux ponts et non les environs, car il serait ridicule de croire que l'aviation alliée se proposait de détruire les mêmes usines que les Alliés étaient en train de réquisitionner.

----Je puis vous assurer de la manière la plus formelle que l'aviation alliée était tellement occupée avec ses buts tactiques qu'elle n'aurait pu gaspiller sa force en cherchant vengeance. De plus, il n'est jamais entré dans les idées des chefs, d'employer l'aviation pour se venger. Si vous prenez la peine d'examiner d'autres ponts, plus particulièrement ceux de la Loire, vous verrez que les bâtiments près des ponts ont beaucoup souffert des bombardements qui avaient pour but la destruction de ces ponts.

Signé F.B. Valentine Colonel A.C. Attaché Militaire de l'Air.

Hasard ! En 1983 Emmanuel effectue son service national à Draguignan comme lieutenant dans une unité d'armes spéciales. A l'occasion de la remise de la fourragère, Patrice et Marie Noëlle s'y rendent.

Or à Cosne, ils avaient eu des rapports amicaux avec un colonel en retraite depuis peu d'années. Le rencontrant par hasard, ils parlent de leur visite à leur fils dans cette caserne du sud. En entendant le nom de cette caserne, leur ami s'écria: « Mais je connais, c'est un camarade qui la dirige ».

Connaissant la famille Fougerat, leur histoire et la rumeur qui les blessait, le colonel eut une idée géniale. Sachant son ami, d'esprit coopératif, il prit contact avec lui, lui expliqua cette histoire de joint en caoutchouc sur VI et V2 fabriqué disait-on chez Fougerat. Celui-ci demanda si on pouvait faire une étude avec les élèves officiers afin de trouver la fameuse pièce de caoutchouc.

La réponse fut formelle : « Il n'y a aucune partie de caoutchouc sur les VI et V2 ». La température étant trop élevée, la pièce aurait fondu. Tout ça pour ça !

Hasard ! En 1985 le colonel de Cosne demande aux Chevallier s'ils peuvent recevoir dans leur ferme pour déjeuner, deux Américains qui viennent passer quelques jours à Cosne et retrouver les lieux qu'ils avaient connus dans leur jeunesse. Ceux-ci acceptent et accueillent ces nouveaux voyageurs.

Au cours du repas, René Défourneaux (d'origine française, marié à une américaine, Ginny, parlant couramment le français) explique que pendant la guerre de 1939-1945, il était responsable de la région de Cosne sous le nom de Mac-Cormick. (Envoyé, parachuté par les Alliés, comme aide technique aux maquisards). Il raconte ses souvenirs.

Bien sûr les Chevallier l'écoutent avec attention et il fait le récit de ce qu'il a vécu et vu. Ils en viennent à parler des bombardements de Neuvy (sans dire qu'ils faisaient partie de la famille Fougerat) afin de savoir le pourquoi et le comment de ces bombardements... René Défourneaux explique que c'était pour la voie ferrée, pour la route et il donne les mêmes explications que les Allemands, Anglais et Américains ... Et lorsque Marie Noëlle montre les photos de Neuvy, il reconnaît les lieux et emplacements des dégâts.

Voyant qu'il avait bien été là ce jour-là, elle lui dit qu'elle est la fille de Fougerat et lui demande le pourquoi de la rumeur ...

Et il explique: «Lorsque je suis arrivé à Neuvy après le bombardement tout au début de l'après-midi, j'ai rencontré les gens du village qui se demandaient pourquoi ils avaient été visés ? Un jeune homme (Léon c'était son nom de guerre) voulant se faire mousser auprès des camarades avec qui il était, dit : « Mais c'est bien sûr à cause de Fougerat. » Alors comme Mac-Cormick s'étonnait, l'autre d'ajouter: « Il fabrique des joints pour les VI et V2 ! » Je savais bien que c'était faux, dit Mac-Cormick. Mais un journaliste de l'Aurore (journal parisien de l'époque) était là et a communiqué l'information à son journal qui l'a fait connaître à ses lecteurs...

Alors Marie Noëlle raconte la rumeur et le mal que cela a fait à sa famille. Le hasard venait de lui donner enfin la réponse au pourquoi de cette rumeur assassine... Depuis ils correspondent toujours avec René et Ginny Défourneaux, malgré l'océan qui les sépare.

Hasard ! En 1988 un courrier arrive à Neuvy comme une bouteille à la mer. C'est écrit en allemand, on demande à Patrice de la traduire. C'est un ancien soldat qui a maintenant 72 ans qui écrit. Il demande si les personnes qu'il a connues lors de son séjour dans le village sont toujours en vie car il aimerait les revoir. Patrice lui répond en lui expliquant que les gens de l'hôtel de la Gare où il avait logé, sont décédés; mais que s'il voulait venir retrouver ses souvenirs, il pouvait le recevoir avec sa femme et il lui indique aussi que Neuvy avait été bombardé.

Au mois de juillet suivant, Karl et Liselotte Goetze arrivent à Cosne. Karl explique : C'était le 20 août 1940, il arrive avec la troupe : quatre Panzers-Kommandos (soit 112 hommes) parmi lesquels il se trouve comme simple soldat. Si les officiers logent à l'hôtel de la Paix et au château, la troupe est répartie dans le reste du village. Pour Karl, c'est l'hôtel de la Gare chez Mme Tinturier. Peu de choses se sont passées durant les huit jours de leur halte. Quelques photos souvenirs et quelques bons repas puis c'est le départ pour le front ... Il explique que ces quelques jours passés à Neuvy, ont été les derniers jours heureux de sa jeunesse, c'est pourquoi il souhaitait y revenir.

Après la guerre il s'est marié et à eu un fils. Ils vivaient avec sa mère, à Francfort sur le Main. En 1962 la Grand'mère décide de visiter son village natal avec son petit-fils; ils partent mais ne peuvent pas revenir, le « Mur » est construit durant le séjour. Karl et Liselotte n'ont pas revu les voyageurs et la mère est morte de chagrin à l’Est. Karl parle un peu le français, il a raconté quelques souvenirs des habitants de Neuvy, avec les amis qu'il a rencontrés durant son tour de village. Il montre les photos du passé et les Chevallier montrent la seule photo qu'ils possèdent de cette période. C'était pris entre deux volets entrebâillés du château et l'on voit des véhicules allemands avec des hommes dedans. Surprise, Karl reconnaît des amis (tous disparus) et se retrouve dessus également...

Depuis cette rencontre tous les ans ils s'écrivent pour se souhaiter la Paix.

Hasard ! En 1988 le capitaine Calvat (alias Dubois) accepte de donner les explications suivantes au sujet des évènements de Neuvy :

« Les légitimes interrogations de la famille Fougerat sur les bombardements de Neuvy en juillet et août 1944, qui lui ont coûté tant de meurtrissures et de chagrins appellent cette nécessaire mise au point :

l)- A cette époque, la destruction du viaduc du chemin de fer enjambant la RN 7 à Neuvy, entrait dans le cadre des opérations destinées à paralyser les voies de communication selon les ordres de l'Etat Major Allié.

2)- En accord avec celui-ci, mon équipe spécialisée, bien approvisionnée en explosifs à cet effet, s'apprêtait à réaliser ce sabotage sans dommage pour l'environnement. Apparemment non informée de ces projets, l'Aviation Stratégique s'acharna sans préavis sur ce petit ouvrage et notre pauvre ville de Neuvy en fut dévastée.

3)- Le capitaine LEON, du War-Office, était en mission dans la région. Il s'inquiéta de la rancoeur que suscitait contre les Alliés ce soudain massacre. Pour le rendre moins inadmissible auprès de la population meurtrie, il fit courir le bruit que les Etablissements Fougerat fabriquaient des joints de caoutchouc pour les fusées V1. Ils constituaient de ce fait un objectif très important. Les bombes tombées par hasard sur l'usine pouvaient accréditer cette fable sans fondement.

En effet, les documents d'archives nous confirment que :

a)Les bombardements ne visaient que les voies de communication.

b)Les fusées VI ne comportaient pas de joints en caoutchouc.

Afin d'éviter toutes spéculations erronées sur ces événements, je consigne ce témoignage.

Capitaine Calvat alias Dubois ex-Commandant des Forces Françaises de l'intérieur de la zone Nord de la Nièvre.

En 1990, Patrice et Marie Noëlle quittent Cosne et leur ferme pour revenir vivre à Neuvy, ouvrir un commerce dans les anciens locaux de l'usine Fougerat. Quelques clients demandent ce qu'était cette usine et ce que l'on y fabriquait ? Lorsqu'elle dit le nom de la fabrique, certains (pas nombreux heureusement) lui disent : « C'est l'usine qui travaillait pour les Allemands ». Alors Marie Noëlle voit rouge et explique pour faire taire cette histoire. Elle parle à tous et se demande comment faire connaître la vérité.

L'exposition de 1994, pour le cinquantenaire des bombardements avec photos et explications l'apaise un peu dans sa lutte pour la vérité.

Hasard !en 1996 le nouveau maire de Neuvy, J.C. Martel part pour une réunion de travail. A la fin de la réunion il parle avec Monsieur Duchemin de Neuvy et de son histoire. Ils parlent des événements de la guerre et du passé... Quelle n'est pas la surprise du maire que d'entendre son interlocuteur lui dire : « Et en plus je me souviens encore davantage de Neuvy car je connais un pilote qui a bombardé votre village.... »

Charly Martel le fait savoir à Marie Noëlle et lui remet une lettre écrite par ce Monsieur qui accepte de lui parler.

Il a fallu quelques mois à Marie Noëlle avant d'avoir le courage de prendre son téléphone pour converser avec ce monsieur. Lorsqu'elle l'a appelé, il explique :

---« J’étais : Captain Philipp, pendant les hostilités et c'était la seule mission que j’ai faite en France. J’étais sous les ordres du Général Doolittle; nous avions reçu cet ordre car il y avait un train d'Allemands en gare et qu'il fallait le stopper ? Je voudrais vous rassurer quant aux objectifs fixés à l'aviation alliée : il ne s'agissait nullement de détruire une quelconque fabrique d'armements, mais de neutraliser au mieux une voie de communication ferroviaire et de faire sauter un train, qui avait été signalé à l'Etat-major comme étant chargé de munitions destinées à l'armée allemande. Si l'usine de vos parents a été touchée, croyez bien que c'est par pur hasard, il fallait détruire ce qui avait été défini : Un convoi militaire allemand, et c'est tout. »

« Signé C. Captain Philipp pendant les hostilités. »

Voilà après tant de recherches, à l'aube du troisième millénaire, Marie Noëlle a fini de raconter son histoire. Elle ne regrette pas de s'être battue avec tant d'obstination pour essayer de comprendre comment cela s'était passé, pourquoi cela avait eu lieu et pourquoi cette rumeur persiste et fait si mal encore aujourd'hui. Cela explique le caractère vif et têtu qu'elle possède mais si elle ne l'avait pas eu, aurait-elle eu ces réponses ?

« En relatant et écrivant mes souvenirs, dit-elle, je comprends que Maman a beaucoup souffert aussi, et même plus que moi. A chaque fois qu'elle me voyait, je lui rappelai le drame d'avoir perdu ses trois petits enfants... Pour ne pas fléchir et continuer à vivre, elle s'est forgée une carapace, elle a été dure sans le vouloir, avec moi durant ma jeunesse; je lui pardonne du fond du coeur et lui demande pardon de ne pas avoir compris sa souffrance ... »

Le hasard ça existe, mais il faut tout secouer, beaucoup, pour le trouver afin que les coïncidences arrivent...

Maintenant Marie Noëlle souhaite que par ce livre de souvenirs, les gens sachent que parler sans savoir, peut faire très mal et même transformer une personne, par les conséquences produites. Si elle m'a raconté son histoire c'est pour essayer de faire comprendre ce qu'est la guerre vue par une enfant. De par le monde aujourd'hui encore il y a beaucoup de catastrophes bien pires que celles qu'elle a subies. Elle a eu la chance d'avoir une grande famille qui l'aime et une grande solidarité et compréhension par ses amis de Neuvy.

Neuvy le 6 septembre 2003.

Par les explications et preuves produites dans ce texte, J’espère que ceux qui « pensent qu’ils savent » que :

«C’est Fougerat le fautif, le responsable»,

Accepteront de lire et étudier sincèrement les dossiers...

Que ceux qui ont entendu cette accusation aient la gentillesse de prendre quelques minutes afin de lire ce que j'ai récolté et se faire une opinion personnelle. Malgré tout, je sais qu'il restera toujours des traces de cette « RUMEUR ».

J'ai essayé de vous prouver que ma famille n'est pas coupable.

Si vous ne me croyez pas, je le regrette. Je me suis battue pour savoir et suis heureuse d’y être arrivée.

Je suis fière d'être la fille de mes parents.

Marie Noëlle Fougerat Chevallier - 2 Février 2004