Les Ocres

Les Ocres de Neuvy sur Loire

Documentation de Yves Fougerat

Situé sur la rive droite de la Loire moyenne, au bord de la Route Nationale 7, à l’extrémité nord-ouest du département de la Nièvre, à la limite entre Nivernais, Berry et Puisaye, Neuvy-sur-Loire eut une activité industrielle et commerciale qui semble remonter à l’époque préhistorique ou gallo-romaine. Durant de nombreux siècles, une partie de la prospérité de cette commune était due à la proximité de la Puisaye, terre riche en sous-sol et boisée.

Le port ligérien de Neuvy-sur-Loire fut ainsi, pendant plusieurs siècles, le lieu d’embarquement et parfois de transformation des produits provenant de cette région tels que le minerais de fer, les poteries, la terre blanche pour la faïencerie et l’ocre.

Le château, situé au centre du pays, datait du XVè siècle. Démoli après la Révolution, il avait été presque entièrement rebâti au début du XIXè siècle. Il était construit dans une propriété d’une trentaine d’hectare d’hectares, au bord de la Vrille, petite rivière prenant sa source près de Treigny, traversant la Puisaye et se jetant en Loire à l’extrémité sud du port de Neuvy.

Le 14 septembre 1856, le conseil municipal fut saisi par M. Huet, d’une demande d’établissement de diverses industries à proximité du château.

C’est alors, vers la fin de 1856 que Messieurs Huet et Girard installèrent, sur des terrains attenants au parc du Château, une usine de produits chimiques et de fabrication d’ocres. Ce n’est qu’en 1863 que J. Girard acheta une partie de cette propriété où il avait installé les « usines de Neuvy-sur-Loire ».

Cet ensemble industriel fut exploité au début par la Société « A. Lutton, Loliiot et Compagnie » . Devenue veuve en 1864 , Madame Girard, avec l’aide de ses enfants développa l’œuvre industrielle créé par son mari. La situation géographique de ces usines et le marché porteur en ce milieu du XIXè siècle permirent un développement rapide et important des diverses fabrications.

Ces industries bénéficiaient de la proximité de la Puisaye pour leurs approvisionnements en matières première et en bois pour la cuisson, des rives d’une rivière canalisée avec barrage pour la force motrice et de la présence de nombreuses voies de communications pour l’expédition des produits finis vers la France ou l’étranger.

Les approvisionnements :

Les ocres de Neuvy étaient tirée d’une argile très peu colorée d’oxyde de fer, sans dépôt, extraite dans la Puisaye nivernaise et plus particulièrement au sud de la vallée de la Vrille, près d’Arquian, Saint-Vérain-des-Bois, Bitry et Argenoux.

A Saint-Verain existaient également des carrières d’ocres exploitées, au XIXè siècle, par le curé de cette localité. Cette terre compact s’extrayait par fragments arraché avec des pioches, dans des bancs de 80 à 90 cm d’épaisseur. Son aspect était uni, régulier et onctueux, ne contenant que 3 à 4% de silice.

La fabrication :

La fabrication consistait à laver et sécher à l’air libre ou dans des étuves les ocres bruts ramenées des carrières par des chariots.

Elles étaient ensuite pulvérisées sous des meules verticales, passées dans des tamis et blutoirs garnis d’étamines de soies, puis stockées dans des fûts de chêne cerclés, fabriqués sur place et peints en jaune d’ocre.

Les bâtiments d’exploitation, situé au bord de la Vrille, abritaient les trois paires de meules verticales et les six bluteries (tamis horizontaux rotatifs et vibrants enfermés dans des auges métalliques) actionnées par une roue hydraulique d’une force de 25 chevaux, mue par la chute du barrage construit en travers de cette rivière.

L’ocrerie ne fonctionnant que le jour, et n’employant que 12 à 15 ouvriers, sortait annuellement 1000 tonnes d’ocres de l’usine de Neuvy. Les ocres de Neuvy avaient une nature, une composition et des couleurs particulières, bien différentes des ocres de Bourgogne.

La fabrication des produits chimiques dérivés de la distillation du bois en vase clos était plus importante. Elle occupait une soixantaine d’ouvriers par poste de 12 heures et marchait en continu, exceptés deux arrêts de quelques jours pas ans. Les produits vendus par cette branche de l’activité étaient nombreux : de l’acide acétique des arts ou vinaigre de bois, du méthylène ou alcool de bois, des pyrolignites de chaux et de fer, …. ainsi que des résidus de charbon de bois épurés.

Les travaux d’endiguement et de canalisation de plusieurs bras de la Vrille, sur une étendue d’environ 2 Km, permettaient de four nir la force motrice nécessaire aux deux industries, durant toute l’année.

Une scierie mécanique et des ateliers de tonnellerie et de forges, situés dans l’enceinte de l’usine permettaient de fabriquer et réparer sur place les appareils et emballages nécessaires à la transformation et aux expéditions.

L’expédition :

Les fûts d’ocres étaient embarqués au port de Neuvy et expédiés par la Loire ou le canal latéral, puis le canal de Briare, vers la région parisienne. Ils descendaient aussi le fleuve jusqu’à Nantes pour être exportés vers l’étranger : Etats-Unis, Angleterre ou Hollande. Chaque bateau de Loire pouvait transporter 200 à 300 fûts.

Des produits étaient également chargés à la gare de Neuvy pour gagner, par le chemin de fer de la ligne Paris-Lyon-Marseille, certaines grandes villes françaises.

On distinguait les ocres marquées J.S, d’une teinte très foncée et d’un bel aspect jaune d’or, et les ocres rouges pâle uni et très fine, marquées R.F.L., obtenues par coussin et déshydratation de l’ocre jaune.

Grâce aux avantages dus à la situation de cette usine, les prix étaient très compétitifs et le développement fut rapide.

Ainsi, ces usines, avec les fabrications de produits chimiques et d’ocre d’une finesse et de teintes très caractéristiques, eurent une sérieuse réputation et obtinrent en quelques années :

- Une mention honorable à l’exposition de Londres en 1862,

- Deux médailles d’argent aux expositions de Nantes en 1861 et de Nevers en 1862.

A la seconde Exposition Universelle de Paris en avril 1867, ces productions furent exposées dans le 5è groupe – classe 44.

Cette industrie possédait une succursale près d’Auxerre pour l’extraction et la fabrication des ocres jaunes et rouges de Bourgogne, qui ne représentaient que 300 à 400 tonnes par an et étaient marquées R.P.S.

Pour des raisons de concurrence, ces usines durent arrêter la totalité de leurs activités vers 1880.

Plusieurs années après, cette propriété fut mise en vente. Le prospectus publicitaire était alors rédigé ainsi :

A VENDRE en totalité

Ou A LOUER pour la partie propre à une exploitation industrielle

Avec ou sans le matériel la garnissant

UNE PROPRIÉTÉ d’un seul tenant

Contenant environs 30 hectares en nature de prés et jardins.

Sise au chef-lieu d’une commune, sur un cours d’eau important, à 500 mètres d’un fleuve, à 5 minutes de la gare d’une grande ligne de chemin de fer et à 180 kilomètres de Paris, comprenant :

A- Au milieu du bourg : un vaste CHÂTEAU HISTORIQUE entouré d’un parc bien planté, avec une rivière anglaise, vaste communs, bâtiments de servitude et d’exploitation, maisons d’habitation pour régisseur, concierges, jardiniers ; grands jardins en plein rapport entourés de murs ; le tout en parfait état d’entretien et comportant une résidence confortable et au besoin luxueuse.

B- A 80 mètres environs du château et pouvant en être complètement isolées :

1) Une première usine composée de vaste bâtiments, pavillons, grande halle à charpente métallique, hangars, ateliers, chantiers, larges dégagements, ayant constitué depuis 30 ans une importante fabrique encore garnie de son matériel au complet, chaudière et machine à vapeur de la force de 30 chevaux, appareils de toutes sortes, grande cheminée commune en briques (hauteur 37 mètres). Cette usine, en contre-bas de la rivière, est largement, et sans frais, alimentée d’eau courante pour tous les services.

2) Une seconde usine attenante, à usage de moulin, mue par une force hydraulique de 40 chevaux, pouvant fonctionner sans chômage à raison du volume et de l’aménagement des eaux.

Cette usine et actuellement affectée à la pulvérisation d’un produit naturel destiné à l’exportation, extrait dans les environs de la propriété et d’un revenu certain, susceptible de sérieuse augmentation dans l’avenir.

Biefs, contre-biefs, empellement, déversoirs, ponts, rivière naturelle et canalisée baignant la propriété sur une étendue de plusieurs kilomètres.

Scierie mécanique mue hydrauliquement.

C. un autre moulin, supérieur au précèdent, non utilisé actuellement, mais pouvant être, à peu de frais, remonté pour tous usages.

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Ce n’est qu’en 1898 que le château et l’ensemble industriel reprirent vie pour devenir, pendant près d’un siècle une manufacture de caoutchouc, les Etablissement FOUGERAT.

Une autre fabrique d’ocre appartenant à Mr. Vivien était située au bord de la Vrille, à environs un kilomètre en amont des usines de Neuvy, entre le moulin des Eves et le Gué de Chariot. Elle fabriqua jusqu’à 500 tonnes par an mais ne fonctionna que quelques année, vers 1860.

Vers 1921, lors de la démolition d’une maison du port de Neuvy, on découvrit une fosse à ocre, à demie enterrée, qui dû servir au stockage de la production de cette fabrique.

De cette propriété qui a vécu un siècle et demi, il ne reste qu’une aile du château, démoli par les bombardements en 1944, et les bâtiments industriels transformés en zone artisanale.

Source : « Neuvy-sur-Loire, le commerce et l’industrie aux XIXè et XX siècles » par Yves Fougerat